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Le Courrier d’Aix – 1959-09-19 – La Vie Internationale.
Du Temporel au Spirituel
Le lancement d’une fusée russe sur la lune la veille de l’arrivée de Krouchtchev à Washington est assurément un coup de maître. L’effet psychologique sur l’interlocuteur américain est-il diplomatiquement favorable ? Les avis sont partagés. Le public aux Etats-Unis, dit-on, est beau joueur et prise le succès. Mais si Krouchtchev recherche une certaine détente, Eisenhower, lui, ne sera-t-il pas d’autant plus ferme qu’il ne pourra rien céder devant son peuple, pour ne pas paraître intimidé par la menace ? Et les Américains eux-mêmes, remis en présence du danger, ne demanderont-ils pas de nouveaux efforts pour rétablir l’équilibre ?
La Rencontre de Washington
Quoi qu’il en soit, la conversation est entamée. Les résultats, même positifs, ne peuvent être que limités. Il est peu probable que Krouchtchev, au faite de sa puissance, ayant atteint sa suprême ambition d’être reçu à la Maison Blanche en égal du Président, soit touché par la grâce en voyant les pacifiques Américains à leurs affaires quotidiennes. L’orgueil est aveugle. Qu’on se représente cet homme, d’humble origine, venu au pouvoir par toutes sortes d’intrigues et d’astuces, après avoir été humilié par son maître Staline, pendant tant d’années ; comment ne serait-il pas grisé par le succès ?
Les Relations Sino-Russes
Le nœud du problème n’est pas à Washington, mais à Pékin. Nous y revenons et plus que jamais. Deux faits nouveaux nous y invitent : Moscou a adressé à la Nouvelle-Delhi une note où l’U.R.S.S. déplore la tension sino-indienne et invite les deux parties à régler leur différend à l’amiable ; l’Ambassadeur de l’Inde a eu un long entretien avec Gromyko. A n’en pas douter, les ambitions chinoises gênent la politique russe. L’affaire des frontières de l’Inde venant après celles du Tibet et du Laos, a fait de plus en plus mauvaise impression sur les autres asiatiques. La cause du communisme y a beaucoup perdu. La question tibétaine ira probablement devant l’O.N.U. et l’éclat qu’elle y prendra ne peut que déplaire aux Soviets. Si d’autre part les relations entre l’Inde et la Chine, sans tourner au drame, demeurent tendues et même critiques, Nehru aura, sans nul doute, le monde de son côté.
L’Inde et la Mongolie Extérieure
Par ailleurs, on n’a pas beaucoup remarqué la visite faite à Nehru par le Président de la Mongolie extérieure, Tsedenbal. La Mongolie et l’Inde n’ont pas d’intérêts communs jusqu’ici. De quoi pouvaient-ils parler, sinon de la poussée chinoise. Le pays où Molotov est ou était ambassadeur (on ne sait) est le point de contact le plus disputé entre l’U.R.S.S. et la Chine. Au surplus, il confine au Tibet. Les Chinois avancent en Mongolie, comme au Sinkiang, avec plus de prudence, mais selon la même méthode : la colonisation intérieure. En Mongolie, pour équiper le pays, les travailleurs que l’U.R.S.S. ne peut fournir, pas plus que la Mongolie peuplée de nomades, sont Chinois. Tsedenbal s’appuie sur Moscou. Il est allé en Inde, c’est sur avis du Kremlin.
Deux Impérialismes
Si l’orgueil russe est immense, l’arrogance chinoise, comme dit Nehru lui-même, est sans bornes. Et les gens de Pékin, depuis la disgrâce de Mao, n’ont pas la prudence des Russes. Comme les Japonais d’hier, ils foncent à tombeau ouvert, sans égard aux obstacles. Les Soviets ne peuvent plus utiliser la Chine dans leur stratégie diplomatique, le contrôle de Pékin leur échappe. Nous en sommes là : la suite est imprévisible, elle ne manque ni d’intérêt, ni d’importance.
L’Échec du Communisme en Moyen-Orient
Au Moyen-Orient, la politique soviétique a si peu réussi que l’ambassadeur russe au Caire, Kiseliov, a été limogé. C’est lui qui avait conseillé Nasser, on s’en souvient, au moment de Suez. Depuis, il n’a pas su retenir l’Egypte dans la ligne du Kremlin. Au contraire, Nasser a viré vers l’anticommunisme. Mieux, le voilà réconcilié avec Hussein, le jeune roi de Jordanie qu’il avait menacé de mort, et avec le vieil Ibn Saoud, roi d’Arabie, qu’il avait accusé d’avoir comploté la sienne. Les trois souverains vont remercier Allah à La Mecque pour l’heureux événement.
L’ennemi commun devient (outre Israël, comme il sied) Kassem, l’Irakien, qualifié d’allié du communisme et d’adversaire de l’unité arabe. Par la même occasion, les ministres sympathisants avec la gauche, en Syrie, viennent d’être liquidés. Quant à Kassem, il se maintient en bons termes, tant avec les Russes qu’avec les Anglais, qui, grâce à MacMillan ont fait la paix avec Moscou sur ce point du globe ; on se rappelle comment.
Et en Afrique Noire
En Afrique noire même, le temps où l’on accueillait avec reconnaissance l’aide désintéressée de l’U.R.S.S. et de la Chine est passé. On se méfie. L’ombre du Tibet est passée par là et bien que Nasser ait dans ces régions autant d’ennemis que d’admirateurs, l’Islam y est présent et actif et l’habileté diplomatique de l’égyptien est un exemple qu’on cherche à imiter.
De Gaulle et Eisenhower
Le problème algérien demeure au centre des préoccupations du monde et les intentions du Gouvernement français sont diversement appréciées et cela, pas seulement pour des raisons stratégiques ou diplomatiques ; cela va plus loin. Nos lecteurs seront peut-être intéressés de prendre connaissance d’un article de Volney Hurd, publiciste américain très répandu, sur les conceptions des deux chefs d’Etat, De Gaulle et Eisenhower.
En voici la substance ; pour l’auteur, De Gaulle est un idéaliste mystique, Eisenhower un idéaliste pratique ; il s’explique ; De Gaulle, dans ses mémoires se fait une idée de la France inspirée autant par le sentiment que par la raison. Il lui voit un destin exceptionnel et……………………………………………………………………………….