Criton – 1961-03-04 – Clair-Obscur

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Le Courrier d’Aix – 1961-03-04 – La Vie Internationale.

 

Clair-Obscur

 

Rarement avons-nous ressenti un tel embarras pour traiter des problèmes en cours. Que ce soit le Congo, le Laos, l’Afrique du Nord ou les affaires européennes, on s’expose, en émettant un jugement à se contredire le jour suivant. On aimerait attendre pour voir clair, mais ce qui survient est plus confus encore.

 

Les Pourparlers Financiers Germano-Américains

Commençons donc par le plus sûr. Pour soulager la pression sur le Dollar, Kennedy, après Eisenhower qui avait, on s’en souvient, échoué, a fait entendre à Bonn qu’il fallait s’exécuter et Von Brentano est allé à Washington. Comme toujours le communiqué de la rencontre parle d’un accord à la satisfaction mutuelle. Les Américains exigeaient non seulement le paiement des dettes d’après-guerre de l’Allemagne, sans compensation pour les avoirs séquestrés aux U.S.A. ; mais encore un milliard de dollars pour les pays sous-développés cette année, et autant pour les années suivantes.

On ne sait dans quelle mesure Von Brentano a souscrit à ces demandes, mais à son retour le Vice Chancelier Erhard, appuyé par le Ministre des finances Etzel, a publiquement fait savoir que la République fédérale, en mesure pour cette année, de faire l’effort requis, se refusait à prendre quelque engagement que ce soit pour l’avenir et en particulier qu’il n’était pas question de demander aux Allemands de payer de nouveaux impôts à cet effet.

Les élections allemandes vont avoir lieu en octobre. Le candidat socialiste, Willy Brandt, maire de Berlin, est un concurrent actif pour Adenauer et le vieux Chancelier devra après le scrutin se résigner, même si, comme probable, son parti triomphe, à passer la main. Et malgré ses efforts, il ne lui est pas possible d’empêcher Erhard de lui succéder ; le seul concurrent de son choix, Franz-Joseph Strauss étant trop jeune. Erhard ménage sa popularité et ne croit pas qu’il faille, pour être soutenu par les Américains dans l’affaire de Berlin, leur faire des concessions financières exorbitantes. Berlin est une question de prestige pour le monde libre et l’intérêt allemand se confond avec celui de tous les Occidentaux.

 

Adenauer chez MacMillan

La visite d’Adenauer à MacMillan s’est conclue comme de rigueur, par un complet accord et une satisfaction mutuelle. En réalité, il ne s’est rien fait d’important, sinon qu’on a, comme prévu, ressuscité pour la seconde fois l’ « Union de l’Europe Occidentale » qui fut instituée après l’échec de la C.E.D. et qui réunit les Six de l’Europe continentale et l’Angleterre. Par ce biais, les Anglais participeront à l’élaboration d’une politique européenne commune, ce qui veut dire que la Communauté européenne ne pourra prendre de décision sans eux. C’est ce à quoi le brusque écart du Ministre hollandais Luns à la précédente réunion des Six tendait.

Il n’est plus question de la petite Europe, ni même d’une alliance d’ancien type entre Continentaux, mais d’une entente générale entre tous les Européens, Anglais compris. Sur le plan politique cela n’engage à rien et n’a pas grande portée ; sur le plan économique, c’est l’extension du Marché Commun à l’ensemble européen, c’est-à-dire la fusion avec les Sept de la zone de libre-échange, ensemble auquel se joindraient, dans une certaine mesure, les Etats-Unis et le Canada. Arrivera-t-on à cette harmonisation ? Bien qu’on soit loin du compte encore, il semble que la solution de ce problème, qui a fait l’objet de tant de discussions, soit moins aléatoire qu’auparavant.

Au fond, ce que voulaient les Anglais, c’était faire obstacle à une entente politique entre les pays du Continent, c’est-à-dire la France et l’Allemagne ; la question réglée les problèmes économiques qui demeurent seuls, si compliqués qu’ils soient peuvent être résolus tout au moins sur le plan industriel. D’ailleurs un courant d’opinion dans les milieux d’affaire et parmi les économistes presse MacMillan de faire les sacrifices nécessaires pour se joindre à une communauté élargie, courant d’autant plus fort que du côté du Commonwealth on y serait, dans l’ensemble, favorable. Mais les Anglais sont longs à décider.

 

Le Sort des Rhodésies

Une partie assez sévère se joue en ce moment sur le sort des deux Rhodésies. On sait que celles-ci, le Sud et le Nord, forment avec le Nyassaland, une fédération. Le Gouvernement de Londres, avait convoqué une conférence pour donner à la Rhodésie du Nord, celle où se trouvent les mines de cuivre, une nouvelle constitution aussi ingénieuse que compliquée, qui devait associer plus largement les noirs à la direction des affaires, pour leur permettre, dans un avenir plus ou moins proche, de prendre les rênes du gouvernement. Les blancs ont refusé parce qu’on accordait trop aux noirs et les noirs parce qu’ils exigeaient le pouvoir sans délais.

Le premier ministre de la fédération, Sir Roy Welensky, opposé aux projets de Londres, menace de faire sécession, ce qui constitutionnellement est impossible. La situation est tendue et on craint des troubles. Il se peut toutefois que l’intransigeance des blancs de Salisbury soit un moyen de faire accepter aux noirs un compromis qu’ils refusent aujourd’hui. Mais dans le climat actuel de l’Afrique, explosif et passionnel, une solution de sagesse est difficile à concevoir.

 

La Mort du Sultan du Maroc

La mort de Mohammed V survient au moment où, pour donner un exutoire aux factions antagonistes qui entretenaient dans le pays une dangereuse effervescence, une opération militaire se préparait contre les possessions espagnoles, les Presides Ceuta et Melilla, Ifni et le Sahara. Le Caudillo en avait eu vent et envoyé des troupes commandées par le général Varela. L’affaire était montée par les Soviets qui ont installé une base au Maroc et équipé de Mig les aviateurs chérifiens. C’est Franco et le bastion espagnol que visent les Russes en  même temps que Salazar au Portugal. En mettant les deux chefs d’Etat en difficulté dans leurs territoires d’outre-mer, les Russes comptent soulever le mécontentement populaire contre une expédition dite coloniale et préparer ainsi le terrain pour une grève générale dans la péninsule ibérique. La collusion russo-marocaine permettait à la fois de donner aux nationalistes chérifiens la possibilité d’une conquête et aux Soviets de saper et peut-être d’abattre Franco et Salazar.

 

Les Soviets et l’Algérie

En Algérie, la tactique russe n’a pu être précisée, faute de données suffisantes. Ce qui est sûr, c’est que l’ambition de Krouchtchev est de faire son entrée à Alger, accueilli par le Président de la République algérienne Fehrat Abbas, comme il devait l’être cet été à Rabat, par Mohammed V, ce jour-là tout le système occidental de défense serait tourné. C’est pourquoi on dit, sans que cela puisse être prouvé, que Krouchtchev favorise la politique de Bourguiba. Ce dernier voudrait à la fois se débarrasser du F.L.N. chez lui, et l’installer à Alger sous une bonne garde française. Cela avant tout pour conserver une part du transit et de la fourniture des pétroles sahariens que le F.L.N. s’il triomphait, entend conserver pour lui seul. La situation est d’autant plus compliquée que la mort de Mohammed V, et l’avènement de Moulay Hassan, peuvent changer l’orientation marocaine. Il ne semble pas que le jeune Souverain puisse, comme son père, se risquer dans une aventure d’ordre international. Il aura trop à faire à calmer les oppositions pour sauver son trône.

 

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