Criton – 1959-10-24 – Dilemmes et Confusion

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Le Courrier d’Aix – 1959-10-24 – La Vie Internationale.

 

Dilemmes et Confusion

 

Après la vague d’optimisme qui a suivi les entretiens de Camp David, l’incertitude reparaît : Y a-t-il ou non détente ? De même pour le problème algérien devenu un thème de discussions internationales, une question analogue se pose : les propositions du 16 septembre sont-elles une manœuvre tactique ou un plan de paix ? Les interprétations sont diamétralement opposées, ce qui entretient les polémiques et ne facilite pas les contacts.

 

La Conférence au Sommet

On en est encore à se demander si la Conférence au Sommet aura lieu. Sans doute, mais quand ?

Les uns la veulent, quelles qu’en soient les perspectives, c’est la position de MacMillan. D’autres entendent qu’elle aboutisse à des résultats positifs, faute de quoi la situation serait pire qu’avant ; ainsi pense Eisenhower, et plus encore son Secrétaire d’Etat, Herter. Il faut donc s’assurer par avance du succès. Adenauer lui s’y résigne parce qu’il ne veut pas paraître faire obstacle à une détente possible. Il a même déclaré que le peuple allemand devra consentir des sacrifices pour l’obtenir. Mais au fond de lui-même. il doit penser qu’un échec des négociations n’aurait pas tellement d’inconvénients. Enfin, le Général de Gaulle ne semble pas pressé de participer à cette réunion. Il estime sans doute que le statu-quo est la meilleure solution.

 

Les Incertitudes des Démocraties

On tourne donc en rond et jamais ne s’est mieux vérifiée cette définition de la diplomatie : l’art de parler pour ne rien dire. Une fois de plus, les Occidentaux doivent se rencontrer pour accorder leurs violons et chercher à définir une attitude commune. On se demande ce qu’ils ont bien pu faire au cours des nombreuses tournées, voyages et conférences, pour avoir encore quelque chose à discuter. Il vaut mieux croire qu’ils ne le font que pour gagner du temps. On retrouve dans cette perpétuelle indécision le vice fondamental des démocraties. Depuis 1914, sauf pour décréter la mobilisation, on ne les a jamais vues tout-à-fait d’accord pour une action quelconque. On dirait même que les divergences font partie du jeu,  on se croirait déshonoré si l’on était tout-à-fait du même avis.

 

Un Article de Guerriero

De l’autre côté, que se passe-t-il ? Nous lisions ces jours-ci, non sans émotion, un article de l’éditorialiste de politique étrangère du « Corriere della Sera » de Milan, Augusto Guerriero – qui émet mot pour mot – l’hypothèse que nous avons évoquée ici. Qu’on en juge :

« La Chine, par sa situation géographique et son ambition démesurée, pourra un jour devenir la rivale de l’Union Soviétique. Mais les Américains ne doivent pas s’en réjouir. Il ne faut pas s’attendre à une rupture entre Moscou et Pékin. Plutôt, il faut s’attendre à ce que la Russie cherche à diriger la puissance croissante de la Chine vers le Sud, non seulement pour la détourner de son propre territoire, mais encore pour la pousser à entrer en conflit avec les Etats-Unis. Parce que, (et Guerriero ajoute : faites bien attention à ce que je vais dire) : le pacte Hitler-Staline de 1939, ne fut pas un épisode, mais une orientation permanente. La politique idéale de l’U.R.S.S est toujours celle du pacte Hitler-Staline, faire se battre les autres et se réserver le rôle du « tertius gaudens », et disons-le franchement, c’est une politique habile. Aussi, il est probable que la Chine continuera d’attaquer les positions américaines en Asie et les Américains se font des illusions s’ils croient que la Russie cherchera à l’en dissuader ou à la retenir. La Russie fera semblant, mais en réalité ne la retiendra pas. Cependant, ajoute Guerriero, le moment critique viendra quand la Chine voudra recevoir de son allié la bombe atomique. »

 

Rectification

C’est ce que nous disions, il y a trois mois. C’était bien là le plan soviétique, du moins jusqu’à ces dernières semaines. Depuis, nous croyons que Krouchtchev se sent moins rassuré et a repensé la question.

D’abord, l’arme atomique qui est en effet la clef du problème. Les Chinois ne font pas mystère de la fabriquer eux-mêmes. Techniquement, comme le secret n’existe plus, il n’y a pas à cela d’impossibilité et quand ils l’auront – dans deux ou trois ans – ils pourront s’en servir contre n’importe qui, d’autant plus que les dégâts et les pertes humaines ne les effraient nullement : ils l’ont dit. Avec une fusée et une bombe de type 1945, on peut atteindre aussi bien Moscou que Tokyo ou Formose, c’est pourquoi nous estimons que la situation n’est plus la même que cet été. La preuve est le subit intérêt que Krouchtchev montre pour l’arrêt des expériences atomiques et du désarmement. Il va demander à De Gaulle de renoncer à sa bombe, en lui offrant de participer au Club atomique.

 

Intrigues Russes en Chine

De plus, il se pourrait que Krouchtchev s’emploie par des manœuvres occultes à favoriser en Chine une opposition à l’équipe Chou en Laï-Li Chao Chi. Elle existe dans l’armée puisque c’est maintenant le chef de la police qui a remplacé le général en chef. Il faut se rappeler que la politique traditionnelle des Russes, celle des Tsars et de Staline, était d’entretenir l’anarchie en Chine. Actuellement, Krouchtchev doit peser les deux politiques et peut-être même mener les deux à la fois : susciter des difficultés au régime actuel pour l’empêcher d’aller trop vite, tout en s’en servant pour tenir les Américains en alerte. Il n’y a pas là contradiction, et d’ailleurs la contradiction n’effraie pas les Russes. En politique, la logique et la cohérence sont à l’origine de bien des échecs. Les réussites vont souvent à ceux qui jouent sur deux tableaux.

 

La Disette en Pologne

Sur un autre plan, celui hélas des réalités humaines, la malheureuse Pologne victime décidément de tous les régimes, se débat dans la disette. Les denrées alimentaires de base manquent et en particulier la viande. De restrictions en restrictions, Gomulka vient de décréter un règlement d’austérité : « Pour enrayer les excès de la consommation » (on n’est pas plus cynique) les prix de la viande et des graisses seront augmentés de 25% sans augmentation correspondante des salaires. Arrestations et révocations de fonctionnaires se multiplient pour essayer d’atteindre le marché noir et les abattages clandestins ; enfin, il décide de relever les normes de travail « ridiculement basses », affirme-t-il. Il va également faire payer l’impôt arriéré dû par les paysans qui ont subi les effets d’une sécheresse catastrophique et se nourrissent difficilement eux-mêmes.

 

La Pologne actuelle et l’Occupation 1939-44

Effectivement, les Polonais vivent actuellement comme nous sous l’occupation allemande. Les mêmes réflexes jouent contre l’occupation soviétique et le gouvernement fantoche de Gomulka. Chacun se débrouille comme il peut. Les dirigeants d’entreprises d’Etat ferment les yeux sur toutes les combinaisons qui permettent au personnel de joindre les deux bouts, en payant des heures supplémentaires fictives, en inscrivant sur les feuilles de salaires des ouvriers qui ne paraissent jamais, en tolérant l’absentéisme qui permet aux employés de travailler chez eux pour des particuliers, et même en ne dénonçant pas les vols de matériel.

Devant l’hostilité de la population et la complicité générale, Gomulka n’a pas osé sévir jusqu’ici, mais au bord de la catastrophe, il s’y est décidé sans doute sur ordre de Moscou. Il est peu probable que ces mesures soient très efficaces : la Pologne, les cadres mis en place par faveur du régime, sont corrompus et incompétents et de plus suspects à leurs administrés. On verra que Gomulka sera obligé de s’adresser aux Etats-Unis – une fois de plus – pour nourrir le peuple. Eisenhower enverra des vivres tirées des surplus américains. Un sentiment d’humanité doit prévaloir sur les préventions politiques. Et toute la Pologne attend son salut de l’Occident. On ne peut la décevoir.

 

                                                                                            CRITON

 

 

Criton – 1959-10-17 – Épreuve de la Démocratie

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Le Courrier d’Aix – 1959-10-17 – La Vie Internationale.

 

Épreuve de la Démocratie

 

Les élections anglaises ont apporté aux Conservateurs un succès confortable et consacrent le déclin du Travaillisme. Ce résultat ne faisait pour nous aucun doute. Cependant, au cours des dernières semaines, des sondages d’opinion avaient faussé les pronostics et fait prévoir un résultat serré, sinon douteux. Nous pensions qu’il s’agissait là plutôt d’une manœuvre pour tirer de l’apathie l’électeur qu’un triomphe assuré des « Tories » aurait incité à rester chez lui. La manœuvre a réussi et l’affluence aux urnes a été supérieure aux précédents.

 

Le Recul du Travaillisme

Bien que l’écart entre les voix recueillies soit bien inférieur (5,50%) au nombre de sièges obtenus par les deux Partis (325-258), le recul du Travaillisme aura des conséquences sur l’orientation future du Socialisme en Angleterre et aussi dans les autres pays d’Europe. M. Bevan, porte-parole du « Labour » et précédemment leader de l’aile gauche, a honnêtement convenu que la défaite venait surtout des jeunes électeurs votant pour la première fois. La jeunesse se détourne du vieux socialisme – comme du communisme d’ailleurs – parce que l’idéologie qui l’inspire est périmée et ne s’applique plus aux problèmes du monde actuel. Pour l’attirer, il faudra changer de slogan et de programme.

L’aveu de M. Bevan nous est précieux et parce qu’il vient d’un militant convaincu et intraitable, et parce qu’il confirme le sens que nous voyons ici depuis plusieurs années dans l’orientation de l’opinion. La révolution sociale n’est plus à faire, elle est faite, en Angleterre surtout. Vouloir la pousser davantage serait compromettre la prospérité et rompre l’équilibre social, substituer l’égalitarisme à l’égalité et enlever à l’individu les chances de faire valoir ses mérites. Dans un monde où le mot d’ordre est l’expansion, il faut promouvoir et favoriser le dynamisme et l’esprit d’entreprise, ce qui figure au programme des conservateurs. Les électeurs leur ont fait confiance.

 

L’Influence de MacMillan

Ils l’ont fait surtout à M. MacMillan qui a pris aux Travaillistes l’initiative des démarches pour la paix. L’apparente détente qui a suivi la rencontre Krouchtchev-Eisenhower l’a favorisé. Il s’est attribué le mérite de l’avoir préparée et les Anglais l’ont cru. Qu’il y soit ou non pour quelque chose, il a eu l’habileté de multiplier les initiatives sans rien sacrifier des intérêts britanniques, sans souscrire à aucun plan que pouvait recéler des pièges pour la sécurité de l’Occident, tandis que M. Bevan s’était engagé, s’il devenait Ministre des Affaires étrangères, à des compromis dangereux. Or, le nationalisme est encore très vif, même dans les couches populaires ; Bevan s’y est trompé.

 

Le Retour des Libéraux

Un autre résultat de ces élections, c’est la remontée modeste mais symbolique du Parti libéral. Il n’a pas gagné de sièges aux Communes, mais il a doublé ses voix, et cela aux dépens des Travaillistes. Les Anglais conservent le souvenir et peut-être la nostalgie du duel traditionnel des Whigs et des Tories qui alternaient au pouvoir. Certains voient que l’opposition dans le monde actuel où la lutte des classes n’a plus de sens, serait entre un certain conservatisme évolué et progressiste et un radicalisme éclairé, les différences politiques étant affaire de nuances et de personnel, plutôt que de principes. De plus, les rouages d’une société moderne avec ses administrations complexes, aussi bien publiques que privées, ne se prêtent pas aux réformes de structure. Celles-ci résistent aux changements de dirigeants et même de régime. Nous en faisons l’expérience en France actuellement.

 

Krouchtchev à Vladivostok

Sur le plan international, peu de choses à signaler. On a su enfin ce qui s’est passé lors de la visite de Krouchtchev à Vladivostok. Pour la première fois, il a reçu directement les doléances de la population en se mêlant à elle. Elles illustrent bien le régime : lorsque la venue du chef a été annoncée, brusquement les magasins qui étaient vides se sont trouvés approvisionnés comme par enchantement ; les bureaucrates alertés ont placé en vitrine toutes les réserves soigneusement cachées. « Revenez souvent » a dit la foule à Krouchtchev. Elle s’est plainte également de ne manger que du hareng, – alors que le port s’ouvre sur les mers les plus poissonneuses du globe – et par moments de conserves – surplus sans doute des usines qui travaillent pour l’exportation.

 

En Irak

En Irak, la situation est toujours confuse à la suite de l’attentat auquel a échappé le général Kassem. Nassériens et communistes s’agitent. Les radios arabes continuent de lancer leurs attaques sur le dictateur de Bagdad. La position de celui-ci, en équilibre entre les factions, semble toujours précaire. Il y a eu, paraît-il, un grand nombre d’exécutions ;  le couvre-feu reste en vigueur. Malgré les redevances pétrolières, la conjoncture économique devient de plus en plus critique. La réforme agraire se heurte à de multiples difficultés et la récolte est très déficitaire par suite de l’incertitude où se trouvent les agriculteurs sur leurs droits et propriété. La balance commerciale accuse un lourd déficit ; la révolution du 14 juillet 1958 n’est pas payante. N’était la trêve observée par Londres et par Moscou, l’anarchie et la guerre civile auraient déjà désorganisé complètement le pays.

 

L’Argentine

Par contre, les nouvelles d’Argentine sont meilleures : après la double crise, l’une provoquée par les militaires et l’autre par les syndicats péronistes et communistes, le président Frondizi qui était au bord de la chute, a repris la situation en main. Avec son ministre de l’économie Alsogaray, il poursuit un redressement difficile avec l’aide massive de capitaux étrangers, surtout américains. Il a les moyens de réussir grâce, semble-t-il, à l’appui tacite des éléments modérés de la population qui comprend son but et souvent ses efforts. Le cas de l’Argentine est particulièrement intéressant car c’est un pays à mi-chemin entre les industrialisés et les sous-développés, c’est pourquoi les Etats-Unis et les Soviets ont mis tout en œuvre pour l’orienter vers leur système, les uns avec des capitaux, les autres par l’agitation sociale. Nous pensons toujours que Frondizi finira par s’imposer et que l’Argentine s’alignera peu à peu sur le système du Monde libre. Mais des obstacles énormes sont encore sur sa route.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1959-10-10 – Analyse Psychologique

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Le Courrier d’Aix – 1959-10-10 – La Vie Internationale.

 

Analyse Psychologique

 

Krouchtchev est allé à Pékin. Des conversations qu’il a eues avec les nouveaux et anciens dirigeants chinois nous ne savons rien, sinon qu’elles ont été fort longues. Au lieu de rentrer à Moscou pour fêter le dernier satellite de la lune, il est allé à Vladivostok. Il y a prononcé des discours dont rien n’a été transmis, ce qui n’est pas habituel.

 

La Visite à Vladivostok

Qu’allait-il donc faire à Vladivostok ? Rassurer les habitants de cette province lointaine et peu peuplée qui, après avoir vécu sous la menace japonaise, sent maintenant celle des Chinois. Déjà, vers 1930, sous prétexte d’espionnage, Staline avait procédé à l’expulsion de tous les Jaunes qui venaient s’employer dans le grand port sibérien. Aujourd’hui, Krouchtchev ne peut s’opposer ouvertement à l’immigration chinoise sans manquer à l’alliance et aux principes du Communisme, et l’infiltration reprend. Rappelons que depuis le lac Baïkal jusqu’à Sakhaline, soit sur 2.000 kilomètres de frontière, comme avec l’Empire céleste, la Sibérie orientale, indigènes compris, ne compte que 6 millions d’habitants.

 

Commentaires divergents

Tandis que Krouchtchev prônait à Pékin la fin prochaine de la guerre froide et l’entente entre les peuples, la presse chinoise continuait à vilipender les Américains, et le bombardement de l’île Quemoy avait repris. Voilà les faits. Les uns après les autres, les commentateurs jusqu’ici sceptiques, parlent de divergences entre les deux Grands du communisme. Un journaliste allemand va jusqu’à évoquer le vieux cliché de l’apprenti sorcier. Les Soviets, dit-il, ont promu et aidé le bolchévisme chinois. Ils ne sont plus capables aujourd’hui de le maîtriser. Il y a mieux à citer : le général Franco lui-même qui, entre parenthèses, a été depuis la guerre le plus clairvoyant des hommes d’Etat en la matière, a confié à un interviewer :

« Une chine en pleine croissance pose un grave problème pour la Russie. Le peuple chinois, par son nombre et son impérialisme, commence à devenir un cauchemar pour elle. Les divergences idéologiques entre l’U.R.S.S, et la Chine s’affirment chaque jour davantage. »

Pour être équitable, disons que les réfractaires à cette thèse disent que Russes et Chinois feignent de suivre des politiques divergentes. En réalité, ils sont d’accord pour se partager la besogne : l’U.R.S.S. clame son désir de paix pour endormir l’Occident, tandis que la Chine maintient la tension pour garder au communisme un prétexte à renverser la vapeur au moment opportun. Comme toujours, la pensée humaine en présence d’un problème du futur, s’enferme dans un dilemme : l’antithèse et la thèse sont également plausibles. Nous persistons à croire pour notre part qu’il s’agit, comme le dit Franco, d’une faille dans le bloc communiste. Il y a trop longtemps que nous avons remarqué les premiers craquements et depuis, nous en avons signalé d’autres continûment.

 

La Psychologie de Krouchtchev

Depuis le voyage de Krouchtchev, c’est à qui s’est appliqué à peindre sa physionomie et à scruter ses états d’âme. On cherche à s’expliquer pourquoi il se fait apôtre d’une détente et quels intérêts il y a et surtout, s’il est sincère. Allons-y de notre propre analyse :

Il y a évidemment de son attitude présente, des motifs d’ordre tactique et des préoccupations nationales ; la Russie comme il s’en doutait et comme il a pu le voir aux Etats-Unis, est encore un pays sous-développé à beaucoup d’égards ; d’exceptionnelles réussites scientifiques ne changent rien à l’ensemble. Il voit aussi – il l’a dit- le moment où la suprématie qu’il convoite pourrait lui être ravie par la Chine. Il sait qu’en cas de péril jaune, l’U.R.S.S. est au premier rang pour supporter le choc. Mais cela, ce sont des raisons, sérieuses certes, d’ordre politique. Dans cet homme, il n’y a pas que la Raison.

Ambitieux, parvenu au faîte depuis la condition la plus humble, il est habité par le complexe courant des gens de cette sorte. Surpasser le voisin, l’humilier. Son dynamisme intérieur le pousse depuis son accession au pouvoir à montrer à l’univers que les Etats-Unis ne sont plus les premiers et les plus forts et qu’il fait et fera encore mieux qu’eux. La guerre dérangerait ses plans. Même une tension trop accusée inspire au monde plus d’effroi que d’admiration. C’est pourquoi, des accrochages au Tibet, aux frontières de l’Inde, au Laos ou à Formose le gênent. Elles ternissent la gloire du régime sans profit pour lui-même et pour l’U.R.S.S. Ce qui lui plait, c’est un concert de louanges pour sa réussite et même une approbation morale. Il se veut non seulement le plus fort, mais le plus pacifique, sinon le plus humain. Rien ne l’irrite plus que les allusions à sa complicité avec Staline. Il tient autant à faire valoir son génie que ses vertus. Il promène sa famille à présent et se scandalise de spectacles osés. Il se veut bienfaisant et effacer le souvenir, et de son ascension et de ses méfaits. C’est, avons-nous dit, un personnage de Gogol-ukrainien lui aussi ; un Tarass Boulba comme le serait aujourd’hui le vieux guerrier. C’est ainsi que nous nous le représentons, tel qu’il s’est révélé au cours du voyage aux U.S.A. Au surplus, il faut toujours tenir compte dans la conduite des hommes et surtout des puissants, plus encore de leur vanité que de leurs calculs. Celle-ci dicte ceux-là.

Ce qui ne veut pas dire que la paix du monde est assurée, loin de là. Elle est moins en danger qu’on ne pouvait le craindre, voilà tout. Au reste, les événements peuvent toujours être plus forts que les hommes.

 

Les Neutres contre Pékin

Il est intéressant de voir également l’autre face de cette divergence sino-russe. Ce n’est plus vers Moscou que se dirigent les attaques ou les critiques des non-engagés, mais vers Pékin. Tito et la presse yougoslave se déchaînent contre le « stalinisme » des dirigeants de Pékin ; Nasser rompt avec la Chine parce qu’au Congrès qui a illustré le dixième anniversaire de la révolution chinoise, le leader communiste syrien exilé, Bakdach, a insulté le Bikbachi. La Chine rouge n’a pas bonne presse, même en Afrique noire et musulmane, ce qui n’est pas mauvais pour nos propres intérêts en ce moment.

 

La Détente et le Problème Algérien

Cet air de détente qui souffle, qu’il soit naturel ou artificiel, peu importe, ne peut qu’avoir une influence sérieuse sur l’évolution du problème algérien. Il n’est plus, s’il l’a jamais été, un problème intérieur français, mais international et ne pourra être résolu que par une pression conjointe de l’intérieur et de l’extérieur. La prolongation du conflit est uniquement fonction des appuis sur lesquels le F.L.N. peut compter. Il est certain qu’ils se sont peu à peu dérobés. Encore faut-il qu’à l’inverse, une opinion diffuse dont les gouvernements étrangers traduisent toujours le sentiment prenne également parti pour la paix, telle que nous l’offrons. La conjoncture est propice. Nous pensons que l’occasion ne sera pas manquée.

 

Les Grèves aux Etats-Unis

Les grèves aux Etats-Unis, celle des dockers après celle de la métallurgie vont, comme prévu, prendre fin par voie d’autorité.

La paralysie de l’économie qui commence à gagner le pays, impose au président Eisenhower le recours à la loi Taft-Hartley qui lui donne le droit de remettre les grévistes au travail pour 80 jours. D’ici là, espère-t-on, le climat aura changé. Au moment où les Etats-Unis subissent les plus cruels revers d’amour-propre de leur histoire, on ne parvient pas à comprendre l’obstination des Syndicats dirigés par les éléments les plus anti-communistes de la nation. Ils l’ont montré à San Francisco, dans leur colloque avec Krouchtchev. Là encore, les passions partisanes, non pas politiques mais professionnelles, l’emportent sur le devoir élémentaire de solidarité qui s’impose au pays en ce temps de dépression morale. Privilèges du patronat contre privilèges ouvriers, rien ne prévaut contre ces droits en conflit. Il serait temps pourtant de tourner la page.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1959-10-03 – Anticipations

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Le Courrier d’Aix – 1959-10-03 – La Vie Internationale.

 

Anticipations

 

La Conclusion des Entretiens de Camp David

Les entretiens Krouchtchev-Eisenhower à Camp David ont donné ce qu’on en attendait, ni plus ni moins. Rien de concret, sauf l’affirmation que la discussion sur Berlin serait reprise sans qu’un délai soit fixé, ce qui ressortait déjà implicitement de la Conférence de Genève et des discours de Krouchtchev. La Conférence au Sommet aura lieu, selon les désirs de Moscou, sans nouveau préalable, et Eisenhower visitera l’U.R.S.S. au printemps. C’est tout.

Reste ce qui n’est pas formulé, les intentions profondes du Russe. Il a cherché à entretenir une atmosphère rassurante et cordiale et fait l’éloge de son interlocuteur qui le lui a rendu et surtout, à son retour, il a insisté sur les dispositions pacifiques du peuple américain et de son gouvernement.

Sans être bien probant, cela semble confirmer que l’U.R.S.S. a besoin de la paix pour le moment pour consolider ses conquêtes et redresser son économie qui comme Krouchtchev l’a déclaré récemment, exige de profondes réformes. Quant aux plans de désarmement, personne ne les prend au sérieux. Cependant, le président Eisenhower a fait allusion au fardeau trop lourd que la course actuelle fait peser sur les Etats, ce qui peut faire penser que les Soviets ont parlé de le réduire. Ils y trouveraient un double avantage  diminuer leurs propres dépenses et peut-être provoquer une crise dans l’industrie américaine qui travaille pour la Défense. Tout cela est encore bien vague et comme nous le disions, on ne pourra juger des résultats de Camp David qu’à la longue.

 

Krouchtchev et Nixon

Un mot du discours de Krouchtchev au Palais des Sports à Moscou est à retenir. En faisant l’éloge d’Eisenhower, il a fait une allusion désobligeante à Nixon pour son peu d’hospitalité. Le Vice-Président est aujourd’hui le grand favori à la succession d’Eisenhower. Non seulement sa nomination comme candidat du Parti républicain paraît certaine, mais les sondages d’opinion le donnent gagnant à l’élection contre n’importe quel adversaire démocrate, que ce soit Kennedy le numéro un, Humphrey, Stevenson ou Symington, dans l’ordre actuel des pronostics. Nixon a, pendant la visite de Krouchtchev adopté la position dure, ce qui a plu à tous ceux qui désapprouvaient ce voyage, et a nettement invité les Américains à tenir tête. Attitude assez habile ; les électeurs préfèrent l’homme qui ne se laisse pas faire à celui qui, comme le Président, cherche à masquer les antagonismes.

 

Les Élections en Angleterre

A huit jours des élections en Angleterre, les chances des conservateurs ont été quelque peu contrariées par un scandale financier, le premier depuis bien longtemps qui ait éclaté sur les grandes places de l’Occident. Les Travaillistes, en mal d’arguments, en ont fait grand bruit. Il n’est pas probable d’ailleurs que cela les favorise au point de leur donner la victoire. Au contraire, la certitude d’un succès conservateur pouvait inciter les hésitants et les indifférents à rester chez eux ; l’éventualité d’une issue contestée peut les pousser à voter pour maintenir au pouvoir l’équipe actuelle, dont les Anglais n’ont pas à se plaindre, et par crainte d’un changement qui pourrait déranger leur quiétude. MacMillan doit l’emporter, ne fut-ce que de justesse. La masse sent confusément que le retour des Travaillistes, en ce moment, affaiblirait le Monde libre et l’autorité de la Grande-Bretagne sur la scène internationale.

 

A Ceylan

En marge des grands sujets, entretiens russo-américains et affaire algérienne, on doit signaler l’assassinat par deux moines bouddhistes du Premier ministre de Ceylan, Bandaranaike. Episode sanglant d’une crise intérieure que connaît l’Île depuis qu’elle s’est séparée de l’Angleterre. La politique progressiste du Gouvernement est combattue par les éléments traditionnalistes et xénophobes ; xénophobie qui vise non tant les Européens, que les Hindous qui émigrent dans l’Île et ont peu à peu pris des positions importantes dans son économie. Les autochtones sont inquiets et préféraient  conserver leur existence nonchalante plutôt que de la sacrifier au progrès technique. Cet épisode est un signe, parmi tant d’autres, que les populations sous-développées ou prétendues telles, n’acceptent pas de bon gré qu’on bouleverse leurs traditions et leur mode de vie, pour des avantages qui ne les intéressent pas. Il y a beaucoup de cela aussi dans la révolte du Tibet. Le cas échéant, ce sentiment se manifesterait ailleurs. On devrait en tenir compte dans les plans d’assistance.

 

Le Prix de l’Indépendance

D’une façon générale, les pays qui ont secoué le « joug du colonialisme » ne bénéficient pas de l’équilibre intérieur. Crise à Ceylan, au Maroc, en Syrie, en Irak, en Indonésie, en Inde même, à la fois politique, financière, agricole, industrielle. Ceux qui s’en tirent le moins mal sont gouvernés par des hommes forts, avec ce que cela implique de tyrannie et aussi de dilapidation des fonds publics consacrés à des armements ou à des travaux de prestige, comme le Ghana et l’Égypte ; la monnaie se dégrade à peu près partout, la balance commerciale est en déficit croissant. On bouche les trous avec des emprunts ou des dons de puissances rivales de l’Est et de l’Ouest. Enfin, le vide qui s’est créé avec le départ des colonialistes appelle des convoitises. Il semble que ces exemples commencent à faire réfléchir ceux pour qui l’indépendance était le mot magique. La menace chinoise sur l’Inde, les difficultés que le gouvernement Soekarno à Jakarta rencontre pour contenir l’activité communiste, les événements du Laos enfin éclairent le revers de la médaille. Il se pourrait que la leçon ne soit pas perdue.

 

Fin de la Grève de l’Acier ?

La grève de l’acier aux Etats-Unis en est au point où elle doit obligatoirement finir. Comme les employeurs n’ont pas intérêt à céder et que le Syndicat ne le peut pas, il faudra bien que le président Eisenhower intervienne et applique la loi Taft-Hartley qui impose la reprise du travail pour 80 jours. Après, les esprits seront calmés, et l’on s’entendra sans doute sans éclat. Il est temps.

 

                                                                                       ***   ***   ***   ***

P.-S.- Au moment de mettre sous presse nous parvient le discours que Krouchtchev a prononcé à son arrivée à Pékin ; le contraste est frappant entre les harangues des dirigeants chinois qui invectivent les Américains et Krouchtchev qui, devant eux, loue les intentions pacifiques du président Eisenhower et parle de détente. Il n’est pas de jour où les divergences entre Moscou et Pékin ne soient apparentes. Ceux qui estiment que cela revient à prendre des désirs pour des réalités, finiront par se convaincre.

De même, nous n’avons cessé de croire depuis le printemps, que la solution du problème algérien serait en vue à l’automne. Cela semble aujourd’hui plus vraisemblable qu’alors. Cependant, déjà la fin du conflit cypriote et un certain dégoût général des combats, puis l’impression pénible suscitée au début de la répression chinoise au Tibet, les premières escarmouches entre Nasser et le communisme, l’impatience du Caire et de Tunis à se débarrasser de leurs hôtes encombrants, les dirigeants du F.L.N., autant d’indices d’une orientation nouvelle. Il ne reste plus qu’$ prendre patience : l’évolution se poursuit.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1959-09-26 – Interprétations

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Le Courrier d’Aix – 1959-09-26 – La Vie Internationale.

 

Interprétations

 

Les résultats du voyage de Krouchtchev aux Etats-Unis ne seront connus qu’à la longue. Actuellement, on ne peut qu’espérer qu’elles n’auront pas aggravé les relations Est-Ouest. En effet, de part et d’autre, cette tournée a été marquée de nombreuses maladresses. Krouchtchev a humilié les Américains par ses critiques et les a inquiétés en leur rappelant constamment la puissance de l’U.R.S.S. et le déclin fatal des U.S.A. De leur côté, les Américains ont irrité leur hôte en cherchant à l’embarrasser. Le tout n’a fait que mettre dans une lumière crue, une profonde incompréhension réciproque.

 

Dialogue Acéré

Les Américains se sont comportés avec le maître de la Russie comme ils le font d’ordinaire avec leurs dirigeants et avec les étrangers qu’ils reçoivent, selon le mode démocratique. Ils leur posent les questions qui intéressent le public, qui sont presque toujours épineuses et désagréables pour l’interpellé, et cela sans le moindre souci de déférence. Quand il s’agit de représentants de pays amis ou de leurs propres gouvernants, cela se passe avec bonhommie parce que les ministres sur la sellette ont l’habitude des mœurs parlementaires et des conférences de presse et savent s’en tirer avec des réponses calculées pour ne pas les compromettre. Krouchtchev, outre sa brutalité et son irritabilité naturelle, est un homme accoutumé à être applaudi, quoi qu’il dise, par des auditeurs avides de lui plaire et qui tremblent pour leur poste. La manière américaine lui semble une insulte à sa toute puissance et il le fait sentir.

 

Chine et U.R.S.S.

Des propos qu’il a tenus, un seul nous a paru remarquable. Il a dit au maire de San Francisco :

« Vous Américains êtes encore le premier pays du monde, mais pas pour longtemps ; vous serez bientôt le second et plus tard le troisième » et « quel serait alors le premier ? » demanda M. Christopher, « La Chine » répondit Krouchtchev.

Voulait-il humilier son interlocuteur ou était-il sincère ?

Cette question revêt une grande importance, car elle met en présence deux thèses : si l’U.R.S.S. accepte l’idée que la Chine puisse devenir un jour plus puissante qu’elle, c’est qu’elle compte sur la solidarité et l’alliance éternelle des deux peuples. Dans ce cas, le communisme serait un lien assez fort pour que jamais un conflit d’intérêt ou d’ambition ne les oppose. Alors, disons-le, notre sort à nous Européens, ne laisserait pas grand espoir. Si, au contraire, comme nous le pensons, ce n’est là qu’une boutade de plus ; si sous couleur de communisme, Russes et Chinois ont forgé un instrument de domination, d’abord sur les hommes qu’ils gouvernent, ensuite sur les peuples qu’ils comptent asservir un à un, le moment viendra tôt ou tard où leurs ambitions les opposeront et où l’un des deux étouffera l’autre de préférence en faisant faire la besogne préalable, par un troisième ; le troisième, c’est-à-dire les U.S.A. Les tenants de la thèse du Communisme monolithique et inébranlable sont impressionnés par la situation présente ; l’action coordonnée et disciplinée de ce qu’ils appellent une religion, obéissant partout au même mot d’ordre donné d’en haut pour le succès de la cause, et cela sans aucune considération pour les personnes ou les intérêts de ceux qui l’exécutent.

Nous en avons en ce moment un exemple en France où les communistes se séparant de tous les mouvements de gauche dont ils sollicitent désespérément la collaboration, prennent sur l’ordre de Moscou, position contre l’offre du Général de Gaulle aux Algériens.

 

Un Conflit Idéologique en Puissance

Cela n’est qu’un aspect de la question. Les Soviets se servent de leurs créatures comme d’un outil au service de leur politique. Par contre, ils savent traiter en hérétiques ceux qui leur résistent. C’est le cas de Tito qui n’est ni plus ni moins communiste que Krouchtchev. Nous n’aurions aucune peine à écrire le discours que Chou en Laï pourrait faire pour montrer que les Soviets sont des déviationnistes de droite, qu’ils ont ignoré le vrai communisme et trahi la cause en osant critiquer les Communes du peuple, qui sont l’image du communisme authentique (en quoi il a raison), etc..

Au surplus, nous avons pour notre thèse, non seulement le passé mais le présent : les journaux et la radio de Pékin n’ont parlé qu’entre deux faits divers, du voyage de Krouchtchev aux U.S.A. et ils n’ont même pas mentionné la visite que celui-ci doit faire à Pékin à son retour. Nous admettons volontiers que cela n’est pas probant, mais à tout le moins cela ne témoigne pas d’une solidarité très active, et en Chine comme en U.R.S.S., les indices, même faibles, trompent rarement. Nous le disons par expérience : si les Occidentaux avaient été plus perspicaces, ils auraient prévu le Pacte Molotov-Ribbentrop de 1939 et l’attaque d’Hitler contre l’U.R.S.S. de 1941 au moins trois mois à l’avance.

Dans le cas qui nous occupe, il ne s’agit pas de mois, mais d’un avenir indéterminé. Nous nous y tenons. Si le communisme n’était qu’une foi, il serait depuis trois ans terriblement en baisse dans l’opinion du monde et son déclin ne serait qu’affaire de temps. Malheureusement, c’est un instrument de puissance incomparable et de ce côté, il est plus fort que jamais. Mais la volonté de puissance porte toujours en soi le germe de sa propre destruction.

 

Destitutions à Pékin

Au surplus, les commentateurs ne portent aux événements de Chine qu’une attention, disons, distraite. On parle encore de Mao Tsé Tung comme du maître de Pékin, alors qu’il n’est depuis plus d’un an qu’un président occasionnel, un figurant dont on expose le portrait à la foule pour qui il est le symbole du régime. On n’a guère remarqué que le vieux compagnon de lutte de Mao, le maréchal Peng De-huai, jusqu’ici ministre de la Défense, a été limogé ces jours-ci ainsi que le général Huang qui passait pour un fidèle de Mao. Ils ont été remplacés par le Maréchal Lin Piao, le bras droit de l’actuel président Liu Shao-Chi qui a succédé à Mao. D’autres importants remaniements ont eu lieu et l’on dit – mais ce n’est qu’un bruit – que Chou en Laï lui-même n’est pas assuré de demeurer en place.

 

La Grève de l’Acier aux U.S.A.

Le voyage de Krouchtchev aura peut-être des conséquences assez imprévues. La grève de l’acier aux U.S.A. continue, sa durée est sans précédent, et le moment est proche où la pénurie d’acier va paralyser l’une après l’autre les grandes industries de transformation comme l’automobile ; les pertes pour l’économie américaine sont déjà considérables et la balance des paiements des Etats-Unis en souffre d’autant plus qu’elle donnait déjà de sérieuses inquiétudes. Si la balance commerciale reste positive, bien que de plus en plus faiblement, les importations d’acier d’Europe et du Japon s’ajoutant aux exportations de capitaux dues aux programmes d’aide à l’étranger et aux investissements américains sur notre continent et ailleurs affaiblissent le Dollar et  accélèrent les sorties d’or. Le malaise a gagné la bourse qui a sérieusement fléchi. Si bien que la grève de l’acier provoque dans le monde des affaires une gêne croissante.

L’administration Eisenhower n’intervient pas. Elle ne le fera sans doute que lorsqu’il sera clair que le mouvement est assez impopulaire pour que le syndicat s’avoue battu. Le public ne peut admettre, devant les menaces que Krouchtchev adresse à la Nation, qu’une part considérable de ses moyens soit paralysé par des considérations de prestige et d’intérêts professionnels, qui au surplus, ne sont pas défendables en ce qui concerne les salaires. La grève est un luxe que les Américains ont l’habitude de s’offrir. Les temps sont changés. Il faut travailler pour survivre.

 

                                                                                            CRITON

 

 

 

Criton – 1959-09-19 – Du Temporel au Spirituel

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Le Courrier d’Aix – 1959-09-19 – La Vie Internationale.

 

Du Temporel au Spirituel

 

Le lancement d’une fusée russe sur la lune la veille de l’arrivée de Krouchtchev à Washington est assurément un coup de maître. L’effet psychologique sur l’interlocuteur américain est-il diplomatiquement favorable ? Les avis sont partagés. Le public aux Etats-Unis, dit-on, est beau joueur et prise le succès. Mais si Krouchtchev recherche une certaine détente, Eisenhower, lui, ne sera-t-il pas d’autant plus ferme qu’il ne pourra rien céder devant son peuple, pour ne pas paraître intimidé par la menace ?  Et les Américains eux-mêmes, remis en présence du danger, ne demanderont-ils pas de nouveaux efforts pour rétablir l’équilibre ?

 

La Rencontre de Washington

Quoi qu’il en soit, la conversation est entamée. Les résultats, même positifs, ne peuvent être que limités. Il est peu probable que Krouchtchev, au faite de sa puissance, ayant atteint sa suprême ambition d’être reçu à la Maison Blanche en égal du Président, soit touché par la grâce en voyant les pacifiques Américains à leurs affaires quotidiennes. L’orgueil est aveugle. Qu’on se représente cet homme, d’humble origine, venu au pouvoir par toutes sortes d’intrigues et d’astuces, après avoir été humilié par son maître Staline, pendant tant d’années ; comment ne serait-il pas grisé par le succès ?

 

Les Relations Sino-Russes

Le nœud du problème n’est pas à Washington, mais à Pékin. Nous y revenons et plus que jamais. Deux faits nouveaux nous y invitent : Moscou a adressé à la Nouvelle-Delhi une note où l’U.R.S.S. déplore la tension sino-indienne et invite les deux parties à régler leur différend à l’amiable ; l’Ambassadeur de l’Inde a eu un long entretien avec Gromyko. A n’en pas douter, les ambitions chinoises gênent la politique russe. L’affaire des frontières de l’Inde venant après celles du Tibet et du Laos, a fait de plus en plus mauvaise impression sur les autres asiatiques. La cause du communisme y a beaucoup perdu. La question tibétaine ira probablement devant l’O.N.U. et l’éclat qu’elle y prendra ne peut que déplaire aux Soviets. Si d’autre part les relations entre l’Inde et la Chine, sans tourner au drame, demeurent tendues et même critiques, Nehru aura, sans nul doute, le monde de son côté.

 

L’Inde et la Mongolie Extérieure

Par ailleurs, on n’a pas beaucoup remarqué la visite faite à Nehru par le Président de la Mongolie extérieure, Tsedenbal. La Mongolie et l’Inde n’ont pas d’intérêts communs jusqu’ici. De quoi pouvaient-ils parler, sinon de la poussée chinoise. Le pays où Molotov est ou était ambassadeur (on ne sait) est le point de contact le plus disputé entre l’U.R.S.S. et la Chine. Au surplus, il confine au Tibet. Les Chinois avancent en Mongolie, comme au Sinkiang, avec plus de prudence, mais selon la même méthode : la colonisation intérieure. En Mongolie, pour équiper le pays, les travailleurs que l’U.R.S.S. ne peut fournir, pas plus que la Mongolie peuplée de nomades, sont Chinois. Tsedenbal s’appuie sur Moscou. Il est allé en Inde, c’est sur avis du Kremlin.

 

Deux Impérialismes

Si l’orgueil russe est immense, l’arrogance chinoise, comme dit Nehru lui-même, est sans bornes. Et les gens de Pékin, depuis la disgrâce de Mao, n’ont pas la prudence des Russes. Comme les Japonais d’hier, ils foncent à tombeau ouvert, sans égard aux obstacles. Les Soviets ne peuvent plus utiliser la Chine dans leur stratégie diplomatique, le contrôle de Pékin leur échappe. Nous en sommes là : la suite est imprévisible, elle ne manque ni d’intérêt, ni d’importance.

 

L’Échec du Communisme en Moyen-Orient

Au Moyen-Orient, la politique soviétique a si peu réussi que l’ambassadeur russe au Caire, Kiseliov, a été limogé. C’est lui qui avait conseillé Nasser, on s’en souvient, au moment de Suez. Depuis, il n’a pas su retenir l’Egypte dans la ligne du Kremlin. Au contraire, Nasser a viré vers l’anticommunisme. Mieux, le voilà réconcilié avec Hussein, le jeune roi de Jordanie qu’il avait menacé de mort, et avec le vieil Ibn Saoud, roi d’Arabie, qu’il avait accusé d’avoir comploté la sienne. Les trois souverains vont remercier Allah à La Mecque pour l’heureux événement.

L’ennemi commun devient (outre Israël, comme il sied) Kassem, l’Irakien, qualifié d’allié du communisme et d’adversaire de l’unité arabe. Par la même occasion, les ministres sympathisants avec la gauche, en Syrie, viennent d’être liquidés. Quant à Kassem, il se maintient en bons termes, tant avec les Russes qu’avec les Anglais, qui, grâce à MacMillan ont fait la paix avec Moscou sur ce point du globe ; on se rappelle comment.

 

Et en Afrique Noire

En Afrique noire même, le temps où l’on accueillait avec reconnaissance l’aide désintéressée de l’U.R.S.S. et de la Chine est passé. On se méfie. L’ombre du Tibet est passée par là et bien que Nasser ait dans ces régions autant d’ennemis que d’admirateurs, l’Islam y est présent et actif et l’habileté diplomatique de l’égyptien est un exemple qu’on cherche à imiter.

 

De Gaulle et Eisenhower

Le problème algérien demeure au centre des préoccupations du monde et les intentions du Gouvernement français sont diversement appréciées et cela, pas seulement pour des raisons stratégiques ou diplomatiques ; cela va plus loin. Nos lecteurs seront peut-être intéressés de prendre connaissance d’un article de Volney Hurd, publiciste américain très répandu, sur les conceptions des deux chefs d’Etat, De Gaulle et Eisenhower.

En voici la substance ; pour l’auteur, De Gaulle est un idéaliste mystique, Eisenhower un idéaliste pratique ; il s’explique ; De Gaulle, dans ses mémoires se fait une idée de la France inspirée autant par le sentiment que par la raison. Il lui voit un destin exceptionnel et……………………………………………………………………………….

Criton – 1959-09-12 – Krouchtchev par du Bonheur

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Le Courrier d’Aix – 1959-09-12 – La Vie Internationale.

 

Krouchtchev parle du Bonheur

 

Eisenhower est rentré à Washington et prépare son dialogue avec Krouchtchev. Les événements du Laos et des frontières de l’Inde ne se sont pas aggravés. Avec une semaine de recul, on peut estimer  que le voyage du Président des Etats-Unis en Europe a raffermi l’Alliance occidentale qui en avait grand besoin ; Occidentaux et Communistes ont même décidé de reprendre les conversations sur le désarmement, ce qui n’engage à rien, mais prouve que l’humeur est favorable à une détente, verbale tout au moins. L’opinion n’en demande pas plus, car personne n’entretient l’illusion que le fond des problèmes puisse changer.

 

L’O.N.U. et la Requête du Laos

La réunion du Conseil de Sécurité de l’O.N.U. convoqué précipitamment pour examiner la demande du Laos pour l’envoi d’une force armée internationale des Nations-Unies afin d’arrêter l’avance communiste, mérite une mention. Par 10 voix contre 1, celle de l’U.R.S.S., le Conseil a décidé d’envoyer sur place, non une force armée, mais des observateurs choisis dans son sein qui iront s’enquérir sur place et feront rapport. Le veto soviétique prévu n’a pas joué, car on a fait admettre qu’il s’agissait d’un vote de procédure sur lequel le veto ne peut s’exercer. L’U.R.S.S. n’a pas insisté ; il n’y a même pas eu le discours de propagande habituel. En même temps, les forces communistes au Laos, pour éviter d’être repérées par les observateurs ont repassé la frontière, ce qui prouve à tout le moins que Pékin et Hanoï ne veulent pas pour le moment provoquer un conflit plus étendu.

Une petite remarque nous vient à l’esprit : la méthode qui consiste à prévenir plusieurs jours à l’avance que la police, en l’occurrence les observateurs, vont venir enquêter ne nous paraît pas une façon adéquate de prendre les malfaiteurs sur le fait. Il serait si facile à l’O.N.U. d’avoir quelques avions qui photographieraient les mouvements aux frontières. On sait qu’aujourd’hui on peut déceler de 10.000 mètres d’altitude les déplacements d’un simple piéton, à plus forte raison ceux d’un corps de troupe. Il nous semble que si l’on voulait – mais veut-on ?  En fait les Etats-Unis ont peur, non sans raison de s’engager dans cette partie de l’Asie, de rééditer l’affaire de Corée ou celle d’Indochine. De l’autre côté, on ne veut pas torpiller par avance les conversations Krouchtchev-Eisenhower. Ce n’est, évidemment, que partie remise …

 

Les Menaces Chinoises et les Neutres

Et puis il y a le fait que ces menaces chinoises, après l’affaire du Tibet et celle de l’Inde, ont fait sur le reste de l’Asie, l’effet le plus défavorable et pas seulement en Asie. Les Africains aussi commencent à s’apercevoir que le départ d’une grande puissance coloniale d’un pays faible et exposé stratégiquement, crée un vide que l’impérialisme communiste ne demande qu’à combler. L’indépendance s’acquiert souvent sans peine, reste à la conserver, ce qui est moins aisé. La protection de l’O.N.U. est bien illusoire.

 

Un Article de M. Krouchtchev

Nous lisions, l’autre jour, consciencieusement l’article que Krouchtchev a fait paraître dans la revue américaine « Foreign Affairs », revue célèbre où n’écrivent que des hommes célèbres :

« Nous mettons au défi, dit M. Krouchtchev, les pays capitalistes de prouver que leur système est supérieur et plus efficace, qu’il est capable d’assurer un plus haut degré de prospérité au peuple  que notre système socialiste et que l’homme peut être plus heureux que sous le socialisme. »

Après cette lecture édifiante, nous passions à un autre exercice, le dépouillement d’une revue peu connue celle-là, mais beaucoup plus instructive, sur la situation des pays satellites d’Europe centrale et voici que nous tombons sur la réponse à M. Krouchtchev.

 

Urbanisme à Lodz

Dans son numéro du 13 mars 1959, « Trybuna Lubu », l’organe officiel du Parti communiste de Pologne, relatait le discours prononcé au III° Congrès du Pari par le secrétaire du Parti à Lodz (la grande cité du textile polonais). Voici textuellement ce qu’il révèle :

« Lodz a le plus haut pourcentage d’appartements à 1 pièce (47%) et le nombre moyen d’habitants par pièce est de 2,9 ; 75% des immeubles n’ont pas d’installation sanitaire et 230.000 personnes dépendent des puits locaux pour leur approvisionnement en eau ; 320.000 parmi les 700.000 habitants n’ont pas le gaz ; 12% des rues pavées seulement ont été remises en état et 54% ne sont que des routes sales dépourvues d’éclairage public.»

Ajoutons de notre côté, que cette ville, plus grande et plus peuplée que Lyon ou Marseille, avait déjà, lorsque cette partie de la Pologne appartenait à l’empire des Tsars, la réputation d’être insalubre parce qu’entourée de marais non drainés ; on voit que 14 ans après la guerre, le sort des habitants de Lodz n’est pas plus agréable. Espérons que le socialisme de M. Krouchtchev les console et qu’ils sont heureux. Diogène l’était bien dans son tonneau. Il est vrai que c’était au soleil grec.

 

Évolution du Syndicalisme

La grève de l’acier aux Etats-Unis depuis deux mois. Le Gouvernement ne semble pas pressé d’y mettre fin par l’application de la Loi Taft-Hartley. Cette grève est d’ailleurs fort impopulaire.

Le public qui jusqu’à ces dernières années, respectait les décisions des organisations ouvrières, a changé d’attitude depuis les scandales révélés dans l’affaire Hoffa. Le Président général du Syndicalisme américain George Meany, malgré sa bonne volonté, n’a pu purger le mouvement des éléments corrompus. Aussi, le Congrès, malgré la proximité des élections et les intrigues du « Labor lobby » a adopté une loi sévère qui soumet les Syndicats à un contrôle financier rigoureux et protège la liberté des travailleurs contre la tyrannie des dirigeants. Personne ne pensait, il y a un an, que le législateur irait jusque-là. En réalité, il n’a fait que suivre la tendance de l’opinion.

 

La Grève et les Syndicats Britanniques

A Blackpool se tient, comme chaque année, le Congrès des Syndicats britanniques, à la veille des élections générales fixées au 8 octobre, où d’ailleurs les Conservateurs semblent assurés du succès.

Les syndicats ne sont pas plus populaires en Angleterre qu’aux Etats-Unis en ce moment et ils s’en rendent compte. Entre la centrale et le Parti travailliste, le malaise est apparent. Aussi, le Président des T.U.C. a lancé un appel pour de profondes réformes dans les structures et l’action syndicale, en particulier. Ce qui pourrait avoir non seulement sur le Syndicalisme britannique, mais sur l’ensemble du mouvement ouvrier des répercussions considérables. Il a demandé que l’on renonce dorénavant à la grève  comme moyen de pression sur les employeurs et qu’on la remplace par d’autres formes d’action revendicative. Il a même parlé de collaborer avec le Gouvernement, quel qu’il soit, pour assure le maintien du plein emploi. Les Syndicalistes anglais ont pris conscience de l’échec de la grève des transports de l’année dernière, échec dû à la mauvaise humeur du public. Ils comprennent aussi qu’en faisant perdre un nombre considérable de journées de travail, la grève abaisse le revenu national et nuit à l’expansion économique dont les travailleurs sont les premiers à bénéficier. Le fait mérite d’être noté. Il est le signe – parmi d’autres – d’une évolution en profondeur des relations sociales dans les pays libres.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1959-09-05 – Éclaircie

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Le Courrier d’Aix  – 1959-09-05 – La Vie Internationale.

 

Éclaircie

 

La Visite du président Eisenhower en Europe a balayé les nuages noirs du ciel diplomatique. Accueil chaleureux, triomphal même à Bonn et à Londres ; l’entente restaurée entre partenaires atlantiques. En apparence, sinon en profondeur, le changement de climat est complet. A cela, deux raisons : D’abord un plan arrêté dans les quatre capitales pour rétablir l’unité occidentale avant l’aller et retour de Krouchtchev et d’Eisenhower aux U.S.A. et en U.R.S.S. Peut-être avait-on même donné trop de publicité aux désaccords pour mieux ensuite célébrer la concorde. L’opération a pleinement réussi.

Mais un autre facteur a joué, non plus artificiel, mais spontané, le don de conciliation de Ike, son influence morale sur les masses, la confiance universelle qu’il inspire des deux côtés de l’Atlantique. Il est de ceux dont la présence est apaisante et dont la parole stimule les bonnes volontés. Avec les interlocuteurs les plus difficiles, dans les circonstances les plus tendues, il a toujours su éviter les éclats. C’est là tout ce qu’il a apporté en politique car les résultats pratiques de ses 7 ans de pouvoir dans l’ordre international sont bien minces.

Par contre, sans lui, la désintégration du Monde libre n’aurait probablement pu être évitée. Les peuples lui en sont reconnaissants et l’ont montré. L’opération visite a été également bien montée sur le plan électoral. M. MacMillan pourra affronter les urnes le mois prochain avec confiance ; le prestige du Chancelier Adenauer, ébranlé par sa candidature révoquée à la présidence de la République a retrouvé tout son éclat. Il se peut même que les résultats de l’entrevue de Paris affermissent notre Vème  République.

Non seulement il n’est plus question de discorde entre Alliés, mais le Premier Anglais, d’après la radio française elle-même, aurait plaidé notre cause auprès d’Eisenhower, ce qui paraît un peu ironique. Le chancelier Adenauer l’a fait également et sans nul doute avec plus de sincérité. La venue à Paris a donc été entourée d’un filet de bons propos rendant en quelque sorte obligatoire une entente générale. Cela dit, on verra lorsque les oriflammes seront rentrées ce que vaut exactement cette unité de propos.

 

Krouchtchev et Adenauer

Krouchtchev, de son côté, a préparé ses visites. Il ne pouvait faire moins que de s’associer à la bonne volonté occidentale. Il s’est même plu à trouver encourageante la réponse d’Adenauer à la dernière note soviétique qui était plutôt acerbe. Cette lettre du Chancelier, qui a surpris ses amis et ses adversaires, est d’une grande habileté. Stigmatisé pour son intransigeance, traité de revanchard à l’Est, il s’est placé en flèche dans la joute pour la coexistence pacifique. Il a même affirmé n’être pas par principe hostile au socialisme ou au communisme « qui pourraient être nécessaires à un certain stade du développement des nations », entendez par là que ce stade, dépassé par l’Allemagne est encore celui de l’U.R.S.S., la formule est adroite.

Tout cela aura-t-il sur les vraies négociations prochaines une influence positive ? Si sceptique que l’on soit, cela n’est pas impossible. L’énigme des relations futures entre la Chine et l’U.R.S.S. demeure entière. Une inflexion de la politique soviétique ne saurait donc être exclue. Il est significatif que Krouchtchev n’ira pas seul aux U.S.A. Il sera accompagné de toute sa famille, femme, fils, filles et gendres et de l’écrivain Cholokhov. Il sent combien le désir de connaître l’Amérique est puissant en Russie. Peut-être même un obscur sentiment de solidarité de la race blanche joue-t-il dans l’inconscient de l’âme slave. N’excluons pas l’optimisme.

 

Les Embarras de l’Inde

En attendant, la pression chinoise sur le Laos d’une part, sur les confins de l’Inde d’autre part ne s’est pas desserrée, au contraire. Sans exagérer les dangers, il est évident que la position de Nehru est lourde d’embarras. Les incidents de frontière avec les Chinois en Assam, les émeutes de Calcutta, la crise entre le ministre de la guerre Krishna Menon et les chefs de l’armée, l’émotion populaire suscitée par l’écrasement de la révolte tibétaine, cela fait beaucoup de soucis à la fois.

Le premier résultat de la tension sino-indienne a été la rencontre inattendue entre Nehru et son rival pakistanais Ayoub Khan. Devant les menaces qui s’amassent aux frontières de la péninsule, les querelles mineures doivent s’apaiser. Une entente indo-pakistanaise, à laquelle les Occidentaux anglais et américains travaillent depuis longtemps n’est plus exclue. L’agression chinoise ne sert pas la cause du communisme en Extrême-Orient. Chou en Laï ne s’en soucie sans doute pas, mais la politique de Moscou s’en trouve affectée.

 

Les Mécomptes de Pékin

D’ailleurs, c’est de Pékin que nous viennent les nouvelles les plus intéressantes sur les succès de l’expérience communiste. L’heure des aveux, que nous pressentions, a sonné. Les dirigeants ne pouvaient s’y soustraire. Les fabuleuses statistiques du « bond en avant » que nous avions passées au crible l’an dernier étaient bel et bien forgées. Pékin leur fait subir une chute verticale : qu’on en juge : pour 1958 la production d’acier évaluée à 11 millions de tonnes est ramenée à 8, celle des céréales de 375 à 250, celle du coton de 3,3 à 2,1. Pour 1959, le plan prévoyait 18 millions de tonnes d’acier, il est ramené à 12 ; 525 millions de céréales, ramenées à 275 ; le coton de 5 à 2,4. On voit que les statistiques chinoises ont de l’élasticité. Les mécomptes ont été d’ordre divers, les intempéries d’un côté, les erreurs de l’Administration de l’autre, l’ensemble a créé une situation difficile et une certaine confusion idéologique. Mais pour les dirigeants chinois, on ira de l’avant quand même jusqu’à l’épuisement des énergies, coûte que coûte.

 

Les Conquêtes Chinoises

En effet, si le bond en avant dans le domaine de la production a trébuché, la formidable poussée migratoire du monde chinois se poursuit. Tibor Mende, le spécialiste souvent cité ici, était récemment dans le Sin-Kiang et en Sungari, qui confinent aux colonies musulmanes de l’U.R.S.S. Il a pu voir se déverser dans ces déserts les cohortes de pionniers chinois envoyés par Pékin pour occuper et exploiter le pays. Dans l’histoire du colonialisme, il n’y a guère d’exemple plus caractérisé que celui-là.

Comme cela s’est produit entre 1948 et 1956 en Mongolie intérieure, plus récemment en Mongolie extérieure, aujourd’hui au Tibet, des centaines de milliers, peut-être des millions de Chinois s’intègrent à la population autochtone et la submergent ; déjà en Mongolie intérieure, Il y a 7 Chinois pour un indigène. Les Ouïgoures du Sin-Kiang, nomades et musulmans, n’étaient que 4 millions en 1959 ; le pays en 1959 compte 6 millions d’habitants. Si prolifique que soit la race, le surplus ne peut être leur fait. Des villes s’édifient, des chantiers se propagent grâce au labeur des vagues de fourmis bleues  venues de l’Est. Et le contact est établi ou près de l’être entre les déserts que les Chinois conquièrent et ceux que les Russes ont colonisé depuis un siècle ; le chemin de fer venu de Lan Chow, en Chine, approche du réseau soviétique de Kirghizie près d’Alma Ata. Au nord de Pékin, en passant par Oulan-Bator en Mongolie extérieure, il rejoint le transsibérien.

Nous renvoyons nos lecteurs aux cartes récentes de ces régions encore peu connues. Ils verront le cheminement rapide de cette migration. Comme le reconnaît Tibor Mende, cette transformation de l’Asie centrale, à un tel rythme, pose à la politique soviétique des problèmes nouveaux. Les conséquences, dit-il, en peuvent être énormes. Tout à fait d’accord.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1959-08-29 Amertumes

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Le Courrier d’Aix – 1959-08-29 – La Vie Internationale.

 

Amertumes

 

Le retour de vacances, pour l’observateur de la chose politique s’entend, est assez mélancolique. Dans un monde en évolution rapide, il semble que seule la mentalité des hommes d’État n’a pas changé. Dissensions comme toujours, sinon plus que jamais, entre les Démocraties ; astuces calculées et toujours réussies des dictatures. L’opinion internationale tremble devant les coups de force et fait le silence sur les faibles qui luttent pour leur propre cause : Tibet, Laos, Algérie aussi.

 

Fin à Genève

Les grotesques Conférences de Genève sont terminées – enfin – exactement comme prévu, sans résultat. Ces longs mois de palabres, de dîners, d’allées et venues, ont peut-être permis de gagner du temps, mais au profit de qui ? Les Russes ont dirigé le jeu avec leur obstination calculée et les autres se sont laissés mener où l’adversaire voulait en venir, au voyage de Krouchtchev aux U.S.A.

 

Le Voyage de Krouchtchev aux U.S.A.

L’origine de cette décision est obscure. Nixon paraît avoir forcé la main à Eisenhower. Mais celui-ci n’était-il pas résigné par avance ? Nixon est le type du politicien qui dans toutes les démocraties voit les choses sous l’angle électoral. Il prépare son élection à la Maison Blanche, et tout ce qui peut l’y aider est bon. Non qu’il néglige les intérêts  nationaux, mais ceux-ci lui paraissent toujours coïncider avec ses ambitions. « Quand je serai président, on verra ». Malheureusement, ce qu’on voit alors, ne ressemble guère à ce qu’on espérait. Cependant, cette invitation faite à Krouchtchev a divisé l’opinion américaine. Les plus avisés y ont vu un succès personnel pour le Russe qui ne cachait pas son désir d’être reçu là-bas comme l’égal du président. Satisfaction de prestige personnel, calcul politique aussi car cet accueil officiel aux U.S.A. consacre aux yeux du monde et surtout des Satellites, la puissance de l’U.R.S.S. et constitue une reconnaissance de fait de ses conquêtes. Personne, après, n’osera les remettre en question.

Par contre, pour la masse des Américains, celle qui intéresse Nixon candidat, cette visite éveille un espoir. L’Américain moyen s’imagine que l’ancien mineur ukrainien ne sait rien des U.S.A. et qu’ébloui par le mode de vie américain, il se convertira au pacifisme. Cette idée naïve est largement répandue. C’est évidemment un sacrifice d’amour-propre, pense-t-on, mais la paix vaut bien cela ; qu’il vienne et qu’il voie et il sera convaincu. L’orgueil national a de ces faiblesses.

 

La Tactique Soviétique

De fait, la tactique soviétique a été très habile. Dans les pourparlers de Genève, la question de Berlin n’a pas fait un pas. Par contre, les Russes ont, sans rien conclure, laissé aux Anglo-Américains, quelques espoirs d’accord sur l’arrêt des expériences nucléaires. Par ce biais, ils touchaient l’opinion en Angleterre et aussi aux U.S.A. qui redoute la prolongation des expériences pour la santé des populations et aussi la venue dans le club nucléaire des Français et des Chinois. En réalité, ce ne sont là que manœuvres et il y a assez d’obstacles en réserve pour que la négociation future échoue, si les communistes le veulent.

 

Le Grand Dessein

Par ailleurs, nous pensons que toute cette mise en scène diplomatique autour de Berlin et ces échanges de visites et d’expositions, ne sont qu’un écran de fumée. Nous l’avons déjà dit. Les Russes savent bien qu’ils ne peuvent avancer vers l’Ouest sans risquer la guerre. En tâtant la résistance de l’Occident sur ce terrain, ils n’ont fait que maintenir leur initiative diplomatique comme par le passé et concentrer l’attention des atlantiques sur une question, brûlante, mais secondaire.

Le dessein profond des Soviets est en Extrême-Orient. Ils poussent les Chinois à de nouvelles conquêtes en Asie. Le Tibet vient de passer sous leur joug, maintenant le Laos. Demain, les pays libres de l’Himalaya, quelques morceaux au bord de l’Inde ; puis le Cambodge, le Sud-Vietnam, auront sans doute leur tour. Cette invasion du Sud-Est asiatique méthodiquement et lentement organisée par Pékin mettra les Américains en difficulté. Il ne paraît guère possible de défendre efficacement le Laos quand on reçoit Krouchtchev à Washington. Le moment pour les Chinois est bien choisi, avec l’accord des Russes. Rappelons que Ho Chi Ming était à Moscou en juillet.

De plus, tandis que les Chinois s’enfoncent vers le Sud, on peut détourner leurs ambitions de la Sibérie, de la Mongolie et du Turkestan. Les Soviets attendent l’heure où la Chine sera aux prises avec les Etats-Unis et jusque-là lui donneront les moyens d’affronter la lutte. Comme en 1945, ils comptent n’intervenir qu’à l’heure où les deux adversaires, l’un épuisé et l’autre lassé, la Chine ne sera plus un danger et l’Amérique une proie aussi difficile. La domination mondiale de l’U.R.S.S., impossible à l’heure présente, ne peut avoir de chances qu’après un conflit sino-américain.

Reste à savoir si les Chinois et Chou en Laï en particulier, qui en ruse s’entendent aussi bien que Krouchtchev, se prêteront à ce dessein. On a vu qu’à Formose, ils ont su s’arrêter. La grande énigme de l’histoire de demain est là.

 

La Discorde Atlantique

Revenons aux questions pénibles : la discorde des partenaires atlantiques, non plus en face de l’adversaire, ce qui pourrait se comprendre, mais entre eux et sur des problèmes qui ne touchent qu’eux-mêmes :

La mésentente cordiale entre la France et l’Angleterre est devenue une véritable hostilité. On peut dire que depuis Fachoda, jamais les Britanniques n’avaient montré autant de hargne à notre endroit. La campagne de presse, montée à la fois par les organes travaillistes et conservateurs, montre que rien de la vieille rivalité n’est oubliée.

De la part des Travaillistes, cela ne saurait surprendre. Ils ne nous ont jamais épargnés. Leur hostilité englobe aussi bien leur coreligionnaire Guy Mollet, que le Général de Gaulle. Les Conservateurs par contre, sans être tous francophiles, montraient à l’occasion de l’indulgence et même quelque partialité en notre faveur.

Mais aujourd’hui où leur Empire est à peu près liquidé, ils ne peuvent supporter l’idée que nous conservions quelque parcelle du nôtre. Le Gouvernement anglais jusqu’ici était plus réservé que la presse et que les agents en Afrique. Mais des actes tels que la constitution d’un comité pour l’Algérie à la Chambre des Communes avec la participation des Conservateurs, l’invitation officielle à Sékou Touré et les intrigues à peine voilées, à la récente Conférence de Monrovia (qui s’est déroulée ce mois-ci) où le F.L.N. était représenté et avait hissé son emblème, montrent qu’il s’agit non d’un mouvement d’opinion, mais d’une politique délibérée.

 

L’Isolement de la France

Ce qui est particulièrement grave, c’est de constater que l’attitude anglaise a encouragé un peu partout une hostilité latente à notre égard. La lecture des journaux étrangers en ce moment est affligeante. Même la presse suisse nous cherche querelle. On retrouve les caricatures odieuses des Anglais reproduites ou imitées jusque dans les quotidiens allemands fidèles à Adenauer. En Italie, les réserves et les critiques, polies mais pertinentes ne manquent pas. Sans doute, un certain ton ici n’est pas très sympathique à l’extérieur, mais cela ne suffit pas à expliquer ces mouvements d’humeur. Il est juste de dire aussi qu’une certaine presse en France, la plus lue à l’étranger, fournit à nos détracteurs des arguments quotidiens et cela hélas, n’est pas nouveau non plus.

N’étaient les Etats-Unis qui gardent la mesure, le don exceptionnel de conciliation du président Eisenhower et le fait que le Président de Gaulle a le bonheur de n’avoir pas de nerfs, on se demanderait avec appréhension ce que les négociations qui vont s’ouvrir à Bonn, à Londres et à Paris vont nous apporter. Jamais cependant, le simple bon sens n’a recommandé à l’Occident plus de solidarité. Mais devant des intérêts vrais ou supposés, de très vieux complexes de rivalité, de jalousie se réveillent. On ne cesse de demander à l’humanité en possession de tant de biens matériels, un supplément d’âme. Les politiciens des deux mondes n’en ont guère acquis.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1959-08-01 – L’Économique et le Social

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Le Courrier d’Aix – 1959-08-01 – La Vie Internationale.

 

L’Économique et le Social

 

Plutôt que de commenter les progrès en russe de M. Nixon et les propos extravagants de M. Krouchtchev à l’exposition américaine de Moscou, ainsi que le film genevois, nous nous bornerons aux choses sérieuses.

 

La Grève de l’Acier aux U.S.A.

La grève des aciéries aux Etats-Unis dure depuis deux semaines et le conflit ne paraît pas près de sa fin. Elle revêt une importance exceptionnelle alors que la grève aux U.S.A. est d’ordinaire un fait divers.

D’abord, elle intervient au moment où, comme nous l’avons vu, les prix américains sont si élevés que la capacité de concurrence de l’industrie à l’extérieur est menacée. Les exportations baissent. Les producteurs européens vendent avec un succès croissant sur le marché intérieur. Ensuite, toute hausse de salaire dans une branche capitale comme l’acier, avec ses répercussions sur l’ensemble des prix, pousse la spirale inflationniste et dégrade le pouvoir d’achat du dollar. Les autorités ne cessent de sonner l’alarme. La grève s’est produite à un moment défavorable pour le syndicat,

L’opinion aux U.S.A. a toujours respecté le droit à la grève comme un attribut essentiel de la liberté et l’a supportée sans récrimination, même quand elle gêne le confort des citoyens. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Les grandes centrales ont mauvaise presse depuis les scandales du Syndicat des camionneurs dont les dirigeants ont été convaincus d’escroqueries et de pratiques illicites. Leur procès dure encore et a beaucoup nui à la réputation du mouvement ouvrier. Enfin, les travailleurs de l’acier qui gagnent 1.500 francs de l’heure, ne sont pas favorables à la grève qui leur a été imposée par ceux qui prétendent parler en leur nom, et qui, en fait, ne représentent qu’un cinquième de l’effectif, comme en Europe d’ailleurs.

 

La Réserve du Gouvernement

Le gouvernement Eisenhower avait les moyens légaux – la loi Taft-Hartley – pour imposer un délai et un arbitrage aux parties. Il ne l’a pas fait, si bien qu’une épreuve de force est engagée entre le Syndicat et les Patrons, malgré le préjudice subi par le pays tout entier. Des millions de travailleurs vont chômer parce que les usines devront s’arrêter, faute d’acier. Le public et certains chroniqueurs comme Lippmann, reprochent à l’Administration cette passivité.

La question a un aspect idéologique. Au nom de l’intérêt national, – mais en temps de paix – le Gouvernement a-t-il le droit et le devoir de s’immiscer dans un conflit d’intérêts qui doit se régler entre les parties en toute liberté ? A un an d’élections générales, le Président hésite à s’engager et à engager son Parti. OU bien les Syndicats seront battus et l’Administration républicaine pourra affirmer qu’elle a laissé jouer les institutions, ou bien la grève aura réussi et le Parti pourra tirer avantage de n’avoir pas contrecarré l’action ouvrière, au contraire de l’ex-président Truman, démocrate, qui en pareilles circonstances, avait fait usage de la loi. Le poids électoral des syndicats est assez grand et il peut jouer en faveur des Républicains, comme des Démocrates, selon la tactique de l’heure.

 

L’Aspect Social

Mais il y a aussi un aspect social qui est plus intéressant. Le patronat de l’acier ne veut pas céder pour d’autres raisons.

D’abord, il ne veut pas renouveler les contrats d’échelle mobile qui poussent à une hausse constante des prix. En période de dépression, comme l’an dernier, ce sont ces contrats qui ont empêché la baisse. En effet, l’échelle jouant avec retard, les hausses de salaires interviennent sur une hausse antérieure du coût de la vie et le pouvoir d’achat supplémentaire ainsi distribué, relance cette hausse, alors qu’une baisse se serait normalement produite et aurait brisé l’inflation.

En second lieu, et ceci est capital : la puissance du syndicat de l’acier avait fini par paralyser l’autorité des responsables patronaux. Il fixait le droit à l’embauche, s’opposait aux licenciements des travailleurs en surnombre, décidait des heures de repos et l’horaire du travail n’était plus respecté. C’était une sorte de cogestion de l’entreprise occulte et irresponsable. De plus, le syndicat était hostile au progrès technique et particulièrement de l’automation. Or, il est de règle sacrée aux Etats-Unis dans les rapports entre employeurs et employés, c’est que ceux-ci n’assumant et ne voulant assumer aucune responsabilité, pour ne pas compromettre les occasions de débattre leurs conditions de travail, ceux qui sont responsables doivent diriger sans interférence d’aucune sorte, pour assurer la bonne marche de l’entreprise. Pas de responsabilité, pas de cogestion est la règle.

On voit par là l’intérêt du conflit actuel : ou bien le syndicalisme américain exigera une participation dans l’organisation du travail et il sera coresponsable des résultats obtenus, ou comme par le passé, il se contentera de marchander des avantages et le patronat décidera s’il est préférable de céder ou de continuer la lutte. On voit à quel tournant se place le syndicalisme américain.

Doit-il demeure libre, sans se soucier des incidences extérieures à son action, ou doit-il s’associer aux responsabilités de l’entreprise et par-delà celle-ci, tenir compte de l’intérêt national ? Et quel sera alors le rôle des pouvoirs publics ? Doivent-ils intervenir au nom de cet intérêt ? Problème à la fois idéologique et social qui intéresse le monde libre tout entier.

A cela s’ajoute un autre débat particulier aux U.S.A. La législation depuis un siècle a combattu les trusts. Les tribunaux continuent de les poursuivre et il n’y a effectivement plus de monopoles aux Etats-Unis. Le syndicalisme maintenant unifié n’est-il pas devenu un trust, un état dans l’Etat qui peut paralyser la vie du pays à sa guise ? L’opinion américaine est là-dessus très susceptible. De furieuses discussions ont eu lieu déjà contre le monopole syndical et les restrictions à l’embauche des non-syndiqués. La grève actuelle met la question en pleine lumière. Le syndicat de l’acier et son chef, M. Mac Donald ne paraît pas en bonne posture. C’est l’opinion qui décidera du conflit.

 

Le Marché Commun et l’Organisme de Stockholm

Comme nous le disions en janvier, l’application du Traité de Marché Commun dépend de la conjoncture économique. Défavorable, le projet serait resté théorique, favorable comme cela est heureusement le cas, les étapes prévues ont quelques chance d’être franchies sans encombre. On parle même, pour profiter de la situation, d’accélérer l’application du traité de Rome et les entretiens Pinay-Erhard ont été poussés dans ce sens, malgré les hésitations françaises. Du côté des autres Sept (ils sont sept à présent), un accord pour une zone de libre-échange a été conclu à Stockholm ; plan assez limité en fait et qui ne présente pas d’opposition fondamentale à un accord ultérieur avec le Marché Commun. On en vient peu à peu à l’idée – évidente dès l’abord – qu’il ne saurait y avoir d’association exclusive durable entre un groupe limité de pays sans risque de guerre économique avec les autres et que toute libéralisation douanière n’a de portée que si elle s’étend à tous. Le Marché Commun, comme l’entend Erhard, n’est qu’une étape. Il l’a dit dès le premier jour. De même pour la zone de Stockholm. Reste à trouver une formule qui synchronise les réductions de tarif de l’ensemble des participants et ultérieurement de tous les pays du G.A.T.T.

Le principe étant aujourd’hui reconnu, le temps fera le reste, si toutes les économies continuent leur expansion et que la prospérité demeure générale. A noter que la Grèce et ensuite la Turquie et la Tunisie vont être associées au Marché Commun. Pour la Tunisie, et sans doute le Maroc, cela dépend pour beaucoup du règlement de l’affaire algérienne dont nous persistons à espérer la conclusion à un terme relativement proche.

 

Le Voyage du Négus

Signalons enfin un voyage qui mériterait une étude approfondie, celui du Négus d’Ethiopie à Paris et à Lisbonne.

L’Afrique est, on le sait, tenaillée de mouvements contraires. IL est significatif qu’Haïlé Sélassié se soit rendu dans les capitales des puissances coloniales, surtout au Portugal, qui seul de toutes n’a pas encore cédé un pouce de ses droits tant en Afrique qu’en Inde et même à Macao. C’est que le Négus est un Empereur chrétien et qu’il doit résister à la fois au panarabisme de Nasser qui travaille l’Erythrée et les Somalies et le panafricanisme nationaliste de tendance socialisante à la fois de Nkrumah et Sékou Touré. Le Négus a en plus, des difficultés avec l’Angleterre favorable, comme on sait, à la constitution d’une Grande Somalie qui serait musulmane. On se demande d’ailleurs les raisons de cette attitude anglaise : croient-ils de leur intérêt de nous évincer de Djibouti ? En bref, le Négus a besoin d’appuis pour résister aux ambitions qui l’encerclent. Il en trouvera.

 

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