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Le Courrier d’Aix – 1964-02-15 – La Vie Internationale
Chou en Laï veut détruire en Afrique la Civilisation Occidentale
A Mogadiscio en Somalie, dernière étape de son voyage africain, Chou en Laï a défini d’un mot sa politique : aider les pays africains comme ceux d’Asie et d’Amérique latine à « rejeter loin en arrière la civilisation occidentale » et de constater qu’il existe en Afrique une « excellente situation révolutionnaire » et d’en décrire les phases. D’abord obtenir l’indépendance, puis se débarrasser des intérêts étrangers, enfin par étapes instaurer un régime de type chinois : Ben Bella, Sékou Touré, Modibo Keita, suivant le modèle de Castro, sont plus ou moins dans cette voie, les autres suivront.
Les événements qui ensanglantent aujourd’hui l’Afrique Noire à Zanzibar, au Kouilou, au Ruanda Burundi, les révoltes qui n’ont pu être mâtées que par l’intervention britannique au Tanganyika, au Kenya, en Uganda, le glissement du Congo-Brazzaville dans la sphère d’influence communiste, les complots qui couvent partout contre les pouvoirs qui collaborent avec l’Occident, tout justifie les prédictions de Chou en Laï ; la civilisation occidentale recule et dans les cas extrêmes, on revient à l’état précolonial : luttes tribales, règne des sorciers, destructions des missions religieuses et des établissements industriels sous l’impulsion de chefs noirs comme Mulele au Congo ex-belge, armés et financés par les Sino-Soviétiques unis, là du moins, dans une même cause.
Sans doute à Paris, on sacrifierait d’un cœur léger l’Afrique au profit de pays plus intéressants pour l’intérêt national, on ne s’en cache pas. Mesure-t-on ce que représenterait du seul point de vue économique la perte de l’Afrique pour l’Occident au profit de l’autre monde ? L’Afrique du Sud en particulier, du Katanga au Cap ? Nous n’en sommes pas là et même un hôte cher à Chou en Laï, Sékou Touré vient, devant l’effondrement de l’économie guinéenne, d’implorer des Etats-Unis une aide de 30 millions de dollars. Le succès du tour africain du Chinois, en dépit du prestige qui lui a valu la reconnaissance de son régime par la France, a été fort inégal, mais le pied qu’il a pris en Afrique y restera. Et ce continent encore en grande partie primitif est si fragile qu’une poignée d’agitateurs suffit à le bouleverser.
Le Réveil de l’Anti-Américanisme
Comme on le pressentait, la Conférence de presse du Général de Gaulle a déterminé dans le Tiers-Monde de profonds remous. La France prenait la tête du neutralisme et l’hostilité aux Américains s’est réveillée partout. Il y avait déjà Panama et Chypre ; Castro à son tour a saisi l’occasion : il a envoyé ses bateaux de pêche se faire prendre dans les eaux de Floride et défié les Etats-Unis en coupant l’eau à la base américaine de Guantanamo. Cuba est le point sensible de l’opinion américaine et tout ce qui y touche peut menacer la paix. On comprend l’irritation de Washington quand ses Alliés rivalisent pour fournir à Castro ce qu’il peut acheter avec le sucre que les Russes ont fini par lui laisser : les Anglais lui vendent des autobus, l’Espagne des bateaux, la France des camions et le blé canadien acheté par les Soviets est détourné pour soulager la disette de l’Île. Les Américains, les témoignages abondent, sont blessés en profondeur. Les conséquences en peuvent être durables. Quand un gouvernement ou son successeur viendra solliciter des crédits pour sa monnaie, une fois de plus en détresse, le Congrès pourrait y mettre son veto.
L’Inquiétude en Allemagne Fédérale
Le malaise est aussi profond en Allemagne fédérale. Ici, le point sensible c’est le régime de Pankow. Le Gouvernement français a dû, sur la demande de Bonn, déclarer qu’il considérait la D.D.R. comme un régime fantoche et désavouer publiquement les Parlementaires français qui étaient allés faire leurs amitiés à Ulbricht. Il y aura toutefois trois cents exposants français à la foire de Leipzig. Le Pacte Paris-Bonn a d’étranges lendemains.
Les Politiques Successives du Général
L’éditorialiste de l’ « Observer » de Londres a bien résumé les tribulations de la politique du Général. Il y eut d’abord l’Empire, la France des cent millions d’hommes, liquidé dans les circonstances que l’on sait. Il y eut ensuite l’Europe de l’Atlantique à l’Oural unie en face des Anglo-Saxons. Les Russes l’ont méprisée. Puis vint l’Europe, troisième force dans le monde, l’Europe des Etats dominée par la France ; cette Europe-là, ses partenaires ne l’ont pas acceptée. Il y eut alors l’Alliance franco-allemande qui devait contraindre les autres à s’y joindre, Angleterre exclue. Echec complet. Alors voici la France partenaire de la Chine rouge contre les deux Puissances, surtout contre les Etats-Unis ralliant tous ceux qui se veulent non engagés ; les petits contre les grands. Cela s’appelle l’indépendance nationale. Notre auteur croit que ce vaste dessein aura le sort des autres. Beaucoup de Français partagent son avis : voir Cartier dans « Paris-Match ».
La Résurrection du Marché Commun
Par un curieux retour des choses, le Marché Commun, ce miraculé quotidien comme l’appelle notre Ministre de l’Agriculture, a repris vie alors qu’en décembre on le croyait moribond. Les Cinq et surtout l’Allemagne fédérale ont compris que sa destruction ferait disparaître le dernier lien qui rattachait la France au camp occidental et que les sacrifices auxquels ils étaient contraints pour le sauver valaient d’être consentis. Malgré « l’intolérable pression » dont a parlé Erhard, on s’est accordé sur les principes de l’Europe Verte et l’on s’efforce de trouver les modalités pratiques de la réaliser. Les derniers colloques de Bruxelles semblent aller vers une conclusion favorable. A l’usage, ce règlement compliqué réserve des surprises et ceux qui y ont gagné des avantages les verront peut-être se retourner contre eux, car les agriculteurs les mieux organisés et équipés prendront toujours le dessus sur leurs concurrents. Mais le fait est là : le Marché Commun a franchi l’étape la plus difficile qui paraissait infranchissable ; la Commission exécutive a affermi son autorité. Nous reconnaissons volontiers que nous n’y croyions pas. Ce succès a le mérite de lier définitivement les politiques économiques des Six et de limiter rigoureusement les initiatives unilatérales de l’un d’eux. Sur ce point au moins, le nationalisme ne saurait prévaloir. C’est beaucoup.
Le Chômage dans les Pays de l’Est
On est toujours avare d’informations sur la crise qui secoue l’économie des pays communistes d’Europe. La situation cependant s’est beaucoup aggravée en Pologne ; pour éviter un chômage massif, Gomulka a dû supprimer la plupart des emplois féminins dans les usines et les administrations. L’agriculture est si déficitaire qu’outre les achats de blé aux Etats-Unis, la Pologne vient de passer contrat avec la France pour des livraisons échelonnées sur plusieurs années. Le chômage est aussi très étendu en Bulgarie et chez Tito en Yougoslavie, le chiffre de 300.000 vient d’être atteint. Ce triste record dépasse aussi celui des plus mauvaises années du régime monarchique quand le chômage était universel. Mais tandis que les chômeurs des pays satellites ne peuvent franchir le rideau de fer, ceux de Yougoslavie émigrent avec le consentement des autorités dans les pays qui manquent de main-d’œuvre, en Allemagne fédérale et en Suisse surtout. Un bureau d’émigration a été installé à Dris en Dalmatie : l’ouvrier s’engage à payer en devises étrangères ses taxes et impôts et la subsistance des membres de sa famille demeurée en Yougoslavie. L’Etat y trouve son compte et, rendons-lui hommage, ne s’en cache pas, les principes socialistes dussent-ils en souffrir. Si les travailleurs des autres pays dits socialistes pouvaient le faire, les bureaux de recrutement seraient vite submergés.
CRITON