Criton – 1961-05-20 – Conférences, Conférences

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Le Courrier d’Aix – 1961-05-20 – La Vie Internationale.

 

Conférences, Conférences

 

On disait autrefois : la saison des Conférences est ouverte. Aujourd’hui elles se succèdent, au long de l’année et même plusieurs fonctionnent simultanément. A Oslo, celle de l’O.T.A.N. ; à Genève, le Laos, et aussi l’arrêt des expériences nucléaires ; à Monrovia, l’Afrique des douze dite du bloc de Yaoundé ; à Coquilhatville, les Chefs du Congo belge ; demain sans doute, celle d’Evian, sans compter les réunions multiples et périodiques des Ministres.

Ce qui caractérise l’évolution de ces assemblées, c’est leur impuissance. Les résultats sont de plus en plus insignifiants, voire négatifs. Les hommes d’Etat réunis disputent à perdre haleine ; on élabore péniblement un communiqué, pour ne pas paraître travailler en vain et ce qu’il peut contenir de positif demeure le plus souvent verbal, assez vague pour n’être pas définitif. On peut l’expliquer ainsi :

Les représentants des démocraties ont derrière eux l’opinion et par conséquent l’électeur. Tout ce qui peut apparaître comme une concession à l’adversaire sert d’argument à l’opposition. Les dictatures, sachant qu’on ne peut obtenir grand-chose en négociant, se servent des conférences pour gagner du temps et modifier la situation en discussion à leur avantage pendant les pourparlers. Quand on a fini de causer, tout est déjà à reprendre et ainsi de suite.

 

La Conférence d’Oslo

Même entre alliés les difficultés demeurent insolubles. On l’a vu à Oslo où les ministres de l’O.T.A.N. viennent de se réunir.

La situation à éclaircir peut se résumer en ce dilemme : La défense de l’Europe, dont l’O.T.A.N. est chargé, ne peut être assurée que par l’emploi des armes nucléaires. Tant que les Etats-Unis étaient seuls à les posséder, la menace de les employer suffisait. Maintenant que les Russes en sont pourvus, on peut douter que les Etats-Unis s’en servent pour riposter à une attaque menée contre l’Europe avec les seules armes conventionnelles. Or, dans ce domaine, les moyens de l’O.T.A.N. sont manifestement insuffisants. La défense ne peut être assurée que par les fusées Polaris des sous-marins atomiques. Mais ceux-ci sont aux Américains et ils peuvent seuls en décider l’usage. Si, comme on l’a proposé, ces engins appartenaient à l’O.T.A.N., encore faudrait-il que l’unanimité des 15 membres les mette en action. Il y aurait alors un veto américain possible et aussi de l’un des quatorze autres. Si par exemple, la Turquie, la Grèce ou la Norvège étaient attaquées, les autres risqueraient-ils de mortelles représailles pour faire face ? Tous les engagements, même solennels suffisent-ils à rassurer les victimes possibles ? On en peut douter et c’est là que le débat tourne en rond.

On ne serait pas plus avancé si l’un des partenaires, la France par exemple, disposait d’armes nucléaires propres. Il y aurait là un risque de plus de rompre la solidarité atlantique sans que la défense de l’Occident et même la nôtre, en soit mieux assurée. Car si l’un des partenaires succombait faute d’avoir reçu le secours des autres, ceux-ci tomberaient un à un à moins que les survivants n’interviennent ensemble ; c’est l’histoire des années 1936-40. Ce cercle vicieux ne peut être rompu et c’est bien ce que sont obligés de constater les ministres de l’O.T.A.N.

Il y aurait cependant, sinon une solution du moins un remède : que chacun des pays de l’O.T.A.N. reçoive l’arme protectrice, en l’espèce le ou les sous-marins atomiques avec les moyens de s’en servir. Cela n’empêcherait pas un agresseur d’agir, mais peut-être de courir le risque d’en payer le prix. La neutralité suisse en 1939-45, a été préservée par là. Ainsi également les rivalités actuelles, si nocives à l’Alliance, seraient apaisées. Mais le Congrès des Etats-Unis y consentirait-il ?

 

Les Purges en Asie Soviétique

On n’a pas prêté beaucoup d’attention aux purges opérées par Moscou dans ses colonies asiatiques. Successivement, les dirigeants des Républiques dites autonomes, Kazakhstan, Azerbaïdjan, Kirghizstan, et nous en omettons, ont été liquidés et remplacés par simple décret de Moscou. Ces peuples ont changé de maître sans avoir été consultés, sans même que les autres ministres aient, même symboliquement, décrété la déposition des uns et la nomination des autres. Cela paraît normal ; on en a tellement vu de semblables que pas un des dirigeants des pays ex-coloniaux n’a fait à ce sujet la moindre observation. Deux poids et deux mesures. Tout ce qui vient de l’U.R.S.S. est-il tabou ? On le croirait.

 

Le Retour au Stalinisme

On n’a pas commenté davantage les nouveaux décrets soviétiques relatifs à l’ordre intérieur ; la peine de mort rétablie pour les offenses les plus diverses, allant du simple vol de la propriété publique, à la corruption de fonctionnaire ; d’autres concernent la distillation clandestine et même l’oisiveté, punie de déportation et travail forcé. Ces dispositions sont si générales dans leur formule que peu de citoyens peuvent être assurés de n’être pas concernés. Ce retour au stalinisme, au moins en théorie, n’a certainement pas été décidé de gaieté de cœur par Krouchtchev qui s’est fait une certaine popularité pour avoir atténué l’ancien arbitraire. Comme nous le disions ici, avant de connaître ces mesures, ce vaste empire ne peut survivre que par un despotisme vigilant et redouté. Le relâchement, ces dernières années, avait pris des proportions alarmantes grâce à une détente de l’autorité. D’où la nécessité, l’urgence même, de rétablir la peur du haut en bas de la hiérarchie. Il y a là une fatalité à laquelle tous les régimes dictatoriaux ont dû se soumettre et qui les a, à la longue, menés à leur perte.

 

Le Rapprochement Moscou-Belgrade

Sur le plan extérieur russe, un événement qui n’a pas suscité beaucoup de curiosité est cependant d’importance ; le nouveau rapprochement entre Krouchtchev et Tito. Popovic est allé au Kremlin et Gromyko en personne va se rendre à Belgrade. Et cela au moment où les dirigeants albanais redoublent d’invectives à l’endroit de la Yougoslavie et où les Chinois de Pékin accordent à l’Albanie de nouveaux crédits et envoient une nouvelle cohorte de techniciens chargés d’un programme important d’installations industrielles dans le pays. Où les deux communismes veulent-ils en venir ? Le mystère demeure.

 

Les deux Afriques

Les pays libérés du joug colonial n’ont pas tardé à adopter les mœurs diplomatiques de leurs anciens maîtres et à leur imitation se divisent en groupes et, à l’intérieur de ces groupes, se disputent entre eux, se rassemblent en conférences pour constater et parfois découvrir leurs désaccords et couvrent leurs ressentiments de résolutions communes qui n’engagent à rien. Ainsi, d’un côté l’Afrique des Douze qui comprend en outre Madagascar, les quatre Etats de l’ex-Afrique équatoriale, les quatre de l’Entente, la Mauritanie, le Cameroun et le Sénégal, auxquels se sont joints Togo, Nigéria, Sierra Leone. En opposition, nous trouvons les cinq de Casablanca : Egypte, Maroc, Guinée, Mali, Ghana entre lesquels d’ailleurs le torchon brûle, car les ambitions de Nkrumah inquiètent ses voisins de Conakry et de Bamako. Les douze semblent mieux ou moins mal accordés, bien que Fulbert Youlou du Congo ex-français, ayant pris parti pour Tchombé, soit assez mal vu à Monrovia et que Sir Balewa, du Nigéria, soit en querelle avec Ahidjo à cause de la province du Cameroun, ex-mandat britannique, rattaché au Nigéria de façon peu démocratique.

Là, les résolutions sont axées sur les questions qui ne peuvent diviser car elles concernent les tiers : la sécession Katangaise, l’apartheid de l’Afrique du Sud, l’ingérence extérieure au Congo ex-belge. Il y a aussi de vastes projets d’union douanière et monétaire, de collaboration économique, voire militaire, de fédération … Il faut bien se conduire comme les grands.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1961-05-06 – Après l’Orage

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Le Courrier d’Aix – 1961-05-06 – La Vie Internationale.

 

Après l’Orage

 

Après une semaine explosive, la poussière retombe, comme disent les Anglais et l’on se demande en quoi les événements modifient les perspectives.

Pour l’heure, on est retombé aux problèmes pendants, Laos et Congo

 

Le Mélodrame Congolais

Que dire du Congo sinon que le mélodrame continue et que la situation à rebondissements ne s’éclaire pas pour autant. Tchombé, venu au rendez-vous piège de Coquilhatville, s’est laissé prendre et ses conseillers belges avec lui. L’O.N.U. marque un point puisqu’elle a été engagée à expulser ces derniers. Kasavubu aussi puisqu’il s’est assuré de la personne de celui qu’il avait embrassé à Tananarive, mais qui ne voulait pas déverser sur Léopoldville les revenus de l’Union Minière du Haut-Katanga. Quant à Gizenka, plus malin ou mieux conseillé, il s’est tenu dans son fief. Il sera difficile au général Mobutu de l’en sortir ou même de l’obliger à se soumettre au pouvoir central encore bien trébuchant. Cependant, il est rassurant de constater que la phase anarchique et sanglante paraît dépassée et que l’on en est revenu au palabres où les Noirs excellent et se complaisent.

Ne nous hâtons pas de conclure, car une quelconque conclusion n’est pas pour demain. Il y a en jeu, outre les rivalités de personnes, de gros intérêts financiers et aussi politiques. La guerre froide demeure latente en Afrique.

 

Armistice au Laos

Quoique toujours aussi tortueuse, l’affaire laotienne est moins tendue. Nous avons toujours été relativement optimiste à cet égard, pensant que les Russes et leur allié, Ho Chi Minh ne s’engageraient pas à fond, de peur d’ouvrir aux Chinois la route du Sud-Est asiatique, celle des matières premières, huile, étain caoutchouc. Les Soviets ont manœuvré à leur guise et tout s’est passé comme ils l’entendaient. Ils n’ont pas poussé l’offensive du Patet Laos jusqu’aux capitales, mais ont fait traîner les pourparlers d’armistice jusqu’au moment où leurs protégés se sont assurés d’une position stratégique les mettant en posture d’imposer leur solution. Ainsi ils ont  contenu les Américains au bord de l’intervention, sans leur laisser de prétexte majeur pour y recourir, ce qui eut été le cas si les pro-communistes s’étaient emparés des deux capitales et avaient pris le pouvoir. En même temps, ils ont tenu les Anglais en haleine, leur promettant l’armistice pour le lendemain jusqu’au jour qu’ils avaient fixé.

Tout cela est fort bien joué ; une fois de plus les Occidentaux divisés sur le fond ont été paralysés et dominés. Ils devront accepter le fait accompli ; probablement un gouvernement dit neutraliste associant les deux princes beaux-frères Souvannah Phouma et Souphanouvong, l’un neutre appuyé par Nehru, et l’autre rouge soutenu par Moscou.

 

Cuba, suite

Pendant que Castro exulte et proclame, entre des discours-fleuves, la naissance officielle de la première République socialiste de l’hémisphère occidental, Kennedy digère l’échec de Cuba. A vrai dire, cela ne passe pas très bien. Après Eisenhower, Nixon, Truman, il a consulté jusqu’au vieux général Mac Arthur.

Les Soviets avaient suggéré à Castro de proposer, après sa victoire, une négociation avec Washington, Kennedy ne pouvait accepter, sans que cela parût une sorte de capitulation. Et effectivement, il a refusé. On ne négocie pas avec le communisme, dit-il ; il aurait pu ajouter seulement quand il est à nos portes. Mais il y a aux Etats-Unis mêmes, tout un courant d’opinion pacifiste. Des listes de signatures plus ou moins célèbres, circulent jusque dans le « New-York Times » pour demander la conciliation.

A l’étranger, les mêmes voix ne manquent pas. Dans son ensemble, l’opinion est gênée. Elle voit bien le péril, mais la manière forte lui répugne. On ne veut pas être accusé de n’agir que par intérêt et l’on craint de donner des arguments à tous ceux qui aboient à l’impérialisme yankee, surtout en Amérique latine. C’est aussi une question de conscience morale qui trouble beaucoup de citoyens. La voie que cherche Kennedy est d’associer les nations du continent américain à une action commune contre la menace du communisme implanté dans leur zone. Il a réussi déjà à faire exclure Cuba des délibérations secrètes de l’organisation des Etats américains, ce qui ne s’est d’ailleurs pas fait à l’unanimité. Certains dirigeants au Mexique, en Bolivie en particulier, craignent des mouvements d’opinion violents s’ils s’allient à Washington contre Cuba. Dans ces pays un malheur est vite arrivé aux gens en place. Par surcroît, Kennedy a des ennuis avec les exilés cubains. Ceux que l’on a écartés de la tentative de débarquement parce que pas assez démocrates, accusent les autres d’avoir échoué et veulent prendre leur place. Comme on le voit, c’est toujours « Gulliver enchaîné ».

 

Après Alger

Après l’euphorie qui a succédé à l’échec du putsch d’Alger, les commentateurs étrangers se préoccupent de l’avenir français. L’opinion la plus courante est que le drame a été grossi à dessein et que les objectifs des insurgés, si tant est qu’ils en avaient de bien précis, étaient moins ambitieux qu’on ne pouvait croire. Par contre, on se demande si sous l’apparente unanimité qui a fait échouer l’insurrection en France métropolitaine, ne couve pas un malaise assez profond pour contraindre le régime à un durcissement vers lequel il tendait déjà et si de nouvelles oppositions ne vont pas s’accentuer, qui pourraient venir de l’autre bord, des partis de gauche ou assimilés. On se demande aussi si l’influence de l’événement sera favorable ou non aux éventuels pourparlers d’Evian. Le problème étant le suivant : le F.L.N. n’exigera-t-il pas le retrait préalable des forces militaires d’Algérie et dans ce cas, comment pourra être assurée la protection des minorités. Beaucoup de points d’interrogation.

 

Le 1er Mai à Moscou

Moscou a célébré le premier Mai avec la parade militaire d’usage et les discours enflammés non moins rituels, mais cette fois sous le signe et en présence de Gagarine. Mais en même temps, tous les correspondants étrangers en U.R.S.S., même à Moscou, signalent la pénurie de denrées alimentaires, de viande, de lait, et même de pommes de terre et les longues queues devant les magasins. Justement après le 1er Mai, il n’y avait plus rien à vendre, pas la moindre saucisse, dit-on. Ce qui ne s’était pas vu depuis dix ans. On mesure par là le contraste entre ces bruyantes et d’ailleurs remarquables réussites scientifiques qui ont exigé un énorme effort et une habileté technique exceptionnels, et la gabegie où se débattent les autres secteurs, et particulièrement le secteur agricole qui va de mal en pis où le gaspillage est énorme et les résultats incertains.

Nous ne disons pas cela par dénigrement. D’ailleurs les faits sont là et parlent d’eux-mêmes. Si l’on relit l’histoire de la Russie avant la révolution, sous ses Tsars successifs, on constate à quel point ce mélange de prouesses et d’échecs, d’incurie et d’héroïsme, d’incompétence, et d’habileté, de laisser-aller et d’enthousiasme, marque les régimes et les hommes. Ce qui distingue les époques, c’est le degré de vigueur déployé par le despotisme qui a toujours régné et qui est, il faut bien le dire, indispensable à la cohésion de cet empire que toutes les tentatives de libéralisme, voulu ou subi, ont menacé de désagrégation.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1961-04-29 – Le Temps des Épreuves

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Le Courrier d’Aix – 1961-04-29 – La Vie Internationale.

 

Le Temps des Épreuves

 

Bonne semaine pour Moscou : Désastre à Cuba, Coup d’État à Alger. Les observateurs étrangers ne manquent pas de constater que c’est le Monde libre tout entier qui est atteint.

 

Échec à Cuba

Commençons par Cuba : Dès le début de 1960, les services secrets américains dirigés par Allen Dulles avaient confié à son adjoint Richard Bissell la préparation d’une opération contre Cuba analogue à celle qui en 1954 avait réussi contre le gouvernement du colonel Árbenz au Guatemala. Deux groupes d’émigrés cubains furent entraînés l’un au Guatemala, l’autre en Floride, cinq mille d’un côté, quatre de l’autre. L’expédition était prête en décembre, mais Eisenhower, son mandat prenant fin, ne voulut pas l’entreprendre. En mars, la situation exigeait une décision ; les armements russes arrivaient et en mai-juin, l’opération ne serait plus possible. Kennedy résolut d’agir, d’autant que le Président du Guatemala embarrassé de ses hôtes pressait le mouvement pour des raisons intérieures. Comme toujours, en pareilles circonstances, les avis des conseillers du président Kennedy étaient opposés : les uns dont Dean Rusk et Bowles étaient hostiles à une telle tentative ; les risques étaient grands et un échec aurait de graves conséquences.

Les services secrets et le Pentagone étaient d’avis contraire ; les leaders anti-castristes assuraient qu’une insurrection générale suivrait le débarquement. Il suffisait d’un soutien aéro-naval américain pour qu’un corps expéditionnaire de cinq mille hommes réussisse. Kennedy hésita et finit par se décider pour une formule de compromis afin de réduire les risques politiques de l’entreprise. Les insurgés seraient autorisés à attaquer, mais sans appui massif ni assistance d’un seul soldat américain. On leur donnerait seulement de petits bateaux de débarquement. Cela fut arrêté le 5 avril et l’opération eut lieu le 16, avec douze cents hommes seulement.

Cette demi-mesure fut fatale. Croyant limiter les risques, Kennedy les prenait tous. Celui d’un échec et par surcroit la responsabilité de l’affaire avec toutes ses conséquences. Au surplus, les espions castristes mêlés aux réfugiés savaient tout des préparatifs et Castro attendait à l’heure et au lieu prévu l’arrivée des insurgés. Voilà pour les faits, voyons les conséquences.

 

Conséquences de l’Échec de Cuba

Pour le jeune Président des Etats-Unis, au début de son mandat, c’est une catastrophe. Il ne se le dissimule pas, les Américains non plus. Aussi a-t-il cherché et d’ailleurs réussi à faire avec Eisenhower et Nixon une sorte d’union nationale ; avec élégance, les anciens responsables ont apporté leur appui aux nouveaux, montrant ainsi à la Nation que les responsabilités étaient partagées. Belle leçon de démocratie, soit dit en passant.

 

En Amérique latine

Bien entendu, tous les ennemis des U.S.A. se sont réjouis bruyamment, à commencer par ceux de chez nous. Voilà la revanche de Suez de 1956 ! Comme si le malheur des uns effaçait celui des autres. D’ailleurs, ils se trompent. La réaction des pays directement concernés par cette défaite, c’est-à-dire les dirigeants d’Amérique latine, n’ont pas du tout réagi comme nos pontifes le croyaient. Le monde latino-américain a pris peur. On vitupérait volontiers les Yankees quand on les croyait forts. En les voyant perdre la face, on se sent plutôt solidaires d’eux. On hésitait à condamner la révolution castriste, on ne voulait pas croire que Cuba était une tête de pont du communisme et que la forteresse était solidement tenue.

 

La Rencontre Quadros-Frondizi

L’attitude la plus significative est celle du président Quadros du Brésil. On se souvient qu’il avait accepté une invitation de Castro et qu’il avait déclaré qu’il ne tolèrerait pas qu’il soit renversé par la force. Aujourd’hui, tout au contraire, pendant que se déroulait l’affaire cubaine, les deux présidents Frondizi de l’Argentine et Quadros du Brésil se rencontraient à Uruguayana, La conclusion est nette, ce qui est rare en l’espèce :

« Brésil et Argentine orienteront leur politique extérieure en fonction de l’essence occidentale de leur civilisation et d’accord avec les responsabilités continentales qu’ils ont assumées ».

Traduit en clair : Pas de compromis avec l’idéologie de l’Est, et fidélité à la charte de l’Organisation des pays américains (A.S.O.) et au Pacte de Rio-de-Janeiro. De plus, ils repoussent « l’ingérence directe ou indirecte de facteurs extra-continentaux » et enfin ils approuvent le plan « d’alliance pour le progrès » proposé par le président Kennedy. Voilà qui fait justice des intentions neutralistes prêtées à Quadros que nous avions en leur temps contestées ici.

 

Le Coup d’Alger

Du coup d’Alger, nous ne retiendrons évidemment que l’aspect international. L’étranger demeure très sensible à tout ce qui trouble l’équilibre français que l’on considère toujours comme fragile et qu’on voulait croire enfin assuré. L’émotion est vive, excessive même sans doute, au sujet de ce que tous considèrent comme une aventure, mot qui constitue le titre de beaucoup d’articles. Aventure qui ne débouche sur rien. On s’accorde d’ailleurs, presque unanimement à la condamner non tant pour son caractère désespéré, que parce que l’on redoute l’ébranlement des structures françaises reposant aujourd’hui sur un seul homme ; le commentateur italien Guerriero ajoute :

« auquel la plupart obéissent mais avec qui personne, ou presque, ne collabore. » Quant aux responsabilités, il ajoute : « la faute est d’abord aux Américains qui ont poursuivi obstinément la destruction du « colonialisme » croyant pouvoir se substituer aux vieilles nations expérimentées d’Europe, dans les pays africains et asiatiques, en invoquant des principes : autodétermination, suffrage populaire, parlementarisme qui ne pouvaient s’appliquer à des peuples arriérés. Ils n’ont réussi qu’à détruire un équilibre quand même, déchainant une véritable révolution qui s’est retournée contre eux. Pour le seul profit des Soviets ».

Décolonisation menée, au surplus, avec une précipitation et une maladresse insignes, ce qui aboutit à une véritable débâcle en chaîne qui est malheureusement encore loin de son terme, ce qui explique, sans le justifier, le coup de tête des séditieux.

Bien d’autres commentaires seraient à retenir, en particulier celui qui remarque qu’il y a contradiction à demander à des soldats de se faire tuer, tout en invitant à la direction de la future république algérienne, les hommes mêmes que l’on combat. Mais tout cela ne change rien au fait, qu’on n’arrêtera pas le cours des choses qui ne dépend ni des hommes qui le poussent, ni de ceux qui cherchent en vain à le remonter. A Cuba comme à Alger, il semble bien qu’il soit trop tard.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1961-04-22 – Le Feu aux Poudres Cubaines

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Le Courrier d’Aix – 1961-04-22 – La Vie Internationale.

 

Le Feu aux Poudres Cubaines

 

Nous y sommes ; la guerre à Cuba que les augures ne voyaient pas venir, malgré les multiples symptômes que nous signalions ici, risque de mettre la paix à rude épreuve. Le prestige soviétique est en cause et celui des U.S.A. ne l’est pas moins. A l’heure où nous écrivons les jeux sont faits ; les développements de l’affaire et leurs conséquences dépendent de l’issue des combats dans l’île.

 

Une Échéance prématurée

Il était clair que les conjurés anti-castristes devaient faire vite, plus sans doute qu’ils n’auraient voulu, car la désorganisation de l’économie cubaine qui pouvait soulever la masse contre le régime, n’avait pas encore assez fait sentir ses effets. Mais l’armement russe affluait et les insurgés se seraient bientôt trouvés en face d’une force difficile à affronter.

 

Les Dénégations de Washington

Le gouvernement Kennedy a naturellement décliné toute responsabilité. Cela ne trompe personne, mais comme les Russes et les Chinois avaient usé du même subterfuge en Corée et au Vietnam, ce genre de conflit par personnes interposées fait partie des fictions diplomatiques. Si l’on s’en réfère aux précédents, deux possibilités s’ouvrent ; ou bien Soviets et U.S.A. enverront à Cuba des « volontaires », ou bien ils se contenteront d’aider matériellement les deux camps. Comme la position stratégique des Russes leur est ici défavorable à cause de la distance, la seconde hypothèse paraît plus vraisemblable. Mais la menace d’une guerre véritable ne peut être conclue, menace que les Russes avaient évoquée l’an passé, justement à propos de Cuba. Les Américains n’y croient pas et ils ont probablement raison, mais l’alerte demeure. L’affaire cubaine relègue à l’arrière-plan les autres problèmes en question, ou plutôt, elle les enterre. Ni le conflit laotien, ni la Conférence sur les expériences nucléaires n’ont de chance de trouver de compromis. Il se pourrait même qu’elle influe sur les négociations algériennes éventuelles.

 

La Conquête de l’Espace

Avant cela, le héros du jour était le cosmonaute Gagarine. Les Soviets en ont tiré tout l’effet de propagande possible et l’imagination des foules a travaillé sur cet exploit. Faut-il mettre les choses au point ? Ce voyage de l’homme autour de la terre était prévu, les moyens techniques étant réalisés. Mais les perspectives en sont très limitées. Dans l’ordre stratégique, le lancement d’un satellite habité ne change rien à la situation existante. L’engin est beaucoup plus vulnérable que les missiles « Polaris » éjectées d’en-dessous de la surface de la mer, par un sous-marin atomique et même qu’un missile terrestre enterré ou mobile sur rail. Dans l’ordre humain, il s’agit là d’une performance à laquelle s’ajouteront d’autres.

Il est sûr qu’on ira dans quelques années sur la Lune puis sur Mars et Vénus. Les savants y trouveront leur compte d’informations, mais l’homme fort peu qu’on ne sache déjà. Des rochers et des déserts, peut-être une vie rudimentaire. Et après ? Ce qu’on appelle la conquête de l’espace n’a qu’un champ restreint par la durée de notre vie et les données physiologiques de notre organisme.

En effet, pour sortir du système solaire, il faudrait voyager à la vitesse de la lumière, ce qui est inconcevable ; même ainsi, pour atteindre l’étoile la plus proche, Alpha Centauri, il faudrait huit ans et demi aller et retour et cet astre n’ayant pas de planète, n’offre aucun intérêt. Il faudrait aller jusqu’à Tau Ceti et à la vitesse fantastique de la lumière, on mettrait vingt- quatre ans, aller et retour. Sans doute le progrès scientifique n’a pas de limites, mais le corps humain en a.  Il ne semble pas qu’il puisse suivre. Et même s’il le pouvait, rien ne garantit que le voyage en vaudrait la peine.

Si l’on considère le prix énorme de ces tentatives actuelles et futures, beaucoup pensent que l’on pourrait les employer mieux au service de l’homme sur terre. Mais l’orgueil national n’y trouverait pas les mêmes satisfactions.

 

Le Procès Eichmann

Autre fait divers, le procès Eichmann et toute la mise en scène qu’il comporte. On comprend bien le but des Israéliens dans cette affaire :  Faire réfléchir le monde sur le sort d’un peuple tant persécuté et que l’on menace encore dans sa patrie retrouvée, sur le droit absolu, qu’il a à vivre enfin libre et d’être protégé par toutes les nations contre l’hostilité de ses voisins. Fort bien, mais cet objectif sera-t-il atteint ? Les Arabes n’en seront guère impressionnés, le Bloc de l’Est encore moins, qui ne défendra Israël que si son intérêt l’y porte. Quant au Monde libre, il ne peut faire plus que ses moyens le lui permettent. Et l’évocation de tant de souffrances risque tout juste de retomber sur l’Allemagne d’Adenauer qui s’est employée de son mieux à en réparer l’injustice. Sur le plan de la politique internationale, ce procès nous semble une erreur. Les Israéliens eux-mêmes le sentent déjà.

 

Les Voyages Diplomatiques

N’oublions pas les rituels voyages : MacMillan à Washington, puis Adenauer et bientôt Kennedy à Paris et toujours les mêmes problèmes : l’Alliance Atlantique, le pont à jeter entre l’Europe des Six et la zone de libre échange des Sept ou Huit. On paraît attacher beaucoup d’importance à ces questions ; on peut se demander si elles en ont tant : l’Alliance Atlantique, l’O.T.A.N. existe même si en tant que force elle est inadéquate. Si comme il paraît la guerre nucléaire n’a pas lieu dans l’avenir prévisible, on peut sans risque en discuter les règles. Si par malheur elle survenait, l’Alliance se ressouderait par la force des choses, si toutefois le temps lui en était laissé, ce qui est peu probable.

Pour ce qui est de la rivalité des deux Blocs économiques opposés en Europe, nous avons pu voir, à la lumière des chiffres, que le commerce entre eux n’en était guère affecté, tout au contraire. Les hommes d’affaires s’entendent à tourner les barrières qui, au surplus, ne sont pas infranchissables. L’affaire est surtout politique et se résoudrait elle-même si elle était seulement économique, pourvu que la prospérité actuelle de l’Europe persiste. On dit que Kennedy a pressé MacMillan de sauter le pas et de se joindre au Marché Commun. L’obstacle majeur est à Paris et Kennedy espère l’écarter. Nous ne croyons pas plus à une éventualité qu’à l’autre. On ne voit guère l’Angleterre consentir à des sacrifices, ni de Gaulle changer d’avis sans y être contraint. Nous verrons.

 

Prévisions Difficiles

Au demeurant, supposons le problème résolu et l’Europe unie dans un même système douanier. Tout serait-il arrangé pour cela ? Rien n’est moins sûr. Ne verrait-on pas par exemple l’un des partenaires en tirer un profit accru aux dépens des autres ?

Voyons ce qui se passe six semaines après la réévaluation du Mark. Rien de ce qu’on prévoyait, la mesure se révèle inopérante ; l’afflux de devises en Allemagne continue. En un seul mois, elles ont augmenté de 1 milliard 300 mille marks et l’emballement de la conjoncture allemande se poursuit ; en février les exportations se sont accrues de plus de dix pour cent sur l’an passé et les importations ont diminué de deux. Pour renverser la tendance ou l’infléchir, il faudrait lever de nouveaux impôts, ce qui est impossible à la veille des élections, ou prendre des mesures restrictives comme de ralentir la construction ou de contrôler les prix, ce qui est incompatible avec le libéralisme du Dr Erhard. On discute beaucoup outre-Rhin sur la voie à choisir, sans savoir où l’on irait en la prenant. Qu’en serait-ce ailleurs ?

 

                                                                                                       CRITON

 

 

 

 

Criton – 1961-04-15 – Point Mort

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Le Courrier d’Aix – 1961-04-15 – La Vie Internationale.

 

Point Mort

 

Il n’y aurait pas grand-chose à dire de cette semaine où tous les problèmes litigieux sont en suspens, s’il ne fallait chercher les raisons de ce temps d’arrêt.

 

La Crise Laotienne

Au Laos, les Occidentaux s’étaient trop tôt bercés d’optimisme ; les Russes avaient en effet accepté les propositions anglaises de réunion d’une grande conférence. Mais ils n’avaient rien dit d’un armistice préalable. Or les hostilités, si peu spectaculaires qu’elles soient, continuent et le Pathet Laos, d’obédience communiste, avance. Les Américains, devant l’opposition franco-anglaise, ont renoncé à intervenir. Pour expliquer cette passivité, il convient d’établir un rapport entre Laos et Cuba.

 

Les Etats-Unis et Cuba

Comme nous l’avons vu, la transformation désormais accomplie de la révolution castriste en démocratie populaire dirigée par Moscou, est le souci majeur des Etats-Unis et ils ne cachent pas leur résolution de renverser par la force le régime de Fidel Castro. Moscou de son côté, tient le Laos en gage pour les en empêcher. Quelques détails ne sont pas superflus sur les préparatifs militaires contre Cuba : le « Conseil Révolutionnaire Cubain », celui-là dirigé contre Castro, a publié un manifeste invitant la population de l’île à se révolter contre le Tyran ; des groupes de saboteurs ont débarqué sous le couvert de la nuit de bases situées dans les Caraïbes. Si le peuple cubain répond à l’appel aux armes, des unités d’infanterie viendront de ces mêmes bases. Ledit conseil dispose d’aviation et d’unités navales pour couvrir le débarquement. Les insurgés veulent établir une tête de pont avant que Castro ne reçoive une escadrille d’avions russes pilotés par des Cubains actuellement à l’entrainement en Tchécoslovaquie.

A la lumière de ces précisions, on comprend que les Soviets, pour lesquels Cuba est une affaire de prestige, comme Berlin pour les Occidentaux, se refuse à tout compromis sur les autres questions. Ainsi, la Conférence sur l’arrêt des expériences nucléaires continue à Genève sans le moindre signe de progrès.

 

Le Congo et l’O.N.U.

Au Congo, les tentatives de conciliation entre Kasavubu et Gizenka qui paraissaient en bonne voie ont été brisées par ordre des Soviets et Gizenka a, de sa propre autorité s’il en a, destitué Kasavubu de la Présidence. Entre temps, les résultats prometteurs de la Conférence de Tananarive se sont évanouis. Tchombé au Katanga est aux prises avec les Casques bleus qui s’opposent à la reconquête du Nord du territoire sur les Lumumbistes. Kalonji le chef de la « province minière » du Sud-Kasaï où sont les mines de diamant industriel, s’est fait proclamer roi. La désagrégation du Congo belge se poursuit et Kasavubu dont les caisses sont vidées craint que la sécession des provinces riches, Katanga, Kasaï, ne laisse le reste du pays sans ressources suffisantes pour subsister.

L’action de l’O.N.U. au Congo est pratiquement récusée pour des motifs différents par tous les chefs congolais. Ceux du Katanga et du Kasaï parce qu’ils se sentent assez forts pour éliminer leurs adversaires et que les Casques Bleus les gênent dans leur progression. Ceux de Léopoldville parce qu’ils refusent toute ingérence étrangère et ne veulent pas être un pion dans la guerre froide et entendent que les problèmes congolais soient réglés par les Congolais, si possible. Ceux de Stanleyville enfin, parce que l’O.N.U. les empêche de recevoir l’aide militaire des communistes qui leur permettrait de vaincre.

 

L’Inde et l’Afrique Noire

Cependant, le problème congolais a été en quelque sorte pris en main par l’Inde, par le canal de l’O.N.U., Nehru a envoyé au Congo plusieurs régiments de ses meilleures troupes, les Gurkhas, jadis remparts de l’Empire britannique. L’ambition de Nehru à peine déguisée, est de prendre pied en Afrique noire où sont déjà installés de nombreux ressortissants. En Afrique du Sud, en Rhodésie, au Tanganyika, au Kenya, les commerçants banquiers, propriétaires fonciers hindous, se sont fait une place, tout comme les Chinois en Asie du Sud-Est et les Syriens en Afrique occidentale. Ils forment une minorité (à Madagascar également) agissante et riche, assez mal tolérée par les autochtones et aussi par les Blancs dont ils sont d’avides concurrents. La présence d’une troupe indienne importante en Afrique noire, non seulement renforce la position de ces éléments et leur donne de l’assurance, mais prépare les voies à une immigration nouvelle. C’est pourquoi Kasavubu a fait une opposition opiniâtre à cette arrivée de troupes indiennes, sans succès d’ailleurs, en essayant de leur interdire le port d’accès de Matadi à l’embouchure du Congo.

Les Soviets ont par ailleurs esquissé un repli devant cette intervention de Nehru dans l’affaire congolaise, Zorine à l’O.N.U. n’a plus réclamé le départ des Casques Bleus dans les vingt et un jours. Il a concentré ses feux contre Hammarskoeld et les Belges, sans espoir d’ailleurs de renverser le Secrétaire Général, que la majorité des membres de l’Assemblée soutient. Sans doute les Russes estiment-ils que l’intervention de l’Inde peut les aider en affaiblissant la position de Kasavubu et de Tchombé ; comme on le voit dans ce jeu d’intrigues complexes, la confusion ne peut que gagner.

 

Kennedy Voyage

Premier désaveu de ses promesses électorales, Kennedy suit, bon gré mal gré, les traces d’Eisenhower-Dulles. A peine installé depuis dix semaines, il renonce à la diplomatie par ambassadeurs ou ministres pour les rencontres au sommet. Il va quitter les U.S.A. où il avait promis de demeurer, pour Ottawa d’abord, pour Paris en suite, les deux capitales où les relations avec les Etats-Unis sont les moins favorables.

Le Gouvernement canadien a pris une série de mesures plus ou moins justifiées pour refouler le capital américain et assurer la prépondérance des Canadiens pour les affaires gérés par les firmes U.S.A. Dans les affaires internationales, on a vu que le premier Diefenbaker a fait cavalier seul et esquissé une sorte de neutralisme, dans l’affaire cubaine notamment. En outre, la défense commune Canada – Etats-Unis est remise en cause.

A Paris, la discussion ne sera pas moins difficile, les points de friction ne manquant pas. Les difficultés de l’O.T.A.N., la succession de Spaak où le Hollandais Stikker paraît devoir l’emporter sur l’opposition française les Italiens ayant lâché Brosio, l’affaire algérienne où l’entrevue de l’Ambassadeur américain à Tunis avec les chefs F.L.N. n’a pas beaucoup plu en France ; le contentieux, comme l’on dit, est assez lourd et Kennedy a jugé utile d’user de son charme personnel pour améliorer les rapports.

 

La France et la Libéralisation des Échanges

Signalons pour terminer le nouvel effort de libéralisation des échanges et des prix décidée par le Gouvernement français le 1er avril, tant à l’égard des Six du Marché Commun que des tiers. Ce pas important vers l’abolition du protectionnisme qui avait isolé la France du marché mondial et si fâcheusement contribué à maintenir nos prix hors de la concurrence internationale et partant a précipiteé la dégradation de la monnaie avant et après la guerre. Cette politique aussi nécessaire que courageuse, si elle comporte des risques, stimulera l’initiative des producteurs dans une compétition très sévère et contraindra notre économie à une rénovation qui n’est pas encore accomplie. Le succès de l’opération et de celles qui doivent normalement suivre est affaire de compréhension générale et de discipline de tous les intéressés. Souhaitons qu’elles ne manquent pas.

 

                                                                                            CRITON        

 

 

 

 

 

Criton – 1961-04-08 – L’Endroit et l’Envers des Relations Internationales

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Le Courrier d’Aix – 1961-04-08 – La Vie Internationale.

 

L’Endroit et l’Envers des Relations Internationales

 

Les questions actuelles, telles qu’elles sont présentées au public, diffèrent considérablement de celles qui se traitent derrière la scène ; qu’il s’agisse de l’Algérie, du Laos ou du Congo, leur évolution est commandée par des facteurs obscurs qu’il s’agit de déceler.

 

La Conférence d’Evian

La Conférence d’Evian aura-t-elle lieu ou non ? A l’heure où nous écrivons, on l’ignore. Le négociateur présumé, Ahmed Francis vient d’aller prendre l’avis de Moscou ; une mission chinoise est à Tunis et confère avec Fehrat Abbas ; on peut présumer que les conseils reçus ne concordent pas. Il y a longtemps que nous pensons que le G.P.R.A. se préparait à négocier à la russe, c’est-à-dire interminablement pour ne pas aboutir. Pékin doit être hostile à toute négociation. Mais il y a Bourguiba et peut-être Moulay Hassan devenu roi, qui ont leur mot à dire, ce que le F.L.N. ne peut ignorer. Les Américains de leur côté pressent pour une solution. Et le monde, dans son ensemble, y compris neutres et neutralistes, ont hâte d’en finir avec le problème algérien. Les courants contraires s’entrecroisent au point qu’on ne peut déterminer ce qui est pure tactique des intentions véritables des parties, car l’énigme demeure des deux côtés. Ce qui est sûr, c’est que le règlement n’est pas proche.

En procédant, avant toute discussion avec le F.L.N. par replis successifs, sans contre-partie, la diplomatie française se trouve dans la position la plus défavorable pour négocier, surtout avec des Arabes. Ils sont tentés d’enfoncer un point de résistance avant de discuter et de multiplier les préalables. Ils ne sont pas pressés. En attendant, un observateur américain écrivait hier, de retour d’Algérie « Business as usual », c’est-à-dire tout continue comme devant, la guerre, les attentats, les révoltes sourdes ou larvées et le marasme économique en plus.

 

Le Laos

Le problème laotien est tout aussi complexe et obscur de part et d’autre. A la Conférence de Bangkok de l’O.T.A.S.E., le désaccord entre alliés était manifeste, du côté français surtout, où notre Ministre a fait opposition à toute résolution ferme. Les Anglais ont profité de l’obstruction française pour se rallier en principe, mais sans s’engager trop, aux intentions des Américains. Ceux-ci, sans doute sur des renseignements venus de Moscou, ont fait une sorte d’unanimité en se rangeant à l’opinion modérée, et par une volte-face inattendue, accepté Souvannah Phouma comme homme-tampon, alors qu’ils le récusaient jusque-là.

De ce petit jeu diplomatique, les Russes ont tiré les ficelles, comme ils s’entendent à le faire. On ira donc à quelque conférence de Genève, l’Occident étant en assez mauvaise posture, et les Soviets imposeront leur solution qui, comme nous l’avons toujours pensé, sera acceptable au moins provisoirement. Un Laos neutralisé, même s’il est aux mains des communistes russes et vietnamiens barrera aux Chinois la route du Sud-Est asiatique plus sûrement qu’un Laos pro-occidental, toujours menacé de subversion. Ce qui importe à Krouchtchev, c’est de s’implanter dans cette région et d’y faire sentir sa présence et sa protection.

 

Les Démarches de la Diplomatie Chinoise

Les Chinois ne s’y trompent pas. Dans l’affaire laotienne, ils n’ont rien fait et pratiquement rien dit. Ils ne sont pas pour cela inactifs. Le ministre des Affaires étrangères Chen-Yi, naguère ouvrier chez Michelin, vient de sceller à Djakarta la réconciliation avec Soekarno. Ils ont préparé de concert une prochaine conférence afro-asiatique à Bandoeng. Il sera intéressant de savoir si les Russes y seront invités. Mais ce qui l’est infiniment plus, ce sont les indices d’un rapprochement avec les Etats-Unis. Nous en avons donné les premiers signes, en voici d’autres. Un Américain condamné à 15 ans de prison pour espionnage, vient d’être relâché. Dans un discours, Chou en Laï a parlé d’une amélioration des relations avec les Etats-Unis, à condition que la flotte américaine « s’éloigne » de Formose. Il n’est plus question de prendre l’île par la force, ni même de liquider Tchang-Kaï-Chek. Kennedy, de son côté, fait dire qu’il n’avait pas d’objection à siéger à côté des Chinois dans une Conférence sur le Laos. Chou en Laï veut signifier aux Russes qu’il a une politique de rechange si ceux-ci les contrecarrent.

Les Etats-Unis se prêteront-ils au jeu ? Ce serait, à notre avis, une tragique imprudence. Il y a malheureusement un précédent : l’aide à Tito. La situation n’est pas sans analogie. On sait quelle famine règne en Chine actuellement. Chaque jour on en rapporte de nouveaux épisodes. Pékin a dû acheter deux millions de tonnes de grains au Canada et en Australie, mais il faut payer comptant 112 millions de dollars. Où les prendre ?

Lorsque les Chinois prêtent à la Guinée ou au Mali, en dollars, c’est en une monnaie de compte. En réalité, il s’agit de marchandises et de services, non d’espèces. Ici, il faut trouver des espèces et les Chinois n’en ont pas. Les Soviets qui ont des milliards de dollars en or, ne leur en prêteront pas le moindre cent ; alors ? Il y a les surplus américains qu’on pourrait obtenir gratis. Les Américains au cœur généreux y ont déjà fait allusion. Oui, mais comment mettre en sourdine la propagande de Pékin contre les U.S.A. sans déconcerter les militants ? Les choses en sont là.

La situation n’est évidemment pas mûre pour que Chou en Laï suive la route de Tito et de Nasser. Mais la faim peut avoir raison de bien des professions de foi. Nous avons l’impression, mais ce n’est qu’une impression, que Krouchtchev a fait le point et qu’il ne cèdera pas au chantage chinois. Ce n’est pas la manière et il n’y a pas intérêt. Les Américains, eux, s’y prêteront-ils, ce n’est pas impossible.

 

L’Énigme Albanaise

Nous devons à nos lecteurs un aveu : l’énigme albanaise qui nous a tant fait souffrir, était bien aisée à résoudre. Si les Russes ont dû subir et continuent de subir les affronts des dirigeants albanais Hodja et Shehu, c’est tout simplement parce qu’il n’y a pas en Albanie d’équipe communiste de rechange. Ils sont les seuls. La population est en grande majorité musulmane, les catholiques du Nord sont titistes et les orthodoxes du Sud,  pro-grecs. C’est dire que les communistes se comptent, surtout ceux qui ont assez d’instruction pour administrer le pays. C’est ce qui explique que l’équipe au pouvoir peut se permettre de soutenir Pékin contre Moscou. Krouchtchev à la Conférence de novembre des 81 partis communistes est entré dans une violente colère contre Hodja. Dans son vert langage : « Tu m’as couvert de fumier, a-t-il dit, mais il faudra que tu te laves », l’autre s’en est moqué et s’est abstenu de paraître à la réunion des Satellites de ces derniers jours.

Les deux Blocs ne sont pas sans fissures. A l’Ouest, on les recouvre par des politesses. De l’autre, les injures lâchées en secret, on s’en tire par des déclarations officielles toujours les mêmes, votées à l’unanimité par acclamation.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1961-04-01 – De quelques Vérités Cruelles

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Le Courrier d’Aix – 1961-04-01 – La Vie Internationale.

 

De quelques Vérités Cruelles

 

L’affaire laotienne s’est échauffée, et les optimistes qui voyaient déjà la fin de la guerre froide, s’affligent. Faut-il redire qu’il n’y aura rien de changé entre Moscou et l’Occident ?

 

Les Moyens de Kennedy …

Deux considérations cependant doivent être observées. Depuis l’avènement de Kennedy, la position de l’Occident est plus forte. Le Président Eisenhower passait pour l’homme de la paix à tout prix depuis l’échec en Corée, et Foster Dulles par son caractère, s’était attiré une antipathie universelle. Toutes ses initiatives se heurtaient au préjugé défavorable des Alliés des U.S.A., Kennedy au contraire inspire confiance par son dynamisme et sa jeunesse. Qu’elles soient fondées ou non, ces appréciations sont d’un grand poids. Devant l’aggravation de la situation laotienne, les avertissements de Kennedy à Krouchtchev, les mesures militaires en cours n’ont pas suscité d’objection. MacMillan lui-même a acquiescé, ce qu’il n’aurait peut-être pas fait pour Eisenhower qui aurait probablement agi exactement de même.  Si à Moscou on s’était attendu à plus de souplesse du côté américain, on a dû s’apercevoir que le nouvel adversaire serait plus ferme que l’ancien, et surtout qu’il serait plus facilement suivi par ses alliés.

 

… Ceux de Krouchtchev

D’autre part, même si comme il nous semble, les Russes n’ont pas l’intention de pousser à une confrontation dramatique et se contenteront comme par le passé de grignoter les positions adverses là où il est possible d’avancer sans risque majeur, par contre, ils ne s’exposeront pas à des critiques trop vives de la part des dogmatiques, Chinois et autres, hostiles à toute coexistence pacifique. Il s’agit pour Krouchtchev de maintenir la fiction de l’unité du Bloc communiste et pour cela il lui faut, en discours et démarches diplomatiques, suivre la ligne dure. Il y manquera d’autant moins que son tempérament agressif l’y porte.

En conséquence, il ne faut pas attacher trop d’importance aux hauts et aux bas de la confrontation Est-Ouest. Tout demeure et sans doute demeurera, comme devant.

 

Le Laos

Cela dit, la position de l’Occident au Laos est difficile, politiquement et stratégiquement et même si l’on arrive, grâce à une action, enfin vigoureuse et unanime, à résister à la poussée communiste, il ne peut s’agir que d’un temps d’arrêt plus ou moins long, la situation du petit royaume restera instable. Une solution provisoire sera cependant facilitée par l’absence des Chinois dans le jeu. Les Soviets et Ho Chi Minh travaillent de concert sans leur concours. Ceux-ci n’ont pas intérêt à leur ouvrir les voies. Il leur faut aussi ménager le Cambodge et la Birmanie et ne pas heurter Nehru. Une négociation probablement longue et tortueuse se dessine.

 

Les Articles de Fabre-Luce sur l’Afrique

Alfred Fabre-Luce, de retour d’un voyage en Afrique orientale et méridionale a publié dans « Le Monde » (qui, soit dit en passant, fait depuis quelques temps appel à des collaborateurs moins teintés de rouge), plusieurs articles, dont le dernier, tout à fait remarquable, parle de la situation en Afrique, il dit :

« Certains libéraux ont été bien prompts à renier leurs propres valeurs. Sous un masque d’idéalisme, ils ont tout simplement passé au vainqueur … Une lente démission se poursuit, amère pour ceux qui se souviennent… Les libéraux apprendront à leurs dépens que la liberté comporte éventuellement, comme l’a dit un député africain au Kenya, le droit de vivre en sauvage » … « Ce qui succède au colonialisme n’est pas, sauf rares et fragiles exceptions, la démocratie, mais un retournement aggravé du colonialisme. Des savants éminents ont proclamé l’égalité des races … Mais, qu’elle soit d’origine biologique ou sociologique, la différenciation des groupes humains est un fait qu’on ne peut modifier brusquement par un décret de l’U.N.E.S.C.O. En particulier, l’indice de coagulation sociale n’est pas le même. Kenyatta (le leader noir du Kenya) a fort bien démontré dans son livre que chez les Kikouyous, l’individu n’existe pas. Il est donc absurde de recenser l’opinion de cet être imaginaire ».

Nous sommes heureux de trouver dans ces fortes paroles, les idées que nous avons soutenues ici, avec plus de prudence peut-être.

Ajoutons encore cette citation du même article :

« On doit se demander quelle efficacité conservent les amortisseurs occidentaux, Communauté Française, Commonwealth britannique. De la première, un envoyé spécial du « Times » vient de conclure qu’elle est moribonde, sinon tout à fait morte … Il y a bien encore un Commonwealth, mais il est devenu si nombreux, si dilué, si « coloré », qu’il se trouve menacé de division dès qu’il tente d’agir … Aux deux extrémités de l’Afrique coloniale, Algérie, Rhodésie, les otages blancs vont vivre la même épreuve. »

Fabre-Luce émet en contre-partie quelques hypothèses qui peuvent, dans l’avenir infirmer ces vues pessimistes, en particulier celles-ci :

« Une querelle des deux grands pays communistes, ou la formation d’une ligue de protection de tous les développés contre les sous-développés qui les exploitent ».

 

L’Aide à la Guinée

Pour l’heure, cette ligue n’apparaît point à l’horizon. Au contraire, la même émulation de conseils et de dons s’élance à l’aide des pays qui ont cyniquement chassé ceux qui les ont formés. En Guinée, où malgré les événements, Sékou Touré reçoit de France même une aide disons discrète, des firmes américaines ont investi avec la garantie contre toute nationalisation guinéenne, de la part du gouvernement des Etats-Unis, 72 millions de dollars. Ce même gouvernement a offert gratuitement à la Guinée 5.000 tonnes de riz et 3.000 de farine. Un accord culturel a été signé pour l’envoi de professeurs et de techniciens américains. Dès 1959, l’Allemagne fédérale a accordé des bourses aux Guinéens et des livraisons de biens d’équipement pour plus de 50 millions de dollars. Les Anglais ont fait de même. De l’autre côté, les Soviets et les Satellites se sont empressés d’envoyer des techniciens et surtout des administrateurs et du matériel militaire, la Chine des experts agricoles qui peut-être auront plus de succès que chez eux. Les Soviets ont accordé 35 millions de dollars de prêts, et Pékin 25. Ce n’est pas pour rien, comme on voit, que Sékou Touré a pris conseil de Nasser et de Tito. Nous ne savons qui rira le dernier, mais pour l’heure, ceux-là peuvent s’en donner à cœur joie.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1961-03-25 – Un Écheveau Embrouillé

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Le Courrier d’Aix – 1961-03-25 – La Vie Internationale.

 

Un Écheveau Embrouillé

 

Nous avions déjà les pourparlers et les intrigues autour du Laos et du Congo. Nous allons voir s’ouvrir le grand débat sur l’Algérie. A Genève, reprise de la 275° séance du colloque à Trois sur la suspension des expériences nucléaires. On annonce pour Août au plus tard, une nouvelle conférence du désarmement. Nous sommes comblés. Prions Dieu de nous prêter vie jusqu’à leur conclusion.

 

Au Congo

A noter toutefois, pour ce qui est du Congo que le clan de Casablanca favorable à Gizenka perd du terrain. L’arbitrage du conflit passe à Nehru qui est allé au Caire convaincre Nasser de l’intérêt de son plan qu’il a présenté à Londres à la Conférence du Commonwealth et qui a reçu l’approbation de MacMillan. Ce projet, dans la mesure où on en connaît la teneur, s’appuierait sur les résolutions de Tananarive, c’est-à-dire la formation d’une fédération congolaise, par conséquent contraire à l’unification soutenue par Gizenka et ses partisans. L’armée congolaise serait réorganisée et les deux factions Mobutu, Lundula seraient fondues. Les conversations entre les deux généraux auraient préparé les voies.

Ce qui ressort en clair, c’est l’échec de la politique congolaise des Soviets, qu’on peut tenir pour acquis maintenant, sauf complications ultérieures. Il semble que ce soit le fait de NKrumah reçu avec les plus grands honneurs par Kennedy, qui s’est laissé convaincre d’adhérer au compromis préparé par Hammarskoeld. La suite au prochain numéro.

 

La Rivalité Russo-Chinoise

En dépit de l’opiniâtreté des spécialistes qui nient la rivalité russo-chinoise, chaque jour nous en apporte les preuves.

 

L’Albanie

Nous avons vu que l’Albanie, seule des Républiques dites populaires d’Occident, faisait cause commune avec Pékin. Il y eut à Tirana un Congrès du Parti où les thèses chinoises ont été affirmées par Hodja, son président ; le représentant des Soviets y figurait en accusé. On se demandait si l’U.R.S.S. allait encaisser l’affront. Nous apprenons que la réaction, qui a été lente, commence : le chef de district de Durazno où se trouve la base navale russe a été destitué et une circulaire adressée aux Comités des Partis frères d’Europe condamne l’action et les thèses du parti communiste albanais. On s’attend à une purge. On verra.

 

Gromyko et l’Algérie

Ce qui est curieux aussi, c’est la déclaration de Gromyko sur l’Algérie. L’U.R.S.S. préconise une solution du problème algérien négociée avec la France, à condition bien entendu que toutes les revendications du F.L.N. soient satisfaites, et cela, a-t-il dit, pour éviter que les Etats-Unis n’installent des bases en Algérie. Ce qui surprend, car les U.S.A. évacuent celles du Maroc, et vont le faire en Arabie Séoudite à Dharan et peu à peu ailleurs. Les bases militaires périphériques n’ont plus autant d’intérêt dans la stratégie actuelle avec les fusées intercontinentales et les sous-marins Polaris. En tout cas, Gromyko sait fort bien que dans l’état actuel des relations franco-américaines, une pénétration des U.S.A. au Maghreb est hors de question. Par contre, les Chinois étaient prêts à envoyer leurs volontaires en Tunisie et entraînaient les fellagas en Albanie. Bourguiba était hostile, et Krouchtchev l’appuie. La faction belliqueuse du F.L.N. a dû s’incliner.

 

La Chine et l’O.N.U.

Il y a plus : on parle beaucoup de l’admission de la Chine communiste à l’O.N.U. bruyamment réclamée par les Russes quand elle était impossible. Depuis, MacMillan et le Commonwealth la préconise et bien entendu tous les neutralistes. Or, après l’entretien prolongé Gromyko-Dean Rusk à New-York, les Etats Unis ont fait savoir qu’ils y étaient toujours opposés, ce qui a paru d’autant plus surprenant que le même Dean Rusk avait ainsi que Stevenson, fait entendre que la question de l’admission de la Chine se poserait prochainement. Ne serait-ce pas parce qu’aujourd’hui les Soviets n’y tiennent guère ?

 

L’Évolution de la Politique Chinoise

Autre chose : la politique de Pékin évolue, comme nous l’avions déjà indiqué ici, non plus vers l’Occident mais vers l’Orient. Le Japon en particulier, avec lequel des échanges dits culturels ont été intensifiés. Des délégations de Pékin sont venues à Tokyo. Tandis que la participation chinoise aux expositions des pays communistes européens et en U.R.S.S. même, diminue, l’effort de propagande se porte sur Cuba et l’Amérique latine et surtout la Birmanie, le Népal et l’Indonésie avec laquelle Pékin cherche à se réconcilier. Il n’est pas douteux que se dessine un mouvement communiste de couleur, en rivalité sinon en opposition avec le communiste blanc que représentent l’U.R.S.S. et ses satellites.

Partout, et en particulier à Cuba, en Guinée, au Mali, les Chinois gagnent du terrain et s’efforcent de convaincre les autres peuples de couleur que la révolution chinoise est le modèle à suivre et que la Russe n’est qu’un impérialisme déguisé. Il n’est pas douteux qu’ils y réussissent, non pas à convaincre les pays en question de suivre l’exemple des Chinois, qui sur le plan économique n’est guère encourageant, mais à discréditer les intentions et les moyens des Soviets ; qu’on le veuille ou non, la rivalité russo-chinoise s’étend sur la totalité du monde non engagé où il y a des hommes de couleur, ce qui aura sur l’ensemble de la politique internationale des conséquences dont nous percevons à peine les premiers effets : les relations russo-américaines ne sont plus celles de l’an dernier ; une détente est fort possible, ce qui n’empêchera pas la propagande de sévir et les invectives de fuser. L’apparence ne signifie rien en Soviétie.

 

L’Exclusion de l’Afrique du Sud du Commonwealth

Malgré tous les efforts de MacMillan, la rupture du Commonwealth est consommée. L’Afrique du Sud, devenue républicaine, n’en fera plus partie. La plupart des membres s’en réjouissent, sauf l’Australie. En fait, il n’y aura pas grand-chose de changé dans les relations de Prétoria à Londres. Les deux pays ont trop d’intérêts communs et les Anglais souffriraient beaucoup plus que les Africains d’un relâchement de leurs liens. L’Afrique du Sud, c’est l’or, le diamant, le platine, l’uranium qui se négocient à Londres. Dans l’ordre moral, le Commonwealth étant un lien moral avant tout, la rupture d’hier est grave. Le groupe des pays de couleur qui a exclu M. Verwoerd y fait désormais la loi et l’équilibre est rompu, ce qui aura sur la politique anglaise une influence déterminante et peut-être fatale. Le Ministre Sud-africain a parlé d’une décomposition prochaine du Commonwealth. C’est aller trop vite. Ce qui est sûr, c’est que les Anglais n’en auront plus la direction. Chose étrange, celui qui a le plus contribué à la crise, c’est M. Diefenbaker, le Premier canadien, dont la politique devient inquiétante. Déjà assez mal avec Washington, il a joué à MacMillan un mauvais tour. Un certain neutralisme canadien pourrait miner l’Alliance occidentale tout entière déjà très affaiblie.

 

La Succession de Spaak

Car, elle aussi, connaît une crise qui ne date pas d’hier, mais prend un tour aigu avec  le départ de M. Spaak son président, dont on va devoir désigner le successeur. Un candidat, le hollandais Stikker, a réuni 13 suffrages, seules la France et l’Italie, lui préfèrent l’ambassadeur à New-York, Manilo Brosio, l’Italie parce qu’il s’agit d’un des siens, la France pour écarter un hollandais en représailles contre la défection de M. Luns et son opposition aux plans De Gaulle pour l’Europe des Six. Faut-il dire qu’à Washington on prend très mal l’incident. L’isolement de la France, dans le contexte diplomatique actuel est achevé. Cela n’est pas pour déplaire à Moscou qui en tirera tout le parti possible. Cela est sans doute calculé. Nous ne répondons pas des lendemains.

 

                                                                                  CRITON

 

 

 

 

Criton – 1961-03-18 – Les Iles Menacées

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Le Courrier d’Aix – 1961-03-18 – La Vie Internationale.

 

Les Iles Menacées

 

Les problèmes cruciaux de l’heure : Congo, Laos sont à évolution lente. Tout ce qu’on peut espérer c’est que ces maux ne deviendront pas chroniques. De plus, les commentaires d’un jour sont toujours dépassés le lendemain par de nouveaux épisodes ou de nouvelles rumeurs, plus ou moins fondées. Comme on a dit, il est urgent d’attendre et ce peut être longtemps.

D’autres faits, par contre, se précisent, obnubilés par les précédents, mais dont l’importance est susceptible d’apparaître brusquement.

 

Cuba

Cuba, d’abord. Les Américains, comme on pouvait le penser, ne se résignent pas à voir s’installer à leur porte une révolution dont le caractère communisant ne peut faire de doute. Tôt ou tard, on peut craindre une épreuve de force. Castro vient de faire fusiller l’homme qui lui avait sauvé la vie : William Morgan, américain d’origine, mais célébré à Cuba comme un des premiers héros de la révolution. Comme d’autres, il était passé à l’opposition parce que les objectifs du mouvement lui paraissaient trahis par son chef et il avait fourni des armes aux adversaires de Castro qui mènent la guérilla dans le maquis d’Escambray. Malgré les expéditions répressives, les nouveaux rebelles demeurent puissants, leur nombre augmente et ils reçoivent par parachute les munitions nécessaires. Aux Etats-Unis même, un gouvernement cubain en exil est en formation. Dans des camps d’instruction en Amérique centrale, des forces anti-castristes s’entraînent. Le blocus économique de Cuba par les Etats-Unis se resserre. Castro, inquiet, a fait faire par l’intermédiaire d’ambassades latino-américaines des sondages en vue d’un rapprochement avec Washington. La tentative a échoué.

Les Américains parlent peu de Cuba précisément parce que c’est leur souci majeur, et pour Kennedy, bien qu’il n’en ait rien dit, l’élimination du castrisme à Cuba sera le test de son habilité et de sa popularité future. La tâche est dangereuse. Derrière Castro, il y a l’U.R.S.S., on ne peut l’atteindre sans la défier. On voit où peut mener une fausse manœuvre ; le baril de poudre est là, bien plus qu’au Laos ou au Congo.

 

L’Irian et la Hollande

Il en est un autre moins explosif, mais qu’on ne peut négliger : la question de l’Irian ou Nouvelle-Guinée, que les Hollandais ont conservé par moitié, l’Australie tenant l’autre, malgré les clameurs de l’Indonésie qui la revendique. Comme la Mauritanie pour le Maroc, la question de l’Irian est un dérivatif aux difficultés intérieures du régime de Jakarta. L’U.R.S.S. a saisi l’intérêt du conflit et équipe généreusement l’armée et la flotte indonésienne pour la mettre en mesure de chasser les Hollandais de l’Île.

Après avoir confisqué les propriétés des anciens colonisateurs, Soekarno vient de prendre une mesure qui a bouleversé les milieux diplomatiques. Les relations étaient depuis l’été passé rompues entre La Haye et Jakarta, et les Anglais étaient, comme de tradition en pareil cas, chargés des intérêts hollandais dans les îles de la Sonde. Il demeure encore là douze mille personnes d’origine néerlandaise qui étaient ainsi diplomatiquement protégées. Soekarno, brisant tous les usages entre nations civilisées, leur dénie cette protection, ce qui semble annoncer qu’un conflit ouvert avec la Hollande est en préparation. Tout se tient en politique et les écarts du Ministre hollandais Luns dans les affaires du Marché Commun, l’appui non déguisé qu’il a apporté aux intérêts anglais, sont probablement en relation avec le soutien qu’il attend des Anglais, et surtout de l’Australie dans l’affaire de l’Irian. L’Australie, qui occupe depuis la guerre la partie méridionale de l’île, n’entend pas s’en dessaisir.

Jusqu’ici, les Indonésiens ne se sont attaqués qu’à la Hollande et ont évité de mettre l’Australie en cause, qui pourtant est exactement dans le même cas. Comme toujours, c’est l’adversaire le plus vulnérable qui est visé. Les Australiens de leur côté sont demeurés muets, mais veillent. Que feront-ils au cas où les Indonésiens débarqueraient ? C’est certainement un des sujets débattus en coulisse au cours de la Conférence des Ministres du Commonwealth. M. Luns est d’ailleurs venu consulter Londres. Là encore derrière Jakarta, il y a l’U.R.S.S., la Chine de Pékin est tenue à l’écart, les relations avec l’Indonésie étant mauvaise à cause de l’expulsion des commerçants chinois dont nous avons parlé en son temps. A La Haye, comme on s’en doute, on est très inquiet.

 

Le Mark et le Dollar

Nous intitulions notre dernier article « Finances, terre inconnue », titre d’un livre de M. Giscard d’Estaing, père de notre Ministre. Qu’on en juge : on pensait que la réévaluation du Mark et du Florin allait soulager la pression sur le Dollar. Jusqu’ici, il n’en est rien, au contraire. Au lieu d’une parité 4 Marks pour un Dollar, celui-ci est coté en Allemagne à son point inférieur 3,97 et la Bundesbank est obligée d’acheter les dollars offerts à ce prix, qu’elle convertira en principe en or, ce qui va entraîner de nouvelles sorties du Trésor des Etats-Unis, alors que la mesure avait pour objet de les stopper. Pour notre part, nous n’augurions rien de bon de cette manipulation monétaire. Comme on le voit, on ne sait jamais quels mouvements de capitaux on provoque. En fait, le relèvement des taux de change allemand équivaut à une dévaluation implicite du Dollar et l’affaiblit au lieu de le renforcer.

 

La Controverse Martin – Kennedy

Par ailleurs, Kennedy, dont les mesures pour combattre la récession sont pourtant prudentes, est déjà en difficulté avec le Président du « Federal Reserve Board », qui correspond à notre Banque de France. Celui-ci, M. Martin, s’oppose à tout stimulant d’ordre monétaire ou fiscal pour réduire le chômage, là où il est structurel, c’est-à-dire dans les régions industrielles où ce chômage a existé, même dans les périodes de grande prospérité, comme dans les mines de charbon, dans l’industrie de l’acier, et même dans l’automobile, chômage qui est dû soit à un déclin de la demande en faveur d’autres produits, ou à une saturation des besoins, ou au développement inévitable de l’automation. Martin craint que tout effort massif pour rendre à ces entreprises une activité correspondant à leur capacité ne soit un facteur d’inflation et par surcroit stérile. Il préconise au contraire une aide limitée pour la reconversion des industries en cause et l’adaptation de la main-d’œuvre à d’autres emplois. La controverse sera portée devant le Sénat. Au surplus, les plans de Kennedy pour revigorer l’économie n’ont jusqu’ici eu aucun effet appréciable. On ne pouvait évidemment attendre de simples projets une remontée immédiate de l’activité, mais on pouvait penser que l’effet psychologique aurait amorcé un renversement de la tendance. On espère qu’il se produira avant l’été, mais en la matière, les pronostics sont souvent déjoués.

 

La Difficulté Fondamentale

Faut-il répéter que pour les Etats-Unis, le problème est en apparence insoluble. La main-d’œuvre étant trop chère, les industriels pour demeurer compétitifs avec l’étranger s’efforcent de réduire au minimum son emploi, d’où une double conséquence : le chômage des ouvriers en surnombre et par la recherche de matières premières ou d’outils plus économiques, l’élimination ou le déclin des entreprises qui les exploitent ou les fabriquent, autre cause de chômage temporaire ou définitif. Ce qui explique que l’on compte 5.700.000 inoccupés.

Il ne servirait de rien, comme l’a fait remarquer un spécialiste, de pousser à l’expansion à tout prix en employant comme le veut Kennedy, la capacité totale de production des U.S.A. Comme la demande ne suivrait pas, il faudrait distribuer cet excédent aux pays sous-développés insolvables, ce qui aggraverait le déficit de la balance des paiements et minerait le Dollar encore davantage. Un humoriste disait à ce propos : il n’est pas facile d’être riche. On le voit.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1961-03-11 – Finances, Terre Inconnue

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Le Courrier d’Aix – 1961-03-11 – La Vie Internationale.

 

Finances, Terre Inconnue

 

Autour des grands problèmes de l’heure, toujours autant de confusion et de mystère. Il faut s’y résigner et attendre, noter seulement les îlots qui émergent du brouillard.

 

La Situation au Congo

Le désordre et l’anarchie congolaise défient toute prévision, mais révèlent aussi ce que l’on s’obstine à ne pas reconnaître : le concept de l’homme, sa psychologie, ses réactions différant totalement selon les races, et la coexistence entre elles est presque toujours un artifice qui ne se soutient que par la force ou le prestige. M. Krouchtchev l’apprend à ses dépens et il est de moins en moins probable que ce soit lui qui rira le dernier.

A Léopoldville, les soi-disant journalistes russes, tchèques et polonais envoyés par Moscou ont été proprement expulsés par Gizenka que l’on s’était empressé de reconnaître comme le maître légitime du Congo, parce que sa foi communiste le désignait. Il se peut que le même Gizenka s’entende avec ceux que l’on dit ses adversaires, que de nouvelles combinaisons se nouent, aussi éphémères que les précédentes.

L’O.N.U. de son côté est en posture difficile. Honnis et attaqués de tous les côtés, les Casques bleus doivent employer la force comme ils y ont été autorisés par le Conseil de Sécurité, mais à moins de transformer l’O.N.U. en puissance coloniale, ce qui serait comique, elle devra laisser les Congolais se disputer le pouvoir ; cela peut durer.

 

Au Laos

Au Laos, les Soviets continuent d’armer leurs partisans du Pathet Lao qui contrôlent le Nord du pays, et toutes les tentatives pour porter la question sur le plan diplomatique ont été étouffées. C’est une petite guerre de Corée, qui chemine à pas feutrés, sans grand éclat d’hostilités. Mais il semble bien qu’on se trouvera sous peu devant une partition de fait du pays, analogue à celles de Corée et du Vietnam. Les Américains sont fort embarrassés  n’ayant pu trouver d’appui, ni du côté des voisins asiatiques neutraliste, Cambodge, Birmanie, Inde, ni du côté occidental où ils sont en désaccord avec les Anglais et les Français ; les premiers cherchant en vain une voie vers des pourparlers, les seconds qui font au surplus les frais de la querelle à Seno et à Vientiane, ont pris parti pour un gouvernement neutraliste qui a cessé d’exister. Devant une division aussi complète, les communistes et leurs alliés ont beau jeu. Les Américains ne peuvent intervenir militairement, et l’aide qu’ils prodiguent au prince Boun Oum et à ses troupes, ne les mettent pas en mesure de s’opposer à leurs adversaires.

 

Le Nouveau Président du Brésil

L’Amérique latine retient aussi l’attention, et particulièrement l’attitude du nouveau président du Brésil Janos Quadros. On entend dire communément qu’à la différence de son prédécesseur, il s’oriente vers une politique neutraliste, rompant ainsi les liens jusqu’ici étroits avec les Etats-Unis. Apparemment en effet, Quadros n’a pas montré d’hostilité à Fidel Castro. Il va nouer des relations diplomatiques avec Moscou et ses satellites et aussi avec Pékin, dont il préconise l’entrée à l’O.N.U. en place de Formose. Enfin, il vient d’inviter Tito à visiter le Brésil. La mission américaine envoyée par Kennedy à Rio, n’a pas eu grand succès.

De là à voir en Quadros le Tito de l’Amérique latine, on a vite franchi le pas. Mais ce n’est pas sûr. L’homme est assez mystérieux et toutes les mesures ci-dessus lui permettent de s’affirmer ; en prenant ses distances à l’égard de Washington, il rallie aussi autour de lui les tendances de l’opinion brésilienne qui ne supportent pas d’être dépendants du bon vouloir des Etats-Unis. Mais Quadros est un fervent catholique, comme Kennedy, et aussi loin que le Président des Etats-Unis de sympathiser avec le communisme ; ni Krouchtchev, ni Castro n’auront en lui un allié. Il cherche seulement à adopter la politique brésilienne au rôle de grande puissance du continent américain, en affirmant son indépendance diplomatique.

Les liens avec les Etats-Unis placés dans ce nouveau contexte peuvent être aussi cordiaux que dans le passé où d’ailleurs ils ne l’ont pas toujours été. Le Brésil, en perpétuelle crise financière, faisant figure de quémandeur ; c’est cette situation catastrophique et chronique que devra surmonter, en premier lieu le président Quadros. Il aura fort à faire.

 

La Revalorisation du Mark

L’évènement à sensation de la semaine est justement d’ordre financier : la réévaluation du Mark allemand, porté de 4 dollars vingt à quatre juste. Geste aussitôt imité par la Hollande. L’affaire vaut d’être célébrée, car il est rare dans l’histoire de voir une monnaie remonter la pente. D’ordinaire, elles ne font que la suivre par de successives dévaluations. Il y a fort longtemps, d’ailleurs qu’on en parlait. Nous l’avons rapporté ici, mais à force de démentis, on avait cessé d’y croire. Toutes les autorités de la République fédérale avaient juré de maintenir le Mark à sa parité. Économistes, banquiers, chefs d’entreprises, syndicats s’y étaient déclarés hostiles et un beau soir on nous met devant le fait accompli.

En matière de finances, comme en d’autres, les serments et les déclarations officielles doivent être pris avec scepticisme. Leurs auteurs ne sont d’ailleurs pas gênés de se contredire : au contraire, le Dr Erhard a, sans sourciller, justifié la mesure prise avec les meilleurs arguments. M. Kennedy, ou son porte-parole, en feront peut-être un jour autant dans l’autre sens. Cependant, Erhard aurait pu s’abstenir d’ajouter qu’il n’avait agi sous aucune pression extérieure. Qu’on se déjuge soit, ajouter un mensonge est inutile. Comme si depuis deux ans déjà les Anglais, et les Américains depuis, n’avaient pas pressé Bonn de relever la parité du Mark. La mesure est d’ailleurs modeste, puisqu’il ne s’agit que de 5% à peine, ce qui n’aura pas d’incidence majeure sur les échanges. C’est un peu comme les réductions douanières dans le Marché Commun ; l’exportateur passe la différence aux profits et pertes et continue son commerce comme devant.

 

Les Négociations avec les Pays dits de l’Entente

Paris est devenu la ville du mystère : des discussions se poursuivent entre le Quai d’Orsay et les Ministres des quatre pays dits de l’Entente, anciens territoires africains devenus indépendants : Côte d’Ivoire, Dahomey, Niger et Haute-Volta. Les jeunes Etats qui se refusent à rentrer dans la Communauté dite rénovée – l’euphémisme est bien français – entendent par contre ne rien perdre des mannes de l’ancienne métropole. Le paradoxe de notre débâcle africaine, c’est que les territoires qui se sont débarrassés de notre souveraineté nous coûteront plus cher que lorsqu’ils y étaient attachés.

En effet, les importantes subventions que l’Etat leur accordait étaient en partie compensées par les privilèges dont jouissaient nos exportateurs. Avec l’indépendance, la porte sera ouverte aux marchandises les moins chères quelles qu’en soient l’origine. L’Afrique sera le lieu d’élection du dumping international.

 

La Conférence du Commonwealth

A Londres s’est ouverte la Conférence du Commonwealth. Le sujet brûlant qu’on s’efforcera d’éviter, c’est la politique de ségrégation raciale de l’Afrique du Sud. Or ce pays, en proclamant la République en mai prochain, devra solliciter de demeurer membre du Commonwealth. On discutera aussi de la proposition britannique faite aux pays dits du Marché Commun, de renoncer à la préférence impériale en échange de concessions tarifaires à l’Angleterre et à ses associés. L’Australie y serait favorable et plus encore les pays du Commonwealth d’Afrique Noire, le Ghana et le Nigéria qui ne voudraient pas que les pays d’expression française bénéficient d’un tarif plus favorable à l’entrée chez les Six. Par contre, le Premier de Nouvelle-Zélande craint que tout rapprochement de la Grande-Bretagne avec les Continentaux ne nuise aux exportations agricoles de son pays. Même dans l’état actuel de la soi-disant division économique de l’Europe, on voit la France vendre, au-dessous du prix néo-zélandais, du beurre à l’Angleterre, du meilleur beurre de France à quelques 300 francs le kilo. Si vous ne le croyez pas, demandez à M. le Ministre compétent. Il le sait peut-être.

 

                                                                                            CRITON