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Le Courrier d’Aix – 1959-10-03 – La Vie Internationale.
Anticipations
La Conclusion des Entretiens de Camp David
Les entretiens Krouchtchev-Eisenhower à Camp David ont donné ce qu’on en attendait, ni plus ni moins. Rien de concret, sauf l’affirmation que la discussion sur Berlin serait reprise sans qu’un délai soit fixé, ce qui ressortait déjà implicitement de la Conférence de Genève et des discours de Krouchtchev. La Conférence au Sommet aura lieu, selon les désirs de Moscou, sans nouveau préalable, et Eisenhower visitera l’U.R.S.S. au printemps. C’est tout.
Reste ce qui n’est pas formulé, les intentions profondes du Russe. Il a cherché à entretenir une atmosphère rassurante et cordiale et fait l’éloge de son interlocuteur qui le lui a rendu et surtout, à son retour, il a insisté sur les dispositions pacifiques du peuple américain et de son gouvernement.
Sans être bien probant, cela semble confirmer que l’U.R.S.S. a besoin de la paix pour le moment pour consolider ses conquêtes et redresser son économie qui comme Krouchtchev l’a déclaré récemment, exige de profondes réformes. Quant aux plans de désarmement, personne ne les prend au sérieux. Cependant, le président Eisenhower a fait allusion au fardeau trop lourd que la course actuelle fait peser sur les Etats, ce qui peut faire penser que les Soviets ont parlé de le réduire. Ils y trouveraient un double avantage diminuer leurs propres dépenses et peut-être provoquer une crise dans l’industrie américaine qui travaille pour la Défense. Tout cela est encore bien vague et comme nous le disions, on ne pourra juger des résultats de Camp David qu’à la longue.
Krouchtchev et Nixon
Un mot du discours de Krouchtchev au Palais des Sports à Moscou est à retenir. En faisant l’éloge d’Eisenhower, il a fait une allusion désobligeante à Nixon pour son peu d’hospitalité. Le Vice-Président est aujourd’hui le grand favori à la succession d’Eisenhower. Non seulement sa nomination comme candidat du Parti républicain paraît certaine, mais les sondages d’opinion le donnent gagnant à l’élection contre n’importe quel adversaire démocrate, que ce soit Kennedy le numéro un, Humphrey, Stevenson ou Symington, dans l’ordre actuel des pronostics. Nixon a, pendant la visite de Krouchtchev adopté la position dure, ce qui a plu à tous ceux qui désapprouvaient ce voyage, et a nettement invité les Américains à tenir tête. Attitude assez habile ; les électeurs préfèrent l’homme qui ne se laisse pas faire à celui qui, comme le Président, cherche à masquer les antagonismes.
Les Élections en Angleterre
A huit jours des élections en Angleterre, les chances des conservateurs ont été quelque peu contrariées par un scandale financier, le premier depuis bien longtemps qui ait éclaté sur les grandes places de l’Occident. Les Travaillistes, en mal d’arguments, en ont fait grand bruit. Il n’est pas probable d’ailleurs que cela les favorise au point de leur donner la victoire. Au contraire, la certitude d’un succès conservateur pouvait inciter les hésitants et les indifférents à rester chez eux ; l’éventualité d’une issue contestée peut les pousser à voter pour maintenir au pouvoir l’équipe actuelle, dont les Anglais n’ont pas à se plaindre, et par crainte d’un changement qui pourrait déranger leur quiétude. MacMillan doit l’emporter, ne fut-ce que de justesse. La masse sent confusément que le retour des Travaillistes, en ce moment, affaiblirait le Monde libre et l’autorité de la Grande-Bretagne sur la scène internationale.
A Ceylan
En marge des grands sujets, entretiens russo-américains et affaire algérienne, on doit signaler l’assassinat par deux moines bouddhistes du Premier ministre de Ceylan, Bandaranaike. Episode sanglant d’une crise intérieure que connaît l’Île depuis qu’elle s’est séparée de l’Angleterre. La politique progressiste du Gouvernement est combattue par les éléments traditionnalistes et xénophobes ; xénophobie qui vise non tant les Européens, que les Hindous qui émigrent dans l’Île et ont peu à peu pris des positions importantes dans son économie. Les autochtones sont inquiets et préféraient conserver leur existence nonchalante plutôt que de la sacrifier au progrès technique. Cet épisode est un signe, parmi tant d’autres, que les populations sous-développées ou prétendues telles, n’acceptent pas de bon gré qu’on bouleverse leurs traditions et leur mode de vie, pour des avantages qui ne les intéressent pas. Il y a beaucoup de cela aussi dans la révolte du Tibet. Le cas échéant, ce sentiment se manifesterait ailleurs. On devrait en tenir compte dans les plans d’assistance.
Le Prix de l’Indépendance
D’une façon générale, les pays qui ont secoué le « joug du colonialisme » ne bénéficient pas de l’équilibre intérieur. Crise à Ceylan, au Maroc, en Syrie, en Irak, en Indonésie, en Inde même, à la fois politique, financière, agricole, industrielle. Ceux qui s’en tirent le moins mal sont gouvernés par des hommes forts, avec ce que cela implique de tyrannie et aussi de dilapidation des fonds publics consacrés à des armements ou à des travaux de prestige, comme le Ghana et l’Égypte ; la monnaie se dégrade à peu près partout, la balance commerciale est en déficit croissant. On bouche les trous avec des emprunts ou des dons de puissances rivales de l’Est et de l’Ouest. Enfin, le vide qui s’est créé avec le départ des colonialistes appelle des convoitises. Il semble que ces exemples commencent à faire réfléchir ceux pour qui l’indépendance était le mot magique. La menace chinoise sur l’Inde, les difficultés que le gouvernement Soekarno à Jakarta rencontre pour contenir l’activité communiste, les événements du Laos enfin éclairent le revers de la médaille. Il se pourrait que la leçon ne soit pas perdue.
Fin de la Grève de l’Acier ?
La grève de l’acier aux Etats-Unis en est au point où elle doit obligatoirement finir. Comme les employeurs n’ont pas intérêt à céder et que le Syndicat ne le peut pas, il faudra bien que le président Eisenhower intervienne et applique la loi Taft-Hartley qui impose la reprise du travail pour 80 jours. Après, les esprits seront calmés, et l’on s’entendra sans doute sans éclat. Il est temps.
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P.-S.- Au moment de mettre sous presse nous parvient le discours que Krouchtchev a prononcé à son arrivée à Pékin ; le contraste est frappant entre les harangues des dirigeants chinois qui invectivent les Américains et Krouchtchev qui, devant eux, loue les intentions pacifiques du président Eisenhower et parle de détente. Il n’est pas de jour où les divergences entre Moscou et Pékin ne soient apparentes. Ceux qui estiment que cela revient à prendre des désirs pour des réalités, finiront par se convaincre.
De même, nous n’avons cessé de croire depuis le printemps, que la solution du problème algérien serait en vue à l’automne. Cela semble aujourd’hui plus vraisemblable qu’alors. Cependant, déjà la fin du conflit cypriote et un certain dégoût général des combats, puis l’impression pénible suscitée au début de la répression chinoise au Tibet, les premières escarmouches entre Nasser et le communisme, l’impatience du Caire et de Tunis à se débarrasser de leurs hôtes encombrants, les dirigeants du F.L.N., autant d’indices d’une orientation nouvelle. Il ne reste plus qu’$ prendre patience : l’évolution se poursuit.
CRITON