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Le Courrier d’Aix – 1961-03-11 – La Vie Internationale.
Finances, Terre Inconnue
Autour des grands problèmes de l’heure, toujours autant de confusion et de mystère. Il faut s’y résigner et attendre, noter seulement les îlots qui émergent du brouillard.
La Situation au Congo
Le désordre et l’anarchie congolaise défient toute prévision, mais révèlent aussi ce que l’on s’obstine à ne pas reconnaître : le concept de l’homme, sa psychologie, ses réactions différant totalement selon les races, et la coexistence entre elles est presque toujours un artifice qui ne se soutient que par la force ou le prestige. M. Krouchtchev l’apprend à ses dépens et il est de moins en moins probable que ce soit lui qui rira le dernier.
A Léopoldville, les soi-disant journalistes russes, tchèques et polonais envoyés par Moscou ont été proprement expulsés par Gizenka que l’on s’était empressé de reconnaître comme le maître légitime du Congo, parce que sa foi communiste le désignait. Il se peut que le même Gizenka s’entende avec ceux que l’on dit ses adversaires, que de nouvelles combinaisons se nouent, aussi éphémères que les précédentes.
L’O.N.U. de son côté est en posture difficile. Honnis et attaqués de tous les côtés, les Casques bleus doivent employer la force comme ils y ont été autorisés par le Conseil de Sécurité, mais à moins de transformer l’O.N.U. en puissance coloniale, ce qui serait comique, elle devra laisser les Congolais se disputer le pouvoir ; cela peut durer.
Au Laos
Au Laos, les Soviets continuent d’armer leurs partisans du Pathet Lao qui contrôlent le Nord du pays, et toutes les tentatives pour porter la question sur le plan diplomatique ont été étouffées. C’est une petite guerre de Corée, qui chemine à pas feutrés, sans grand éclat d’hostilités. Mais il semble bien qu’on se trouvera sous peu devant une partition de fait du pays, analogue à celles de Corée et du Vietnam. Les Américains sont fort embarrassés n’ayant pu trouver d’appui, ni du côté des voisins asiatiques neutraliste, Cambodge, Birmanie, Inde, ni du côté occidental où ils sont en désaccord avec les Anglais et les Français ; les premiers cherchant en vain une voie vers des pourparlers, les seconds qui font au surplus les frais de la querelle à Seno et à Vientiane, ont pris parti pour un gouvernement neutraliste qui a cessé d’exister. Devant une division aussi complète, les communistes et leurs alliés ont beau jeu. Les Américains ne peuvent intervenir militairement, et l’aide qu’ils prodiguent au prince Boun Oum et à ses troupes, ne les mettent pas en mesure de s’opposer à leurs adversaires.
Le Nouveau Président du Brésil
L’Amérique latine retient aussi l’attention, et particulièrement l’attitude du nouveau président du Brésil Janos Quadros. On entend dire communément qu’à la différence de son prédécesseur, il s’oriente vers une politique neutraliste, rompant ainsi les liens jusqu’ici étroits avec les Etats-Unis. Apparemment en effet, Quadros n’a pas montré d’hostilité à Fidel Castro. Il va nouer des relations diplomatiques avec Moscou et ses satellites et aussi avec Pékin, dont il préconise l’entrée à l’O.N.U. en place de Formose. Enfin, il vient d’inviter Tito à visiter le Brésil. La mission américaine envoyée par Kennedy à Rio, n’a pas eu grand succès.
De là à voir en Quadros le Tito de l’Amérique latine, on a vite franchi le pas. Mais ce n’est pas sûr. L’homme est assez mystérieux et toutes les mesures ci-dessus lui permettent de s’affirmer ; en prenant ses distances à l’égard de Washington, il rallie aussi autour de lui les tendances de l’opinion brésilienne qui ne supportent pas d’être dépendants du bon vouloir des Etats-Unis. Mais Quadros est un fervent catholique, comme Kennedy, et aussi loin que le Président des Etats-Unis de sympathiser avec le communisme ; ni Krouchtchev, ni Castro n’auront en lui un allié. Il cherche seulement à adopter la politique brésilienne au rôle de grande puissance du continent américain, en affirmant son indépendance diplomatique.
Les liens avec les Etats-Unis placés dans ce nouveau contexte peuvent être aussi cordiaux que dans le passé où d’ailleurs ils ne l’ont pas toujours été. Le Brésil, en perpétuelle crise financière, faisant figure de quémandeur ; c’est cette situation catastrophique et chronique que devra surmonter, en premier lieu le président Quadros. Il aura fort à faire.
La Revalorisation du Mark
L’évènement à sensation de la semaine est justement d’ordre financier : la réévaluation du Mark allemand, porté de 4 dollars vingt à quatre juste. Geste aussitôt imité par la Hollande. L’affaire vaut d’être célébrée, car il est rare dans l’histoire de voir une monnaie remonter la pente. D’ordinaire, elles ne font que la suivre par de successives dévaluations. Il y a fort longtemps, d’ailleurs qu’on en parlait. Nous l’avons rapporté ici, mais à force de démentis, on avait cessé d’y croire. Toutes les autorités de la République fédérale avaient juré de maintenir le Mark à sa parité. Économistes, banquiers, chefs d’entreprises, syndicats s’y étaient déclarés hostiles et un beau soir on nous met devant le fait accompli.
En matière de finances, comme en d’autres, les serments et les déclarations officielles doivent être pris avec scepticisme. Leurs auteurs ne sont d’ailleurs pas gênés de se contredire : au contraire, le Dr Erhard a, sans sourciller, justifié la mesure prise avec les meilleurs arguments. M. Kennedy, ou son porte-parole, en feront peut-être un jour autant dans l’autre sens. Cependant, Erhard aurait pu s’abstenir d’ajouter qu’il n’avait agi sous aucune pression extérieure. Qu’on se déjuge soit, ajouter un mensonge est inutile. Comme si depuis deux ans déjà les Anglais, et les Américains depuis, n’avaient pas pressé Bonn de relever la parité du Mark. La mesure est d’ailleurs modeste, puisqu’il ne s’agit que de 5% à peine, ce qui n’aura pas d’incidence majeure sur les échanges. C’est un peu comme les réductions douanières dans le Marché Commun ; l’exportateur passe la différence aux profits et pertes et continue son commerce comme devant.
Les Négociations avec les Pays dits de l’Entente
Paris est devenu la ville du mystère : des discussions se poursuivent entre le Quai d’Orsay et les Ministres des quatre pays dits de l’Entente, anciens territoires africains devenus indépendants : Côte d’Ivoire, Dahomey, Niger et Haute-Volta. Les jeunes Etats qui se refusent à rentrer dans la Communauté dite rénovée – l’euphémisme est bien français – entendent par contre ne rien perdre des mannes de l’ancienne métropole. Le paradoxe de notre débâcle africaine, c’est que les territoires qui se sont débarrassés de notre souveraineté nous coûteront plus cher que lorsqu’ils y étaient attachés.
En effet, les importantes subventions que l’Etat leur accordait étaient en partie compensées par les privilèges dont jouissaient nos exportateurs. Avec l’indépendance, la porte sera ouverte aux marchandises les moins chères quelles qu’en soient l’origine. L’Afrique sera le lieu d’élection du dumping international.
La Conférence du Commonwealth
A Londres s’est ouverte la Conférence du Commonwealth. Le sujet brûlant qu’on s’efforcera d’éviter, c’est la politique de ségrégation raciale de l’Afrique du Sud. Or ce pays, en proclamant la République en mai prochain, devra solliciter de demeurer membre du Commonwealth. On discutera aussi de la proposition britannique faite aux pays dits du Marché Commun, de renoncer à la préférence impériale en échange de concessions tarifaires à l’Angleterre et à ses associés. L’Australie y serait favorable et plus encore les pays du Commonwealth d’Afrique Noire, le Ghana et le Nigéria qui ne voudraient pas que les pays d’expression française bénéficient d’un tarif plus favorable à l’entrée chez les Six. Par contre, le Premier de Nouvelle-Zélande craint que tout rapprochement de la Grande-Bretagne avec les Continentaux ne nuise aux exportations agricoles de son pays. Même dans l’état actuel de la soi-disant division économique de l’Europe, on voit la France vendre, au-dessous du prix néo-zélandais, du beurre à l’Angleterre, du meilleur beurre de France à quelques 300 francs le kilo. Si vous ne le croyez pas, demandez à M. le Ministre compétent. Il le sait peut-être.
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