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Le Courrier d’Aix – 1959-09-12 – La Vie Internationale.
Krouchtchev parle du Bonheur
Eisenhower est rentré à Washington et prépare son dialogue avec Krouchtchev. Les événements du Laos et des frontières de l’Inde ne se sont pas aggravés. Avec une semaine de recul, on peut estimer que le voyage du Président des Etats-Unis en Europe a raffermi l’Alliance occidentale qui en avait grand besoin ; Occidentaux et Communistes ont même décidé de reprendre les conversations sur le désarmement, ce qui n’engage à rien, mais prouve que l’humeur est favorable à une détente, verbale tout au moins. L’opinion n’en demande pas plus, car personne n’entretient l’illusion que le fond des problèmes puisse changer.
L’O.N.U. et la Requête du Laos
La réunion du Conseil de Sécurité de l’O.N.U. convoqué précipitamment pour examiner la demande du Laos pour l’envoi d’une force armée internationale des Nations-Unies afin d’arrêter l’avance communiste, mérite une mention. Par 10 voix contre 1, celle de l’U.R.S.S., le Conseil a décidé d’envoyer sur place, non une force armée, mais des observateurs choisis dans son sein qui iront s’enquérir sur place et feront rapport. Le veto soviétique prévu n’a pas joué, car on a fait admettre qu’il s’agissait d’un vote de procédure sur lequel le veto ne peut s’exercer. L’U.R.S.S. n’a pas insisté ; il n’y a même pas eu le discours de propagande habituel. En même temps, les forces communistes au Laos, pour éviter d’être repérées par les observateurs ont repassé la frontière, ce qui prouve à tout le moins que Pékin et Hanoï ne veulent pas pour le moment provoquer un conflit plus étendu.
Une petite remarque nous vient à l’esprit : la méthode qui consiste à prévenir plusieurs jours à l’avance que la police, en l’occurrence les observateurs, vont venir enquêter ne nous paraît pas une façon adéquate de prendre les malfaiteurs sur le fait. Il serait si facile à l’O.N.U. d’avoir quelques avions qui photographieraient les mouvements aux frontières. On sait qu’aujourd’hui on peut déceler de 10.000 mètres d’altitude les déplacements d’un simple piéton, à plus forte raison ceux d’un corps de troupe. Il nous semble que si l’on voulait – mais veut-on ? En fait les Etats-Unis ont peur, non sans raison de s’engager dans cette partie de l’Asie, de rééditer l’affaire de Corée ou celle d’Indochine. De l’autre côté, on ne veut pas torpiller par avance les conversations Krouchtchev-Eisenhower. Ce n’est, évidemment, que partie remise …
Les Menaces Chinoises et les Neutres
Et puis il y a le fait que ces menaces chinoises, après l’affaire du Tibet et celle de l’Inde, ont fait sur le reste de l’Asie, l’effet le plus défavorable et pas seulement en Asie. Les Africains aussi commencent à s’apercevoir que le départ d’une grande puissance coloniale d’un pays faible et exposé stratégiquement, crée un vide que l’impérialisme communiste ne demande qu’à combler. L’indépendance s’acquiert souvent sans peine, reste à la conserver, ce qui est moins aisé. La protection de l’O.N.U. est bien illusoire.
Un Article de M. Krouchtchev
Nous lisions, l’autre jour, consciencieusement l’article que Krouchtchev a fait paraître dans la revue américaine « Foreign Affairs », revue célèbre où n’écrivent que des hommes célèbres :
« Nous mettons au défi, dit M. Krouchtchev, les pays capitalistes de prouver que leur système est supérieur et plus efficace, qu’il est capable d’assurer un plus haut degré de prospérité au peuple que notre système socialiste et que l’homme peut être plus heureux que sous le socialisme. »
Après cette lecture édifiante, nous passions à un autre exercice, le dépouillement d’une revue peu connue celle-là, mais beaucoup plus instructive, sur la situation des pays satellites d’Europe centrale et voici que nous tombons sur la réponse à M. Krouchtchev.
Urbanisme à Lodz
Dans son numéro du 13 mars 1959, « Trybuna Lubu », l’organe officiel du Parti communiste de Pologne, relatait le discours prononcé au III° Congrès du Pari par le secrétaire du Parti à Lodz (la grande cité du textile polonais). Voici textuellement ce qu’il révèle :
« Lodz a le plus haut pourcentage d’appartements à 1 pièce (47%) et le nombre moyen d’habitants par pièce est de 2,9 ; 75% des immeubles n’ont pas d’installation sanitaire et 230.000 personnes dépendent des puits locaux pour leur approvisionnement en eau ; 320.000 parmi les 700.000 habitants n’ont pas le gaz ; 12% des rues pavées seulement ont été remises en état et 54% ne sont que des routes sales dépourvues d’éclairage public.»
Ajoutons de notre côté, que cette ville, plus grande et plus peuplée que Lyon ou Marseille, avait déjà, lorsque cette partie de la Pologne appartenait à l’empire des Tsars, la réputation d’être insalubre parce qu’entourée de marais non drainés ; on voit que 14 ans après la guerre, le sort des habitants de Lodz n’est pas plus agréable. Espérons que le socialisme de M. Krouchtchev les console et qu’ils sont heureux. Diogène l’était bien dans son tonneau. Il est vrai que c’était au soleil grec.
Évolution du Syndicalisme
La grève de l’acier aux Etats-Unis depuis deux mois. Le Gouvernement ne semble pas pressé d’y mettre fin par l’application de la Loi Taft-Hartley. Cette grève est d’ailleurs fort impopulaire.
Le public qui jusqu’à ces dernières années, respectait les décisions des organisations ouvrières, a changé d’attitude depuis les scandales révélés dans l’affaire Hoffa. Le Président général du Syndicalisme américain George Meany, malgré sa bonne volonté, n’a pu purger le mouvement des éléments corrompus. Aussi, le Congrès, malgré la proximité des élections et les intrigues du « Labor lobby » a adopté une loi sévère qui soumet les Syndicats à un contrôle financier rigoureux et protège la liberté des travailleurs contre la tyrannie des dirigeants. Personne ne pensait, il y a un an, que le législateur irait jusque-là. En réalité, il n’a fait que suivre la tendance de l’opinion.
La Grève et les Syndicats Britanniques
A Blackpool se tient, comme chaque année, le Congrès des Syndicats britanniques, à la veille des élections générales fixées au 8 octobre, où d’ailleurs les Conservateurs semblent assurés du succès.
Les syndicats ne sont pas plus populaires en Angleterre qu’aux Etats-Unis en ce moment et ils s’en rendent compte. Entre la centrale et le Parti travailliste, le malaise est apparent. Aussi, le Président des T.U.C. a lancé un appel pour de profondes réformes dans les structures et l’action syndicale, en particulier. Ce qui pourrait avoir non seulement sur le Syndicalisme britannique, mais sur l’ensemble du mouvement ouvrier des répercussions considérables. Il a demandé que l’on renonce dorénavant à la grève comme moyen de pression sur les employeurs et qu’on la remplace par d’autres formes d’action revendicative. Il a même parlé de collaborer avec le Gouvernement, quel qu’il soit, pour assure le maintien du plein emploi. Les Syndicalistes anglais ont pris conscience de l’échec de la grève des transports de l’année dernière, échec dû à la mauvaise humeur du public. Ils comprennent aussi qu’en faisant perdre un nombre considérable de journées de travail, la grève abaisse le revenu national et nuit à l’expansion économique dont les travailleurs sont les premiers à bénéficier. Le fait mérite d’être noté. Il est le signe – parmi d’autres – d’une évolution en profondeur des relations sociales dans les pays libres.
CRITON