Criton – 1964-04-11 – Krouchtchev à Budapest

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Le Courrier d’Aix – 1964-04-11 – La Vie Internationale

 

Krouchtchev à Budapest

Le voyage de Krouchtchev à Budapest et la publication simultanée du rapport Suslov sur la crise sino-soviétique mettent un point final à l’unité du Bloc communiste, aussi longtemps du moins que les antagonistes tous deux septuagénaires, Mao et Krouchtchev, demeureront au pouvoir. Les Russes avaient jusqu’ici retardé l’heure de la rupture. Ce n’est qu’après l’échec de la mission roumaine à Pékin conduite par Maurer pour tenter une ultime conciliation que les Soviets ont décidé de proclamer la lutte contre le schisme chinois. Malgré tous les risques que cet affrontement public comporte pour l’Empire russe, il ne leur était plus possible de laisser se développer au sein des partis frères des factions rivales. Chacun désormais devra se prononcer pour ou contre Moscou. L’embarras est manifeste pour certains dont le P.C. italien qui en optant pour Moscou se trouve débordé à gauche par les révolutionnaires irréductibles. Togliatti, pour éviter un débat interne, s’est fait porter malade.

 

Le Choix de la Hongrie

C’est donc un Krouchtchev sombre et d’humeur irritable qui a prononcé en Hongrie des discours vengeurs contre ceux qui préfèrent à l’amitié des peuples « la hache et le couteau ». Et cela devant les mêmes ouvriers hongrois qui voyaient les leurs écrasés par les tanks russes en 1956. Il semble qu’il n’y ait eu dans l’auditoire ni applaudissement, ni murmures. Si la Hongrie a été choisie, c’est que le régime Kadar est celui, de tous les satellites, qui s’est le plus libéralisé et où grâce à la pression des mases, les conditions de vie se sont améliorées depuis la tyrannie de Rákosi. Krouchtchev exploite ce mieux, il a couvert Kadar d’éloges et fait dans ses discours le mouvement le plus marqué vers l’entente avec l’Occident. Kennedy et Johnson sont des gens raisonnables, a-t-il dit, et comme il faut bien que l’impérialisme demeure quelque part, il reste le Pentagone et les revanchards de Bonn.

Ce qu’on en retiendra surtout, c’est l’aveu répété que les méthodes des pays capitalistes ont du bon et qu’il faut les leur emprunter pour développer le bien-être. Cette insistance n’est pas seulement tactique, c’est-à-dire faire miroiter devant les peuples la venue de l’âge d’or du socialisme, mais l’aboutissement d’une évolution intérieure. Avec un peu d’habitude on arrive à distinguer dans les propos des hommes d’Etat, même communistes, ce qui est sincère de ce qui est propagande. Krouchtchev a pris la mesure de ses multiples échecs. Il sait que la crise actuelle de l’économie soviétique n’est pas le résultat de simples erreurs de calcul mais des méthodes d’organisation du système. Comme beaucoup, il ne les croit plus efficaces et dans la mesure du possible il voudrait les modifier, c’est-à-dire faire entrer les règles du capitalisme dans le cadre du collectivisme d’Etat. Il a sur ce point, et il le sent, l’appui de la rue. Mais il a à compter avec les privilégiés du régime et les tenants de la vieille garde. C’est pourquoi Suslov, son porte-parole, a annoncé en passant l’exclusion du Parti des Molotov, Malenkov et Kaganovitch dont on avait perdu la trace. Par contre, pour faire face aux Chinois, Krouchtchev est obligé de battre le rappel des fidèles et d’imposer à nouveau la direction du Parti soviétique aux gouvernements satellites, et c’est là que les difficultés commencent : seuls les Bulgares et les Hongrois y sont tout acquis et, par force, Ulbricht. Mais à Prague, à Varsovie, à Bucarest surtout, le resserrement de l’autorité russe n’ira pas sans heurts.

 

Les U.S.A. : Panama et le Brésil

Tout se tient dans notre monde rétréci et le schisme des communistes s’ajoutant aux revers de leur économie en regard de la prospérité croissante des pays les plus capitalistes fait pencher la balance en faveur des Etats-Unis là même où leur influence paraissait menacée. Panama d’abord où Johnson fait état d’un complet accord après les émeutes récentes, et plus encore le Brésil avec la chute du président Goulart. Celui-ci avait tenté, avec l’aide de son bruyant beau-frère Brizzole d’ameuter à son profit les masses populaires et les syndicats extrémistes, une manifestation monstre avait eu lieu sur son ordre et, à Pâques, une révolte des marins subalternes avait mis en émoi les cadres supérieurs des trois armes. Un pronunciamiento a suivi dans la pure tradition sud-américaine. Les généraux ont renversé Goulart qui s’est enfui en Uruguay, et tout en respectant la Constitution, c’est un général, Branco, qui va assumer la présidence.

Ce qui frappe dans ce scénario familier, c’est l’absence totale d’opposition au coup d’Etat. Pas un coup de feu, ni une goutte de sang, pas de meeting de protestation. Cela à rapprocher des élections récentes au Vénézuela où les terroristes n’ont pas davantage réagi. Et cependant, on sait combien les réformes sociales, à commencer par la réforme agraire, sont pressantes au Brésil et qu’on ne peut guère compter sur Lacerda et ses amis pour les réaliser. Il faut donc admettre que la foi dans les méthodes extrémistes est trop affaiblie pour pousser les foules à descendre dans la rue, que l’ordre présent, si injuste qu’il soit, est moins insupportable que ne le serait l’autre dictature. Un prochain banc d’épreuve sera l’élection présidentielle au Chili où jusqu’ici toutes les chances vont au candidat des gauches anti-yankee, Allende. Là, l’enjeu est sérieux : les mines de cuivre contrôlées par les grandes sociétés des U.S.A.

 

L’Abdication du Roi Saoud

Dans le rapprochement des chefs du Monde arabe dont nous avons marqué l’intérêt, un épisode attendu : l’abdication du roi Ibn Saoud en faveur de son frère l’Émir Fayçal qui entretient avec Nasser des relations qui paraissent cordiales. L’Arabie Saoudite, c’est le coffre-fort du pétrole à l’Est ; à l’Ouest, c’est la Lybie où l’influence nassérienne s’exerce également. Le roi Idriss abdique aussi, et l’agitation s’accroît pour exiger l’abrogation des traités qui permettent aux Anglais et aux Américains de conserver leurs bases militaires en Lybie. Les Anglais sont plus inquiets que les Américains dont la politique arabe est plus nuancée.

Au Yémen où Nasser maintient ses soldats, l’accord semble fait entre Fayçal et l’Egyptien : les Britanniques menacés à Aden toute proche ont bombardé un fort aux confins de leur protectorat qui servait de base aux incursions des Yéménites. L’affaire a provoqué des remous dans l’opinion anglaise et même au sein du Cabinet : la pince nassérienne dont les branches vont du Golfe Persique aux frontières tunisiennes peut-elle écraser les positions des Anglais et mettre en question leurs intérêts pétroliers ? La force militaire peut-elle être employée efficacement ? Et voilà qu’on parle d’un voyage du Général de Gaulle au Caire pour compliquer ce jeu perpétuel des influences en Proche-Orient. Jusqu’ici tant d’intrigues en sens divers n’ont pas changé grand-chose aux positions établies. Elles se sont en quelque sorte neutralisées. En sera-t-il encore de même ? Le pronostic n’est pas sans risque.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1964-04-04 – Conférence du Commerce de Genève

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Le Courrier d’Aix – 1964-04-04 – La Vie Internationale

 

La Conférence du Commerce de Genève

Faute d’événement diplomatique majeur, la Conférence Internationale du Commerce qui se tient à Genève mérite examen. Elle doit durer trois mois, elle réunit les délégués de 123 pays et, si l’on n’en attend guère de résultats positifs d’importance, elle constitue déjà une confrontation des positions les plus diverses. Il y a là en effet les pays industriels dont les vues sont loin d’être semblables, les pays de l’Est avec l’U.R.S.S. et les pays sous-développés qui dans une certaine mesure forment un bloc, celui des revendications. On s’attendait à un débat académique d’une part, c’est-à-dire à l’affirmation de principes généraux sans portée politique, d’autre part à des morceaux d’éloquence politique sur les thèmes habituels : colonialisme et néo-colonialisme , droit à l’assistance des pauvres par les riches, etc…

En fait, l’ambiance a été beaucoup moins polémique. Il y avait pour cela de bonnes raisons : d’abord le conflit sino-soviétique, dont la virulence s’est exprimée à la Conférence d’Alger et qui a plongé les afro-asiatiques dans la confusion, mais surtout le courant hostile aux prodigalités qui s’est manifesté aux Etats-Unis et en France : le Sénat américain qui a déjà réduit l’aide au Tiers-Monde à 3 milliards de dollars a fait savoir au Président qu’elle le sera davantage cette année, et Johnson se contente de demander 3 milliards 400, sans doute pour n’en obtenir que deux, comme il est d’usage.

En France, on sait le retentissement des articles de Cartier dans « Match » contre l’ampleur et le gaspillage de l’aide que nous distribuons outre-mer. De l’autre côté du rideau de fer aussi, on est assez déçu des résultats politiques que l’on attendait de l’assistance fournie. Les Russes sont encore moins généreux que les Occidentaux, même proportionnellement à leurs ressources et ils sont maintenant en concurrence en Afrique et en Asie avec les Chinois qui tirent les marrons du feu de la propagande communiste que l’U.R.S.S. et ses satellites avaient organisée à grands frais. Enfin, il y a eu Cuba qui coûte cher et ne paye pas de retour. Les démêlés actuels de Castro avec ses compagnons de route communistes font craindre qu’il ne tourne au neutralisme et même à un accommodement avec les U.S.A. si ceux-ci s’y prêtaient. Telles sont les données de fait avec lesquelles les pays sous-développés ont à compter à Genève : les revendications outrancières risquent d’importuner davantage des donateurs mal disposés.

Dès l’abord, la douche froide est venue de M. Ball. Le délégué des Etats-Unis a précisé qu’à l’aide que les pays sous-développés sollicitent doit correspondre un égal effort de leur part et qu’ils doivent donner aux capitaux privés qui s’investissent chez eux des garanties de sécurité sans lesquelles ils s’abstiendront, que les dons qu’ils reçoivent ne peuvent être accordés sans contrôle de leur emploi sans justification de la contribution qu’ils apportent à leur progrès économique, autrement dit pour que les fonds ne servent pas en priorité à l’entretien et au luxe de la nouvelle caste dirigeante de ministres et de bureaucrates comme c’est le plus souvent le cas. Quels que soient les résultats de la Conférence de Genève, et personne n’en attend grand-chose, il est clair que l’aide directe gouvernementale ira en s’amenuisant. Par contre, les pays demandeurs bénéficieront de la concurrence que se font les pays industriels dans la recherche de débouchés. C’est à qui offrira les meilleures conditions et les crédits les plus longs pour placer coûte que coûte une production excédentaire, et les Gouvernements pour soutenir l’expansion octroieront les garanties nécessaires. Quant aux matières premières que les pays sous-développés exportent, aucun plan ne saurait les stabiliser : l’abolition du régime colonial les a livrés sans défense au jeu de l’offre et de la demande dont la puissance tutélaire les protégeait dans une large mesure. Ils constatent aujourd’hui tout ce qu’ils y perdent.

 

Le Programme du Sénateur Fulbright

La politique extérieure des Etats-Unis demeure intense : durcissement ou immobilisme ? embarras surtout. Le sénateur Fulbright, démocrate a jeté une pierre dans cette mare : il est pour la souplesse. Que ce soit à l’égard de la Chine rouge, de Panama, du Vietnam ou de Cuba, il croit que les Etats-Unis doivent s’accommoder des situations présentes qui sont plus désagréables que vraiment périlleuses. Il faut sortir des obsessions et négocier avec ceux qu’on ne veut pas abattre. Il n’est pas impossible de trouver avec Castro une forme de coexistence, de donner aux Panaméens quelques satisfactions, d’éviter d’étendre la guerre au Vietnam, de commercer avec les pays communistes, puisque l’on ne peut empêcher les Européens de le faire à notre place et, même sans reconnaître Pékin, ne pas fermer la voie à des rapports futurs que des circonstances nouvelles peuvent permettre. Les adversaires républicains verront là un programme de faiblesse. Il se peut que le président Johnson ait favorisé ces déclarations pour mieux s’y opposer en public. En période électorale, les voies de la politique sont tortueuses. Sauf aux heures de périls, le pouvoir aux Etats-Unis a toujours oscillé entre mous et durs pour tomber le plus souvent entre les deux, comme Kennedy devant Cuba ou Truman en Corée. La puissance des Etats-Unis est immense. En temps de paix, ils n’ont jamais su s’en servir. C’est un instinct bien connu : la faiblesse montrée par les forts les fait haïr.

 

Le Bilan de la General Motors

Puissance immense, disons-nous et surtout économique. La plus grande entreprise du monde, la « General Motors », vient d’acheter à titre publicitaire une page entière de chacun des plus grands journaux européens pour diffuser son bilan. Il vaut en effet qu’on le commente : Chiffre d’affaires 8 mille milliards d’anciens francs ; bénéfice net 800 environ, soit près de 10% ; dividende de 2.000A.F. par action. Des records absolus naturellement. Ce champion du monde du capitalisme ne se porte pas mal, comme on voit, et ceux qui le suivent aux Etats-Unis offrent un tableau analogue, 640.000 personnes dans le monde vivent de cette entreprise géante et vivent bien.

Le secret de cette réussite est simple : une bonne gestion sans doute, mais pas meilleure que d’autres. Surtout une législation qui laisse aux entreprises de gros bénéfices permettant d’investir à volonté selon la demande escomptée de renouveler rapidement l’outillage pour n’utiliser que le plus perfectionné, offrir une rémunération croissante du capital qui invite à l’épargne, instrument indispensable ; de hauts salaires qui permettent d’exiger une haute productivité. La prospérité des Etats-Unis est pour l’heure à un sommet jamais égalé dans leur histoire.

De l’autre côté en U.R.S.S., on est plus bas depuis 1957 : le sixième de la terre ferme du globe avec seulement 220 millions d’habitants dont 40% de paysans, et ce pays n’arrive pas à nourrir sa population !! On cherche fiévreusement des gisements d’or en U.R.S.S. pour payer le blé acheté aux pays capitalistes.

Le lecteur va nous dire : vous rabâchez sans doute. Mais nous qui sommes entre les deux mondes réfléchissons : il n’y a que trois voies possibles : 1°- suivre les méthodes d’Outre-Atlantique, comme nos voisins allemands ; 2°- imiter le système collectiviste ; 3°- adopter une politique économique propre, mais alors pour n’être ni écrasés par les premiers, ni satellisés par les second s’isoler du reste du monde, en relevant un mur douanier qu’on a eu tant de peine à abaisser. Que l’économiste qui sait une quatrième solution nous la dise : chiche !

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1964-03-28 – De Gaulle au Mexique

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Le Courrier d’Aix – 1964-03-28 – La Vie Internationale

 

Le Voyage au Mexique

Les Américains qui voyaient dans le voyage du Général de Gaulle au Mexique une manœuvre dirigée contre leur influence, en sont venus à une plus juste appréciation. Ils ont remarqué d’abord la réserve et la prudence du président Lopez Mateos à laquelle son hôte a dû faire écho : quant aux acclamations populaires, qui n’égalaient pas celles qui accueillirent Kennedy en 1962, les Américains ont reconnu qu’il valait mieux qu’elles aillent au représentant d’un pays libre qu’aux émissaires de Castro. Il en sera de même, à des degrés divers, pour les prochaines visites du Général dans le Sud du Continent américain où les appels à l’indépendance nationale seront entendus avec plaisir par ceux qui trouvent la pression  des Yankees un peu lourde et qui sont le plus souvent les mêmes qui redoutent une révolution qui atteindrait leurs privilèges ou les mettraient sous la dépendance d’une dictature communisante.

Au surplus, dans l’état présent des charges et des ressources disponibles de la France, l’appui matériel qu’elle peut offrir à l’Amérique latine est très limité en regard du potentiel des Etats-Unis. Dans ce domaine, la visite du Président de l’Allemagne fédérale aura plus de poids sans changer toutefois le fait fondamental : le développement de l’Amérique latine dépend de l’apport des Etats-Unis, lié lui-même à la stabilité interne de chacun des pays qui la composent. Malheureusement pour la plupart d’entre eux, les divisions internes et l’instabilité monétaire rendent l’apport de capitaux extérieurs peu attrayant pour les investisseurs et en outre stérile pour le bénéficiaire – l’échec jusqu’ici de « l’Alliance pour le Progrès » lancée par Kennedy n’a pas d’autres causes. Sans ordre, sans confiance, sans monnaie stable, c’est plutôt à un désinvestissement et à un appauvrissement que l’on assiste. A cet égard, toutes les conférences en cours à Genève, à Alger ou à Colombo, qu’elles s’inspirent du capitalisme ou du marxisme, ne seront qu’échanges de projets et de discours. Attendons pour parler de celle de Genève qui durera trois mois.

 

Le Conseil de Solidarité Afro-Asiatique à Alger

Celle d’Alger, où dominent Ben Bella et Sékou Touré, ce sont en coulisse les rivalités de Pékin et de Moscou qui l’orientent : la phraséologie révolutionnaire masque les divergences. Sékou Touré, pionnier de la première heure de l’indépendance africaine, est à Conakry, tenu par ses adversaires pour un progressiste bourgeois. Ben Bella lui-même qui reçoit de l’aide des deux camps et prononce encore le mot de coopération avec les colonialiste est déjà suspect aux éléments prochinois, congolais, camerounais, angolais pour l’Afrique, indonésiens, néozélandais, cingalais, coréens du Nord pour l’Asie et l’Océanie. Dans les assemblées de cet ordre, on trouve toujours un plus rouge que soi qui n’attend qu’une occasion pour vous épurer.

Quoiqu’il advienne, Alger par cette manifestation a tenu ses promesses de devenir le centre de la révolution africaine, ce que ni Le Caire, ni Léopoldville n’ont pu faire. Cette évolution, de modestes habitants de l’Algérie française l’avaient dès le début de la révolte prophétisée. Nous avions, en son temps, relevé leurs propos. Il n’y avait que les officiels pour n’y pas croire. Tout ce qui renforce le prestige de Ben Bella ne fait que précipiter cette fatalité.

 

L’Aide Anglaise et Américaine à l’Algérie

Ben Bella tire parti de la rivalité sino-russe et plus concrètement de la rancœur des Anglo-Saxons contre la politique gaulliste à leur égard. C’est une société britannique avec la garantie financière du Gouvernement de Londres qui se chargera de la construction du troisième pipeline des pétroles sahariens que devait réaliser une Société française. Les Américains fourniront pour les installations d’Arzew, vingt millions de dollars. Grâce à ces concours, ce qui fut le pétrole français deviendra peu à peu algérien et même africain si les Chinois réalisent la route du désert qui reliera l’Algérie à l’Afrique Noire, que ce soit par représailles contre la France ou pour éviter que l’Algérie ne dépende exclusivement des communistes, l’un et l’autre sans doute. Il est clair qu’une politique de coopération aurait pu empêcher ce que nous vaut la politique dite d’indépendance nationale : politique qui n’a aucun sens dans le complexe du monde actuel et qui en a bien moins encore au regard des ressources dont nous disposons. En France même, les yeux peu à peu s’ouvrent.

 

Le Sauvetage de la Lire

Rien ne l’illustre mieux que le sauvetage de la Lire intervenu ces jours-ci au profit de l’Italie et par le concours des U.S.A. Malgré le déficit de la balance américaine des paiements, les Etats-Unis ont mis à la disposition de l’Italie un milliard de dollars auxquels s’ajoute l’appui du Fonds Monétaire International pour 225 millions. C’est à Washington et non auprès de ses partenaires de la C.E.E. que le Gouverneur de la Banque d’Italie, Carli, s’est adressé. Pourtant, l’Allemagne fédérale regorge de devises qu’elle a peine à stériliser et Paris aurait pu faire quelque chose. Cette démarche en dit assez sur l’état présent du Marché Commun dont le nom d’ailleurs comme jadis celui du Benelux commence à s’estomper dans les références de la presse internationale. Mieux, dans ce milliard de dollars, figure une avance de la Commodity Credit des U.S.A. qui va permettre à l’Italie de recevoir, sans les payer comptant, les matières premières nécessaires à son industrie et des produits agricoles qui lui manquent. Nous sommes curieux de savoir comment s’harmoniseront ces avantages avec les règlements élaborés à Bruxelles, en particulier les fameux prélèvements. La solidarité européenne n’a jamais été aussi démentie. Est-ce cela que l’on a cherché ?

 

Le Japon Rend Sa Monnaie Convertible

Un événement qui n’a pas suscité grand commentaire vient de se préciser dont la portée est, à long terme, considérable. Le Japon va, le 1er avril, rendre sa monnaie, le Yen, pleinement convertible : le Japon devient membre de l’organisation de coopération économique européenne (O.C.E.A.) dont les Etats-Unis et le Canada font aussi partie. Voici donc le Japon troisième pilier du Monde libre avec l’Amérique et l’Europe. Si la politique n’y faisait obstacle le quatrième devrait être l’Union Africaine. Cette entrée du Japon dans l’Occident sera au surplus pour l’économie de marché pour le capitalisme, un renfort de première grandeur.

On sait sa croissance fabuleuse depuis la défaite de 1945. Depuis 1950, la production a cru près de trois fois et demie. Premier pour la construction navale, second pour l’électronique et les textiles synthétiques après les U.S.A., troisième pour l’acier dans le Monde libre, et bientôt second aussi, le Japon libéré des restrictions qui l’isolaient va devenir un concurrent prépondérant dans la lutte pour les marchés extérieurs. Ne voyons-nous pas ses produits dans nos vitrines ? Ce sera aussi un bon client. Mais grâce à la frugalité et à la discipline de sa main-d’œuvre, à la puissance de ses trusts si décriés mais si efficaces, le Japon va mettre à rude épreuve les pays industriels d’Europe qui s’enlisent dans l’agitation sociale et l’inflation chronique.

Le défaut de la cuirasse est pour le Japon le manque de capitaux qu’exige une expansion trop rapide, malgré l’ampleur sans égale de son épargne intérieure. Mais il en trouvera qui seront attirés par cette ténacité dans l’effort et cette rigueur dans l’organisation. Ce péril jaune-là est peut-être plus réel que l’autre. Un économiste qui n’est pas un humoriste disait : « Vous verrez : le Japon vendra du riz en Camargue ». De fait, avec 4, 6 millions d’hectares cultivables pour nourrir cent millions d’hommes, le Japon arrive à garantir 80% de ses besoins alimentaires. C’est avec ces miracles-là qu’il faut compter. Revenus de leurs ambitions militaires, l’Allemagne et le Japon ont cherché une compensation dans la puissance économique. L’effort et la discipline qu’elle exige ne sont pas moins difficiles que l’autre. C’est une leçon qu’à notre tour il faudra tôt ou tard apprendre. Sinon, la grandeur restera verbale et le réveil douloureux.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1964-03-21 – Tension Franco-Allemande

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Le Courrier d’Aix – 1964-03-21 – La Vie Internationale

 

Chypre

Ce serait anticiper que de voir l’affaire de Chypre en voie de règlement. Cependant, la fièvre est tombée après l’ultimatum d’Ankara à Makarios le menaçant d’un débarquement turc et celui adressé à l’O.N.U. par les Anglais prêts à replier leurs troupes sur leurs bases : l’un et l’autre ont précipité l’envoi d’une force internationale que toutes les parties ont salué comme un succès pour leur cause. Beaucoup d’émotions sans doute, mais pour nous il était clair dès le début que ni la Grèce ni la Turquie ne voulaient mettre la paix en question pour Chypre. Elles s’y seraient ruinées et la saison touristique approche, ressource essentielle pour la Grèce et dont la Turquie à son tour voudrait profiter. Le sens des affaires en Orient tempère les passions.

 

La Tension Franco-Allemande

Il est des cas où au contraire il les exaspère : on ne saisissait pas clairement les raisons qui avaient opposé le chancelier Erhard au bourgmestre de Berlin Willy Brandt, de leur entrevue orageuse puis, semble-t-il, de leur accord. L’affaire venait de Paris. Le Gouvernement français déniait à celui de Bonn une compétence quelconque dans les problèmes de Berlin ; de plus, il avait encouragé le Sénat de Berlin, dans l’affaire des laissez-passer, à multiplier les contacts avec Pankow. Le journal « Le Monde » devenu officieux y a publié une longue déclaration d’Otto Winzer, vice-ministre des Affaires étrangères de Pankow, où toutes les thèses soviétiques sont défendues avec habileté.

Une mission parlementaire française, quoiqu’ostensiblement désavouée, avait visité Berlin-Est. Un groupe d’industriels l’avait précédée et depuis, on apprenait que deux usines complètes de produits chimiques allaient être installées par des firmes françaises en Allemagne orientale. On pense qu’un bureau permanent va être établi à Berlin-Est pour intensifier les relations commerciales et que les échanges vont se régler sur les plans du Comecon, c’est-à-dire sur le Marché Commun des satellites dirigé par les Soviets. C’est ce qui se serait discuté au cours de la mission Giscard d’Estaing à Moscou et serait mis au point dans un prochain voyage d’Edgar Faure. Ainsi, la zone d’occupation russe en Allemagne dépendrait moins des livraisons de l’Allemagne fédérale qui se verrait enlever des commandes au profit de l’industrie française.

On devine l’inquiétude à Bonn qui à deux reprises a demandé à Paris si on n’entendait pas préparer ainsi la reconnaissance officielle de la D.D.R. comme celle de la Chine de Pékin. Le Gouvernement français l’a jusqu’ici nié, mais par contre a fait savoir à Erhard que la question de Berlin tout comme celle de la réunification de l’Allemagne étaient de la seule compétence des quatre Puissances intéressées, U.R.S.S. par conséquent comprise.

Un an après la signature du pacte franco-allemand, on comprend qu’à Bonn la déception soit cruelle. On cherche à la dissimuler. Après tout, les hommes passent. Cette ténébreuse affaire explique aussi la note violente envoyée récemment par Moscou au Gouvernement Erhard, les « revanchards de Bonn » se trouvent pris entre deux feux : l’histoire se répète.

 

L’Apathie des Etats-Unis

Du côté américain, on paraît plutôt désemparé. On a besoin de l’Allemagne pour étayer le Dollar et les banques allemandes ont ces jours-ci mis en vigueur d’ingénieux systèmes pour stériliser l’afflux des dollars en Allemagne provoqué par l’excédent croissant de sa balance commerciale. Mais la politique extérieure passe au second plan à Washington. Le président Johnson fait piètre figure à la T.V. et il a fort à faire avec ses adversaires à l’intérieur de son Parti, en particulier le clan Kennedy dominé par le frère de l’ex-Président ; Johnson est un texan, un homme du Sud que les Démocrates du Nord n’aiment guère et sa candidature à l’élection de novembre est sourdement combattue. De plus, l’opinion américaine, isolationniste d’instinct, est de plus en plus énervée par les mauvais procédés de ses alliés et de tous les bénéficiaires de la manne du Dollar. Le récent saccage de l’Ambassade américaine à Phnom-Penh et les difficultés au Vietnam Sud ajoutent au malaise. Malgré l’optimisme de McNamara, retour de sa tournée là-bas, on s’inquiète de l’évolution de la guerre et du sang américain qui y est versé chaque jour.

Les problèmes intérieurs ont repris le dessus : Johnson veut s’attaquer à ce qui reste de pauvreté aux Etats-Unis où une famille est pauvre au-dessous de 1.500.000 anciens francs par an. 20% environ du total sont encore dans cette triste situation. Il faut que la prospérité accrue par les récents abattements d’impôts (11 milliards de dollars) résorbe au maximum ce reste de misère qui pour un bon quart touche les Noirs. Cette tendance au repliement sur soi n’est  pas particulière aux U.S.A. Si riche que soit un pays, il reste des zones de sous-développement à réduire.

 

Contre la Civilisation Occidentale

On ne saurait trop méditer la parole de Chou en Laï que nous avons citée ici : le but qu’il poursuit c’est l’élimination en Asie et en Afrique de la civilisation occidentale, c’est-à-dire la civilisation chrétienne et judéo-chrétienne, c’est-à-dire les valeurs que les croyants ont répandues et que les non-croyants ont fait leurs. Ce qui le démontre bien, c’est que ce sont les missions chrétiennes qui sont attaquées systématiquement. Au Congo belge, c’est elles que les bandes de Mulele guidées par Pékin ont ruinées. Du Soudan méridional, on a vu rentrer en Europe, expulsées, de longues files de missionnaires. La persécution est générale, aussi bien en Russie Soviétique où la campagne d’athéisme redouble, où chrétiens et juifs sont l’objet de mesures de répression, qu’en Chine et jusqu’au Pakistan oriental témoin de récents massacres de chrétiens, l’Islam poursuit le même but.

En Algérie, en dépit des cordialités échangées au Château de Champs pour commémorer les accords d’Evian, Ben Bella, après s’être débarrassé des derniers Français lorsqu’il n’en aura plus besoin, entend islamiser complètement le pays et substituer à notre langue l’arabe à tous les degrés de l’enseignement. Dans les pays d’Afrique Noire anglophone et francophone, lorsque les maitres actuels éduqués en Europe auront été éliminés – ce qui n’est qu’affaire de temps – ç’en seront d’autres formés à Pékin ou à La Havane (comme c’est le cas pour Zanzibar) qui entreprendront d’établir dans leur langue propre, une « civilisation » de leur cru ; la preuve : les émissions puissantes de Pékin que l’on peut entendre ici même en langue vernaculaire, Swahili, Haoussa, etc., et les écoles de journalistes qu’ils forment sur place à Bamako et ailleurs. On voit déjà Brazzaville, berceau historique de la décolonisation gaulliste, passer au camp de l’Est et se retirer de l’Union africaine et malgache. Bien entendu, toutes ces tentatives ne sont pas assurées de succès et elles rencontrent des résistances. Nous sommes même persuadés qu’avec le temps, notre civilisation se rétablira par ce qu’elle apporte aux hommes d’irremplaçable. Nous voulons montrer seulement que toute politique qui divise notre Monde occidental fait le jeu de ceux qui veulent sa ruine. Ce qui est affligeant, c’est qu’il faille le dire.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1964-03-14 – Mésentente quasi générale

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Le Courrier d’Aix – 1964-03-14 – La Vie Internationale

 

Il règne actuellement dans le monde une mésentente à peu près générale d’un côté comme de l’autre du rideau de fer, et cela aussi bien en matière économique que politique. Ici des conflits ouverts : Vietnam, Chypre, Inde-Pakistan, Malaysia-Indonésie, ailleurs des tensions diplomatiques d’acuité diverse, les uns au bord de la rupture, les autres en tiraillements continuels. Les optimistes diront que pour la paix ces discordes disséminées sont moins périlleuses qu’un affrontement de deux Blocs bien soudés. Comme on s’est accoutumé à la guerre froide, on restera de sang-froid devant ces multiples querelles ; par leur nombre, elles s’annulent en quelque sorte et les Grands ne peuvent s’engager partout de peur de s’affronter.

 

L’Apparente Unité Arabe

Il y a cependant une exception : les Pays arabes. Depuis la réunion au sommet du Caire, un vent de concorde souffle parmi eux ; les spécialistes du Moyen-Orient en sont déconcertés, habitués qu’ils étaient à leurs rivalités perpétuelles. ; Les faits sont là : l’Arabie Saoudite et l’Egypte ont fait la paix au sujet du Yémen, l’Irak avec les Kurdes, la Jordanie avec Nasser, Ben Bella avec Hassan II. Même la Syrie se dit prête à l’union avec l’Egypte et l’Irak. Beaucoup demeurent sceptiques : ces accords sont plus spectaculaires que réels et ils sont surtout dirigés contre l’ennemi commun Israël ou à défaut les « impérialistes » dont on ne sait trop qui en fait partie. Il est cependant certain que le Monde arabe s’efforce de dominer l’instinct de discorde qui lui est naturel, considérant la puissance et les avantages que lui vaudraient son union surtout en face du reste du monde si divisé. Nasser en renonçant à la domination de l’arabisme joue maintenant la carte de l’union entre égaux et jusqu’ici il semble y parvenir.

 

Chypre

Revenons aux conflits aigus ou plutôt n’insistons pas ; on est las de répéter que rien ne s’apaise et que tout y va de mal en pis, à Chypre surtout. M. Thant croyait bien pouvoir mettre sur pied un contingent de Casques bleus et désigner un arbitre pour tenter ensuite une solution politique. Mais les pays désignés ne montrent aucun empressement et l’arbitre désigné, un fonctionnaire de l’O.N.U., est d’avance récusé ; et puis l’O.N.U. est financièrement sans ressources. Elle a déjà le Congo et la zone de Gaza sur les bras, le Congo ex-belge surtout où sa mission n’a guère brillé. Les Neutres se décideront-ils ? Nous l’ignorons encore : la tâche est ingrate et onéreuse et peut-être finalement stérile. Makarios cependant a fait quelques déclarations rassurantes. Il se rend compte que sa dignité ne l’autorise guère à assister sans s’interposer à un massacre entre les deux ethnies. Les Anglais, de leur côté, sont las d’une tâche impossible qui ne leur vaut que des affronts. Voilà. Quant aux autres, que peut-on en dire, sinon qu’ils échangent coups et invectives. Jusqu’où est-ce sérieux, sinon pour les victimes ?

 

L’Agriculture Soviétique

A l’Est, quoi de nouveau ? M. Krouchtchev vient de consacrer à l’agriculture soviétique un nouveau discours fleuve, six pages bien tassées des « Izvestia », pour nous dire qu’elle va fort mal, discours plein d’anecdotes qui en disent long sur la gabegie des kolkhoses et des sovkhozes. Le remède, eh bien, c’est d’appliquer à l’agriculture le système du capitalisme du XIX° siècle, payer les travailleurs des champs selon leur rendement, autrement dit payer les bons ouvriers mieux que les mauvais. Krouchtchev ne nous dit pas comment l’appliquer et par qui. Dans un labeur de groupe comme celui des fermes collectives, il est bien difficile de faire des distinctions, et celui qui les appliquerait ne soulèverait-il pas des inimitiés qui se retourneraient contre lui ? Les Exemples abondent eu U.R.S.S. où ceux qui font du zèle sont promptement éliminés ou découragés par le groupe solidaire contre les exigences de l’Etat.

Autre innovation qui concerne aussi bien l’agriculture que l’industrie : le passeport de travail. Un vieil adage là-bas définit l’homme : une âme, un corps et un passeport. Il date du temps des tsars. Il existe déjà en U.R.S.S. un livret de travail que tout citoyen doit conserver et présenter chaque fois qu’il sollicite une embauche. En pratique, ceux qui changent d’emploi l’ont toujours perdu, et les usines qui manquent de bras n’insistent pas. D’où ce qu’on appelle en U.R.S.S. par euphémisme la fluidité de la main-d’œuvre. C’est ainsi que dans certaines entreprises, un tiers, parfois la moitié, du personnel s’éclipse en une année et presque autant d’ingénieurs et de cadres s’en vont, remplacés par d’autres qui doivent à leur tour s’adapter au métier. Aussi, les plaintes des dirigeants affluent. Ils excusent ainsi la productivité médiocre de leur affaire.

Le nouveau passeport sera un véritable « curriculum vitae » du possesseur. On y lira non seulement son identité mais ses qualités professionnelles et toutes les appréciations sur ses aptitudes et sa conduite que ses employeurs seront tenus d’y faire figurer et chaque entreprise devra en conserver le double. Grâce à ce système, il n’y aura plus d’oisifs, ni de ces migrateurs qui changent de place dès qu’un travail ne leur convient pas. Il est probable que ce nouveau règlement sera inefficace grâce à la complicité qui règne à tous Les échelons. S’il était appliqué, cela reviendrait au travail forcé étendu à l’ensemble des travailleurs. Un ouvrier mal noté ne pourrait trouver d’emploi nulle part et serait fixé au labeur qu’on lui aurait assigné et cela obligerait l’entreprise à le garder. Staline avait déjà donné un ordre semblable. Ce qui n’avait pas amélioré le rendement.

 

La Convergence des Systèmes

Nous procédions à l’étude de ce passeport de travail quand nous lûmes, sous la plume d’un de nos plus célèbres professeurs, qu’à notre époque où le capitalisme se meurt, une convergence se dessine entre le collectivisme de l’Est qui se libéralise et notre socialisme occidental qui s’en rapproche par le développement de la planification. Peu à peu, affirme-t-il les deux systèmes finiront par se ressembler, voir à se confondre.

Rien en réalité ne vient appuyer une telle affirmation. Sans doute les pays communistes se rendent compte que leur système ne fonctionne pas à souhait et qu’il faudrait emprunter au capitalisme (non à la social-démocratie) ce qu’il a de bon. Krouchtchev l’a redit encore. Mais en fait, chaque fois que le Comité Central adopte des mesures de redressement, c’est toujours dans le sens d’une réglementation plus étroite. Les dirigeants, Krouchtchev le premier, ne cessent de fulminer contre la bureaucratie et régulièrement adoptent de nouveaux décrets qui renforcent son pouvoir et multiplient les inspecteurs et leurs employés. En fait de libéralisation, le passeport du travail en est un fameux exemple !

C’est devenu aussi un dogme qu’on enseigne : le capitalisme va vers sa fin. Or les pays qui dominent l’économie du monde dont le développement se poursuit sans à-coups dont la prospérité va croissant, où le niveau de vie général s’élève régulièrement et en ordre sont des pays capitalistes. Les Etats-Unis d’abord et surtout, mais aussi le Japon, l’Allemagne fédérale, l’Afrique du Sud, le Canada, la Belgique, la Hollande, la Suisse et même l’Espagne et en petit Hong-Kong, Formose. Au contraire, ceux qui s’aventurent vers le « socialisme démocratique », connaissent des difficultés, l’inflation, les crises financières, l’agitation sociale, tels en ce moment la France et l’Italie. Dans la compétition internationale sévère d’aujourd’hui, ils perdent pied peu à peu. Il nous serait facile d’aligner des chiffres à l’appui. Mais les mythes seront toujours plus forts que les faits : le malheur est qu’on les enseigne et que les générations qui montent finissent par y croire.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1964-03-07 – Règlement à Chypre

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Le Courrier d’Aix – 1964-03-07 – La Vie Internationale

 

Règlement à Chypre

Chypre, encore Chypre, va-t-on enfin n’avoir plus à s’occuper de cette île sanglante ? Les Gouvernements d’Athènes et d’Ankara comme ceux de Londres et de Washington en seraient soulagés. N’était l’entrée en jeu des Russes, un compromis ne devrait pas tarder. En effet en 1960, les émeutes avaient un sens. Le général Grivas et son E.C.K.A. voulaient le rattachement de l’Île à la Grèce. Aujourd’hui, Chypre est indépendante et la Grèce comme la Turquie s’en accommodent fort bien. Grecs et Turcs de l’Île peuvent cohabiter en paix comme ils le font depuis des lustres dans les îles du Dodécanèse et en Thrace. Sans doute, le Traité de Zurich permet à la minorité turque de s’opposer à certaines décisions du président Makarios, d’où quelque paralysie administrative. Ces heurts ne peuvent justifier une crise d’ordre international. Mais il y a les communistes de l’Île, l’A.K.E.L. qui travaillent à en faire un nouveau Cuba, et Nasser qui fournit les armes pour chasser les Anglais d’une base militaire trop proche de l’Egypte et d’Israël, et Makarios qui par une diplomatie tortueuse veut atteindre à une autorité sans partage. Toutefois le conflit embarrasse trop d’hommes d’Etat pour qu’il faille désespérer d’un accord. L’O.N.U. surtout et M. Thant doivent trouver enfin là l’occasion d’un succès opportun.

 

Les Roumains en Chine

Le caractère majeur de ce début 1964 est la dislocation des deux Blocs. La Roumanie dont l’indépendance à l’égard de Moscou s’affirme d’étape en étape, entame avec Pékin un nouveau dialogue, en principe pour tenter d’apaiser le différend russo-chinois, en réalité pour affermir sa neutralité. Car le conflit entre les deux communismes ne disparaîtrait pas, même si Krouchtchev tombait. Le motif essentiel du voyage du ministre roumain Maurer ne peut être que la fourniture à la Chine du pétrole dont Moscou a cessé de l’approvisionner. La Roumanie peut en effet recevoir en échange de la Chine des marchandises qui lui manquent et dont les Occidentaux n’ont pas besoin.

Ce qu’il faut retenir, c’est la passivité ou plutôt l’impuissance des Russes. L’Albanie vient de saisir l’ancienne ambassade soviétique à Tirana. Georgiou Dej, le Premier roumain y maintient la sienne et, sans adopter la ligne chinoise, entretient avec Pékin des relations étroites dans tous les domaines, sans opposition apparente des Russes. A noter que leurs voisins bulgares en ont profité pour obtenir des Soviets un prêt de 300 millions de roubles. Le premier, Zivkov a sans doute fait valoir que dans l’état de délabrement de l’économie bulgare il serait sans cela obligé de solliciter les Américains. La Bulgarie est en effet le plus mal en point des satellites. Beaucoup d’usines ont dû fermer, faute de matières premières, le chômage s’est étendu. Le mécontentement populaire s’est traduit par de nombreux sabotages. Krouchtchev malgré ses difficultés propres a dû renflouer Sona.

 

Le Tourbillon Diplomatique Français

Depuis un an et plus, la politique française suscite dans le Monde libre autant d’irritation que d’inquiétude. Il y eut en janvier 1963 l’éclat de Bruxelles, cette année, la bombe chinoise et les conflits avec Formose et Saïgon, l’écroulement du Pacte franco-allemand, l’affaire Argoud, etc. ; on se demande si l’on n’assiste pas maintenant à une conjugaison de l’anti-communisme officiel et d’une nouvelle alliance franco-russe. Giscard d’Estaing est allé à Moscou. Rudnev, le spécialiste de l’industrie de guerre est venu visiter nos usines. Aujourd’hui, Podgorny, dit le numéro 3 du Kremlin et même le dauphin de Krouchtchev fait une tournée officielle et s’entretient avec le Chef de l’Etat. On annonce qu’Edgar Faure, après sa mission retentissante à Pékin est chargé d’une semblable auprès de Krouchtchev. On ne cache pas qu’une visite officielle du Général de Gaulle à Moscou est envisagée après la tournée des capitales d’Amérique latine, du Mexique au Chili.

Ce débordement d’activité diplomatique au moment où les difficultés intérieures de la France deviennent pressantes suscite à l’étranger beaucoup d’hypothèses. Certaines sont trop hasardeuses pour qu’il nous soit permis de les rapporter ici.

 

Flottement en Allemagne

 

Comme nous le pressentions, le renouvellement des laissez-passer entre les deux Berlin a tourné court. Mais Ulbricht a réussi à mettre en opposition le maire de Berlin-Ouest, Willy Brandt, devenu chef du Parti socialiste, avec le chancelier Erhard. L’affaire, à première vue, paraît plutôt un épisode de compétition électorale pour le scrutin de 1965, qu’une divergence politique fondamentale : ni Erhard ni Brandt ne veulent que la D.D.R. s’installe à Berlin-Ouest. Cependant l’opinion allemande évolue. Un certain rapprochement russo-américain et maintenant un accord possible franco-russe et les relations difficiles avec Paris, tout cela fait penser que tôt ou tard l’Allemagne de l’Ouest devra composer avec le Monde communiste faute d’appuis suffisants pour recouvrer son unité. On appelait autrefois cette orientation l’esprit de Rapallo. Comme l’isolationnisme américain, cet esprit-là n’est pas éteint. Avec sa puissance économique, Bonn peut demander beaucoup à une U.R.S.S. en crise permanente, et l’U.R.S.S. pour neutraliser l’Allemagne et s’associer son industrie peut sacrifier un satellite gênant. Peut-on espérer qu’à Paris, on tienne compte de ces possibles ?

 

L’Évolution des Économies dans le Marché Commun

Mais cela est lointain ; dans l’immédiat, ce qui préoccupe Erhard qui s’entretient à La Haye avec son collègue hollandais, c’est la divergence de plus en plus visible des économies des pays du Marché Commun. Expansion allemande, crise latente en France, explosive en Italie, voilà pour l’aspect financier qui requiert des mesures d’ajustement urgentes. Ces difficultés-là sont toujours surmontables, si pénibles que soient les remèdes ; ce qui l’est moins, c’est la divergence croissante dans l’ordre politico-social. La tendance en France pourrait se définir un national-socialisme en puissance à la française, c’est-à-dire avec ce que cela comporte de désordre mais aussi de liberté. En Italie où le communisme est actif et numériquement fort, c’est plutôt l’anarchie ou si le mot est trop fort, à l’italienne avec ce que cela comporte de confusion politique et de corruption administrative mais aussi d’un sens avisé de l’intérêt individuel et national.

Dans ce cas, comme dans le nôtre les tendances sont-elles compatibles à la longue avec une économie libérale à laquelle Allemands, Belges et Hollandais restent attachés ? Un marché commun en tout cas ne pourrait subsister si ces divergences s’accentuaient. De fait, les milieux d’affaires en France comme en Italie s’inquiètent ; les capitaux fuient ou se terrent ; les investissements diminuent. Le régime politico-social auquel ils sont soumis leur paraît plein de menaces. Ils ne collaborent plus avec un pouvoir qui paraît les condamner. Faute de vouloir faire l’Europe, on pourrait bien subir une récession.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1964-02-29 – Uncle Sam à Bout de Patience

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Le Courrier d’Aix – 1964-02-29 – La Vie Internationale

 

Comme on le pressentait, la reconnaissance par la France de la Chine de Pékin bouleverse de proche en proche l’équilibre déjà précaire du monde. Venant juste après la mort de Kennedy, à quelques mois des élections qui doivent faire de Johnson un président élu et non plus un intérimaire, ce fut pour les Etats-Unis un coup particulièrement dur. Assailli de difficultés, blessé par ce qu’il considère une trahison, l’Oncle Sam est à bout de patience. Dans ces circonstances, on peut toujours craindre un éclat. Puissions-nous nous tromper.

 

Suspension par les Etats-Unis de l’Aide Militaire

Un premier mouvement d’humeur du Gouvernement a consisté à priver d’aide militaire les pays qui commercent avec Cuba, soit la France et l’Angleterre qui ne recevaient que des sommes infimes, la Yougoslavie, l’Espagne et le Maroc pour qui ce retrait a plus d’importance. Cette mesure mesquine a été critiquée aux Etats-Unis même.

 

Situation Critique au Sud-Vietnam

Mais tandis que Cuba peut attendre, la situation au Vietnam frise le désastre. Les deux coups d’Etat successifs à Saigon, la propagande neutraliste appuyée par la France ont démoralisé l’armée et accru la lassitude de la population. Les Viêt-Cong, enhardis, ont multiplié les coups de force et perpétré à Saïgon même des attentats contre les ressortissants américains. On redoute à Washington un second Dien-Bien-Phu. Johnson est confronté avec ce dilemme : ou négocier avec les communistes en condition d’infériorité, c’est-à-dire capituler, ou intensifier l’action militaire et porter la guerre au Nord-Vietnam pour le couper du Sud. Les partisans de cette stratégie font valoir que la Chine n’a pas les moyens militaires pour s’opposer, qu’à Hanoï la disette est grave et le Gouvernement las lui aussi de soutenir ses guérillas. Mais il y a les Soviets qui ont fait savoir leur soutien aux Viêt-Cong. L’effet moral sur le Tiers-Monde d’une guerre élargie en Asie du Sud-Est par les Américains serait accablant. Aussi rien n’est décidé encore et cependant le temps presse.

 

A Chypre et en Malaysia

La décision de la France à l’égard de Pékin, la visite à Paris de Podgorny, l’intime de Krouchtchev qui n’entend pas se laisser distancer par Mao ont, par contrecoup, renversé la situation aussi bien à Chypre que dans le conflit Malaysia-Indonésien. Alors que les troupes anglaises étaient les bienvenues au début des troubles, la presse de Makarios les somme de s’en aller. Soekarno qui avait ordonné le cessez-le-feu à Bornéo, relance ses guérillas. On en est aux ultimatums. Si les Américains étaient contraints de se retirer du Vietnam, l’Asie du Sud-Est s’effondrerait comme un château de cartes.

 

L’Intervention au Gabon

La brusque intervention des troupes françaises au Gabon pour restaurer le pouvoir du président Léon M’Ba a soulevé bien des commentaires. Celle des soldats britanniques dans les trois ex-colonies d’Afrique Orientale servit de précédent. La France avait cependant abandonné à son sort Fulbert Youlou au Congo-Brazzaville, et cela aussi constituait un précédent. On en voyait les conséquences : le nouveau pouvoir reconnaît la Chine et sert de base et de refuge aux agitateurs communistes qui mènent la guérilla au Congo ex-belge. Partout, quelques soldats noirs armés, soudoyés et grisés, peuvent en quelques heures renverser l’autorité établie. Aussi, n’est-il pas surprenant que la plupart des Chefs d’Etat de l’ancien Empire français aient approuvé l’intervention de nos paras ; la différence de traitement accordé à Fulbert Youlou et à Léon M’Ba s’explique aussi par des raisons économiques.

Le Congo-Brazzaville est pauvre. Sa mise en valeur exigerait des investissements énormes et aléatoires. Le déficit de son budget était lourd à combler et l’administration de l’ex-abbé particulièrement corrompue. Le Gabon au contraire est riche et de nombreuses entreprises françaises y ont des intérêts considérables : il y a la Comilog qui exploite les riches gisements de manganèse de Franceville, la Compagnie des Mines d’Uranium qui contrôle le gisement de Mounana ; les pétroles d’Afrique Equatoriale qui exploitent les puits de Port-Gentil. Enfin, les industries forestières qui possèdent des concessions de bois d’okoumé sur plus de 500.000 hectares et le transforment en feuilles de contre-plaqué : les Sociétés Leroy, Rougier, Bois déroulés, Océan et Multiplex, affaires importantes qui exportent une large part de leur production, sans compter les comptoirs commerciaux comme Optorg dont les participations ne sont pas négligeables. Ces richesses ne pouvaient tomber aux mains du Bloc de l’Est qui les guette sous prétexte d’anti-colonialisme. Il n’en reste pas moins qu’une telle action menée manu militari cadre mal avec les prétentions à se faire le chef de file des non-engagés. On ne manquera pas d’en tirer argument à Moscou comme à Conakry et à Accra.

 

La Trêve en Kurdistan et aux Confins Algéro-Marocains

Devant tant de querelles ouvertes on s’en voudrait de ne pas signaler deux règlements de conflits qui contrastent heureusement avec l’acrimonie des relations internationales. La paix entre l’Irak et les Kurdes brusquement annoncée a si bien surpris que nous attendions pour en parler qu’elle se précise ; car ce n’est pas la première fois que s’est produite une trêve suivie bientôt de la reprise des combats. Il semble bien que ce soit sérieux. On ne sait pas encore quelles concessions les autorités de Bagdad ont accordées aux rebelles, ceux-ci en paraissent satisfaits. C’était là un foyer de troubles et d’intrigues pas loin des frontières de l’U.R.S.S. qui pouvait aisément dégénérer en crise internationale comme celui de Chypre.

Le Maroc et l’Algérie aussi ont fait la trêve. Du côté algérien, il était urgent de clore l’aventure. Les Africains l’exigeaient pour sauvegarder le prestige de leur unité proclamée à Addis-Abeba et Ben Bella a d’autres soucis que de faire la guerre au voisin. La misère est telle en Algérie qu’on parle d’une pause nécessaire à la révolution ; l’opposition au F.L.N. relève la tête ; le désordre administratif, la précarité des finances, le déficit des entreprises nationalisées, l’ampleur du chômage, autant de difficultés que l’aide « désintéressée » des Russes et des Chinois ne suffit pas à masquer. S’il n’avait la force militaire, le régime de Ben Bella ne tiendrait pas longtemps.

 

Le Déséquilibre Économique et Financier du Marché Commun

Les deux rencontres de Paris, celle du Chancelier Erhard et du Président Segni accompagné de Saragat, Ministre des Affaires étrangères, ont donné lieu à des échanges fructueux, comme disent les communiqués qui sont prudemment muets sur les résultats. On sait cependant qu’outre les sujets traditionnels sur lesquels existent de solides divergences de vues, un problème plus urgent a été discuté : le déséquilibre provoqué à l’intérieur du Marché Commun par la pression inflationniste que les Gouvernements de Paris et de Rome s’efforcent de réduire après avoir laissé s’emballer la conjoncture. A trop tarder, on doit recourir à des moyens drastiques et impopulaires et d’une efficacité incertaine.

Deux raisons à cela : d’abord la démagogie et l’agitation sociale permanente qui afflige les deux pays et qui entre parenthèse suffirait à interdire les grands desseins et les ambitions excessives. Ensuite, l’habitude prise depuis un demi-siècle de s’accommoder de la dégradation monétaire qui, pour être surmontée, exigerait une discipline nationale dont nous sommes plus que jamais éloignés. La crise que traversent l’Italie et la France, qui se double pour l’Italie d’une crise politique, compromet les investissements pour l’avenir et la capacité concurrentielle pour le présent de leurs industries respectives. L’effondrement des bourses de valeurs de Paris et de Milan l’atteste.

L’Allemagne fédérale au contraire a maîtrisé la surchauffe à temps et connaît une expansion sans heurts avec des prix stables. Les bourses allemandes comme celles des Etats-Unis sont près de leurs records. Mais cette prospérité de l’Allemagne est menacée par la faiblesse de ses partenaires. Elle est encombrée des excédents que son industrie accumule. Elle draine les capitaux flottants et ne sait comment les stériliser. La Suisse, pays refuge aussi, connaît les mêmes difficultés.

Pour être saine et durable, la prospérité devrait être générale à l’intérieur d’un même ensemble de nations. Une autorité supranationale ne serait pas de trop. Pour l’heure, on se demande : Faut-il revaloriser le Mark une seconde fois ou dévaluer une fois de plus le Franc et la Lire ? Pour cette dernière, il sera difficile de l’éviter. Pour le Franc, ce serait un tel désaveu politique qu’on n’ose y songer. Que conclure ? Pour que le Marché Commun devienne réalité, il faudrait que ses membres acceptent une discipline commune, voire une monnaie commune, un budget partout équilibré réglementé par un arbitre sans appel. Dans les circonstances présentes, autant demander la lune.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1964-02-22 – L’Affaire de Chypre

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Le Courrier d’Aix – 1964-02-22 – La Vie Internationale

 

La reconnaissance de la Chine de Pékin par la France, la rupture d’avec Paris décidée par Chang Kai Chek, avaient fait les grands titres de la presse mondiale. L’importance de l’événement s’est trouvée réduite par le refus explicite du Gouvernement d’Hanoï d’envisager une neutralisation des deux Vietnam, la détermination des Américains de poursuivre la lutte et l’assurance donnée par Washington de garantir l’intégrité de la Malaysia en accord avec les Anglais : l’entrevue Hume-Johnson à Washington a confirmé l’entente des deux nations sur deux points sensibles : Chypre et le Sud-Est asiatique.

 

L’Affaire de Chypre

L’affaire de Chypre de localisée qu’elle était jusque-là, a pris un caractère international depuis que, faute d’accord avec Makarios, elle est maintenant sous la juridiction des Nations Unies. La situation est si compliquée qu’on hésite à la décrire. Grecs et Turcs se battent ou plutôt, de part et d’autre, une minorité d’agitateurs impose une lutte sanglante à des populations qui se supporteraient sans eux.

Côté Grec, il y a les Nationalistes qui n’ont pas renoncé au rattachement de l’Île à la Grèce et les Communistes qui, eux, veulent chasser les Anglais des bases militaires qu’ils ont conservées par le Traité de Zurich de 1961. La minorité turque voudrait le partage de l’Île qui les séparerait de la majorité grecque et les placerait sous la protection de la mère patrie toute proche, solution d’ailleurs difficilement praticable et que les Grecs refusent.

 

L’Attitude Réservée de la Grèce et de la Turquie

Comme nous l’avions remarqué au début du conflit, ni la Grèce, ni la Turquie ne désirent intervenir. Le rattachement de l’Île à la Grèce ne soulève plus les masses à Athènes. L’Île serait pour la Grèce, en plein essor économique, un fardeau mal venu. Des hostilités avec la Turquie ruineraient le tourisme, ressource essentielle pour le pays. La Turquie, en posture difficile aussi bien politique qu’économique, redoute des complications supplémentaires qui pourraient la priver de l’appui financier des Etats-Unis indispensable pour surmonter la crise et encore provoquer les menaces de l’U.R.S.S, Sans l’intransigeance de Makarios, l’affaire était donc condamnée à s’éteindre d’elle-même. Mais Makarios ne peut rester en place sans l’appui des Nationalistes et des Communistes qui, bien que frères ennemis s’accordent à rejeter tout compromis qui ne comporterait pas l’assujettissement de la minorité turque, dépouillée de tout pouvoir politique peut-être même éliminée physiquement, et la liquidation des bases britanniques.

Bien que la présence des troupes anglaises ait empêché la guerre civile généralisée, qu’elles soient bien accueillies de la population pacifique, ce sont les bases militaires qui sont le terrible enjeu qui va se débattre à l’0.N.U. Elles sont en effet aussi importantes pour les Anglais que pour les Américains, ce qui explique leur solidarité dans l’affaire. Elles sont indispensables pour assurer l’équilibre des forces dans la Méditerranée orientale et au-delà : empêcher un conflit entre Israël et les Pays Arabes, veiller à la bonne marche des installations pétrolières dans le Moyen-Orient, maintenir l’ouverture du Canal de Suez en cas de chantage de Nasser, servir de point de départ ou d’appui pour les forces appelées à défendre Aden ou, comme on vient de le voir, d’amener rapidement des troupes en Afrique Orientale en cas de troubles. Après Cuba et Zanzibar, les communistes s’installeraient volontiers dans cette troisième île d’importance stratégique.

C’est pourquoi, Anglais et Américains craignent que par le biais de l’O.N.U., l’U.R.S.S. ne se mêle de l’affaire Chypriote. Les Russes ont depuis longtemps noyauté l’Île, 40% des électeurs leur sont acquis. Makarios n’est pas Castro, mais lui renversé après avoir servi comme il se doit, un Castro se trouverait sans peine. Les Soviets, malgré leurs difficultés n’ont pas renoncé à la Méditerranée. La base d’Albanie leur a échappé, Nasser ne leur a pas laissé la disposition d’Alexandrie, reste Chypre. Le débat sera serré.

 

Les Soucis du Chancelier Erhard

Le chancelier Erhard, depuis son accession au pouvoir, a plus de soucis qu’il n’escomptait. Il a dû affronter de Gaulle pendant deux jours, sans en tirer grand-chose, comme prévu. Mais il lui fallait apaiser les sentiments antifrançais de ses partenaires libéraux en sauvant les apparences d’une coopération franco-allemande. De part et d’autre, on a mis tous les soins à leur bonne présentation. Mais il y a de l’autre côté les manœuvres de Pankow qui ne manquent pas d’adresse. Ulbricht avait joué à Noël de la sensibilité des Berlinois de l’Ouest, en leur accordant des laisser-passer pour visiter les leurs à l’Est. Effrayé par l’affluence, il avait refermé le mur et sans doute ne le rouvrira-t-il jamais. Mais il en fait l’offre à deux conditions : qu’on le laisse installer à Berlin-Ouest ses fonctionnaires pour octroyer les permis pour Pâques et la Pentecôte et que l’Allemagne fédérale refuse le droit d’asile aux transfuges de l’Est, conditions que Bonn ne peut accepter mais que Willy Brandt, maire de Berlin, pour ne pas décevoir ses mandats est prêt à discuter. Or Brandt vient d’être élu Président du Parti Social-Démocrate ; il sera en 1965 l’adversaire d’Erhard pour la Chancellerie. Ulbricht se sert de la question des laissez-passer pour dresser les Berlinois contre les gens de Bonn, et mettre Erhard dans la position d’intransigeance et d’immobilisme qu’on reprochait à Adenauer. Les communistes espèrent le succès des Sociaux-démocrates qu’ils ont toujours dupés dans le passé et pour cela voudraient relever la popularité de Brandt aux dépens d’Erhard et des Démocrates-chrétiens : nous étions prêts à accorder aux Berlinois de l’Ouest des laissez-passer, diront-ils ; ce sont les revanchards de Bonn qui nous en empêchent. Votre Maire, lui, aurait été plus compréhensif. On voit le fil.

 

L’Agriculture Soviétique

Pendant ce temps, on discute agriculture au Kremlin. Rapports, discours, résolutions, des pages de journaux qu’il fallut lire, ce qui au fond en vaut la peine. Car sans le vouloir, les orateurs étalent les tares du système : Ils ne changent pas. Idolâtrie de la science : pour faire pousser du blé, il faut former des agronomes en série et les installer aux champs. Il y en a 583.000 ! Il faut recruter des fonctionnaires pour établir un cadastre afin de pouvoir ensuite classer et analyser les sols. Foi dans la bureaucratie : Créer encore une direction générale pour la « Chimisation » de l’agriculture, etc. Il est bien question d’encourager les paysans au travail, et on leur promet même une retraite et un salaire fixe que beaucoup n’avaient pas, leur travail étant surtout payé en nature. Mais on sent bien que les fonctionnaires de l’agriculture n’ont guère d’illusion : la prochaine récolte n’en sera pas beaucoup meilleure.

 

Le Nouveau Servage

Voici pourquoi les Soviets persévèrent dans l’erreur. Ce n’est pas par fidélité à l’idéologie. Ils ne s’en soucient que lorsqu’elle les sert. C’est parce que tout leur système financier repose sur l’exploitation du paysan. Sans lui, comme l’industrie est constamment déficitaire, il n’y aurait plus de recettes que sur le papier. La collectivisation de l’agriculture décidée par Staline a permis à l’Etat de se faire livrer les récoltes dont les paysans ne disposent plus. L’Etat leur achète tout et revend les denrées au consommateur de six à treize fois le prix qu’il leur paye. Cela, en 1963, a représenté pour l’Etat, un bénéfice net de 95 milliards de roubles nouveaux. Ce qui couvre toutes les dépenses, armement compris et même une partie du déficit de l’industrie. Au cours du change, plus de 500 milliards de nouveaux francs, en valeur réelle de 100 à 150, ce qui reste énorme. On comprend que malgré les rendements lamentables, les vols organisés, la pénurie dans les villes, les Soviets ne peuvent renoncer à ce droit de servage qu’ils imposent à la paysannerie. Au fait, on pourrait peut-être expliquer cela à nos paysans qui s’apprêtent à voter communiste aux prochaines élections cantonales …

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1964-02-15 – Réveil de l’Anti-Américanisme

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Le Courrier d’Aix – 1964-02-15 – La Vie Internationale

 

Chou en Laï veut détruire en Afrique la Civilisation Occidentale

A Mogadiscio en Somalie, dernière étape de son voyage africain, Chou en Laï a défini d’un mot sa politique : aider les pays africains comme ceux d’Asie et d’Amérique latine à « rejeter loin en arrière la civilisation occidentale » et de constater qu’il existe en Afrique une « excellente situation révolutionnaire » et d’en décrire  les phases. D’abord obtenir l’indépendance, puis se débarrasser des intérêts étrangers, enfin par étapes instaurer un régime de type chinois : Ben Bella, Sékou Touré, Modibo Keita, suivant le modèle de Castro, sont plus ou moins dans cette voie, les autres suivront.

Les événements qui ensanglantent aujourd’hui l’Afrique Noire à Zanzibar, au Kouilou, au Ruanda Burundi, les révoltes qui n’ont pu être mâtées que par l’intervention britannique au Tanganyika, au Kenya, en Uganda, le glissement du Congo-Brazzaville dans la sphère d’influence communiste, les complots qui couvent partout contre les pouvoirs qui collaborent avec l’Occident, tout justifie les prédictions de Chou en Laï ; la civilisation occidentale recule et dans les cas extrêmes, on revient à l’état précolonial : luttes tribales, règne des sorciers, destructions des missions religieuses et des établissements industriels sous l’impulsion de chefs noirs comme Mulele au Congo ex-belge, armés et financés par les Sino-Soviétiques unis, là du moins, dans une même cause.

Sans doute à Paris, on sacrifierait d’un cœur léger l’Afrique au profit de pays plus intéressants pour l’intérêt national, on ne s’en cache pas. Mesure-t-on ce que représenterait du seul point de vue économique la perte de l’Afrique pour l’Occident au profit de l’autre monde ? L’Afrique du Sud en particulier, du Katanga au Cap ? Nous n’en sommes pas là et même un hôte cher à Chou en Laï, Sékou Touré vient, devant l’effondrement de l’économie guinéenne, d’implorer des Etats-Unis une aide de 30 millions de dollars. Le succès du tour africain du Chinois, en dépit du prestige qui lui a valu la reconnaissance de son régime par la France, a été fort inégal, mais le pied qu’il a pris en Afrique y restera. Et ce continent encore en grande partie primitif est si fragile qu’une poignée d’agitateurs suffit à le bouleverser.

 

Le Réveil de l’Anti-Américanisme

Comme on le pressentait, la Conférence de presse du Général de Gaulle a déterminé dans le Tiers-Monde de profonds remous. La France prenait la tête du neutralisme et l’hostilité aux Américains s’est réveillée partout. Il y avait déjà Panama et Chypre ; Castro à son tour a saisi l’occasion : il a envoyé ses bateaux de pêche se faire prendre dans les eaux de Floride et défié les Etats-Unis en coupant l’eau à la base américaine de Guantanamo. Cuba est le point sensible de l’opinion américaine et tout ce qui y touche peut menacer la paix. On comprend l’irritation de Washington quand ses Alliés rivalisent pour fournir à Castro ce qu’il peut acheter avec le sucre que les Russes ont fini par lui laisser : les Anglais lui vendent des autobus, l’Espagne des bateaux, la France des camions et le blé canadien acheté par les Soviets est détourné pour soulager la disette de l’Île. Les Américains, les témoignages abondent, sont blessés en profondeur. Les conséquences en peuvent être durables. Quand un gouvernement ou son successeur viendra solliciter des crédits pour sa monnaie, une fois de plus en détresse, le Congrès pourrait y mettre son veto.

 

L’Inquiétude en Allemagne Fédérale

Le malaise est aussi profond en Allemagne fédérale. Ici, le point sensible c’est le régime de Pankow. Le Gouvernement français a dû, sur la demande de Bonn, déclarer qu’il considérait la D.D.R. comme un régime fantoche et désavouer publiquement les Parlementaires français qui étaient allés faire leurs amitiés à Ulbricht. Il y aura toutefois trois cents exposants français à la foire de Leipzig. Le Pacte Paris-Bonn a d’étranges lendemains.

 

Les Politiques Successives du Général

L’éditorialiste de l’ « Observer » de Londres a bien résumé les tribulations de la politique du Général. Il y eut d’abord l’Empire, la France des cent millions d’hommes, liquidé dans les circonstances que l’on sait. Il y eut ensuite l’Europe de l’Atlantique à l’Oural unie en face des Anglo-Saxons. Les Russes l’ont méprisée. Puis vint l’Europe, troisième force dans le monde, l’Europe des Etats dominée par la France ; cette Europe-là, ses partenaires ne l’ont pas acceptée. Il y eut alors l’Alliance franco-allemande qui devait contraindre les autres à s’y joindre, Angleterre exclue. Echec complet. Alors voici la France partenaire de la Chine rouge contre les deux Puissances, surtout contre les Etats-Unis ralliant tous ceux qui se veulent non engagés ; les petits contre les grands. Cela s’appelle l’indépendance nationale. Notre auteur croit que ce vaste dessein aura le sort des autres. Beaucoup de Français partagent son avis : voir Cartier dans « Paris-Match ».

 

La Résurrection du Marché Commun

Par un curieux retour des choses, le Marché Commun, ce miraculé quotidien comme l’appelle notre Ministre de l’Agriculture, a repris vie alors qu’en décembre on le croyait moribond. Les Cinq et surtout l’Allemagne fédérale ont compris que sa destruction ferait disparaître le dernier lien qui rattachait la France au camp occidental et que les sacrifices auxquels ils étaient contraints pour le sauver valaient d’être consentis. Malgré « l’intolérable pression » dont a parlé Erhard, on s’est accordé sur les principes de l’Europe Verte et l’on s’efforce de trouver les modalités pratiques de la réaliser. Les derniers colloques de Bruxelles semblent aller vers une conclusion favorable. A l’usage, ce règlement compliqué réserve des surprises et ceux qui y ont gagné des avantages les verront peut-être se retourner contre eux, car les agriculteurs les mieux organisés et équipés prendront toujours le dessus sur leurs concurrents. Mais le fait est là : le Marché Commun a franchi l’étape la plus difficile qui paraissait infranchissable ; la Commission exécutive a affermi son autorité. Nous reconnaissons volontiers que nous n’y croyions pas. Ce succès a le mérite de lier définitivement les politiques économiques des Six et de limiter rigoureusement les initiatives unilatérales de l’un d’eux. Sur ce point au moins, le nationalisme ne saurait prévaloir. C’est beaucoup.

 

Le Chômage dans les Pays de l’Est

On est toujours avare d’informations sur la crise qui secoue l’économie des pays communistes d’Europe. La situation cependant s’est beaucoup aggravée en Pologne ; pour éviter un chômage massif, Gomulka a dû supprimer la plupart des emplois féminins dans les usines et les administrations. L’agriculture est si déficitaire qu’outre les achats de blé aux Etats-Unis, la Pologne vient de passer contrat avec la France pour des livraisons échelonnées sur plusieurs années. Le chômage est aussi très étendu en Bulgarie et chez Tito en Yougoslavie, le chiffre de 300.000 vient d’être atteint. Ce triste record dépasse aussi celui des plus mauvaises années du régime monarchique quand le chômage était universel. Mais tandis que les chômeurs des pays satellites ne peuvent franchir le rideau de fer, ceux de Yougoslavie émigrent avec le consentement des autorités dans les pays qui manquent de main-d’œuvre, en Allemagne fédérale et en Suisse surtout. Un bureau d’émigration a été installé à Dris en Dalmatie : l’ouvrier s’engage à payer en devises étrangères ses taxes et impôts et la subsistance des membres de sa famille demeurée en Yougoslavie. L’Etat y trouve son compte et, rendons-lui hommage, ne s’en cache pas, les principes socialistes dussent-ils en souffrir. Si les travailleurs des autres pays dits socialistes pouvaient le faire, les bureaux de recrutement seraient vite submergés.

 

                                                                                  CRITON

 

 

Criton – 1964-02-08 – La Conférence de Presse du Général

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Le Courrier d’Aix – 1964-02-08 – La Vie Internationale

 

La Conférence de Presse du Général de Gaulle

Pour les observateurs étrangers, la Conférence de presse du Général de Gaulle n’a rien apporté de nouveau et comme l’on était sous le coup de la reconnaissance de Pékin par la France et des répercussions inquiétantes qu’elle peut avoir sur l’équilibre du monde, les commentaires dans les principales capitales ont été sommaires et, à peu près partout, défavorables. Il semble même qu’on se soit accordé ou qu’on ait reçu le conseil d’en minimiser l’importance. On a généralement évité les grands titres.

 

La Qualité de l’Exposé

Néanmoins, cet exposé magistral mérite une étude. C’est toute une pensée politique, une conception du monde aussi qu’on y trouve rassemblées en quelques pages qui en font une sorte de testament, car le présent, le passé et l’avenir y figurent. Par la qualité de l’expression, l’ampleur des vues, cette profession de foi dépasse de loin les déclarations habituelles des Hommes d’Etat où les banalités dominent.

Cet hommage n’interdit pas les critiques, au contraire, encore faut-il qu’elles portent où il convient et ne soient pas, comme on le lit maintenant de tous côtés, des manifestations, si légitimes qu’elles soient, d’hostilité systématique.

 

Faiblesses des Systèmes Politiques

Pour nous, deux observations s’imposent : Comme d’autres personnalités éminentes de l’histoire, le Général de Gaulle s’est fait du monde où il joue son rôle une conception logique, cohérente, dont il a tiré ses principes d’action et qu’il ajuste aux circonstances. Or il en est de ces visions politiques comme de tous les systèmes philosophiques ou économiques. Ils peuvent, à un certain moment, plus ou moins court, embrasser la réalité d’une époque, en donner une explication adéquate, bien que toujours partielle : Et puis, tout bientôt change, l’imprévisible surgit de partout et la pensée même géniale qui s’est attardée à ses principes porte à faux. Les courants profonds lui échappent qu’un observateur modeste saisit.

 

Les Deux Tâches du Monde Occidental

Deux aujourd’hui dominent : un besoin d’union qui se manifeste dans tous les coins du Monde civilisé, union à la fois spirituelle et matérielle, parce qu’il sent que la sphère d’influence de cette civilisation qu’il porte, se rétrécit de jour en jour et qu’il sera bientôt étouffé s’il ne se ressaisit pas dans un commun effort contre la barbarie nouvelle. D’autre part, atténuer l’exaspération du racisme qui caractérise le milieu du siècle et qui met aux prises les communautés qui cohabitaient jusque-là dans une paix relative. Dernières manifestations : Turcs et Grecs à Chypre, Arabes et Noirs à Zanzibar, Flamands et Wallons en Belgique, francophones et anglophones au Canada, rivalités tribales un peu partout en Afrique, problème noir aux Etats-Unis et en Angleterre, Musulmans et Hindous à Calcutta, Juifs et Arabes en Palestine, etc..

Ces deux problèmes devraient dominer toute action politique et unir l’Occident dans un même devoir : préserver en commun son influence civilisatrice et conjuguer son action pour contenir partout où il se peut l’hostilité des races et les obliger, s’il faut, à se tolérer et à collaborer pour mieux vivre. Toute politique sensée et humaine devrait être orientée en priorité vers ce double objectif et le rôle qu’y jouerait la France serait là sa vraie grandeur. Malheureusement, la politique actuelle va exactement en sens contraire et si les hommes responsables n’en ont pas toujours conscience, ils le sentent et cela explique l’hostilité que notre direction suscite.

 

La Reconnaissance du Régime de Pékin

Pour ce qui est de la conjoncture franco-chinoise – outre les difficultés qu’elle va ajouter en Asie à celles que les Anglo-Saxons affrontent déjà et dont  nous subirons et subissons déjà le contrecoup, car nous sommes, bon gré mal gré solidaires – cet appui donné à Pékin repose à notre avis sur une erreur fondamentale. La Chine communiste est tout autre chose que la Chine historique, la reconnaître ne fera que précipiter son agressivité. On ouvre l’écluse au torrent, loin de permettre une négociation, on l’exclut ou tout au moins la rend illusoire : nous venons d’en avoir la preuve à nos dépens.

 

La Reprise des Combats au Laos

Nous avions cru, sur la foi de renseignements qui nous paraissaient plausibles, que les Chinois allaient faire du Laos une zone de paix temporaire pour encourager les éléments neutralistes dans les pays voisins, appuyer ainsi la politique française pour mieux s’implanter ensuite. Or il n’en est rien. Les combats qu’on croyait arrêtés ont repris avec une violence soudaine. Le prince Souvannna Phouma appelle de nouveau à l’aide les pacificateurs qui n’y peuvent rien. La poussée des Chinois vers le Sud profitera de toutes les faiblesses sans le moindre égard pour les compromis diplomatiques auxquels on croit pouvoir les faire consentir. Le reste est littérature.

 

La Surenchère Soviétique

Mieux même, les Russes craignant d’être, si l’on peut dire, débordés à gauche et de perdre leur influence, appuieront, même à leur corps défendant, les ambitions chinoises. En dépit de l’urgent besoin qu’ils ont de s’assurer la collaboration de l’Occident, et ils ne manquent pas de le montrer (la presse russe a publié la lettre de Sir Alec Hume au Kremlin) les Russes devront à intervalles se livrer à des agressions symboliques pour rester dans la ligne du communisme. C’est ainsi qu’ils ont abattu un avion américain en Allemagne orientale, tuant les trois officiers qui l’occupaient, qu’ils menacent d’intervenir à Chypre pour empêcher les troupes de l’O.T.A.N.  d’imposer dans cette malheureuse île, une trève aux communautés en lutte, qu’ils ont assumé ostensiblement la protection de la République populaire de Zanzibar, qu’ils envoient à Brazzaville, dont le nouveau régime paraît leur être favorable, des armes pour soutenir les terroristes du Congo belge. Les Soviets ne peuvent laisser aux Chinois le monopole de la subversion, sous peine de justifier l’accusation de collusion avec l’ « impérialisme ». Ces faits suffisent à montrer la vanité et les dangers d’une politique de prestige dont nous n’avons ni les moyens ni le contrôle et qui ne peut que perturber un monde qui l’est assez déjà.

 

Le Rejet de la Supranationalité

Un autre point de l’exposé du Général n’a pas retenu l’attention : c’est le rejet, une fois de plus, de toute forme de supranationalité, c’est-à-dire d’une Europe où une autorité « composée d’étrangers » sera en mesure d’imposer à un de ses membres une décision qu’il jugerait défavorable. Or la France vient précisément de bénéficier d’une mesure de cet ordre. On sait que notre industrie sidérurgique, en position difficile devant la concurrence étrangère, a demandé au Luxembourg le relèvement des droits de douane qui la protègent. Nos partenaires, Hollande et Italie en particulier s’y opposaient et les six Ministres n’ont pu se mettre d’accord. La Haute Autorité de la Communauté Charbon-Acier, grâce à ses pouvoirs supranationaux, a imposé ce relèvement et bien entendu Paris n’a pas protesté, au contraire.

Cependant, l’éventualité d’une contrainte exercée sur les intérêts propres d’un des Six par la Commission du Marché Commun et qui doit devenir de fait quand l’unanimité des ministres ne sera plus requise, soulève des inquiétudes de la part du Chancelier Erhard. Pour des raisons non pas politiques mais économiques, il rejoint le Général de Gaulle. Il ne craint pas les gouvernants mais les technocrates. Il n’entend pas que ceux de Bruxelles puissent contraindre à leurs vues dirigistes le libéral qu’il est par tempérament, et aussi par souci de l’intérêt allemand. Aussi voudrait-il donner au Parlement européen de Strasbourg des Assises démocratiques fondées sur le suffrage universel et des pouvoirs susceptibles de faire échec aux plans des technocrates. L’idée rejoint celle des fédéralistes. Elle aurait l’avantage de permettre l’entrée de l’Angleterre dans la Communauté, ce que le Général refuse et qu’Erhard souhaite. Il y a de part et d’autre beaucoup d’arrière-pensées. Au lecteur de juger.

 

                                                                                            CRITON