Criton – 1960-12-24 – L’Heure de la Vérité

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Le Courrier d’Aix – 1960-12-24 – La Vie Internationale.

 

L’Heure de la Vérité

 

Si pressants que soient d’autres problèmes, celui de l’Algérie domine la scène du monde actuel. Et l’on commence à se rendre compte, non sans inquiétude, que le sort de notre Monde occidental tout entier en sera influencé.

 

L’Algérie

Tous les commentaires à quelque bord qu’ils appartiennent, aussi bien d’un côté que de l’autre du rideau de fer, s’accordent pour une fois sur un point : l’indépendance de l’Algérie est une certitude. Ce n’est plus qu’une question de temps. Toute autre solution est aujourd’hui dépassée. On lit cette phrase de la « Pravda » au « New-York Herald Tribune ». Même unanimité sur un autre point : la négociation avec le F.L.N. Elle est inévitable et nécessaire, et le plus tôt sera le mieux. C’est ce qu’écrit un organe aussi pondéré que l’ « Economist » de Londres.

Cet appel répété de toutes parts comme allant de soi à une négociation de nature à régler le conflit nous paraît assez surprenante. Pour négocier, il faut être deux. Or, rien ne paraît indiquer que le F.L.N. y soit prêt, à moins qu’on n’accepte d’avance ses propres conditions. Dans le cas contraire ou bien il s’y refusera, comme on l’a vu à Melun, ou bien si les pressions extérieures l’y obligent, ce qui est possible, il négociera à la russe, c’est-à-dire indéfiniment et sans autre résultat que des effets de propagande. La leçon apprise à Moscou et à Pékin ne sera pas perdue.

 

Quelques Remarques Précises

Un journaliste américain, qui pendant les journées tragiques d’Alger a fait une enquête sur place, remarque que l’on n’a pas compris en France et ailleurs l’état d’esprit des Musulmans. L’un d’eux lui a dit : « De Gaulle veut nous donner l’indépendance, ce sont les Français d’ici et l’armée qui nous la refusent, c’est pourquoi on acclame les C.R.S. et l’on hue les zouaves ». Fondée ou non, cette réaction est naturelle à des esprits simples, pour qui les détours de la politique sont insaisissables ; un autre, allemand celui-là, remarque : « Fehrat Abbas a posé nettement les conditions du F.L.N. : il faut que deux tiers au moins des Français d’Algérie quittent le pays, sans quoi il n’y a pas de paix possible. Si la France refuse, la guerre continuera, et le correspondant ajoute : « Au cours de la tournée à Moscou et à Pékin, la ligne du F.L.N. a été concertée avec Fehrat Abbas : la prolongation de la guerre est le plus sûr moyen d’affaiblir la France et le Monde Atlantique avec elle. C’est le seul qui permette d’obtenir une complète victoire. Aujourd’hui, elle est impossible. La situation n’est pas mûre ».

D’autre part, il est illusoire de prétendre que l’Algérie ne peut vivre sans la France. La Tunisie, le Maroc, la Guinée, le Soudan, le font à des degrés divers et sans difficultés insurmontables. Les notions d’intérêt et de bon sens n’ont rien à y voir. Les populations noires et surtout musulmanes, sont accoutumées à supporter n’importe quelles privations et les maîtres qui les dominent ne se soucient guère de leurs besoins. Enfin, Russes et Américains se précipitent dès que le vide leur ouvre la voie. A Bamako, pour installer leurs délégations, ils se disputent les immeubles que les Français vendent.

Nous nous excusons auprès de nos lecteurs de leur mettre ainsi crûment ces remarques. Ils sont habitués de notre part à plus de nuances. Mais il nous paraît comme un devoir de regarder la réalité en face et sans détours. La situation nous paraît telle qu’elle est ici décrite.

 

Les Américains et le « Sens de l’Histoire »

On épiloguera à l’infini sur « le sens de l’histoire ». Les congressistes de Moscou affirment qu’elle va dans leur sens ; M. Herter, à New-York, en dit autant de la politique des Etats-Unis. Ici même on s’en réclame pour justifier l’inévitable. Hitler en disait autant. D’autres pensent que l’histoire est ce que les hommes la font. Ce n’est pas nous qui prétendrons trancher le débat. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des nations qui savent se faire respecter et d’autres pas.

Les Etats-Unis avec toute leur science, leurs richesses et leurs armes n’y sont pas parvenus. Nuls plus que les Etats-Unis n’ont poussé plus activement à la décolonisation. D’après ce que l’on sait de la nouvelle équipe qui va diriger les affaires extérieures des U.S.A., le mouvement sera poursuivi plus vivement que jamais. Leur pensée profonde c’est que le jour où il n’y aura plus dans le Monde libre que des Etats indépendants, l’assaut pourra être donné, politiquement parlant, à la seule puissance coloniale qui demeure : l’U.R.S.S. et l’on verra alors se décomposer cet empire.

L’autre arrière-pensée, c’est que les deux grandes puissances coloniales, l’Angleterre et la France, sont des pays sur le déclin, dont l’importance s’efface peu à peu devant les nouveaux Etats qui montent et c’est à ceux-là que doit aller toute leur sollicitude. Malheureusement ils n’ont peut-être plus les moyens financiers d’y pourvoir. C’est présentement ce qui les inquiète. Il en est des Etats comme des particuliers. Si l’on répand ses richesses, il faut en contre-partie restreindre son train de vie. Pour un homme, cela est relativement aisé, pour une nation c’est une autre affaire. La France et l’Angleterre en ont fait l’expérience. Elles ont vécu au-dessus de leurs moyens à cause des charges assumées au-dehors. Leur monnaie en a pâti dans les proportions que l’on sait.

 

Le Laos

A l’autre bout du monde, l’affaire du Laos devient inquiétante. Les Alliés sont une fois de plus divisés ; la France et l’Angleterre, cette fois-ci d’accord, entendaient maintenir au pouvoir le prince Souvannna Phouma à la tête d’un gouvernement neutre, à l’image du Cambodge. Les Américains et les Thaïlandais ont pensé que c’était livrer le pays aux communistes à plus ou moins long terme et qu’il fallait agir d’autant plus vite que les Soviets avaient établi un pont aérien sur Vien-Tian pour ravitailler en carburant et en armes les partisans du Patet Laos et leurs associés. Le général Phoumi l’a emporté après une sanglante bataille. Mais il est peu probable que ses adversaires se tiennent pour battus. La lutte n’est pas finie et l’issue incertaine. Allons-nous vers une nouvelle guerre de Corée ? Il semblerait.

 

Le Problème Agricole et le Marché Commun

Le problème agricole, pierre d’achoppement du Marché Commun, est en ce moment au centre du débat de la réunion des Six et l’on ne sait pas encore si l’accélération du Traité de Rome prévue pour le 1er janvier, pourra être mise en train. Un rapport du Secrétaire d’Etat de la République fédérale, Sonnemann a attiré notre attention : la récolte allemande de céréales cette année a été tellement abondante que le marché intérieur peut à peine l’absorber, ce qui rend difficile l’observation des contrats que l’Allemagne a passés avec les pays étrangers. Et il ajoute : cela ne changera plus à l’avenir, même si les récoltes sont moyennes. Pour des raisons politiques et commerciales, la République fédérale est obligée d’importer presque 700.000 tonnes de blé tendre dont elle n’a aucunement besoin. Ces quantités doivent être réexportées sous forme de farine. Celle-ci est utilisée par certains pays voisins pour la confection de produits finis qui sont placés sur le marché allemand à des prix inférieurs aux prix allemands. « Curieux circuit » ajoute le Ministre.

En effet. Si nous avons cité ce texte, c’est qu’il met en lumière – et cela intéresse nos agriculteurs – un problème dont l’importance n’a pas besoin d’être soulignée. Voilà un pays exigu, surpeuplé, au sol très inégalement fertile, qui arrive à se suffire, même en céréales. Le progrès technique peut accroître les rendements à tel point que les marchés seront de plus en plus saturés, ce qui est particulièrement sérieux pour la France dont les possibilités d’accroissement de la production agricole sont encore considérables. La demande intérieure est peu élastique, les débouchés extérieurs seront de plus en plus difficiles. On comprend qu’un marché agricole commun ne pourrait aboutir qu’à une concurrence de nature à effondrer les prix. Il semble que les planificateurs n’avaient pas vu venir un phénomène comme celui que nous venons de relater. L’édifice du Marché Commun y résistera-t-il ? Souhaitons-le.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1960-12-17 – Du bon Usage de la Démocratie

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Le Courrier d’Aix – 1960-12-17 – La Vie Internationale.

 

Du Bon Usage de la Démocratie

 

Le pire n’arrive pas toujours, et dans ces péripéties nombreuses qu’a traversées la vie internationale ces derniers temps, il a été évité. C’est ce que souhaitent avec discrétion et objectivité la plupart des organes étrangers qui s’émeuvent du drame algérien. Dans ces circonstances douloureuses, il convient de reconnaître que rien n’a été dit pour accabler le Pouvoir. Que nos ennemis exultent, cela va de soi. Mais si dans des questions mineures, l’unification européenne, la force de frappe, la division économique des deux groupes européens, les critiques ne nous ont pas été épargnées, dans l’affliction qui accable aujourd’hui toute la nation, on sent que nos amis étrangers la partagent et s’efforcent de nous communiquer leurs raisons d’espérer.

 

La Politique Française jugée de l’Extérieur

On peut cependant noter que les commentateurs les plus avertis comprennent mal la politique suivie par le Général de Gaulle. L’évolution vers la proclamation d’une république algérienne n’avait de sens que si, au préalable, elle avait été acceptée par le F.L.N. et qu’une trêve avait été établie, sinon, cette politique ne pouvait aboutir qu’à exaspérer les Français d’Algérie et à provoquer le choc entre les deux communautés, ce que l’on voulait précisément éviter et ce qui s’est produit. Faute de cet accord préalable, et tous pourparlers devenant chaque jour plus improbables, il eut été sage de s’en tenir au plan de Constantine et à la réorganisation administrative, laissant les problèmes politiques en suspens parce qu’ils ne peuvent être résolus unilatéralement. Il est difficile de ne pas partager cette opinion, surtout après ce qui s’est passé à Alger.

 

De l’Usage de la Démocratie

Sur le plan idéologique, on fait aussi remarquer combien il est illusoire de chercher dans des conflits de cet ordre à faire trancher les questions par les voies démocratiques. Les choses se passent au milieu des passions et dégénèrent fatalement en épreuve de force. On ne peut sans équivoque demander aux mases de se prononcer sur des questions qu’elles ne peuvent comprendre, sur les solutions dont elles ne peuvent mesurer les conséquences que les hommes d’Etat eux-mêmes sont incapables de mesurer comme la preuve vient d’en être faite. C’est là un mauvais usage de la démocratie, au sens où nous l’entendons en Occident.

 

L’Épreuve de l’O.N.U. au Congo

Les Nations-Unies continuent à subir l’épreuve du Congo. Là non plus, les notions du droit et de la raison, et l’impartialité du jugement et de l’action, n’arrivent pas à s’imposer.

Tandis que l’anarchie règne sur place, l’O.N.U. demeure le champ clos des luttes partisanes où s’affrontent les deux Blocs. La situation, si sérieuse qu’elle soit, n’est pas désespérée grâce à l’activité des Africains d’expression française qui sont restés dans l’orbite occidentale, grâce aussi aux violences du groupe lumumbiste qui s’est retranché à Stanleyville.   Hammarskoeld a eu raison de dire que si peu efficace qu’ait été l’action de l’O.N.U. au Congo, elle a jusqu’ici permis d’éviter que les puissances rivales n’interviennent directement.

A noter que le groupe neutraliste s’est divisé : tandis que Tito, Nasser et Soekarno faisaient cause commune avec les panafricains partisans de Lumumba, Nkrumah, Sékou Touré et Modibo Keita, le président Nehru, lui, n’a pas retiré ses troupes du Congo et soutient la position du Secrétaire Général de l’O.N.U. Le fait est d’importance, car l’autorité morale de Nehru est grande sur les pays afro-asiatiques, et sa défection aurait certainement provoqué une rupture d’équilibre au sein des Nations-Unies. Elles auraient dû renoncer.

Si long que soit le chemin vers la stabilité au Congo, il n’est pas irrémédiablement coupé. Pour aboutir, il faudrait que le Colonel Mobutu ne fasse pas d’obstruction à l’action des Nations-Unies. Peut-être la Conférence de Brazzaville qui va réunir Kasavubu, Fulbert Youlou, Tsiranana, Mamadou Dia et quelques autres, trouvera-t-elle la force de poursuivre sa mission de pacification.

On a beau critiquer l’organisation internationale, ses hésitations et ses défaillances, elle est un rempart contre l’extension de la guerre froide en Afrique. L’hostilité et le travail de sape de l’U.R.S.S. et de ses acolytes, montre assez qu’elle les gêne pour étendre leur domination à l’Afrique. Il se pourrait bien qu’un jour on soit assez satisfait de faire appel à l’O.N.U. en Algérie, en désespoir de cause. Tout dépend de l’issue encore incertaine de l’affaire congolaise.

 

Les Tribulations du Laos

Nous n’avons pas parlé, à dessein jusqu’ici, de l’affaire du Laos, plus confuse encore que celle du Congo et sur laquelle il est encore impossible de voir clair. L’O.N.U. a été tenue à l’écart, ce qui a permis aux Russes d’intervenir. Les Américains ont mis en état d’alerte leurs « Marines » et il n’en faudrait pas beaucoup pour que le Laos ne devienne une autre Corée. Ce qui est remarquable c’est, jusqu’ici du moins, le rôle effacé de la Chine de Pékin dans l’affaire. Le Patet Laos qui passe pour son instrument, n’a pas encore cherché sérieusement à s’imposer par la force.

Nous pensons qu’il y a à cela une raison : le Laos est en contact direct avec le Nord-Vietnam et c’est d’Ho Chi Min que dépend la politique des communistes laotiens. Ho Chi Min ne paraît pas pressé de voir les Chinois s’infiltrer au Laos et aime mieux que ce soient les Russes qui s’en chargent. Il se peut même qu’il préfère un Laos neutralisé que dominé par Pékin. Les Chinois ont fait du Tonkin une colonie qu’ils exploitent avec une dureté inimaginable. La population opprimée et misérable qui travaille pour ses nouveaux maîtres subit le régime et par moments des révoltes inutiles éclatent de ci, de là. Ho Chi Min a tout intérêt à avoir à sa frontière sud-occidentale, une fenêtre ouverte sur le Monde libre. C’est pour le Laos une chance, peut-être faible, de conserver son indépendance ; les tribulations de sa fragile existence sont loin d’être terminées.

 

La Formation du Ministère Kennedy

Kennedy avant même que d’être en poste a des difficultés pour former son futur ministère. Des rivalités de personnes, des dosages de portefeuilles entre clans du même Parti de régions différentes, s’imposent comme dans toute démocratie. Les affaires étrangères vont finalement à un outsider : Dean Rusk. Les deux favoris, Stevenson et Chester Bowles, n’ayant pas voulu servir réciproquement sous les ordres de l’autre. On les a donc séparés, Stevenson va à l’O.N.U. représenter les U.S.A. et Bowles sera l’adjoint de Rusk. Ce dernier s’est surtout occupé de l’Extrême-Orient, peu de l’Europe ; il passe pour « Achesonien ». Il a en effet été le collaborateur d’Acheson. A première vue, la politique de la nouvelle équipe serait réaliste et flexible, en opposition avec celle de feu Dulles, et plus démocratique et libérale qu’exclusivement anti-communiste.

Dans l’ordre intérieur, on s’accorde à penser que Kennedy, président ne mettra pas en pratique les slogans de Kennedy candidat et qu’il sera contraint à une politique conservatrice ; toute imprudence budgétaire, comme le déficit provoqué par des travaux publics à grande échelle est exclu dans l’état actuel de la balance des comptes et de la crise du Dollar. La politique du nouveau Président sera conservatrice par la force des choses. Il ne peut provoquer des aventures que l’opinion n’accepterait pas. Ces bonnes vieilles démocraties, pourries de défauts si criants, ont quand même leurs avantages.

 

                                                                                            CRITON

 

 

Criton – 1960-12-10 – Le Spirituel et le Temporel

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Le Courrier d’Aix – 1960-12-10 – La Vie Internationale.

 

Le Spirituel et le Temporel

 

Saluons d’abord un événement historique. La rencontre du Souverain Pontife et de l’Archevêque de Canterbury, primat de l’Eglise anglicane, dont on s’accorde à reconnaître qu’elle marque une date dans l’histoire de la Chrétienté. Ce contact tant attendu est le premier depuis la Réforme.

 

L’Audience du Vatican

Comme les illustres interlocuteurs l’ont laissé entendre, il ne s’agit pas de la recherche en commun d’un compromis d’ordre dogmatique, mais de l’affirmation de la solidarité du Monde chrétien en face de la menace grandissante de l’athéisme bolchévik, d’un rassemblement et d’une coopération fraternelle des spiritualités. Point n’est besoin d’exemple pour montrer que malgré de louables efforts, cette collaboration a souvent manqué, particulièrement dans les missions auprès des peuples de couleur. La rivalité des confessions ont nui au prestige de la doctrine chrétienne et comme l’a souligné le Dr Fisher, c’est à l’échelon inférieur, bien plus qu’au supérieur, que cette fraternité chrétienne a besoin de s’établir. L’élection d’un catholique à la Présidence des Etats-Unis, pour lequel beaucoup de protestants ont voté, montre que les antagonismes confessionnels se sont atténués dans le pays où ils étaient le plus aigu, malgré la tolérance de principe affectée par tous. Le Dr Fisher avait, avant de se rendre à Rome, rendu visite en Orient à plusieurs hauts dignitaires de l’Eglise orthodoxe qui ont paru de leur côté très favorables à ces manifestations de solidarité chrétienne.

 

L’Action Religieuse des Soviets

Les Soviets ne s’y sont pas trompés et ont dépêché leur patriarche Alexis, serviteur zélé comme au temps des tsars de l’impérialisme Russe, auprès des évêques de Syrie et d’Egypte qui, pour des raisons politiques évidentes, ne pouvaient le recevoir froidement. Au surplus, les Russes paraissent soucieux de ne pas garder à la tête de l’Église moscovite, des hommes trop marqués par leur obédience au pouvoir. Le patriarche Nicolas de Moscou, persécuteur des catholiques Uniates, vient d’être mis à la retraite. Pour remplir un rôle diplomatique utile, Krouchtchev entend ne se servir que de Prélats conservant un semblant d’indépendance. C’est le cas du patriarche Alexis qui jouit de certaines sympathies au Moyen-Orient où il s’est entremis à plusieurs reprises pour soutenir ses coreligionnaires en face du Monde musulman.

 

L’Union Chrétienne et le Conseil Œcuménique

L’heure est venue pour les Chrétiens d’Occident de s’unir, et la préparation du Conseil œcuménique comporte de nombreuses prises de contact entre les autorités des diverses confessions. Si cette grande réunion a été décidée, c’est qu’on était sûr que des décisions d’une portée universelle y seraient consacrées. L’entrevue d’hier en marque une étape.

 

Les Échecs Soviétiques dans la Conquête de l’Espace

Dans les domaines scientifiques et idéologiques, les affaires de Moscou ne vont pas bien ; c’est une coïncidence curieuse, mais qui n’est pas rare dans l’histoire, qu’une crise dans la vie d’un mouvement ou d’un homme se manifeste par des déconvenues successives ou simultanées, de nature diverse. Un malheur, dit-on, n’arrive jamais seul. Le troisième vaisseau de l’espace russe a brûlé dans l’atmosphère après avoir été placé sur une orbite différente sans doute, des calculs prévus. Mais on sait maintenant que cet échec avait été précédé d’un autre bien plus grave : le jour de l’ouverture de la session de l’O.N.U., alors que Krouchtchev pensait annoncer un coup d’éclat, une terrible explosion détruisit au sol les installations et la fusée qui devait emporter un homme ; deux autres tentatives, l’une en Sibérie, et l’autre dans le grand Nord, commandées aussitôt après cet échec ont à leur tour échoué, faute de préparation suffisante : huit savants allemands et plusieurs soviétiques, dont deux spécialistes militaires, ont été arrêtés et peut-être exécutés pour sabotage.

 

Le Conclave Communiste

Enfin, le grand Conclave des 81 partis communistes s’est terminé à Moscou. Il a duré trois semaines et l’on sait peu de choses de ce qui s’y est dit, sinon que les débats ont été animés et les controverses très âpres. Naturellement, tout cela est dissimulé dans le communiqué final. Il ne faut à aucun prix que les dissensions du Parti soient connues du monde. Il est cependant facile en écoutant les radios des divers mouvements de reconstituer les thèmes opposés.

Comme nous l’avons répété ici depuis le début de la querelle, l’aspect idéologique n’est que le masque d’un conflit beaucoup plus simple : les Chinois et leurs alliés, savoir : l’Albanie et dans une certaine mesure la D.D.R. d’Ulbricht en Europe ; la Corée du Nord et les partisans Vietnamiens du Sud en Asie, et surtout la plupart des partis communistes d’Amérique Latine, voudraient que l’U.R.S.S. passe à l’action militaire pour accélérer la révolution universelle. Les Chinois et leurs alliés n’ont rien à perdre dans l’aventure. Les Russes, au contraire, savent fort bien, ou qu’ils seraient écrasés ou que, même s’ils survivaient, ils seraient assez affaiblis pour que l’Empire éclate et que les Chinois en recueillent l’héritage.

Finalement le thème de a coexistence pacifique l’a emporté à Moscou parce que Krouchtchev l’a imposé. Mais il a suscité de vives colères et à plus ou moins longue échéance, la suprématie soviétique sur le Monde communiste, sera en question, surtout si Moscou ne peut empêcher la Chine de devenir puissance atomique. On dit même qu’en prévision de cet événement, les Soviets ont installé en Sibérie des bases de missiles dirigées contre la Chine.

 

Le Passage du Socialisme au Communisme

Dans la controverse, le thème le plus répété est celui-ci : il n’est pas possible d’accélérer les étapes et d’aller sans transition du socialisme au communisme. L’avènement du communisme suppose une économie développée et une production de biens de consommation surabondante pour satisfaire tous les besoins, ce qui implique une industrialisation très évoluée et très complète. Ce sont évidemment les Chinois qui sont visés là.

 

Le Maroc et Moscou

Sur le plan politico-diplomatique, par contre, Moscou pose ses pions. Après avoir félicité M. Moktar Ould Daddah pour l’accession de la Mauritanie à l’indépendance « délivrée du joug colonialiste » et souhaitant que cette « indépendance devienne de plus en plus complète à l’avenir », Krouchtchev, le lendemain, mettait son veto à l’entrée de la Mauritanie à l’O.N.U., donnant ainsi à Rabat un précieux appui. Cette contradiction n’a rien pour surprendre, Krouchtchev a une conception de l’indépendance des peuples dont les Soviets ont donné assez d’exemples, des pays baltes et de la Hongrie, au Turkestan. Quand la Mauritanie sera « autonome » au sein de l’empire chérifien, son indépendance sera vraiment complète à la manière russe. On ne saurait en plaisanter.

Le Monde africain tout entier est menacé d’ébranlements graves. Les responsabilités sont multiples. Il serait cruel de les énumérer. Mais si le Maroc, après la Guinée et le Mali, passait réellement dans l’autre camp, la solution du problème algérien n’en serait pas facilitée.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1960-12-03 – Pronostics Hasardeux

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Le Courrier d’Aix – 1960-12-03 – La Vie Internationale.

 

Pronostics Hasardeux

 

La semaine comporte nombre d’événements intéressants et d’abord au Congo Belge.

 

Au Congo Belge

Après tant d’incidents et de vicissitudes, la raison semble l’avoir emporté. Sans doute la prudence s’impose et le camp communiste et panafricain n’a pas désarmé, mais il devient moins probable que ce soit Krouchtchev qui rira le dernier. En effet, le président Kasavubu a été reconnu à l’O.N.U. comme le représentant de son pays et il est retourné à Léopoldville accueilli en triomphateur. Il a de plus rencontré à Brazzaville, chez son cousin Fulbert Youlou, le président Tshombe du Katanga et Kalonji. Une table ronde des divers chefs congolais s’ouvrira bientôt à Léopoldville et si de nouvelles discordes ne surgissent, un Etat fédéral congolais pourrait s’établir.

C’est la formule de bon sens que nous avions prévue dès le début du conflit, mais il s’en est fallu de peu qu’elle échouât et il n’est pas assuré encore qu’elle triomphe : les rivalités de personnes et les antagonismes tribaux représentent assez d’obstacles pour que les adversaires de l’extérieur reviennent à la charge.

 

Les Rêves de Nkrumah

C’est ce que prépare déjà Nkrumah, le leader Ghanéen dont l’Ambassadeur à Léopoldville n’a pu échapper qu’à grand peine à la menace des soldats de Mobutu. Il entend venger cet affront. Il propose la formation d’une armée africaine qui serait, selon les cas, dépendante ou non de l’O.N.U. et qui ne comporterait que des soldats du clan Lumumbiste, savoir l’Egypte, le Maroc, la Guinée, le Mali et le Ghana auxquels on associerait d’autres africains non engagés comme l’Éthiopie et la Libéria, à l’exclusion des pays d’expression française. Inutile de dire que l’U.R.S.S. lui fournirait généreusement les armes.

La constitution de cette force n’est pas pour demain, mais déjà Nkrumah propose au Mali une fédération avec le Ghana que la Guinée avait repoussée. On peut craindre, pour un jour plus ou moins proche, une guerre en Afrique noire. La Guinée reçoit des équipements militaires de la Russie et des Satellites. L’avenir du continent est loin d’être assuré. Trop d’ambitions s’y agitent. Le meilleur espoir est qu’elles se neutralisent.

 

La Crise Tuniso-Marocaine

C’est ce que nous voyons au Maghreb. La crise a éclaté entre Tunisie et Maroc, au sujet de la Mauritanie. Rabat a été pris de fureur en voyant Bourguiba donner son appui à Moktar Ould Daddah. Les prétentions marocaines déçues, le prince Moulay Hassan s’en est pris à la France. Nos bases aériennes ont été saisies, nos troupes expulsées et on a envoyé une mission à Moscou pour recevoir des Mig 15 offerts par l’U.R.S.S. avec le personnel et les techniciens, comme d’usage. L’armée marocaine équipée à grand frais par la France et les Etats-Unis, va recevoir des instructeurs soviétiques. Ce ne sont peut-être que des fantaisies de l’indépendance. Elles sont inquiétantes à cause de la violence et de l’émotivité de la race.

 

Bourguiba et l’Algérie

Ces incidences sont à rapprocher des déclarations de Bourguiba qui ont fait grand bruit au sujet de l’Algérie. La future République algérienne, encore dans les limbes, est déjà l’objet de compétitions. Bourguiba croit, ou feint de croire, à une intervention chinoise. Des bruits en effet circulent d’un envoi de « volontaires » chinois en Tunisie avec l’équipement lourd destiné à faire sauter la ligne Morice. Cela en conformité avec des promesses faites à Ferrat Abbas par les dirigeants de Pékin. On voit mal cependant comment ce matériel pourrait être mis en place. De la part de Bourguiba on ne sait s’il s’agit de craintes ou de chantage. Toutefois, il ne verrait pas de bon gré son pays transformé en place d’armes, où en fait Chinois et F.L.N. seraient militairement les maîtres. Nasser et Mohamed V aidant, Bourguiba pourrait être remplacé par son rival Salah ben Youssef qui attend son heure au Caire. Il a donc tout intérêt à un règlement du problème algérien selon les directives du Général de Gaulle. Mais est-il en mesure de faire pression sur le F.L.N. ?

 

La Solution du Problème Algérien

Au sujet du problème algérien, nous relevons un article assez intéressant d’Egisto Corradi dans le « Corriere de Milan », qui concorde d’assez près avec les opinions d’autres correspondants étrangers. On se souvient que le 16 septembre, le Général de Gaulle avait fait allusion à« des regroupements de population sur certaines parties du territoire » en cas de refus des Algériens de s’associer à la France.

Voici ce que croit savoir Corradi – auquel nous laissons toute la responsabilité de ses propos – :

L’autodétermination serait précédée (après le prochain référendum) d’une trêve unilatérale des troupes françaises, puis d’une nouvelle subdivision du territoire algérien, qui comprendrait vingt-deux provinces au lieu de douze actuellement. Grâce à ce découpage, on isolerait celles où la majorité est d’origine française et celles où cet élément est fortement représenté, de celles où les Musulmans dominent largement.

Dans le cas probable où la République algérienne, dans son ensemble, refuserait de s’associer à la France, on procèderait à la partition : les provinces d’Alger et sans doute d’Oran, qui auraient 200 kilomètres de large sur 80 de profondeur, seraient proclamées territoire français et n’y résideraient que les Musulmans qui voudraient devenir ou demeurer citoyens français à part entière. On procèderait en conséquence à un échange de populations, les Français des autres provinces venant remplacer dans ces deux réduits les populations musulmanes qui auraient choisi l’indépendance.

Ce ne sont là que conjectures ; elles semblent toutefois dans la ligne des intentions plus ou moins explicites que l’on peut tirer de l’exégèse des récents discours. Elle reflète également les prévisions des observateurs étrangers. On se souvient que la solution du partage (solution dite Palestinienne) avait été proposée dès 1956 par certains politiciens mendéssistes et qu’elle nous était apparue à l’époque comme étant dans la ligne vraisemblable de l’évolution du conflit. Nous sommes restés de cet avis depuis, sans nous dissimuler les difficultés immenses que suscite cette « solution », toute autre d’ailleurs en comporte autant. Après ce qui a été dit et fait, il se pourrait bien qu’il n’y en ait plus d’autre.

 

La Mission Anderson-Dillon en Europe

Les deux Ambassadeurs du président Eisenhower en mission en Europe, Anderson et Dillon, n’ont pas rencontré beaucoup d’empressement à Bonn, où ils étaient allés solliciter de la part du Gouvernement Adenauer, un concours actif au soutien du Dollar. En demandant une forte contribution allemande aux frais d’entretien des troupes américaines, ils ont heurté le sentiment allemand auquel cette proposition rappelait le statut d’occupation. A Paris et à Londres, il n’était pas question de requérir un soutien financier. Les Anglais dont la balance commerciale a enregistré le mois dernier le plus fort déficit, sont dans une situation encore plus difficile que les Etats-Unis. On reparlera de tout cela quand le président Kennedy sera en place. D’ici là, on laissera au public le temps de s’habituer aux mesures plus radicales que l’on prépare en laissant le marché de l’or flotter entre deux eaux.

Comme nous l’avons vu, on est en présence d’un faux problème, à savoir le maintien d’une parité fictive et intenable. Les préjugés en ce domaine sont si forts que la politique est obligée de gagner du temps. Ah, comme disait hier M. Spaak, si c’était en U.R.S.S. ! Le Rouble ferait un petit mouvement d’accordéon, comme il vient justement de le faire et l’on parlerait d’une victoire du socialisme. Pourquoi après tout, n’en ferait-on pas autant.

 

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Criton – 1960-11-26 – Le Prestige et l’Intérêt

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Le Courrier d’Aix – 1960-11-26 – La Vie Internationale.

 

Le Prestige et l’Intérêt

 

Problèmes économiques et financiers, problèmes politiques se partagent la vedette : ce sont les premiers qui l’emportent aujourd’hui en importance.

 

La Crise du Dollar

Débarrassé des soucis électoraux, le président Eisenhower tient, avant de céder la barre, à faire preuve d’initiative. Il s’agit de protéger le Dollar et pour cela de réduire, dans la mesure possible, les dépenses américaines à l’étranger. L’offensive pour les économies s’engage sur deux voies. D’abord les frais de stationnement des troupes américaines en Europe : on rapatriera la moitié des familles des militaires 285.000, et les remplaçants de ceux qui retournent aux Etats-Unis iront seuls en Europe. Economie d’un milliard de dollars, à la longue bien entendu. La mesure est nécessaire ; elle ne va pas sans inconvénient, et les critiques aux Etats-Unis même se multiplient. Les familles n’étaient-elles pas le soutien moral des soldats ; n’étaient-elles pas aussi le gage de leur permanence et la meilleure propagande pour la compréhension et l’amitié entre les peuples alliés ?

 

Les Entretiens Germano-Américains

Ce qui est plus sérieux, c’est la mission de MM. Henderson et Dillon à Bonn. Une fois de plus, on veut faire payer l’Allemagne. Celle-ci devra augmenter sa contribution aux frais de stationnement des troupes américaines, 22% au lieu de 14%, et l’aide aux pays sous-développés devra soulager la part américaine. Les négociations ne seront pas faciles : Bonn ne veut pas de discrimination. Si sa part d’entretien des troupes américaines est augmentée, celle des autres Alliés devra l’être aussi. Paris et Londres n’y sont guère disposés. Quant aux pays sous-développés, l’Allemagne fédérale entend effectivement leur consacrer quelques 750 millions de dollars par an, mais si cette aide peut être désintéressée, c’est-à-dire si les bénéficiaires ne sont pas tenus d’acheter pour cette somme des marchandises allemandes, il faut qu’il en soit de même pour la contribution des autres pays. Mais les U.S.A. eux, voudraient lier leur aide à l’achat de produits américains, comme font déjà Anglais et Français.

En vérité, il est douteux que les mesures prises par le Président Eisenhower modifient radicalement la balance des comptes des Etats-Unis. Elles peuvent tout au plus réduire le déficit d’un quart. Le véritable trou, ce sont les investissements des industriels américains à l’étranger, 3 milliards 900 millions de dollars cette année. Ceux-ci ne pouvant exporter de chez eux parce que la main-d’œuvre est trop chère, s’installent où elle l’est moins. Pour briser ce courant, il faudrait contrôler les exportations de capitaux, ce qui reviendrait à supprimer la convertibilité du Dollar. Le remède serait pire que le mal. Quant à exporter davantage des U.S.A., cela ne semble pas possible, à moins que le Gouvernement n’accorde à ses industriels des subventions comme le font les Européens. Or, c’est précisément cette pratique que les Etats-Unis ont toujours condamnée.

Le problème est donc d’une solution difficile, et pourtant il est pressant. Il faudra bien en venir à la mesure que l’on veut éviter, le relèvement du prix de l’or. Malheureusement, les Américains ont fait de cette question une affaire de prestige national, ce qui est absurde, comme toutes les prétentions de ce genre. Le relèvement du prix de l’or ne dévaluerait pas le Dollar en fait, puisqu’il n’aurait aucun effet sensible sur son pouvoir d’achat. Bien entendu, cette mesure si recommandable qu’elle soit pour de multiples raisons, ne constitue pas par elle-même une solution à la crise du Dollar. Elle donnerait toutefois une marge d’attente assez large pour que les courants d’échanges internationaux puissent s’équilibrer. Il est inévitable qu’on y vienne.

 

Le Conclave de Moscou

Un grand mystère plane sur le conclave de Moscou où depuis dix jours, les chefs de tous les Etats Communistes discutent de leurs divergences. Il est vraisemblable qu’elles sont sérieuses puisqu’on attend toujours la conclusion.

Le problème algérien, c’est-à-dire l’aide à fournir à la rébellion, est compris dans les discussions. Pékin qui a fait à Ferhat Abbas un accueil de chef d’Etat, voudrait transformer le conflit en une guerre d’Espagne, qui, comme cette dernière, servirait de banc d’épreuve pour des conflits plus étendus. Les Russes qui se sont montrés réservés lors du passage à Moscou des chefs du G.P.R.A., se contenteraient d’une aide morale, et d’un appui à l’O.N.U. aux thèses F.L.N. ; autrement dit, de laisser la plaie ouverte sans provoquer une extension des combats.

Il n’est guère de problème sur lesquels Russes et Chinois soient d’accord au point qu’on est toujours à la recherche d’une formule qui sauverait l’unité du camp dit socialiste. Les communistes sont pourtant passés maîtres dans l’art des phrases à tout faire.

 

Le Niveau de Vie en Tchécoslovaquie

La Tchécoslovaquie fait beaucoup de propagande, car c’est le seul des Satellites qui peut se donner en exemple d’un pays déjà industrialisé qui soit passé au collectivisme et ait augmenté sa production à l’égal des pays capitalistes. Cependant, nous lisons dans la revue « Plan » :

« Les Chiffres des statistiques concernant l’emploi des biens de consommation ne peuvent donner une idée exacte du niveau de vie des habitants. »

L’article ne dit pas si les statistiques sont fausses, bien entendu, mais il avoue :

« L’économie de temps réalisée en abrégeant la journée de travail (il est toujours question, comme en U.R.S.S. de ramener la semaine à 42 et même à 40 heures) n’est aucunement proportionnée en temps perdu par suite de la lenteur des transports, des queues qui stationnent devant les magasins, ou en courant les ateliers à la recherche d’un ouvrier qui viendrait réparer la lumière ou autre, ou en accomplissant ces travaux soi-même. »

Si le médecin, l’architecte, le cordonnier, n’ont pas de plombier, de menuisier, ou de peintre pour entretenir leur appartement, ils en sont réduits à faire ces travaux eux-mêmes, au lieu de consacrer leur temps à l’exercice de leur profession. Voilà bien l’aveu majeur qui condamne plus que tout autre, le régime collectiviste. En annihilant l’artisanat, il a rompu l’harmonie de la vie sociale, accablant ses membres de servitudes inutiles. De Weimar à Vladivostok, la même plainte s’élève. L’homme est esclave de la technique au lieu d’être libéré par elle.

Voilà un témoignage qui vaut d’être médité.

 

Les Divergences au Sein de l’O.T.A.N. et de l’Europe

Le dernier discours du chancelier Adenauer a été désagréable à Paris car il contient l’aveu des divergences franco-allemandes sur l’O.T.A.N. qu’on avait essayé de masquer après l’entrevue de Rambouillet. L’Europe des Patries ne correspond pas aux vues de Bonn et à la réunion des Parlementaires de l’O.T.A.N. qui se tient en ce moment à Paris, l’unanimité est faite contre la force de frappe nationale et tout ce qui peut soustraire une partie des moyens de défense de l’Europe, déjà fort insuffisants, à une intégration complète, seule garant de leur efficacité. Le général Norstad a de nouveau préconisé une Alliance Atlantique disposant en commun d’engins atomiques sous un contrôle collectif.

Pour ce qui est de l’intégration économique, les mêmes divergences sont de plus en plus sensibles entre la France et ses partenaires. MacMillan est à Rome, après avoir été à Bonn. Dans les deux capitales, on souhaite d’en finir avec la division entre Marché Commun et zone de libre-échange, les Anglais cherchent à tourner la position intransigeante de la France pour arriver à une pression irrésistible. Il ne semble pas que jusqu’ici les positions aient varié. « Perseverare diabolicum », dit le proverbe.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1960-11-19 – Les Deux K.

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Le Courrier d’Aix – 1960-11-19 – La Vie Internationale.

 

Les Deux K.

 

L’Élection de Kennedy

L’élection de Kennedy à la présidence des Etats-Unis s’est bien passée. Il n’y a pas eu ce raz de marée démocrate et les bouleversements qui s’en pouvaient suivre ; au contraire, l’écart des voix entre les deux candidats a été si minime qu’on se demandait lequel avait la majorité, et les Républicains ont regagné quelque terrain dans les élections parlementaires. Ce résultat a son importance, car le nouveau Président doit tenir compte de ce partage presque égal des voix et faire en conséquence une politique qui unisse les courants d’opinion.

C’est d’ailleurs ce qu’il a commencé de faire en conservant aux postes importants de la sécurité nationale Allen Dulles et Herbert Hoover, tous deux Républicains. Il semble vouloir que soient satisfaits ceux qui désiraient que cela change et ceux qui le craignaient. Le monde des affaires dont on redoutait la panique, a fait bon accueil à Kennedy. L’opinion internationale s’est montrée rassurée et même très favorable. Le nouveau Président sait qu’il a devant lui une très lourde tâche et tient à s’assurer de tous les concours, même celui de Nixon son adversaire d’hier.

 

Les Deux « K ».

Sur le plan international, on a beaucoup commenté les félicitations de Krouchtchev et la réponse aimable du nouvel élu. On parle déjà d’une entente entre les deux « K » et l’on souligne le contraste entre le silence des Chinois, pour qui Nixon et Kennedy sont tout un, et les commentaires russes qui rappellent les jours où feu F. Roosevelt signait les accords de Yalta. L’optimisme, comme on le voit, est incorrigible et c’est en un sens, tant mieux. Car l’atmosphère de tension est plus déprimante pour le Monde libre que pour l’autre où l’opinion est sans influence, et pour que les affaires se développent, il faut une certaine confiance en l’avenir.

Il est cependant probable que ce commencement d’idylle se heurtera bien vite aux différends fondamentaux, et que la détente proposée par Krouchtchev est purement tactique. Il lui sera facile de dire quand les heurts se reproduiront, que sa bonne volonté a été trompée et que les « impérialistes » ne changent pas. Il ne s’agit, en vérité, que d’une trêve apparente, plus verbale que réelle et qui peut durer jusqu’au printemps quand on passera aux affaires sérieuses, comme celle de Berlin. De plus, en faisant preuve de bonnes dispositions, les Russes poussent leur adversaire à infléchir un peu les positions antérieures. Chester Bowles dont on parlait comme futur Secrétaire d’Etat a déjà parlé de reconnaître le Gouvernement de Pékin, si celui-ci consentait à admettre l’existence des deux Chines ou tout au moins un Etat indépendant et souverain à Formose. Il est probable qu’il ne s’est pas exprimé sur un sujet aussi controversé sans autorisation de son chef éventuel.

La politique future des Etats-Unis sera donc flexible, par contraste avec celle de feu Foster Dulles. Reste à savoir si cette flexibilité permettra aux U.S.A. de reprendre l’initiative que l’U.R.S.S. ne leur a jamais laissée longtemps.

 

Les Zones d’Instabilité

Ce qui caractérise l’aspect présent du monde, c’est l’extension des zones d’instabilité : la plus grande partie de l’Afrique, l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine presque tout entière. Le Moyen-Orient par contre, zone particulièrement instable par nature, s’est un peu assagi, sauf en Turquie qui traditionnellement était le moins agité.

En Amérique latine, le mouvement de Fidel Castro a fortement secoué les masses et son pouvoir contagieux s’exerce aussi bien sur les dernières dictatures, comme au Nicaragua, que sur les régimes démocratiques comme celui de Costa-Rica, ou de Betancourt au Vénézuéla, et cela tandis qu’à Cuba même, le régime de Castro se débat au milieu de difficultés économiques croissantes et voit se dresser une opposition à la fois des milieux religieux et de beaucoup de révolutionnaires déçus par l’évolution du castrisme vers le communisme. Le mouvement populaire au départ est devenu une dictature de type collectiviste aussi dure et aussi injuste que celle de Batista et plus ruineuse : le chômage s’est aggravé et le niveau de vie déjà très bas, s’est encore affaissé.

Pour les Soviets et leurs collègues Chinois, le problème cubain est difficile. Le pays ne pouvait vivre, même mal, que par les subsides américains. Il en est de même d’ailleurs des îles voisines surpeuplées et de médiocre qualité humaine sur le plan économique, Cuba comme Porto-Rico coûtait très cher aux U.S.A. Les communistes pourront-ils combler le vide ? Il n’y paraît guère.

De même, le Vénézuéla, sous la dictature Jiménez, était prospère malgré de graves inégalités sociales ; la monnaie était une des plus fortes du monde, grâce à l’entente du pouvoir avec les grandes compagnies pétrolières américaines et anglo-néerlandaises. Aujourd’hui, le président Betancourt est obligé d’instituer le contrôle des changes et se heurte à de perpétuels complots des forces extrémistes. Le pays risque de subir le sort de la Bolivie, ou de verser dans le collectivisme castriste, ce qui achèverait de le ruiner. Le Chili et même le Brésil sont plus ou moins guettés par des disgrâces analogues. Secouer la dépendance à l’égard du Monde capitaliste est chose aisée ; y substituer un ordre nouveau est une autre affaire. Cela n’est possible que si les masses qui attendent de la révolution une amélioration de leur sort, se soumettent pour un temps plus ou moins long à une discipline d’austérité qui est précisément le contraire de ce qu’ils en espéraient.

D’où le résultat : ou bien l’anarchie avec ses troubles perpétuels, ou bien une nouvelle dictature aussi dure que l’ancienne, sinon davantage. Le conflit entre des aspirations légitimes et la réalité est à l’origine de l’instabilité de toute une partie du monde qui s’éveille à l’indépendance. Rares sont les chefs qui l’ont compris et qui réussissent à le faire comprendre : l’indépendance implique des sacrifices et non des jouissances immédiates. Comment faire pénétrer cette évidence dans des masses passionnées et incultes ?

 

Le Problème Algérien

Autre paradoxe de la situation présente. Le problème français, plus que jamais lié au problème algérien, soulève beaucoup plus d’inquiétudes à l’étranger que chez nous, en apparence du moins. On ne croit plus à l’extérieur à une solution et l’on lit couramment ce mot : le Pouvoir actuel en France ne peut rien dans l’affaire, alors que récemment encore on croyait qu’il pouvait tout. Le débat qui va s’ouvrir le 5 décembre à l’O.N.U. sur l’affaire algérienne, montrera-t-il quelque issue ? C’est bien douteux : l’exemple de l’affaire congolaise n’est pas précisément encourageant et cependant, quelque répugnance que l’on éprouve à cet égard, il semble bien que seul un arbitrage impartial et clairvoyant pourrait mettre un terme à un conflit dont tout le monde souhaite la fin, mais qu’aucun des adversaires n’est en mesure de régler. Ce serait vraiment l’occasion de s’en remettre à quelque sage qui obtienne une trêve des passions et à qui on s’en remettrait de guerre lasse. Mais ce n’est pas à l’O.N.U. qu’il se trouve.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1960-11-12 – Une Phase Nouvelle

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Le Courrier d’Aix – 1960-11-12 – La Vie Internationale.

 

Une Phase Nouvelle

 

Comme on s’y attendait, le Sénateur Kennedy devient président des Etats-Unis. Le prestige d’Eisenhower n’a pas suffi à donner l’avantage au candidat républicain. Ce sont donc les Démocrates qui auront toute la responsabilité du pouvoir, les deux Assemblées leur appartenant. L’autorité du Parti s’exercera sans contre-poids.

 

Une Nouvelle Génération au Pouvoir

C’est avec le jeune Sénateur, une nouvelle génération qui prend la direction du Monde libre, c’est dire que toutes sortes de liens qui s’étaient établis et maintenus entre les hommes politiques d’Amérique et d’Europe, entre des personnalités qui avaient mené le même combat, Eisenhower, MacMillan, De Gaulle, Adenauer, se trouveront défaits, que des relations nouvelles devront s’établir avec tout ce que cela comporte d’inconnues. Il n’y aura plus entre les grands pays de la Communauté Atlantique, de ces rapports sentimentaux qui, par-delà les conflits d’intérêts, empêchaient que les choses ne se gâtent tout-à-fait.

Cela est surtout vrai pour l’Angleterre. On se demande à Londres, avec un Président catholique d’origine irlandaise dont le père, ancien ambassadeur à Londres, était un isolationniste impénitent et, dit-on même pro-nazi, comment pourra subsister cette relation privilégiée des pays de langue anglaise. En France, malgré les sympathies qu’inspirait le président Eisenhower, on n’avait guère eu à se louer des initiatives américaines ; le changement n’inspire pas les mêmes appréhensions, malgré certains propos tenus à notre sujet par le sénateur Kennedy.

 

Les Causes de l’Echec Républicain

Ce qui est certain, c’est que le prestige des Etats-Unis avait subi de rudes atteintes. Le public américain l’avait ressenti, surtout depuis que le communisme s’est installé à Cuba, sous l’égide de Fidel Castro ; ce fut sans doute là le coup de grâce porté au Parti Républicain. Auparavant, les échecs dans la course à la conquête de l’espace, les réussites des Russes dans ce domaine, la stagnation actuelle de l’économie avaient porté l’opinion à souhaiter un changement. C’est chose faite.

 

La Nouvelle Politique des U.S.A.

Il n’est pas douteux que pour remplir ses promesses, le président Kennedy mènera une action vigoureuse pour relancer la prospérité, et en politique étrangère, pour donner aux Etats-Unis une direction dynamique sans se soucier de ménager les susceptibilités des Alliés, ni de composer devant les menaces des adversaires. Dans l’ordre social Kennedy accentuera l’intervention de l’Etat dans la vie des citoyens, conformément au désir des masses.

La plus originale des propositions qu’il a faites au cours de sa campagne électorale, peut-être la seule, est de remplacer en partie le service militaire par un service civil de trois ans au cours duquel les jeunes iraient dans les pays sous-développés apporter leur concours matériel et technique, cela pour compenser l’envoi massif de délégués russes dans ces régions. L’idée fera son chemin. On voit ce que cela signifie pour les pays ex-coloniaux nouvellement promus à l’indépendance : Russes et Américains en nombre viendront y prendre la place laissée vide. Il ne faudra pas longtemps pour que le souvenir des anciens colonisateurs et leurs intérêts économiques soient effacés par cette concurrence. Déjà d’ailleurs, outre les accords commerciaux et d’assistance technique récemment conclus, les Américains envoient en Guinée et au Mali, des maîtres de langue anglaise.

 

La Question Congolaise

La bataille pour le Congo continue. « Rira bien qui rira le dernier » vient de dire Krouchtchev, en avouant ainsi son échec. M. H., pour rétablir sa propre situation et se disculper de favoriser le retour des « colonialistes » a fait le jeu du nationalisme panafricain de Sékou Touré, de Nkrumah et de Nasser, aidé en cela de son adjoint hindou Dayal, en qui il voit un dangereux concurrent. Les Belges, las des humiliations subies s’apprêtent à contre-attaquer. Ils seront soutenus par les Etats-Unis qui ont critiqué le rapport envoyé par Dayal à New-York, au nom de la mission des Nations-Unies au Congo.

Lumumba attend son heure, appuyé par le Maire de Léopoldville Kamitatu qui tient la police de la ville. Le colonel Mobutu, lui, qui commande l’armée, fait garder la résidence de Lumumba. Quant à Kasavubu, Président de la République il se rend en personne à New-York pour défendre son pouvoir. Les jeux, comme on le voit, ne sont pas faits. En outre, à côté des durs africains, Ghana, Guinée, Maroc, et R.A.U. qui soutiennent Lumumba, les autres pays africains, en particulier ceux d’expression française, sont favorables à Kasavubu. Effectivement, on ne sait qui rira le dernier.

 

L’Action de l’O.N.U.

Ce qui est sûr, c’est que la mission de l’O.N.U. n’est pas un succès. Les uns s’en réjouiront, d’autres le regretteront. Sur la carte congolaise, les Nations-Unies risquent leur prestige et dans une certaine mesure l’avenir de l’institution. Jusqu’ici, on pouvait dire qu’elle avait au moins évité le pire, c’est-à-dire la guerre civile généralisée entre Tribus. Mais il lui fallait faire un choix entre les protagonistes qui se disputaient le pouvoir. Elle ne l’a pas fait parce que les divisions internes des afro-asiatiques, l’ambiance de guerre froide qu’il fallait précisément éliminer d’Afrique, ont paralysé l’action de M. Hammarskoeld. Il a cédé successivement aux pressions contraires et pour prouver son impartialité, a maintenu l’anarchie. Il est probable que loin de consolider sa position personnelle, il l’a ainsi compromise, quelle que soit l’issue du conflit. Les vaincus deviendront ses ennemis et les vainqueurs soutiendront qu’il les a empêchés de triompher mieux et plus vite. Pour le dire d’un mot, il s’est assis entre deux chaises.

Sur ce point encore, le changement complet d’administration qui va survenir aux Etats-Unis, risque de compromettre les chances de l’Occident. Comment Kennedy et Eisenhower, dans les semaines qui viennent, pourront-ils s’accorder sur la politique au Congo ? Tout dépend du choix que le nouveau président fera du futur chef du Département d’Etat. Deux candidats sont en vue : Stevenson et Bowles. Le premier qui a une forte expérience pourrait beaucoup. Mais le jeune Président voudra sans doute diriger lui-même la politique des Etats-Unis.

 

Le Discours du 4 Novembre

La place nous manque pour commenter, comme nous voulions le faire, les réactions internationales au dernier discours du Général de Gaulle sur l’Algérie. Ce qui nous frappe, c’est le contraste entre l’intérêt passionné que l’Etranger portait encore récemment aux paroles du Chef de l’Etat, et les commentaires désabusés et presque indifférents que l’on lit aujourd’hui. Dans l’esprit des observateurs, il semble que la cause est entendue, que le problème algérien ne se résoudra que sur le plan international et que la France, même en allant par étapes à de nouvelles et successives concessions, ou précisément à cause de cela, ne peut plus rien. De toute façon, pense-t-on, le dénouement est relativement proche : on devine lequel.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1960-10-29 – Le Veau d’or est toujours Debout

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Le Courrier d’Aix – 1960-10-29 – La Vie Internationale.

 

« Le Veau d’Or est toujours Debout »

 

Le fait est indéniable : la tension internationale s’est aggravée ; l’opinion internationale le ressent ; le monde des affaires est troublé. Que le fond des choses soit modifié ou non, c’est une autre question, mais psychologiquement, les coups de boutoir du communisme ont eu leur effet habituel : l’inquiétude a fini par se propager en surface comme en profondeur et la dépression morale a eu des conséquences économiques ; les investissements diminuent, les bourses de valeurs s’affaissent, enfin l’or a rompu ses amarres sous le flot de la thésaurisation en quête du précieux métal.

 

La Hausse de l’Or

Cette brusque hausse a mis le monde en émoi et l’on a écrit là-dessus tant de commentaires qu’il nous paraît qu’une mise au point s’impose. On a dit en effet, que le phénomène traduisait ou faisait prévoir une dévaluation du Dollar. C’est inexact. Le Dollar n’est pas une monnaie convertible en or. La détention de l’or en lingots, et son commerce non industriel, sont interdits aux Etats-Unis. Il n’y a pas comme chez nous, un marché libre de l’or. D’autre part, seules les banques nationales et certains établissements ou organismes internationaux, sont habilités à transformer leurs dollars en or, au taux fixé depuis 1933 par le Trésor américain, 35 dollars l’once.

Ce qui fait illusion, c’est que jusqu’à ce jour, du fait même de cette possibilité limitée d’échange, or contre dollars, le prix du métal sur le marché de Londres était resté accroché à cette parité. C’était en quelque sorte une barrière psychologique, rien de plus. Brusquement, le caractère véritable de marché libre s’est manifesté ; l’offre étant insuffisante en face de la demande, les prix se sont envolés. L’or, autrement dit, s’est comporté comme n’importe quelle marchandise : la confrontation de l’offre et de la demande a fixé les cours.

Evidemment le trésor américain aurait pu faire la contrepartie, mais c’eut été se démunir de ses réserves dans une période où elles sont en baisse constante, au seul profit de la thésaurisation. Il ne l’a pas fait, jusqu’ici du moins. Les autres banques centrales se sont de même abstenues. La valeur du Dollar, c’est-à-dire son pouvoir d’achat, n’en est nullement affectée, pas plus qu’aucune des monnaies fiduciaires des autres pays. Il faut souligner d’autre part que le prix fixé en 1933 est devenu illogique, alors que celui de toutes choses a pour le moins doublé depuis, la hausse actuelle ne fait que corriger une situation anormale. Elle n’a pas à proprement parler de signification monétaire, ce qui ne veut pas dire que, si elle persiste, elle n’aura pas de conséquences sur la tenue des prix, mais ce sera par une sorte de contagion psychologique, nullement pour des raisons proprement techniques.

Quant à la cause profonde de ce décalage, il est aisé à déterminer : il y a partout dans le Monde libre des disponibilités abondantes. Celles-ci s’employaient jusqu’ici à l’accroissement de la production, et particulièrement en achat de valeurs industrielles ; la menace de dépression, d’une part, l’inquiétude provoquée par la situation internationale de l’autre, expliquent ce retour vers le placement refuge qui a l’avantage de ne pouvoir baisser, puisque les Etats-Unis en fixent le prix minimum.

L’événement comporte un autre enseignement : l’or n’est pas comme le disait Krouchtchev récemment, un métal « bon à orner les vespasiennes » (sic). S’il a perdu de son rôle monétaire, il a gardé tout son prestige comme symbole et instrument de la richesse. Les Russes d’ailleurs ne le dédaignent pas, au contraire : l’Etat soviétique l’extrait à grand frais, le thésaurise jalousement et ne s’en sert que contraint pour ses paiements extérieurs. En ce moment même, et ce pourrait être une des causes de la hausse, le marché noir en U.R.S.S. est très actif à la veille de l’introduction du Rouble lourd et de l’échange des billets russes à partir de janvier prochain. Les riches soviétiques méfiants ou ne voulant pas déclarer leurs avoir, échangent leurs billets. En quelques semaines, le dollar est passé de 40 à 50 roubles, ce qui le met à 10 de nos anciens francs. Nous sommes loin de la parité officielle qui est de 4 ou de 10 roubles pour 1 dollar selon les cas.

 

La Réalité du Marché Commun

Puisque nous en sommes aux mises au point, faisons-le pour le Marché Commun. On nous a reproché d’avoir dit qu’il n’existait qu’en théorie. Ce n’est pas rigoureusement exact, en effet : jugeons-en. Au 1er Janvier prochain, si aucun ajournement ne survient, les droits de douane seront abaissés entre les Six de 30% par rapport à 1957 :  prenons un exemple : un appareil photographique, un des articles les plus taxés, mettons un de 10.000 francs payait 25% de droits en 1957, soit 12.500 francs, rendu en France ; actuellement il paie 20%, soit 12.000 francs, s’il vient d’Allemagne et 22,50%, c’est-à-dire 12.250 frs, s’il vient d’Angleterre ; ces 250 frs marquent la préférence accordée par les Six entre eux. C’est cela le Marché Commun. Au 1er janvier 1961, il vaudra 11.750 s’il vient d’Allemagne, 12.180 s’il vient d’Angleterre ou d’ailleurs.

Ces proportions varient selon les produits. A vrai dire, ces différences sont bien minimes et ne doivent pas entraîner de perturbations dans le commerce international. Ce qui est plus important, c’est la réduction et au printemps prochain, la disparition des contingentements. En cas de crise ou simplement de surproduction, la tentation sera forte pour ceux qui ont des stocks sur les bras, de les liquider en consentant des sacrifices sur les marchés du voisin, cela aussi bien entre membres du Marché Commun qu’entre les autres et eux.

On voit d’après ces indications que l’on peut considérer le Marché Commun soit comme une modeste réalisation, soit comme  plutôt symbolique jusqu’ici. Toutefois avec l’acheminement vers un tarif extérieur commun (trop compliqué pour être discuté ici), les choses se trouveront progressivement modifiées, non pas que les pays tiers en soient réellement affectés, mais parce que, en théorie, les Six se lient ainsi les mains et que l’un d’eux ne pourra plus relever à l’occasion les droits de douane pour protéger une industrie en difficulté, comme c’était si souvent le cas dans le passé. Tout cela évidemment ne tiendra, que si les affaires demeurent prospères. En cas contraire, le Marché Commun pourrait bien avoir une vie agitée. En attendant Six et Sept ne font toujours pas treize et la controverse entre le Marché Commun et la zone de libre-échange continue et aucune solution n’est en vue.

A vrai dire, il nous semble, c’est un point de vue personnel, que l’on aurait pu faire l’économie de toute cette agitation qui n’a pas peu contribué à envenimer les relations politiques, et par contrecoup, à affaiblir la cohésion occidentale en un moment où elle a un besoin urgent, vital même, de s’affirmer ; le jeu n’en valait pas la chandelle.

 

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Criton – 1960-10-22 – Après la Tempête

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Le Courrier d’Aix – 1960-10-22 – La Vie Internationale.

 

Après la Tempête

 

A peine remis des émotions que les esclandres de Krouchtchev ont provoquées à l’O.N.U., les commentateurs s’interrogent sur les intentions profondes du leader soviétique. Comment expliquer que, venu à New-York avec autant d’atouts, il a pu revenir les mains vides ? Il semble, dit-on, s’en être rendu compte, puisque rentré à Moscou, il n’a fait aucune déclaration triomphale, à son habitude.

 

Les Mobiles de Krouchtchev à l’O.N.U.

Ce qui paraît sûr, c’est qu’il a dû abandonner au cours de la session, les plans qu’il avait établis. Si en effet, il s’était arrangé pour réunir dans le Palais de verre presque tous les chefs de gouvernements, tant communistes que neutres et occidentaux, c’est qu’il comptait rallier à ses propositions une majorité. Il ne pouvait le faire que sur des sujets où la démagogie a facilement prise : le désarmement, la liquidation du colonialisme, la paix universelle. Mais acteur avant d’être politique, il a senti dès l’abord une résistance : son public ne marchait pas. D’où son irritation. Au lieu de développer les thèmes qu’il avait lui-même annoncés avant de partir, il est revenu d’instinct au moyen dont se servent les émotifs qui ne peuvent persuader : faire peur, menacer : l’adversaire intimidé cherche l’apaisement par des concessions successives.

Le moyen est ancien ; tous les dictateurs en ont usé. Mais sauf sur MacMillan et Nehru, il n’a guère été efficace. La plupart des membres de l’O.N.U. n’ont aucune raison d’être effrayés, ni les Africains ni les Sud-américains par exemple, ne sont à portée des menaces de l’U.R.S.S. Seuls peuvent s’émouvoir ceux qui sont au bord de l’Empire soviétique ou dans sa trajectoire, les Européens et l’Angleterre et les Asiatiques qui ont des frontières communes avec l’U.R.S.S. et la Chine. Les autres sont des spectateurs plus enclins à profiter de la tension qu’à s’en alarmer.

 

A-t-il Voulu Détruire l’O.N.U. ?

Ce qui paraît également certain, c’est que Krouchtchev sentant qu’il ne pouvait dominer l’O.N.U. a cherché à la détruire. Cela est également constant : le communisme s’efforce de détruire ce qu’il ne peut annexer. Mais l’édifice a bien résisté. Cependant, beaucoup estiment que les violentes attaques répétées contre M. Hammarskoeld, bien que celui-ci l’ait emporté, ont miné la position du Secrétaire Général. A longue échéance, cela est possible, mais dépend d’événements ultérieurs, de la tournure que prendront finalement les affaires congolaises et d’autres qui se dessinent, en Corée ou au Laos ou même en Algérie lorsque l’O.N.U. sera peut-être amenée à prendre position, voire à agir.

Tôt ou tard, le Secrétaire Général sera un homme de couleur. Mais les Soviétiques n’y gagneront peut-être pas. Car si l’on peut dégager de l’ambiance onusienne une tendance ferme, c’est l’hostilité de la majorité à s’intégrer à un Bloc et la volonté de s’opposer aux entreprises de l’un ou de l’autre ; le neutralisme du futur Secrétaire paraîtra probablement encore moins pro-occidental, mais aussi plus anti-communiste. Il est probable que Krouchtchev s’en rend compte et qu’il a cherché plutôt à paralyser l’O.N.U. qu’à faire sa conquête. C’est bien le sens de sa proposition d’un Secrétariat Général tripartite où communistes, neutres et occidentaux mettraient alternativement leur veto à toute démarche positive. Krouchtchev craint en effet la formation plus étendue d’une police internationale au service de l’O.N.U. : l’exemple du Congo venant après celui de Suez, lui ont montré que cette force se mettrait au travers des objectifs soviétiques, étoufferait les conflits que l’U.R.S.S. cherche à attiser.

 

De Quelques Hypothèses

Une hypothèse vient à l’esprit : les Soviets ont réussi à Cuba un coup de maître ; Castro est allé vers le collectivisme au grand galop et vient de nationaliser toutes les entreprises privées de l’Île, non seulement les américaines, mais les cubaines. Il se fait ainsi beaucoup d’ennemis. L’économie du pays va traverser une crise, si ce n’est déjà fait. Les Etats-Unis ont mis virtuellement l’embargo sur leurs exportations. Les Soviets pour renflouer Castro devront y mettre un gros prix. Il n’est pas sûr qu’ils en aient les moyens. Une contre-révolution qui est déjà latente peut ensanglanter à nouveau le pays. Si l’O.N.U. était amenée à intervenir, ce ne serait pas Castro, ni le communisme qui y trouveraient leur compte.

Il en serait de même en Corée, si, comme on en prête l’intention à Krouchtchev, le pays actuellement coupé en deux, vient à être neutralisé et réunifié et que les diverses tendances politiques se trouvent alors aux prises et en viennent aux mains. Ce ne sont là que deux éventualités nullement certaines mais où l’O.N.U. pourrait être amenée à prendre part. Au cas de succès de son action, ce serait une troisième force, qui finalement s’installerait au pouvoir, non le communisme. C’est pourquoi Krouchtchev a laissé planer la menace de se retirer de l’O.N.U. avec ses Satellites et Alliés. Mais même dans ce cas, l’organisation internationale ne serait pas du même coup paralysée, à moins que le camp dit de la paix, ne lui fasse la guerre, ce qui semble tout de même difficile à réaliser.

 

Va-t-on vers une Récession ?

Le Monde libre est-il au début d’une récession économique ? Les symptômes sans être alarmants, ne manquent pas. Il est en effet difficile de tabler sur une expansion continue et sans à-coups, et le rythme de ces dernières années a été bien rapide pour continuer indéfiniment sans pauses. On a créé une sorte de mythe de l’expansion pour faire pièce aux planistes de l’autre monde. On n’a pas tenu compte de ceci : dans la conjoncture actuelle, les possibilités d’accroître la production ont augmenté à tel point que la consommation solvable ne peut pas y répondre immédiatement, peut-être même pas l’autre, l’insolvable, que grâce aux prêts ou aux dons, est offerte aux pays sous-développés. Les besoins même illimités, en principe, veulent du temps pour prendre conscience d’eux-mêmes. Il est dangereux de pousser aveuglément à accroître le potentiel industriel. On l’a vu pour le charbon ; on est en train de le voir pour le pétrole et l’automobile ; demain nous sommes persuadés que ce sera le tour de l’acier.

Il n’est pas question d’imposer une planification qui souvent se trompe d’objectif, poussant la production là où il faudrait ralentir, et inversement. Ce qui est prudent, c’est de réagir contre une psychose de développement inconsidéré auquel les gouvernements prêtent parfois un concours aussi généreux qu’enthousiaste. Sinon, on ira bel et bien vers une crise véritable qui serait grosse de menaces pour tous.

 

L’Élection Américaine

Le 8 novembre est proche et l’élection présidentielle américaine reste une inconnue. Les deux candidats s’affrontent sur un problème et bientôt s’effrayent eux-mêmes de leur opposition et renoncent pour passer à une autre controverse, vite étouffée aussi. Kennedy demeure favori, parce que Nixon n’est pas plus populaire que lui, moins peut-être et que les Démocrates sont plus nombreux que les Républicains. Il y a cependant beaucoup d’indécis. Il se pourrait qu’Eisenhower, au dernier moment mette son poids dans la balance. Certains propos sur sa future retraite le laisseraient à penser. Il pourrait faire comprendre aux électeurs que si le Vice-Président est élu, il ne se retirera pas complètement de la scène  et qu’il assistera Nixon dans les conseils de Gouvernement, ce qui pourrait décider beaucoup d’hésitants. Ce n’est là qu’une conjecture. Nous verrons bien.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1960-10-15 – Du Danger d’aller à Contre-Courant

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Le Courrier d’Aix – 1960-10-15 – La Vie Internationale.

 

Du Danger d’Aller à Contre-Courant

 

Les Français sont, à juste titre, plus préoccupés de la situation intérieure que de l’internationale. N’étaient nos propres soucis, on dirait que les choses, malgré le grand bruit que l’on fait à l’O.N.U. ne vont pas mal pour le Monde libre. Deux faits se dégagent : il n’y aura pas de crise pour Berlin avant l’installation du nouveau Président des Etats-Unis et les multiples harangues et saillies de M. Krouchtchev n’ont nullement élevé le prestige du communisme, tout au contraire.

 

Appréciation de Montanelli

Dans un récent article, Montanelli analyse fort bien ce qui fut l’erreur psychologique de Krouchtchev à l’O.N.U. Les nouveaux Etats, et particulièrement les Noirs récemment admis, sont devenus les défenseurs zélés, les prêtres, dit-il, de l’organisation internationale. C’est un Club qui leur plait parce qu’il leur donne la mesure de leur importance.

« C’est la seule tribune où un Etat de quatre cent mille habitants, dont trois cent quatre-vingts analphabètes, peut faire entendre sa voix au monde entier et avoir l’illusion qu’on l’écoute » et il ajoute : « à défendre l’O.N.U. ce ne sont pas les grandes puissances, devenues sceptiques, mais quelques jeunes diplomates qui s’y sentent attachés par la passion la plus forte qui domine l’âme humaine : le snobisme ».

Le délégué de quelque Etat d’Afrique peut appeler celui de l’Angleterre cher collègue, s’habiller chez son tailleur, s’asseoir à sa table, etc … Si l’institution s’écroulait, il devrait rentrer chez lui. Si elle était dévalorisée, c’est lui-même qui perdrait son rang et si un Fidel Castro la transformait en un cirque, c’est lui qui serait réduit au personnage de clown.

Et le publiciste italien fait remarquer que les Noirs nouvellement admis ont voulu donner aux Blancs une leçon de décence et de dignité, rendus plus nécessaires encore après les actes barbares du Congo belge. Même lorsqu’il s’est agi du passé colonial, les délégués africains en ont parlé, pour la plupart, avec mesure et sans chercher une revanche contre ceux qui les ont libérés, mais au contraire, pour en requérir l’aide. Tout cela est bien différent par le ton et l’expression des diatribes d’un Krouchtchev ou d’un Castro. Même Soekarno, le Président indonésien, a dit à Eisenhower : lorsque nous sommes vraiment dans l’embarras, c’est toujours vers vous Américains, que nous nous tournons. Les Etats-Unis en donnant un total appui à l’O.N.U., malgré toutes les difficultés qui en résulteront pour eux, n’auront pas en définitive fait une mauvaise affaire.

 

La Politique Française vue de l’Extérieur

Force nous est de parler une fois de plus de la politique française, telle que le monde la juge. Il serait vain de se payer d’illusions : le capital considérable d’estime et même d’admiration que le Chef de la Vème république avait accumulé au début et qui était encore intact cet été, s’est dissipé depuis la Conférence de presse du 5 septembre. Puisque la France le veut ainsi, dit-on, qu’elle se débrouille seule. Les Soviets, qui nous avaient ménagés jusqu’ici, ont reconnu de facto le G.P.R.A. C’est un symptôme qui ne trompe pas. Nous l’avons dit ici, dès le début du nouveau régime : il n’y a qu’un problème pour la France, c’est le problème algérien. Pour mettre toutes les chances de notre côté, il faut entretenir la sympathie de tous les peuples et leur complaire dans toute la mesure possible, particulièrement ceux qui nous sont alliés. Or, il n’en est aucun avec lequel actuellement nous ne soyons en désaccord. Ce qui est d’autant plus regrettable, qu’aucun de ces sujets de discorde n’a la moindre valeur d’actualité.

 

Les Discussions Présentes

Nous nous sommes abstenus de commenter toutes ces consultations, visites, et contre-visites qui se sont succédé depuis l’entrevue de Rambouillet. En vérité, on pouvait se demander : de quoi s’agit-il ? Toutes ces discussions qui tournent à l’aigre concernent des évènements hypothétiques et parfaitement inactuels. Que peut signifier, en effet, notre indépendance militaire et le rejet de l’intégration atlantique dans l’O.T.A.N. ? Rien présentement, puisque notre armée est en Algérie et que le reste ne représente pas grand-chose. Si comme on a de bonnes raisons de l’espérer, la paix demeure, la forme de notre organisation militaire en Europe n’a aucune importance. En cas de guerre, elle en aurait encore moins, car il est absolument invraisemblable que ce qui reste du continent serait épargné quelle que soit l’attitude des hommes politiques. Même indépendants, nous serions intégrés aux autres par la force des choses. Pourquoi donc se brouiller avec les Américains et les Allemands pour des questions qui n’auront jamais à se poser dans les faits prévisibles ?

Il en est de même pour l’intégration européenne. Elle n’est pas pour demain, et si l’on est réaliste, il y a peu de chances qu’elle le soit avant bien longtemps, sinon jamais. En tous cas, d’ici qu’elle soit possible, bien des événements auront changé les données actuelles du problème sur lesquelles on se querelle. On avait mis en mouvement une idée pleine de promesses, une utopie peut-être, mais les utopies même sont bienfaisantes et elles produisent souvent des effets concrets par l’élan même qu’elles donnent aux esprits. Il ne fallait pas y toucher.

Autant pour l’O.N.U. Qu’on le veuille ou non, son rôle dans le cours de la politique internationale ne fera que grandir. C’est peut-être fâcheux ; ce n’est d’ailleurs pas sûr, comme nous venons de le voir à New-York, mais cela est un fait dont il faut s’accommoder et tirer si possible le meilleur parti ; le danger d’aller à contre-courant est évident, on ne saurait trop le répéter. Se trouver isolés, entourés de suspicions en un moment où le plus grave de nos problèmes l’est plus que jamais, ce n’est plus une politique, c’est une aberration. C’est exactement le mot que l’on prononce outre-Atlantique. Nous ne l’inventons pas.

 

Le Congrès Travailliste de Scarborough

Pour nous distraire de pensées pénibles, revenons au Congrès du Parti travailliste anglais qui s’est tenu à Scarborough. Là, au contraire, plus cela change, plus c’est pareil. Le leader M. Gaitskell a d’abord été copieusement battu sur les questions de défense nationale. Le vieux pacifisme de gauche britannique s’est prononcé pour l’abandon immédiat et unilatéral de l’arme atomique par l’Angleterre ; malgré l’absurdité de cette thèse démontrée par Gaitskell, les Trade-Unions l’ont votée. Puis, le même Gaitskell a remporté une victoire non moins éclatante sur la question des nationalisations qu’il veut toujours remplacer par une prise de participation de l’Etat dans les entreprises privées. Hué la veille, il a été acclamé le lendemain et les délégués se sont dispersés satisfaits.

Décidément le vieux socialisme n’a pas perdu ses habitudes. Beaucoup d’entre-nous se souviennent de ces résolutions « nègre blanc » qui étaient votées à l’unanimité, après que les factions s’étaient trouvées en désaccord sur tous les points débattus, à l’époque héroïque où Léon Blum présidait.

 

                                                                                  CRITON