Criton – 1964-03-21 – Tension Franco-Allemande

ORIGINAL-Criton-1964-03-21  pdf

Le Courrier d’Aix – 1964-03-21 – La Vie Internationale

 

Chypre

Ce serait anticiper que de voir l’affaire de Chypre en voie de règlement. Cependant, la fièvre est tombée après l’ultimatum d’Ankara à Makarios le menaçant d’un débarquement turc et celui adressé à l’O.N.U. par les Anglais prêts à replier leurs troupes sur leurs bases : l’un et l’autre ont précipité l’envoi d’une force internationale que toutes les parties ont salué comme un succès pour leur cause. Beaucoup d’émotions sans doute, mais pour nous il était clair dès le début que ni la Grèce ni la Turquie ne voulaient mettre la paix en question pour Chypre. Elles s’y seraient ruinées et la saison touristique approche, ressource essentielle pour la Grèce et dont la Turquie à son tour voudrait profiter. Le sens des affaires en Orient tempère les passions.

 

La Tension Franco-Allemande

Il est des cas où au contraire il les exaspère : on ne saisissait pas clairement les raisons qui avaient opposé le chancelier Erhard au bourgmestre de Berlin Willy Brandt, de leur entrevue orageuse puis, semble-t-il, de leur accord. L’affaire venait de Paris. Le Gouvernement français déniait à celui de Bonn une compétence quelconque dans les problèmes de Berlin ; de plus, il avait encouragé le Sénat de Berlin, dans l’affaire des laissez-passer, à multiplier les contacts avec Pankow. Le journal « Le Monde » devenu officieux y a publié une longue déclaration d’Otto Winzer, vice-ministre des Affaires étrangères de Pankow, où toutes les thèses soviétiques sont défendues avec habileté.

Une mission parlementaire française, quoiqu’ostensiblement désavouée, avait visité Berlin-Est. Un groupe d’industriels l’avait précédée et depuis, on apprenait que deux usines complètes de produits chimiques allaient être installées par des firmes françaises en Allemagne orientale. On pense qu’un bureau permanent va être établi à Berlin-Est pour intensifier les relations commerciales et que les échanges vont se régler sur les plans du Comecon, c’est-à-dire sur le Marché Commun des satellites dirigé par les Soviets. C’est ce qui se serait discuté au cours de la mission Giscard d’Estaing à Moscou et serait mis au point dans un prochain voyage d’Edgar Faure. Ainsi, la zone d’occupation russe en Allemagne dépendrait moins des livraisons de l’Allemagne fédérale qui se verrait enlever des commandes au profit de l’industrie française.

On devine l’inquiétude à Bonn qui à deux reprises a demandé à Paris si on n’entendait pas préparer ainsi la reconnaissance officielle de la D.D.R. comme celle de la Chine de Pékin. Le Gouvernement français l’a jusqu’ici nié, mais par contre a fait savoir à Erhard que la question de Berlin tout comme celle de la réunification de l’Allemagne étaient de la seule compétence des quatre Puissances intéressées, U.R.S.S. par conséquent comprise.

Un an après la signature du pacte franco-allemand, on comprend qu’à Bonn la déception soit cruelle. On cherche à la dissimuler. Après tout, les hommes passent. Cette ténébreuse affaire explique aussi la note violente envoyée récemment par Moscou au Gouvernement Erhard, les « revanchards de Bonn » se trouvent pris entre deux feux : l’histoire se répète.

 

L’Apathie des Etats-Unis

Du côté américain, on paraît plutôt désemparé. On a besoin de l’Allemagne pour étayer le Dollar et les banques allemandes ont ces jours-ci mis en vigueur d’ingénieux systèmes pour stériliser l’afflux des dollars en Allemagne provoqué par l’excédent croissant de sa balance commerciale. Mais la politique extérieure passe au second plan à Washington. Le président Johnson fait piètre figure à la T.V. et il a fort à faire avec ses adversaires à l’intérieur de son Parti, en particulier le clan Kennedy dominé par le frère de l’ex-Président ; Johnson est un texan, un homme du Sud que les Démocrates du Nord n’aiment guère et sa candidature à l’élection de novembre est sourdement combattue. De plus, l’opinion américaine, isolationniste d’instinct, est de plus en plus énervée par les mauvais procédés de ses alliés et de tous les bénéficiaires de la manne du Dollar. Le récent saccage de l’Ambassade américaine à Phnom-Penh et les difficultés au Vietnam Sud ajoutent au malaise. Malgré l’optimisme de McNamara, retour de sa tournée là-bas, on s’inquiète de l’évolution de la guerre et du sang américain qui y est versé chaque jour.

Les problèmes intérieurs ont repris le dessus : Johnson veut s’attaquer à ce qui reste de pauvreté aux Etats-Unis où une famille est pauvre au-dessous de 1.500.000 anciens francs par an. 20% environ du total sont encore dans cette triste situation. Il faut que la prospérité accrue par les récents abattements d’impôts (11 milliards de dollars) résorbe au maximum ce reste de misère qui pour un bon quart touche les Noirs. Cette tendance au repliement sur soi n’est  pas particulière aux U.S.A. Si riche que soit un pays, il reste des zones de sous-développement à réduire.

 

Contre la Civilisation Occidentale

On ne saurait trop méditer la parole de Chou en Laï que nous avons citée ici : le but qu’il poursuit c’est l’élimination en Asie et en Afrique de la civilisation occidentale, c’est-à-dire la civilisation chrétienne et judéo-chrétienne, c’est-à-dire les valeurs que les croyants ont répandues et que les non-croyants ont fait leurs. Ce qui le démontre bien, c’est que ce sont les missions chrétiennes qui sont attaquées systématiquement. Au Congo belge, c’est elles que les bandes de Mulele guidées par Pékin ont ruinées. Du Soudan méridional, on a vu rentrer en Europe, expulsées, de longues files de missionnaires. La persécution est générale, aussi bien en Russie Soviétique où la campagne d’athéisme redouble, où chrétiens et juifs sont l’objet de mesures de répression, qu’en Chine et jusqu’au Pakistan oriental témoin de récents massacres de chrétiens, l’Islam poursuit le même but.

En Algérie, en dépit des cordialités échangées au Château de Champs pour commémorer les accords d’Evian, Ben Bella, après s’être débarrassé des derniers Français lorsqu’il n’en aura plus besoin, entend islamiser complètement le pays et substituer à notre langue l’arabe à tous les degrés de l’enseignement. Dans les pays d’Afrique Noire anglophone et francophone, lorsque les maitres actuels éduqués en Europe auront été éliminés – ce qui n’est qu’affaire de temps – ç’en seront d’autres formés à Pékin ou à La Havane (comme c’est le cas pour Zanzibar) qui entreprendront d’établir dans leur langue propre, une « civilisation » de leur cru ; la preuve : les émissions puissantes de Pékin que l’on peut entendre ici même en langue vernaculaire, Swahili, Haoussa, etc., et les écoles de journalistes qu’ils forment sur place à Bamako et ailleurs. On voit déjà Brazzaville, berceau historique de la décolonisation gaulliste, passer au camp de l’Est et se retirer de l’Union africaine et malgache. Bien entendu, toutes ces tentatives ne sont pas assurées de succès et elles rencontrent des résistances. Nous sommes même persuadés qu’avec le temps, notre civilisation se rétablira par ce qu’elle apporte aux hommes d’irremplaçable. Nous voulons montrer seulement que toute politique qui divise notre Monde occidental fait le jeu de ceux qui veulent sa ruine. Ce qui est affligeant, c’est qu’il faille le dire.

 

                                                                                            CRITON