Criton – 1964-04-04 – Conférence du Commerce de Genève

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Le Courrier d’Aix – 1964-04-04 – La Vie Internationale

 

La Conférence du Commerce de Genève

Faute d’événement diplomatique majeur, la Conférence Internationale du Commerce qui se tient à Genève mérite examen. Elle doit durer trois mois, elle réunit les délégués de 123 pays et, si l’on n’en attend guère de résultats positifs d’importance, elle constitue déjà une confrontation des positions les plus diverses. Il y a là en effet les pays industriels dont les vues sont loin d’être semblables, les pays de l’Est avec l’U.R.S.S. et les pays sous-développés qui dans une certaine mesure forment un bloc, celui des revendications. On s’attendait à un débat académique d’une part, c’est-à-dire à l’affirmation de principes généraux sans portée politique, d’autre part à des morceaux d’éloquence politique sur les thèmes habituels : colonialisme et néo-colonialisme , droit à l’assistance des pauvres par les riches, etc…

En fait, l’ambiance a été beaucoup moins polémique. Il y avait pour cela de bonnes raisons : d’abord le conflit sino-soviétique, dont la virulence s’est exprimée à la Conférence d’Alger et qui a plongé les afro-asiatiques dans la confusion, mais surtout le courant hostile aux prodigalités qui s’est manifesté aux Etats-Unis et en France : le Sénat américain qui a déjà réduit l’aide au Tiers-Monde à 3 milliards de dollars a fait savoir au Président qu’elle le sera davantage cette année, et Johnson se contente de demander 3 milliards 400, sans doute pour n’en obtenir que deux, comme il est d’usage.

En France, on sait le retentissement des articles de Cartier dans « Match » contre l’ampleur et le gaspillage de l’aide que nous distribuons outre-mer. De l’autre côté du rideau de fer aussi, on est assez déçu des résultats politiques que l’on attendait de l’assistance fournie. Les Russes sont encore moins généreux que les Occidentaux, même proportionnellement à leurs ressources et ils sont maintenant en concurrence en Afrique et en Asie avec les Chinois qui tirent les marrons du feu de la propagande communiste que l’U.R.S.S. et ses satellites avaient organisée à grands frais. Enfin, il y a eu Cuba qui coûte cher et ne paye pas de retour. Les démêlés actuels de Castro avec ses compagnons de route communistes font craindre qu’il ne tourne au neutralisme et même à un accommodement avec les U.S.A. si ceux-ci s’y prêtaient. Telles sont les données de fait avec lesquelles les pays sous-développés ont à compter à Genève : les revendications outrancières risquent d’importuner davantage des donateurs mal disposés.

Dès l’abord, la douche froide est venue de M. Ball. Le délégué des Etats-Unis a précisé qu’à l’aide que les pays sous-développés sollicitent doit correspondre un égal effort de leur part et qu’ils doivent donner aux capitaux privés qui s’investissent chez eux des garanties de sécurité sans lesquelles ils s’abstiendront, que les dons qu’ils reçoivent ne peuvent être accordés sans contrôle de leur emploi sans justification de la contribution qu’ils apportent à leur progrès économique, autrement dit pour que les fonds ne servent pas en priorité à l’entretien et au luxe de la nouvelle caste dirigeante de ministres et de bureaucrates comme c’est le plus souvent le cas. Quels que soient les résultats de la Conférence de Genève, et personne n’en attend grand-chose, il est clair que l’aide directe gouvernementale ira en s’amenuisant. Par contre, les pays demandeurs bénéficieront de la concurrence que se font les pays industriels dans la recherche de débouchés. C’est à qui offrira les meilleures conditions et les crédits les plus longs pour placer coûte que coûte une production excédentaire, et les Gouvernements pour soutenir l’expansion octroieront les garanties nécessaires. Quant aux matières premières que les pays sous-développés exportent, aucun plan ne saurait les stabiliser : l’abolition du régime colonial les a livrés sans défense au jeu de l’offre et de la demande dont la puissance tutélaire les protégeait dans une large mesure. Ils constatent aujourd’hui tout ce qu’ils y perdent.

 

Le Programme du Sénateur Fulbright

La politique extérieure des Etats-Unis demeure intense : durcissement ou immobilisme ? embarras surtout. Le sénateur Fulbright, démocrate a jeté une pierre dans cette mare : il est pour la souplesse. Que ce soit à l’égard de la Chine rouge, de Panama, du Vietnam ou de Cuba, il croit que les Etats-Unis doivent s’accommoder des situations présentes qui sont plus désagréables que vraiment périlleuses. Il faut sortir des obsessions et négocier avec ceux qu’on ne veut pas abattre. Il n’est pas impossible de trouver avec Castro une forme de coexistence, de donner aux Panaméens quelques satisfactions, d’éviter d’étendre la guerre au Vietnam, de commercer avec les pays communistes, puisque l’on ne peut empêcher les Européens de le faire à notre place et, même sans reconnaître Pékin, ne pas fermer la voie à des rapports futurs que des circonstances nouvelles peuvent permettre. Les adversaires républicains verront là un programme de faiblesse. Il se peut que le président Johnson ait favorisé ces déclarations pour mieux s’y opposer en public. En période électorale, les voies de la politique sont tortueuses. Sauf aux heures de périls, le pouvoir aux Etats-Unis a toujours oscillé entre mous et durs pour tomber le plus souvent entre les deux, comme Kennedy devant Cuba ou Truman en Corée. La puissance des Etats-Unis est immense. En temps de paix, ils n’ont jamais su s’en servir. C’est un instinct bien connu : la faiblesse montrée par les forts les fait haïr.

 

Le Bilan de la General Motors

Puissance immense, disons-nous et surtout économique. La plus grande entreprise du monde, la « General Motors », vient d’acheter à titre publicitaire une page entière de chacun des plus grands journaux européens pour diffuser son bilan. Il vaut en effet qu’on le commente : Chiffre d’affaires 8 mille milliards d’anciens francs ; bénéfice net 800 environ, soit près de 10% ; dividende de 2.000A.F. par action. Des records absolus naturellement. Ce champion du monde du capitalisme ne se porte pas mal, comme on voit, et ceux qui le suivent aux Etats-Unis offrent un tableau analogue, 640.000 personnes dans le monde vivent de cette entreprise géante et vivent bien.

Le secret de cette réussite est simple : une bonne gestion sans doute, mais pas meilleure que d’autres. Surtout une législation qui laisse aux entreprises de gros bénéfices permettant d’investir à volonté selon la demande escomptée de renouveler rapidement l’outillage pour n’utiliser que le plus perfectionné, offrir une rémunération croissante du capital qui invite à l’épargne, instrument indispensable ; de hauts salaires qui permettent d’exiger une haute productivité. La prospérité des Etats-Unis est pour l’heure à un sommet jamais égalé dans leur histoire.

De l’autre côté en U.R.S.S., on est plus bas depuis 1957 : le sixième de la terre ferme du globe avec seulement 220 millions d’habitants dont 40% de paysans, et ce pays n’arrive pas à nourrir sa population !! On cherche fiévreusement des gisements d’or en U.R.S.S. pour payer le blé acheté aux pays capitalistes.

Le lecteur va nous dire : vous rabâchez sans doute. Mais nous qui sommes entre les deux mondes réfléchissons : il n’y a que trois voies possibles : 1°- suivre les méthodes d’Outre-Atlantique, comme nos voisins allemands ; 2°- imiter le système collectiviste ; 3°- adopter une politique économique propre, mais alors pour n’être ni écrasés par les premiers, ni satellisés par les second s’isoler du reste du monde, en relevant un mur douanier qu’on a eu tant de peine à abaisser. Que l’économiste qui sait une quatrième solution nous la dise : chiche !

 

                                                                                            CRITON