Criton – 1960-08-20 – L’O.N.U. à l’Épreuve

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Le Courrier d’Aix – 1960-08-20 – La Vie Internationale.

 

L’O.N.U. à l’Épreuve

 

La Tragédie du Congo belge continue. La tactique soviétique a suivi le plan que nous avions indiqué ici il y a un mois : première phase, faire intervenir l’O.N.U. tout en paraissant s’y résigner à contrecœur, en prévision du veto final au troisième épisode qui va commencer.

 

Les Trois Phases de l’Affaire Congolaise

La première réunion du Conseil de Sécurité devait permettre pour les Russes, d’empêcher la chute de Lumumba, et si possible de consolider son pouvoir, ce qui a réussi, non sans peine d’ailleurs. La seconde réunion avait pour but d’obliger M. H. à intervenir au Katanga et d’y faire entrer ses troupes et du même coup, éliminer définitivement l’armée belge, ce qui est chose faite. La troisième phase qui s’ouvre, la plus délicate, a pour objectif l’élimination de Tchombé du Katanga et la réunification du Congo sous l’autorité de Lumumba. Pour réussir, il faut paralyser l’action de M. H. en neutralisant les forces de l’O.N.U. Les Soviets y parviendront-ils ? Ils ont cherché à discréditer le Secrétaire Général en l’accusant de se faire le complice des « impérialistes » et des « colonialistes » et de soutenir le « traitre » Tchombé. Cependant, l’autorité du chef de l’organisation internationale demeure et son prestige n’est pas atteint.

Dans l’ensemble, les pays africains ne soutiennent pas Lumumba. Ceux de l’ex-communauté française lui sont plus ou moins hostiles. L’Abbé Fulbert Youlou, du Congo d’en face, ne l’a pas invité aux fêtes de l’indépendance. Par contre, M. Kasavubu président de l’ex-Congo belge y figurait. Sauf Sékou Touré, tout acquis à Moscou, les autres hésitent, même Nkrumah du Ghana qui ne veut pas se compromettre. Nasser lui-même n’est pas engagé. Celui qui paraît tenir la balance, est précisément Kasavubu, ennemi intime et collaborateur officiel de Lumumba. Il a évité de se prononcer, malgré les brimades que son Parti, l’Abako, a subies sur l’ordre de son collègue et Premier ministre. Il attend de voir de quel côté tournera le vent pour ne pas risquer de perdre son poste.

Si, comme il est probable, Hammarskoeld est bloqué par le veto russe et qu’il se trouve privé de tout nouveau mandat, les troupes de l’O.N.U. ne pourront empêcher les soldats de Lumumba d’attaquer ceux de Tchombé au Katanga même. On craint que cette guerre civile ne marque le début d’une nouvelle affaire de Corée, ce qui, à notre avis, est excessif. En effet, il suffit que cette guerre civile éclate pour chasser les Européens par la peur, et surtout les derniers belges, et enlever à ceux-ci la direction de l’Union Minière et des autres entreprises clefs du Katanga.

C’est tout ce que les Soviets et Lumumba convoitent encore. On ne voit pas comment les Occidentaux pourraient leur couper la route, ni au nom de quoi, les troupes de l’O.N.U. empêcheraient les combattants d’en venir aux mains. Les choses en sont là à l’heure où nous écrivons. Reste à savoir si les soldats de Lumumba sont capables de porter la lutte au Katanga et de n’y pas subir une défaite, faute d’appui extérieur. Or, nous ne pensons pas que les Russes aient l’intention d’intervenir ; les Guinées, mis à part, les autres pays noirs pas davantage.

Si l’on y réfléchit, l’issue n’est probablement pas dans une épreuve de force, mais plutôt d’ordre psychologique et moral : les jeunes Etats africains qui viennent d’entrer à l’O.N.U. et ceux qui sollicitent leur admission n’ont ni intérêt ni désir d’affaiblir l’institution – au contraire, ils peuvent en avoir besoin pour se protéger eux-mêmes. Si le soutien africain manque, les chances de Lumumba de réussir un coup de force ou même de le tenter sont faibles. Souhaitons puisqu’elle s’est interposée dans l’affaire, que l’O.N.U. ait le dernier mot et qu’une fédération congolaise s’établisse.

 

Russes et Chinois

Cette fois-ci, ceux qui s’obstinent à nier les divergences entre Russes et Chinois, doivent être dans l’embarras. Car il ne s’agit plus seulement de ces controverses idéologiques qui s’étalaient au Congrès de Bucarest ou dans les colonnes de « La Pravda », mais de faits précis.

D’une part, au Congrès des Orientalistes de Moscou où les spécialistes de l’Est et de l’Ouest étaient présents, seuls les Chinois se sont abstenus de paraître. Mais surtout, on signale un exode général des spécialistes russes de Chine envoyés là pour diriger les travaux d’industrialisation. Ce départ intrigue les observateurs étrangers à Pékin et ailleurs. Beaucoup d’autres rumeurs circulent, difficilement contrôlables. Il y en a trop cependant pour ne pas conclure que les Soviets ont pris peur du dynamisme de leurs voisins, et que les controverses sur la coexistence pacifique ou l’inévitabilité de la guerre cachent une rivalité d’un tout autre ordre. Soyons patients, nous en aurons d’autres preuves.

 

Cuba

Cuba demeure un point sombre de l’horizon international. La maladie mystérieuse de Fidel Castro, loin d’arrêter les progrès du « socialisme » a permis aux extrémistes d’accélérer l’expropriation des entreprises américaines. L’influence des pays de l’Est s’étend. La résistance aussi. Cuba pourrait être à plus ou moins bref délai, le théâtre d’une nouvelle guerre civile. En effet, Fidel Castro seul a assez de prestige pour être suivi. S’il disparaît de la scène, ses adversaires relèveront la tête. On signale de nombreuses défections parmi ses lieutenants et déjà, des guérillas dans les provinces d’où son propre mouvement était parti ; enfin et surtout, l’opposition de l’Eglisey prend de l’ampleur.

 

La Conférence de Costa-Rica

La Conférence des Etats Américains qui se tient au Costa-Rica va permettre de sonder les sentiments des pays d’Amérique latine à l’égard de la révolution cubaine. Déjà le plus grand, le Brésil, et l’Argentine ont manifesté leur hostilité. Aucun ne l’appuie ouvertement.

 

Les Succès Américains dans l’Espace

Mais ce qui domine l’actualité, de très haut, c’est le cas de le dire, ce sont les succès récents des Etats-Unis dans la conquête de l’espace. Il y a quelques mois déjà nous notions ici que les Américains avaient rattrapé leur retard, et que la phase de prépondérance soviétique inaugurée en octobre 1957 avec le lancement du premier Spoutnik avait pris fin. Ce qui n’était qu’une conjoncture est aujourd’hui certitude : l’équilibre est rétabli. Les Etats-Unis n’ont plus à redouter une attaque surprise. Si les Soviets n’ont pu mettre à profit leur supériorité temporaire c’est que, comme l’affaire de l’U2 l’a prouvé, leur système de défense anti-aérienne était négligé et insuffisant. Ils avaient tout sacrifié au succès de prestige et de propagande. Ils restaient exposés aux raids des bombardiers atomiques. Si aujourd’hui ils sont mieux équipés, par contre les fusées américaines sont au point, et les Etats-Unis ont réussi à anéantir des engins similaires en vol avant qu’ils n’aient touché la cible. Le Pentagone illumine ; les élections sont proches. Il était temps de rassurer l’opinion.

 

                                                                                  CRITON

 

Criton – 1960-08-13 – Noir et Blanc

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Le Courrier d’Aix – 1960-08-13 – La Vie Internationale.

 

Noir et Blanc

 

La tragédie congolaise est un de ces événements historiques dont les répercussions sont universelles. Toutes les positions antérieures qu’elles soient diplomatiques ou politiques, en Afrique, à l’O.N.U. dans le cadre de la rivalité des deux Mondes, s’en trouvent affectées. Nombreux sont les changements déjà perceptibles.

 

La Résistance du Katanga

La résistance du gouvernement noir de M. Tshombe au Katanga remet en cause les plans élaborés tant à Moscou qu’à Washington. L’intervention de l’O.N.U. favorisée pour des raisons inverses par les Russes et les Américains, déçoit les uns et les autres.

Les Etats-Unis pensaient obtenir par là le retour à l’apaisement au Congo, d’abord, et le moyen de substituer à la prépondérance des Belges dans ce secteur de l’Afrique qui était une cause de troubles, une pénétration d’autres Occidentaux avec leurs moyens techniques et financiers, les Américains d’abord, bien entendu. La porte étant ouverte à tous, la mainmise des Soviets s’en trouvait plus difficile.

Les Russes eux, voyaient, grâce à l’O.N.U. le gouvernement Lumumba consolidé alors qu’il n’aurait pas survécu à la prolongation de l’anarchie, et surtout le moyen d’enlever le Katanga des mains des Occidentaux, en y installant l’autorité de Lumumba au nom de l’unité Congolaise. Devant la résistance de Tshombe et de ses appuis belges, les Soviets ont tenté de manœuvrer M. Hammarskoeld en l’accusant d’être au service des « impérialistes » s’il ne faisait entrer ses troupes à Elisabethville.

La manœuvre a échoué ; M. H. a renoncé et fait revenir l’affaire devant le Conseil de Sécurité. Les choses en sont là à l’heure où nous écrivons. Même si les Russes ne réussissent pas à donner le Katanga à Lumumba, ils ne seront pas perdants pour autant, car leur manœuvre vise à obtenir, – et cela depuis longtemps, – un renversement de majorité à l’Assemblée Générale de l’O.N.U. Il se pourrait même que Krouchtchev en personne aille à New-York haranguer l’Assemblée sous prétexte de projets de désarmement. Battus à plusieurs reprises au Conseil de Sécurité, particulièrement dans l’affaire de l’avion B47, ils comptent en appeler à l’Assemblée Générale dont la composition va être modifiée par l’arrivée massive de nouveaux membres africains, promus par les soins de l’Angleterre et de la France. L’affaire congolaise peut, si elle est bien menée par Moscou, donner la majorité des deux tiers aux motions soviétiques et déposséder les Occidentaux de leur influence jusqu’ici presque toujours prépondérante. Cela dépend pour une large part de l’attitude des nouveaux Etats africains formés par la France, si l’on amène ceux-ci à se désolidariser de l’ancienne Métropole, ce qui est l’objectif actuel des Russes dans le secteur africain.

 

Le Rôle des Rivalités Financières

Constatons une fois de plus en face, la désunion sinon l’incohérence de la politique occidentale. Ni Paris, ni Londres, ni Washington n’ont pris de position claire. Sont-ils ou non favorables à l’indépendance du Katanga ? On n’en sait rien. Personne ne veut se compromettre. Il y a plus. Les gros intérêts du monde capitaliste ne sont nullement solidaires. Chacun espère, d’un changement se tailler une place au détriment des autres et le Congo et ses richesses attirent les convoitises. Cette tare du système est congénitale. Les affaires sont les affaires.

Déjà un financier américain, assez contesté d’ailleurs, prétend investir au Congo deux milliards de dollars, quel que soit le gouvernement, Lumumba ou un autre, considérant qu’avec l’argent, on les achète tous  – ce qui est le plus souvent exact, – dans ces pays encore informes. Mais c’est sous-estimer la capacité des Soviets et de leurs satellites qui savent aussi mettre le prix quand l’enjeu politique est capital, et aussi la puissance émotive des slogans qui tournent la tête des primitifs et flattent leurs instincts.

 

L’Évolution des Consciences

Cependant, l’événement comme nous le disions au début, a remué les consciences. Les Africains, en effet, ne veulent pas passer pour barbares – les Noirs s’entend – et les massacres et pillages des Congolais les ont affectés, humiliés même. Ils sentent bien que les accusations d’agression belge contre le Congo, répétées par les Russes ne sont qu’un mensonge tellement gros qu’il se retourne contre l’auteur.

La cause de la coopération multiraciale ne peut qu’y gagner et, on l’a vu, par exemple, le Dr Banda au Nyassaland conclure avec les Anglais un accord sur l’établissement d’un gouvernement mixte, ce qui aurait paru il y a deux mois absolument impensable. De même au Tanganyika, où le leader modéré Nyerere accentue sa politique de coopération. A Rabat, comme à Tunis, Lumumba a reçu des conseils de pondération. Enfin, Nkrumah du Ghana envoie à nouveau son ambassadeur à Paris, qui a des mots aimables pour notre politique africaine. Seul Sékou Touré ne donne aucun signe de fléchissement. Il n’est pas impossible, si prudent qu’il faille être à cet égard, que la tragédie du Congo n’améliore les relations futures entre Noirs et Blancs.

 

La Fin de la Crise Italienne

Ce drame nous a fait omettre ce qui se passe près de chez nous, en Italie. C’est à la fois très compliqué et très clair. Les émeutes suscitées à Gênes et à Rome par les communistes, ont eu l’effet le moins attendu de leurs promoteurs : celui de rassembler tous les Partis démocratiques autour de M. Fanfani. Le résultat est triple : d’abord ne restent plus dans l’opposition que les néo-fascistes et les communistes. D’un côté, les libéraux qui avaient imprudemment renversé Segni se rallient à nouveau au Gouvernement démocrate-chrétien. Ce parti si affecté de dissensions qui paraissaient inconciliables, retrouve un semblant d’unité ; enfin M. Nenni se détachant des communistes, adopte une attitude de neutralité en s’abstenant. Si bien que la fameuse « ouverture à gauche » est chose faite sans l’être tout à fait, puisque libéraux et républicains soutiennent Fanfani, mais l’est quand même puisque Fanfani qui en était l’animateur est Président du Conseil et que Nenni sort de l’opposition. Tout cela est bien italien et aurait pu être français aussi sous la IV°. Enfin, le programme du nouveau cabinet évite avec soin tous les sujets brûlants. Tout le monde paraît content, nous aussi.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1960-06-10 – L’Envers du Décor

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Le Courrier d’Aix – 1960-06-10 – La Vie Internationale.

 

L’Envers du Décor

 

Les grandes rencontres au Sommet, malgré toute la publicité qui les célèbre, ne suscitent pas grand intérêt. On n’en attend plus rien. Tant qu’ils causent, dit l’homme de la rue, on a la paix. Des entretiens de Paris et de Vienne, on ne peut en effet tirer d’éclaircissement : les problèmes demeurent en l’état. C’est déjà quelque chose. Ce point d’équilibre entre les protagonistes des deux Blocs finit par nuire autant à l’un qu’à l’autre. L’évolution la plus caractéristique de la géographie politique actuelle est certainement la croissance des non engagés. C’est à qui se dira indépendant et à égale distance des deux. Si vague qu’elle soit, se constitue une opinion neutre qui critique à chaque occasion les gestes des deux Grands, et cet état d’esprit gagne même les Alliés, libres ou non, de l’un et de l’autre. La perte de prestige est égale pour l’U.R.S.S. et les U.S.A.

 

Krouchtchev et Nasser

Symptôme de cette évolution : la polémique inattendue par sa violence entre les Russes et Nasser. Celui-ci était déjà en tête des neutralistes, mais ses propos hostiles allaient d’abord à l’Occident, malgré la pluie de dollars, de marks, de sterling et même de francs, dont l’arrosent généreusement ceux qu’il insulte. Nasser ménageait Moscou à cause de la construction du barrage d’Assouan et surtout de l’armement qu’il en recevait. Pour des raisons qui nous échappent, Nasser a changé de ton et les Soviets organisent des meetings pour protester contre l’exécution en Syrie d’un chef communiste local. Il se pourrait que ce soit l’affaire du Congo ex-belge où communistes et nassériens sont aux prises autour  de Gizenka qui soit à l’origine de la crise. Peut-être le retard dans la construction d’Assouan ? On ne saurait dire.

 

Le Tiers-Monde et les deux Blocs

Le fait est que l’audience des Soviets dans le tiers-monde s’affaiblit. Ironie des choses, les Russes ont commis à cet égard les mêmes erreurs que les Américains. Les uns et les autres ont attiré chez eux des étudiants de couleurs en grand nombre ; des témoignages qu’on recueille d’eux, la déception est générale. En Amérique, ils ont vu la discrimination raciale, non dans les lois mais dans les mœurs. Ils y ont connu l’isolement moral et subi l’ennui des grandes institutions des U.S.A. ; en Russie, l’absence de liberté, la surveillance de liberté, la surveillance policière et la défiance des autorités, dès qu’ils ne subissaient pas passivement l’endoctrination. De surcroît, ils ont connu à Moscou et ailleurs, la médiocrité de la vie, la tristesse et la monotonie du monde communiste. La plupart ont eu le désir, parfois violent, de s’échapper.

 

Étalage des Difficultés en U.S.A. et U.R.S.S.

De plus, Russes et Américains ont fait chacun à leur manière étalage de leurs difficultés : aux Etats-Unis, la récession et le chômage, la crise du dollar, le fiasco de Cuba, les multiples échecs des expériences spatiales. Les Russes aussi. Il n’est que de lire la « Pravda » et les « Izvestia » pour être frappé d’un contraste. D’un côté l’exaltation grandiloquente de succès dont l’exploit de Gagarine est le plus spectaculaire. De l’autre, l’exposé de toutes les déficiences de l’organisation soviétique aussi bien industrielle qu’agricole. Les sorties de Krouchtchev contre les responsables de tous les scandales qui ont motivé tant de limogeages dans les hautes sphères, ont bien plus frappé les observateurs neutres que l’étalage de réussites fondées sur des statistiques qu’on sait erronées. Pourquoi ces aveux ? Sans doute l’autocritique fait partie de la morale communiste, comme le fair-play de celle des Américains : Mais cela n’explique pas tout. Le monde soviétique est secoué par une crise grave et profonde dont l’Occident ne se rend pas compte, aveuglé qu’il est par la peur de la menace militaire et un certain complexe aussi stupide que mal fondé, d’infériorité dans l’ordre de la justice sociale. Les non engagés eux, qui n’ont rien à craindre de ces deux points de vue en sont bien mieux informés.

 

Les Échecs de la Politique Économique Russe

La politique économique de Krouchtchev n’a connu, depuis les réformes de 1957, que des échecs. Lorsqu’il a décidé de décentraliser la direction industrielle, et institué dans chaque région des Sovnarkhozes, nous lui avions prédit ici qu’il allait susciter entre ces bureaucraties locales des rivalités qui paralyseraient la machine tout entière. Lisez la « Pravda », elle abonde en exemples de « Mestnichestvo ». Qu’est-ce à dire ? Une mine est située dans un district ; l’usine non loin qui utilise le minerai est dans un autre. Les livraisons n’arrivent pas ; l’usine chôme ; le minerai s’accumule sur le carreau ou est expédié vers une autre destination. La plainte va à Moscou. Le Ministère se venge d’avoir été dépossédé de ses pouvoirs en faisant traîner la réponse. Prétexte d’ailleurs à des voyages agréables, mais dispendieux des plaignants à Moscou, etc. … Quant à la distribution des denrées alimentaires, on a vu dans notre précédent article à quelle invraisemblable anarchie elle a abouti au profit exclusif des trafiquants du marché noir. Les récriminations affluent et les journaux en font état bien sûr pour dire qu’on châtiera les coupables et que tout ira mieux demain. Comme il y a dix ans que cela dure, la masse est irritée ; la jeunesse s’agite et malgré ses efforts, le Gouvernement demeure impuissant. Le système ne fonctionne pas, l’autorité même est peu efficace.

Nous avons lu avec surprise que lors de son récent passage à Kiev, Krouchtchev avait été accueilli par Podgorny, le premier « Ministre », celui-là même qui avait été accusé au dernier Conseil, par Krouchtchev, d’être responsable du vol de la moitié de la récolte d’Ukraine, dans des termes sarcastiques ; Podgorny avait fait son mea culpa « Tu as raison, camarade Krouchtchev ». On crut à une disgrâce. Il n’en est rien. On se croirait sous Nicolas II.

 

Production et Distribution

Ce qu’il y a de plus clair, c’est que le système de production est affligé d’énormes gaspillages : l’inflation est considérable faute de rentabilité des entreprises ; sait-on qu’il y avait, avant la dévaluation récente, presque autant de roubles en circulation que d’anciens francs chez nous, le rouble étant censé en valoir 125, ce qui explique que malgré les prix exorbitants des denrées au marché noir, elles trouvent preneur aisément. Quant à la distribution, c’est là vraiment que la faillite du système collectiviste est totale. Il n’y a pas d’autre intermédiaire entre le producteur et le consommateur que le bureaucrate. Celui-ci, anonyme, irresponsable en fait, ne se soucie en rien du résultat de ses directives. En veut-on un exemple tiré des « Izvestia » ? L’administration, pour parer à la pénurie du lait, fait aménager un Sovkhoze pour l’élevage des vaches. Un décret ordonne aux Sovkhozes voisins d’envoyer leurs meilleures bêtes à ce nouvel établissement. Mais on a oublié que le préposé à la traite était seul. Il ne peut s’occuper de tant d’animaux qui dépérissent, alors qu’ils prospéraient chez leurs anciens maîtres. La production, au lieu d’augmenter, baisse encore …

Il en est ainsi dans tous les domaines : Echec de la mise en valeur des terres vierges, dont nous raconterons un de ces jours, les vicissitudes. Ce qui n’empêche pas les statistiques de s’enfler, on sait par quels subterfuges, tandis que le bétail meurt par millions faute de fourrage, que malgré tous les records de production d’acier, les chantiers s’arrêtent faute de poutrelles, etc. … Seul le secteur privilégié, celui des engins spatiaux et de l’armement est servi à souhait, mais à quel prix. Le citoyen soviétique s’en rend compte et lorsqu’on a l’imprudence de le convier à l’exposition britannique de Moscou, où des millions d’entre eux ont pu voir ce dont disposent les ménages anglais, il ne manque pas de comparer. Nos sympathisants ici devraient bien en faire autant.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1960-06-03 – Au Jour le Jour

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Le Courier d’Aix – 1960-06-03 – La Vie Internationale.

 

Au Jour le Jour

 

Une caricature d’un journal américain montre John Kennedy conduisant un char à deux chevaux, dont l’un est correctement attelé et l’autre en sens inverse ; le premier symbolise la politique intérieure, l’autre extérieure. En effet, sur le plan domestique, les choses vont mieux, les industriels montrent un prudent optimisme. la récession est bloquée, le nombre des chômeurs diminue lentement. Par contre, les échecs se succèdent en politique internationale. Cuba, Laos et maintenant les fameux incidents racistes de l’Alabama dont les incidences sont surtout sensibles sur l’opinion mondiale.

 

Les Incidents Racistes en Alabama

A vrai dire, ces échauffourées de Montgomery, à la différence de celles de Little-Rock, ne sont pas spontanées, mais le résultat d’une provocation, celle des « Pèlerins de la Liberté » et d’un groupe minuscule mais actif de racistes américains arborant la croix gammée, résurrection sous une autre forme du Ku-Klux-Klan. Comme quoi, au nom de la liberté d’expression, on peut exposer une nation à de fâcheuses secousses. Le problème noir aux Etats-Unis, toujours latent, était en demi-sommeil. Il eut été prudent d’éviter tout ce qui pouvait le réveiller. Si légitime que puisse paraître moralement la croisade des Noirs et Blancs associés contre la discrimination, un Gouvernement a le droit et même le devoir de poser des limites à l’activité de groupes subversifs, tout au moins dans l’ordre de l’action directe dans la rue. Mieux vaut s’exposer à des critiques que de laisser éclater des drames, comme celui-là, qui portent une sérieuse atteinte au prestige américain.

Mais plus que les incidents de Montgomery, ce sont les brimades et vexations dont sont l’objet à Washington même les diplomates de couleur accrédités auprès de la Maison Blanche, qui desservent la cause des U.S.A. C’est dans la Capitale que la non-discrimination raciale devrait être appliquée rigoureusement. Dans les deux cas, le pouvoir, qui en avait les moyens, a failli à sa tâche. La propagande adverse a beau jeu de s’en servir.

 

La Conférence d’Evian

Pendant que se préparent les « sommets » de Paris et de Vienne, les Conférences végètent ou meurent, comme celle de Genève relative à l’arrêt des expériences nucléaires ; celle du Laos ne vaut guère mieux ; celle de Coquilhatville, entre leaders congolais ne semble pas avoir apporté grande clarté sur l’organisation future du Congo ex-Belge. A Evian, les préliminaires des entretiens sérieux ne sont pas plus encourageants.

Comme le notait un commentateur italien, le problème demeure au même point qu’il y a trois ans et même davantage avec cette différence que les solutions possibles, qui sont permanentes sont de moins en moins réalisables.

Il y en a trois. L’élimination de la rébellion, sa pacification militaire. Il eut fallu pour cela recourir à des moyens extrêmes au besoin, auxquels la France n’a pu se résoudre, ce qui se comprend d’une nation civilisée. Reste alors la partition à laquelle on n’a pas renoncé et qui vient d’être à nouveau évoquée comme un pis-aller, solution beaucoup plus périlleuse aujourd’hui qu’elle n’eut été en 1957 quand elle fut suggérée. Ou enfin l’abandon par étapes, c’est-à-dire l’alignement de l’Algérie sur le statut marocain ou tunisien, ce qui était possible alors  dans des conditions relativement pacifiques, mais ne semble plus l’être aujourd’hui. Quant au mirage de l’association qui est au centre des discussions, en apparence du moins, qui peut avoir aujourd’hui d’illusions ? C’est en gros, le raisonnement type des observateurs étrangers qui, pour des raisons diverses mais concordantes, sont tous pessimistes. La suite des pourparlers leur donnera-t-elle tort ? Souhaitons-le.

 

Le Procès des Espions en Albanie

L’Albanie n’a pas fini de nous intriguer. Voici qu’à Tirana un procès à grand spectacle vient de se terminer ; les principaux inculpés sont condamnés à mort, dont l’amiral Teme Sejku, âgé de 39 ans, qui commandait la flotte albanaise, c’est-à-dire la flotte russe de la base des sous-marins de Sassano, et qui avait, bien entendu, fait toute sa rapide carrière en U.R.S.S. ! Lorsque les débats se sont ouvert, il est devenu l’espion à la solde des Yougoslaves et des Grecs et agissait en complicité avec l’Amiral de la flotte des U.S.A. en Méditerranée. Naturellement, les inculpés ont fait leur autocritique et avoué tout ce qu’on voulait bien leur reprocher, y compris d’avoir préparé le renversement du régime communiste en Albanie, qui devait être suivi d’une invasion conjointe de la Grèce et de la Yougoslavie, appuyée par les canons de la flotte américaine. On voit d’ici le coup de théâtre de cette expédition militaire et les Etats-Unis si prudents en Extrême-Orient, se lançant en Europe aux portes de l’Empire soviétique dans une pareille équipée ! Autre fait curieux ; de ce procès auquel la presse occidentale n’a pas été conviée, comme de juste, ni la presse soviétique ni celle des satellites, n’ont parlé. C’était pourtant l’occasion ou jamais d’une campagne à grand orchestre contre l’impérialisme des U.S.A., le renégat Tito, le traitre Caramanlis vendu à l’Occident et quotidiennement attaqué pour d’autres motifs que ses prétendues visées sur l’Albanie. Or le silence est de rigueur. Étrange.

 

La Vie Quotidienne à Moscou

Les choses vont plutôt mal en Soviétie, et si des faits semblables à ceux qu’on expose là-bas se passaient chez nous, on craindrait une catastrophe. Nous avons relaté les mesures judiciaires prises contre les délits économiques, en particulier contre ceux qui faussent les statistiques, ces statistiques soviétiques qu’un spécialiste français considérait, il n’y a pas longtemps, comme rigoureusement valable. Ne parlons pas davantage des multiples mutations dans les hautes sphères, depuis le Ministre de l’Agriculture jusqu’à la plupart des dirigeants des provinces islamiques d’Asie. C’est à Moscou même, capitale et vitrine d’exposition de l’empire où tous les provinciaux viennent faire achat de ce qu’ils ne trouvent pas chez eux, que la crise agricole se manifeste avec une ampleur inconnue depuis quinze ans. Quelques détails ne manquent pas d’intérêt. Ils nous viennent d’Arrigo Levi, correspondant à Moscou, en date du 23 Mai.

Faire ses provisions à Moscou est un choc, dit-il, aussi bien pour les communistes que pour les non-communistes les plus prévenus contre le régime. Ceux-là même n’imaginaient pas ce que peut être la réalité. On savait que les vêtements étaient hors de prix et de mauvaise qualité, qu’une paire de chaussures de femme coûte 30.000 francs, qu’un stylo ou une chemise de nylon est chose introuvable, mais on ne s’attendait pas à voir une queue interminable se former devant un magasin où se vendent de mauvaises chaussettes de coton marron ; une autre, en cette saison pour acheter des concombres à 1.600 francs le kilo ou des salades à peine fraiches à 1.200. La bataille pour le lait commence à huit heures et demie. De longues queues se forment devant le magasin encore clos. Il s’ouvre et se referme au bout d’une demi-heure, sans que tous les clients soient servis. Deux ou trois jours se passent sans qu’on puisse acquérir du fromage ou du beurre ou de la viande. Au marché noir, celle-ci se vend de temps en temps 2.000 francs le kilo avec les os. Dans les magasins d’Etat, elle coûte moitié prix, mais n’apparaît que lorsqu’elle commence à être gâtée. La distribution des denrées est quelque chose de mystérieux. Des magasins s’ouvrent paraissant bien approvisionnés, puis ferment sans qu’on sache pourquoi pendant des jours et parfois des semaines.

La place nous manque pour rapporter mille détails qui donnent une idée de l’invraisemblable anarchie du système. Nous les tenons à disposition de ceux qui feignent de croire au paradis soviétique, quinze ans après la guerre, quarante-quatre ans de régime collectiviste pour aboutir à cela !

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1960-05-28 – Post Mortem

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Le Courrier d’Aix – 1960-05-28 – La Vie Internationale.

 

Post Mortem

 

A mesure que s’apaise l’émotion provoquée par l’effondrement de la Conférence au Sommet, on s’accorde à reconnaître que ce sont les antagonismes de la politique intérieure russe qui ont déterminé l’attitude de Krouchtchev. Cela était clair pour nous avant la rencontre tumultueuse de Paris.

 

Les Remous de la Politique Soviétique

Les indices se sont accumulés depuis. D’abord la disparition probable de la scène de Mikoyan, le commis-voyageur de l’U.R.S.S. et, croyait-on, le second de Krouchtchev ; le silence inhabituel de ce dernier à son retour à Moscou où l’a « accueilli » Suslov qui passe pour un stalinien irréductible. Enfin, après les éclats et les provocations adressées à l’Occident dans la conférence de presse du Palais de Chaillot, le ton mesuré du discours de Krouchtchev à Berlin-Est où Ulbricht et ses collègues ont été déçus d’entendre que le statu-quo à Berlin demeurerait jusqu’à la prochaine rencontre au Sommet, si elle avait lieu, dans six ou huit mois.

L’armée et les tenants de la guerre froide satisfaits, on en revient en somme à la politique prévue si la Conférence au Sommet avait eu lieu et qu’elle avait abouti au seul résultat qu’on en pouvait attendre, c’est-à-dire qu’il ne se passerait rien avant qu’on se soit retrouvé au même point dans une autre conférence. Finalement, après les émotions excessives, l’opinion occidentale s’accorde un soulagement et revient à un optimisme qui n’est peut-être pas plus justifié.

 

Nuages sur l’Orient

En effet, s’il était clair pour les Soviets qu’à Berlin ils se heurtaient à un mur qu’on ne pouvait ébranler sans gros risques, les chances de manœuvre sont beaucoup plus propices à l’Est.

En Turquie, la crise politique est ouverte et cela n’ira pas sans secouer l’Alliance du C.E.N.T.O, c’est-à-dire l’équilibre interne des pays d’Orient voisins de l’U.R.S.S. et surtout au Japon, l’opposition au traité d’assistance mutuelle signé par Kishi, et ratifié depuis par le Parlement de Tokyo, se traduit par des manifestations de rue et des échauffourées qui mettent le cabinet en péril et, comme en Turquie, va sans doute rendre de nouvelles élections inévitables.

Enfin, la situation en Corée du Sud, bien que moins explosive depuis la disparition de Syngman Rhee est loin d’être stabilisée. Là encore, des élections vont agiter les passions. Il serait bien étonnant que ni la Chine rouge, ni l’U.R.S.S. n’attisent le feu. Ce serait alors le signe, ou bien que les choses vont trop mal à Pékin et à Moscou, ou bien que les deux régimes communistes ne sont pas dans les meilleurs termes ; l’une hypothèse d’ailleurs n’exclut pas l’autre. Car les Chinois ne veulent pas faire les frais d’un conflit avec les Etats-Unis au profit des Russes et ceux-ci ne veulent pas perdre ce qui leur reste d’influence en Asie du Sud-Est au profit des Chinois. Ils l’ont montré en Inde et en Indonésie.

Quoi qu’il en soit, c’est du côté de l’Orient que se manifestera la nouvelle phase de la guerre froide, tandis qu’en Europe les positions demeureront. Au surplus, les Allemands de l’Est ont trop d’embarras avec la collectivisation agraire pour s’engager dans une lutte pour Berlin que l’U.R.S.S. n’appuierait pas à fond.

 

Eisenhower et MacMillan

Une polémique assez curieuse et cependant bien humaine, vient de s’élever entre la presse anglaise et l’américaine. Les gens d’outre-Atlantique ont été cruellement vexés de l’affront fait à Eisenhower, d’autant que les maladresses de la politique américaine, dans l’affaire de l’U2 ont été complaisamment commentées en Angleterre. Les Américains en veulent à MacMillan d’avoir cru à la détente, d’avoir sans relâche travaillé pour cette rencontre au Sommet et d’avoir, ce qui est pire, tout tenté pour engager Eisenhower à faire contrition pour apaiser Krouchtchev et sauver la Conférence. Sans de Gaulle, disent les Américains, Eisenhower aurait peut-être cédé.

Evidemment quand un échec se produit, c’est à qui accusera l’autre. En réalité, personne en Occident n’est responsable. Un observateur perspicace qui était à Paris l’autre semaine, Montanelle, suggérait que la colère de Krouchtchev était bien plutôt dirigée contre ses adversaires de Moscou qui l’avaient mis dans cette situation, que contre les Américains qu’il invective par routine de propagande. C’est fort possible.

 

Condamnation de la Diplomatie Publique

Autre conséquence de l’échec de la Conférence au Sommet : les partisans de la diplomatie secrète y trouvent argument pour condamner définitivement ces rencontres spectaculaires où les Chefs d’Etat engagent le prestige des peuples qu’ils représentent et dont les blessures d’amour-propre risquent de mettre le feu aux poudres ; alors que si des ministres ou ambassadeurs se querellent ou se séparent sans résultat, on peut sans inquiétude reprendre le dialogue en des circonstances meilleures ; dangereuses, inutiles, ces tournées et ces rencontres à grand spectacle, si elles ont pour objet une négociation toujours difficile ;  elles ne devraient avoir lieu que lorsque les Diplomates ont préparé le terrain et se sont mis d’accord. Alors les Chefs d’Etat n’ont plus qu’à se congratuler dans l’allégresse générale comme il était de règle dans le passé.

Il faut retenir à cette procédure qui a fait ses preuves. Ce n’est pas nous qui donnerons tort à ces critiques. Négocions, si toutefois cela sert à quelque chose, sinon, faisons silence. Il est certain que si une nouvelle Conférence au Sommet devait avoir lieu, un jour, le programme serait réglé d’avance pour éviter les surprises ; la leçon aura servi.

 

Les Conférences de Genève

Dans l’immédiat, on se demande si les deux Conférences interrompues de Genève vont reprendre. Les Russes ne s’y opposent pas, au contraire ; les Occidentaux hésitent mais consentent. Tout dépend de l’atmosphère du débat aux Nations-Unies sur l’incident de l’U2 et les accusations réciproques d’espionnage. Si tout se termine sur un résultat nul, comme probable après les passes oratoires d’usage, le marathon des conférences Est-Ouest pourra reprendre à la satisfaction des Diplomates qui ont pris leurs dispositions pour passer l’été sur les bords du Lac Léman. La vie continue.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1960-05-21 – Une Rude Leçon

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Le Courrier d’Aix – 1960-05-21 – La Vie Internationale.

 

Une Rude Leçon

 

Ainsi, la Conférence au Sommet n’aura pas lieu … Qu’elle ne dût aboutir à aucun résultat, cela était pratiquement certain, mais qu’après l’avoir cherchée pendant deux ans, Krouchtchev soit venu à Paris exprès pour la saborder, cela passe un peu les prévisions.

 

La Cause de l’Échec

Les raisons de cet échec que nous donnions ici il y a une semaine sont aujourd’hui reprises par toute la presse, raisons de politique intérieure soviétique surtout : l’opposition de l’armée qui se refuse aux licenciements d’officiers, l’hostilité de Pékin à la politique de détente et l’agitation dans le Parti contre Krouchtchev, ses voyages et ses discours « pacifiques » de nature à favoriser des espérances chez les satellites, à créer des fissures dans le rideau de fer et en définitive de mener à quelque nouveau Budapest.

 

Conséquences pour l’Occident

Pour les Occidentaux, il faut espérer que la leçon portera ses fruits. L’humiliation, sinon le ridicule de ce fiasco, les atteint tous également. Les négociations avec Moscou n’ont jamais abouti et n’aboutiront jamais. Il n’y eut qu’une exception : la libération de l’Autriche, en 1955, qui fut d’ailleurs le résultat d’une décision unilatérale des Russes, dont ils se sont certainement repentis, car sans cette frontière ouverte, les révoltes de 1956 en Hongrie n’auraient pu se produire. Le torpillage de la Conférence au Sommet est tout de même un événement de grande portée et naturellement, il convient d’en mesurer  les conséquences.

Krouchtchev a-t-il fait une bonne opération ? Nous ne le pensons pas. D’abord il est permis de penser que cette incongruité énorme aura ouvert les yeux de tous ceux qui croyaient encore à la possibilité de la coexistence et d’une détente durable. Rien de plus dangereux que ces illusions. Il vaut mieux qu’elles se dissipent définitivement. En outre, cet échec collectif et partagé, ne peut que resserrer les liens entre les puissances occidentales passablement détendus par les tournées de Monsieur Krouchtchev.

Quant aux masses, on a pu voir par les sondages d’opinion que leur bon sens les avait averties de ne pas croire aux bonnes paroles. Elles étaient beaucoup plus défiantes que les professionnels de la diplomatie et de l’information. Un peu surprise sans doute, peut-être même blessées dans leur amour-propre par l’irrespect témoigné à leurs dirigeants, elles ne sont pas particulièrement émues et la Conférence au Sommet n’avait pas suscité beaucoup d’intérêts ni même de curiosité. La réaction de l’homme de la rue est à peu près celle-ci : « Pendant qu’ils causent, ils nous laissent tranquilles, même s’il n’en sort rien, ce sera toujours du temps gagné. Après, on verra bien ».

 

La Détente et la Jeunesse Russe

Toute autre est l’attitude des Russes, et particulièrement de la jeunesse instruite dont nous avons reproduit ici quelques pensées. C’est elle qui sera déçue. C’est elle qui soutenait Krouchtchev, qui l’écoutait avidement quand il racontait ses voyages et voudrait briser le cercle de fer où elle est enfermée. Elle souffre de cette claustration, rêve aussi de voyages en Occident, de contacts et d’horizons nouveaux. Il est douteux qu’elle se laisse tromper par l’histoire de l’U2, et les meetings organisés par le Parti n’ont eu qu’une assez tiède assistance. On lui fera difficilement croire qu’Eisenhower est un fauteur de guerre alors qu’elle s’apprêtait à lui faire un accueil enthousiaste.

C’est précisément cela qui a fait peur aux gens du Kremlin. C’est la peur de toujours en Russie que les miasmes de l’Occident ne viennent infecter la jeunesse et saper l’autorité des maîtres. Krouchtchev, en apportant cette déception à son peuple, fait le jeu de ses ennemis qui l’ont peut-être poussé à dessein à cet éclat de Paris. Sa popularité toute relative d’ailleurs car en Russie, les Maîtres n’ont jamais été aimés, va baisser sensiblement et tous les observateurs s’accordent à dire qu’il y a maintenant un commencement d’opinion en U.R.S.S. Ce qui jusqu’ici n’était qu’une foule ignorante et servile, comprend aujourd’hui des millions d’hommes instruits capables de réfléchir et de juger. Krouchtchev lui-même est obligé d’en tenir compte. Accepteront-ils ses mensonges ?

 

Dans l’Ordre International

Dans l’ordre international, que sera cette nouvelle ère de guerre froide ? Evidemment, la bataille pour Berlin. D’après les déclarations du Maire de Berlin-Ouest, Willy Brandt, le morceau sera dur pour les Russes et leurs acolytes de la D.D.R., Des provisions énormes ont été accumulées et la ville serait mieux parée contre un siège qu’en 1948. Krouchtchev tentera-t-il un coup de force ? Cela est peu probable dans l’immédiat. Les Américains sont trop irrités pour ne pas riposter avec vigueur quoi qu’il doive en résulter. Les défenses russes ne sont pas au point, comme la pénétration de l’avion U2 jusqu’à Sverdlovsk l’a montré. Si les fusées des Américains ne sont pas non plus au point, ils ont toutefois assez de moyens pour décourager une agression. Il n’est même pas sûr que la lutte va s’échauffer beaucoup dans les mois qui viennent. Certaines déclarations de Grotewohl à Berlin-Est paraissent plutôt modérées.

Évidemment, on ne peut exclure quelques surprises, car la tactique des communistes est pleine de ressources, et leur audace sans borne ni scrupule, mais ils savent aussi s’arrêter à temps. Par contre, on ne voit pas comme pourrait se briser cette vague qui monte inexorablement et qui nous rappelle la lente approche de la guerre de 1939. Jusqu’ici, le temps qui a passé n’est pas du temps gagné, comme les bergers de l’Occident le croient. C’est hélas du temps perdu.

 

L’Agitation en Afrique Noire

C’est aussi le cas de l’autre vague, celle qui déferle sur l’Afrique. Force est de constater qu’on n’a rien fait pour la contenir, tout au contraire, on lui a donné le vent. M. MacMillan récolte la tempête qu’il a soulevée lui-même dans sa tournée en Afrique orientale, et par son malheureux discours devant le Parlement du Cap. Voici que les agitateurs noirs s’attaquent à un autre point sensible, la Rhodésie du Nord, plus précisément le Copper Belt : la ceinture du cuivre voisine du Congo belge. Là, des Blancs ont été brutalisés, des voitures incendiées, des bagarres avec la police ont fait des morts et des blessés.

Au Kenya, l’agitation continue, Kenyatta, l’instigateur de la révolte des Mao-Mao a été élu chef du Congrès noir. Au Congo belge, Bruxelles est obligé d’envoyer des troupes pour maintenir l’ordre pendant les élections. L’exode des colons blancs se précipite. Par contre, le calme est revenu en Afrique du Sud ; le Gouvernement de Prétoria a la situation en mains et il semble que les Bantous se détournent des extrémistes.

Deux courants en effet s’affrontent, celui des violents qui n’ont rien à perdre et cherchent la bagarre, et la masse de ceux qui ont une demeure et un emploi, qui redoutent le désordre et préfèrent la domination blanche à la brutale dictature noire. Les sanglantes rivalités de tribus au Congo belge font office d’avertissement. C’est en Rhodésie que l’inquiétude est la plus visible, car l’élite noire est peu nombreuse et la proximité du Congo belge, comme l’a souligné le Gouverneur, ne peut que vouer les deux territoires à un sort analogue. Il reproche aux Belges la légèreté avec laquelle ils ont sacrifié les intérêts des leurs. Là aussi, les interventions oratoires, les allées et venues de personnages officiels ont fait plus de mal que de bien. Le silence est d’or, disaient nos pères. C’est un proverbe que Krouchtchev a oublié de rappeler. Il a eu tort.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1960-05-14 – Ciel Orageux

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Le Courrier d’Aix – 1960-05-14 – La Vie Internationale.

 

Ciel Orageux

 

A la veille de la Conférence au Sommet, on attendait le lancement d’un super spoutnik. Rien jusqu’ici. Moscou s’est rabattu sur le coup de l’espion qui a déjà servi, car ce n’est pas le premier qui fut pris. Mais cette fois, la mise en scène a été gracieusement fournie aux Russes par les soins des services de M. Allen Dulles. Ces maladresses vraiment puériles du Département d’Etat américain ont donné au grand comédien Krouchtchev l’occasion d’un de ses meilleurs effets. C’est bien joué. L’affaire au surplus pose beaucoup de questions.

 

Revirement à Moscou

Il était évident depuis le voyage à Paris qu’une grande offensive se préparait au Kremlin. La détente fondait et non la glace de la guerre froide, comme on le prévoyait trop aisément. Il y a eu à Moscou un revirement, car il faut un moment où le Kremlin jouait la détente. A ce moment, il y a six mois, la Conférence au Sommet, prévue pour cette date, aurait peut-être au moins momentanément apporté une trêve à la guerre froide ; Anglais et Américains voulaient saisir l’occasion. Paris s’y est opposé. Nous le disions alors ici, c’était une erreur. Pour des raisons de prestige, on a perdu du temps et la rencontre du 16 mai s’annonce plutôt mal. Tous les commentateurs s’interrogent. Pourquoi Krouchtchev a-t-il changé de tactique ? Voici notre sentiment.

 

Krouchtchev et l’Armée

La situation de Krouchtchev en U.R.S.S. est beaucoup plus difficile qu’on ne pense. Il a inquiété l’armée qui s’oppose au licenciement de 250.000 officiers et sous-officiers que Krouchtchev veut rendre à l’industrie pour compenser la pénurie de main-d’œuvre qui s’annonce avec l’arrivée des classes creuses. C’est pourquoi, il a cherché à donner à l’armée une compensation en faisant abattre l’avion de reconnaissance américain. C’est aussi pour les masses soviétiques un stimulant à la vigilance patriotique, moyen employé chaque fois que l’on veut détourner l’attention de conflits internes. Cela a permis en outre de liquider sans frais le vieux maréchal Vorochilov qui n’avait pas grand pouvoir, mais auquel l’armée était attachée. Il est probable que le licenciement des officiers sera remis à plus tard.

 

L’Érosion des Terres Vierges

Une autre affaire assez grave pour Krouchtchev se dessine. Nous avons rapporté la semaine dernière les achats de blé faits par les Soviets au Canada. L’explication de cette transaction est assez curieuse ; ce n’est pourtant pas une fable : on signalait fin mars, jusqu’en Yougoslavie et en Hongrie, une pluie de sable qui obscurcissait le ciel et couvrait ensuite le sol. Par endroits, en Ukraine et en Pologne, la couche répandue dépassait 30 centimètres et étouffait le blé en herbe. Une tempête – assez fréquente d’ailleurs – s’était élevée dans les plaines de l’Asie centrale et les terres vierges du Kazakhstan labourées et non couvertes par la neige ont été arrachées par le vent avec les semences : ce phénomène est bien connu dans les plaines du centre des Etats-Unis, où l’érosion du sol est un fléau redouté.

En bref, il semble probable que la récolte de 1960 sera encore plus faible que celle de 1959. Si la catastrophe atteint des proportions imprévues, le prestige de Krouchtchev qui s’est consacré au défrichement de l’Asie va se trouver très atteint et ses ennemis le guettent là. A cette situation il n’y a qu’une issue : une grande diversion extérieure. C’est ce que Krouchtchev prépare. Nous allons probablement avoir des émotions à propos de Berlin. Jusqu’où ira la tension, on ne saurait le prévoir. Ce qui est sûr, c’est que tout le remue-ménage diplomatique depuis un an était bien inutile et qu’on en aurait pu faire l’économie, non seulement morale, mais matérielle. Car les voyages de M. Krouchtchev ont coûté cher à ses hôtes et l’argent aurait été mieux employé ailleurs. Les infortunés Occidentaux qui vont se réunir à Paris, n’auront pas bonne figure, particulièrement Eisenhower qui achève son mandat de Président. Au surplus, il est probable que Krouchtchev a voulu atteindre, non le Président mais son successeur probable Richard Nixon et le Parti républicain aux Etats-Unis.

 

Krouchtchev contre Nixon

L’U.R.S.S. craint Nixon qui a huit ans d’expérience à la Maison Blanche et sera plus difficile à berner que l’un quelconque des candidats démocrates, soit un jeune qui aura à faire son apprentissage d’homme d’Etat, comme Kennedy, soit un vieux routier comme Johnson ou Stevenson qui manquent plutôt de dynamisme. Une victoire démocrate en novembre qui impliquerait un bouleversement complet de l’Administration et peut-être des organes militaires, serait pour les Soviets une aubaine. Les Américains le savent et nous avons l’impression que le Parti démocrate ne tient pas sérieusement à la Présidence et préfère contrôler le Congrès, comme il le fait déjà, plutôt que d’avoir le double pouvoir. Il vaut mieux pour lui, comme actuellement, que les responsabilités soient partagées. Elles sont trop lourdes, et en cas de crise internationale grave, le parti qui aurait toutes les décisions à prendre, jouerait son avenir.

 

Le Rouble lourd

L’émotion provoquée par l’affaire de l’avion U2, a fait négliger une nouvelle initiative de Krouchtchev : une réforme monétaire qui consistera à créer un Rouble lourd égal à dix anciens. Cette réforme s’explique mal car le Rouble, au moins officiellement, est une monnaie lourde, 50 anciens francs. Cette mesure se distinguerait des précédentes qui consistaient en une lessive pure et simple. On échangeait dix vieux roubles contre un neuf qui ne valaient pas plus que l’ancien et selon une échelle progressive, on confisquait les économies du public. Ce genre d’escroquerie ne paraît pas être l’objectif actuel, mais une opération de prestige monétaire. Il sera intéressant de suivre au marché noir de Moscou la réaction des détenteurs de l’ancienne monnaie. A leur place nous nous méfierions. Krouchtchev a aussi annoncé la réduction des heures de travail, sans préciser s’il s’agit d’une mesure générale ou limitée à certains secteurs. Là-dessus les Russes sont sceptiques ; la pénurie de main-d’œuvre s’accorde mal avec des réductions d’horaires.

 

L’Ascension de Willy Brandt

Un autre point mérite attention. Les menaces que les Soviets font peser sur Berlin-Ouest, ont donné à son maire Willy Brandt, une stature politique considérable. Il défend la liberté de ses administrés avec vigueur, parcourt le monde et reçoit toutes les personnalités qu’il peut intéresser. Or Willy Brandt est socialiste, et de plus, jeune. Au sein du parti S.P.D. allemand, il fait maintenant figure de leader, ce qui sert considérablement les socialistes qui en manquaient : Ollenhauer et Carl Smidt ne faisaient pas le poids en face d’Adenauer et d’Erhard. Voici donc Willy Brandt vedette de la future compétition électorale, et peut-être futur chancelier. Bien qu’il soit un ennemi acharné du communisme, les Soviets seraient satisfaits d’éliminer, grâce à lui, le vieux Chancelier et son Parti. Si Brandt est un adversaire de taille, le Parti qu’il représente est depuis toujours celui des capitulations. Devant Guillaume II, comme devant Hitler. Même si, comme il est probable, les Russes ne peuvent annexer Berlin à la D.D.R. d’Ulbricht, le prestige de Brandt n’en sera que plus rayonnant.

C’est un côté de l’opération Berlin qui est loin d’être négligeable.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1960-05-07 – La Révolte des Jeunes

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Le Courrier d’Aix – 1960-05-07 – La Vie Internationale.

 

La Révolte des Jeunes

 

La jeunesse fait beaucoup parler d’elle en ce moment. La chute de Syngman Rhee en Corée du Sud, l’agitation en Turquie contre le Gouvernement Menderes, les manifestations contre Kishi au Japon, et de l’autre côté les émeutes de Nowa Huta en Pologne, tous ces événements ont été provoqués ou appuyés par les jeunes étudiants surtout, ouvriers aussi, partout contre les excès de l’autorité, pour défendre des libertés ou en obtenir le retour, contre la corruption et les mensonges d’un pouvoir sclérosé.

Le phénomène n’est pas nouveau. Il est l’expression d’un conflit des générations qui est de toujours. A noter cependant que cette explosion de révolte des jeunes n’est pas universelle : la jeunesse allemande ne manifeste pas contre le vieil Adenauer, ni l’américaine contre Eisenhower. En France, au Portugal, en Espagne même, l’opposition vient plutôt de politiciens déçus ou d’intellectuels intoxiqués d’idéologie plutôt que de jeunes. Ceux-ci, malgré leur inexpérience qui les mène plutôt contre l’état des choses que pour un ordre nouveau bien défini, discernent cependant l’abus de pouvoir, de l’autorité, qui, si elle ne les satisfait pas toujours, a des raisons légitimes de s’exercer.

En définitive, ce soulèvement de la Jeunesse vise les gouvernements qui n’ont plus d’idéaux à défendre ou en préservent d’autres qui n’ont plus de sens, à moins qu’ils n’exercent le pouvoir pour leur seul profit, comme en Corée.

 

Un Exemple Soviétique

Rien n’illustre mieux ce que nous voulons dire que les déclarations d’un jeune intellectuel soviétique à un correspondant italien à Moscou. Comme celui-ci lui demandait si Krouchtchev représentait ses idées, il répondit :

« Qu’éprouvons-nous, nous les Jeunes ? Eh bien, nous sommes perplexes : cette grande révolution qui a coûté des millions de morts, et quarante ans d’immenses sacrifices, devait renouveler la vie de l’homme, de l’homme Soviétique d’abord, puis de tous les hommes de par le monde, libérer l’humanité des souffrances, des erreurs, des contraintes, de la violence, des conflits. Or tout cela se réduit à des statistiques : tant de beurre, de viande, de blé, de kilos de ceci ou de cela par personne. Ce n’est pas pour cela que nous avons tant souffert. Ce n’est pas pour rattraper les Etats-Unis dans la fabrication de telle ou telle marchandise que nos pères sont morts. »

Ce témoignage éloquent dans sa simplicité, résume les motifs profonds de toutes ces révoltes : celle des idéaux trahis.

 

L’Évolution du Continent Noir

Comme on pouvait le prévoir, l’évolution du Continent noir est pleine de surprises ou plutôt, le nationalisme qui se voulait panafricain, lorsque les peuples africains n’étaient pas libres, se dévore lui-même dès qu’ils le sont. L’ambition de Nkrumah du Ghana se heurte aux mêmes réactions hostiles que celles de Nasser en Proche et Moyen-Orient. Et du même coup, les nouveaux dirigeants découvrent que le colonialisme avait du bon, d’abord parce qu’il les a menés à la souveraineté sans drame préalable, et aussi parce qu’il les protégeait du nationalisme agressif de voisins plus puissants.

Nous avons vu d’abord, que Nkrumah et Sékou Touré, après avoir parlé de fusionner leurs territoires, se sont séparés complètement et se regardent avec méfiance. Voici que Sylvanus Olympio, du Togo, rend hommage à la France et n’est pas loin de lui demander protection contre une éventuelle agression du Ghana. Au Sénégal, les choses ne vont pas très bien avec le Soudan, et le Mali ne semble pas mieux équilibré que l’Egypte et la Syrie dans la R.A.U.  MM. Dia et Senghor se félicitent publiquement de la présence de l’armée française. De même, Ahidjo au Cameroun ; sans elle, le pays serait en pleine guerre civile. Sékou Touré est obligé d’inventer des complots pour tenir en main une masse déçue et inquiète de l’arrivée des Jaunes en Guinée. Cette évolution est pleine d’enseignements.

Au début, la débâcle africaine apparaissait aux pessimistes dont nous étions comme une catastrophe pour le Monde libre, et l’on ne pouvait espérer que l’influence occidentale puisse demeurer dans un monde en proie à des passions aussi élémentaires. Or, ce sont les ambitions mêmes des nouveaux chefs comme Nkrumah et Sékou Touré qui ont ramené les autres à une meilleure appréciation de leur destin. Ils ont senti que, livrés à eux-mêmes, leur souveraineté ne résisterait pas longtemps et la peur du voisin a fait ce que la raison ne pouvait faire : les maintenir dans l’orbite de la puissance protectrice.

Bien entendu, cette phase de l’évolution noire n’est qu’épisodique et ne préjuge pas de l’avenir. On peut penser cependant qu’il en restera quelque chose. Et puis au fond, l’antagonisme entre Noirs et Blancs est sans doute plus émotionnel que profondément racial. On ne peut malheureusement pas en dire autant du Monde arabe.

 

L’Affaire du « Cléopatra »

Les choses de ce côté ne vont pas bien : M. Hammarskoeld, retour d’Egypte avait raison : la situation s’aggrave, et, n’étaient les dissensions internes entre dirigeants, une explosion serait à craindre. On sait que les dockers américains ont refusé de décharger le navire égyptien « Cléopatra ». Ils entendent ainsi protester contre la liste noire qu’a établie Nasser contre les Compagnies de Navigation qui fréquentent les ports d’Israël. En représailles, les dockers arabes boycottent les navires américains, et le passage dans le Canal de Suez, déjà interdit aux marchandises israéliennes, pourrait l’être aux bateaux battant pavillon U.S.A. Une conséquence de plus de la triste affaire de 1956. L’enjeu est sérieux de part et d’autre. Les Egyptiens et leurs associés se priveraient de l’aide américaine qui doit être obligatoirement transportée par des navires américains et particulièrement du blé qui leur épargne la disette. Du côté des Etats-Unis, cette rupture jouerait en faveur des Russes et pourrait remettre en question l’acheminement des pétroles du Golfe Persique. Le Sénat américain paraît enclin à user de représailles, mais le Gouvernement est embarrassé.

 

La Situation Agricole en Russie et en Chine

Il ne manque cependant pas de moyens de pression, car les pays du Moyen-Orient ne peuvent guère compter sur les Soviets pour les nourrir. On sait, en effet, que l’U.R.S.S. vient de conclure un important achat de blé au Canada. Décidément, l’agriculture réserve bien des déboires à Krouchtchev, qui pourtant en fait son cheval de bataille. Qu’ont donné cette année les 8 millions ½ d’hectares de terres vierges du Kazakhstan ? et les 45 millions d’autres dans les riches terres d’Ukraine et de Sibérie méridionale ? Même avec un rendement très modeste, les 9 quintaux à l’hectare que produisait la Russie tsariste, il y aurait de quoi nourrir non seulement la Russie, mais le reste de l’Europe.

Il en est de même en Chine. Malgré les statistiques, la famine reparaît. On signale dans les provinces naguère riches du Kwangju des marches de la faim. Dans le Kangxi, des milliers de paysans empoisonnés pour avoir mangé, faute de riz, des herbes sauvages ; ailleurs, des révoltes réprimées par la troupe, des populations épuisées de travail sans nourriture suffisante. Pékin accuse la sécheresse. Le ciel décidément n’est pas propice au communisme.

 

                                                                                            CRITON

 

 

 

Criton – 1960-04-30 – Des Faits et des Hommes

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Le Courrier d’Aix – 1960-04-30 – La Vie Internationale.

 

Des Faits et des Hommes

 

Les discours prononcés par les Chefs d’Etat et Ministres en tournée ne nous apprennent pas grand-chose : la situation internationale n’en sera pas changée. Cependant, ces visites nous renseignent sur l’état de l’opinion. A cet égard, il est curieux de remarquer la différence de l’accueil du Canada et des Etats-Unis au Général de Gaulle. Courtois, réservé, un peu froid ici, enthousiaste au contraire là. On ne s’y attendait pas. Comment l’expliquer ?

 

Canada et Etats-Unis

Le Canada se sent lié à la France, mais à une France traditionnaliste et conservatrice qui n’est ni celle de la IV°, ni de la V° République. Il croyait l’avoir retrouvée en Pétain ; d’où la réserve à l’égard de celui qui fut son adversaire. Celui-ci représente pour les Canadiens l’aventure et un certain nationalisme prêt à annexer moralement tout ce qui touche au passé français. Or les Canadiens sont, à leur manière, aussi nationalistes que d’autres. Que ce soient les Etats-Unis, l’Angleterre ou la France, ce sont pour eux des pays étrangers et leur politique ne manque pas une occasion de manifester son indépendance ; fut-ce en utilisant des divergences qui ne sont pas sérieusement fondées.

Aux Etats-Unis, au contraire, alors que les divergences politiques entre la France et les U.S.A. sont réelles, l’opinion voit dans notre Président l’autorité qui a si longtemps manqué à notre pays et  peut-être aussi au leur, le président Eisenhower ayant plus de prestige moral que d’ascendant gouvernemental. Certains traits de la politique française plaisent en outre aux Américains : la réconciliation franco-allemande, le Marché Commun européen et cette rigueur à l’égard de l’U.R.S.S. qu’ils ne sont pas aussi sûrs de voir s’affirmer à Washington, et moins encore à Londres. Enfin, ils aiment les personnalités fortes bien qu’ils les craignent un peu pour eux-mêmes. Cette réception de De Gaulle fut triomphale à la surprise de beaucoup.

 

Le Désarmement

Les problèmes débattus sont cependant toujours les mêmes : le désarmement et l’arrêt des expériences atomiques, voire la suppression de ces armes. Disons une fois de plus, avec quelle mauvaise foi ces questions sont abordées de part et d’autre. L’U.R.S.S. propose le désarmement total : « les armes à la ferraille ». Or, si on le prenait au mot, l’empire russe ne survivrait pas longtemps. Les Satellites délivrés de la présence des tanks renverseraient leurs régimes et les masses chinoises peu à peu s’ébranleraient vers l’Occident. Du côté occidental, la suppression des armes atomiques ne sauverait pas la paix ; au contraire, comme le disait M. Bouthoul, elle « sauverait la guerre ».

En effet, les armes atomiques – qui l’ignore ?– rendent la guerre totale impossible parce que personne n’en peut mesurer les risques. Même si, par exemple les Soviets pouvaient par une attaque surprise détruire les U.S.A., ceux-ci même morts, pourraient détruire l’U.R.S.S. soit par les fusées lancées de sous-marins atomiques, soit d’avions déjà en l’air, ou de porte-avions en mer, ou encore de bases étrangères qui n’auraient pu être atteintes efficacement. D’autre part, si l’Occident renonçait en même temps que l’U.R.S.S. aux armes atomiques, la supériorité des Soviets en armes classiques, mettrait l’Europe à sa merci en quelques jours, le continent serait balayé. Tout cela est évident et si simple, qu’on s’étonne que la diplomatie se joue ainsi du bon sens des peuples.

 

L’Arrêt des Expériences Atomiques

Reste l’arrêt des expériences atomiques qui pour les trois détenteurs, est chose déjà faite depuis un an. Cela est sans importance car l’expérience de Reggane l’a montré : on peut faire exploser correctement une bombe sans l’avoir préalablement essayée. L’arrêt des expériences peut tout au plus empêcher que l’on n’entreprenne la construction d’engins d’un type inédit et c’est sans doute pour cela que l’U.R.S.S. a voulu bloquer des progrès possibles aux U.S.A. et en Angleterre ; encore le résultat est-il bien problématique. Peut-être aussi, veut-on empêcher que le club atomique ne s’étende à d’autres partenaires mais encore faudrait-il que tous les Etats se prêtent à un contrôle auquel seuls les anciens titulaires de la bombe auraient agréé entre eux, ce qui dans le cas de la Chine et d’autres, paraît bien improbable. Le désarmement, même partiel, supposerait que la paix est déjà acquise dans les esprits, ce qui n’est pas le cas. Mais, c’est simplement abuser de la confiance et de l’espoir des peuples, que de parler de projets qui ne résistent pas à la réflexion.

 

Une Évolution de la Politique Anglaise

Il y a cependant du nouveau dans la question, non du désarmement, mais de la course aux armements. Les Anglais viennent de renoncer à la construction de fusées « blue streak » pour lesquelles ils avaient engagé d’énormes frais. L’affaire a fait grand bruit aux Communes et pour en atténuer l’effet, le Gouvernement a laissé percer une information selon laquelle les savants anglais auraient mis au point un radar capable de détecter une fusée à son point de départ et de la faire exploser dans les mains de ceux qui la lanceraient. L’histoire a d’ailleurs paru un peu extravagante et demande confirmation. L’intérêt n’est pas là.

Les Anglais savent – et aussi les Français – que le coût d’un armement nucléaire dépasse leurs moyens. A mesure des progrès techniques, le prix des nouveaux engins s’élève à des chiffres fabuleux. Force est donc aux Anglais, après tant d’efforts, d’en revenir au point de départ, c’est-à-dire de s’en remettre au bon vouloir des U.S.A. et de dépendre d’eux pour leur défense. L’indépendance militaire est de nos jours absolument impensable. Là-dessus encore, on trompe l’opinion. L’Amérique est seule en mesure de tenir tête à l’U.R.S.S. et tout ce que feront les autres dans ce domaine, est temps et argent perdu.

Reste un biais auquel, à la surprise générale, les Anglais se décident avec le réalisme qui les caractérise. Ils veulent faire un pool d’armements – de ceux du moins qui ne sont pas prohibitifs – avec la France et l’Allemagne fédérale. M. Sandys, le Ministre anglais est allé à Paris et à Bonn pour conclure un accord dans le domaine de l’aviation et des fusées. On en revient à l’idée de la C.E.D., c’est-à-dire à l’intégration des forces militaires que l’on combattait jusqu’ici surtout à Paris, – dans l’ordre de l’armement, tout au moins.  La portée des accords conclus est certes limitée, mais ils traduisent la nécessité de mettre en commun les ressources financières et techniques de l’Europe, sous peine de devoir renoncer peu à peu à lui assurer même dans une certaine mesure une défense propre qui ne repose pas entièrement sur les fournitures américaines. Cette décision anglaise a une importance qu’on n’a pas appréciée.

 

Vers une Association Économique

Elle n’est pas la seule. Il se pourrait bien que les Britanniques soient contraints de se rapprocher davantage du Continent dans l’ordre économique. En effet, la querelle Marché Commun, zone de libre-échange évolue : les Anglais se sont aperçus que sauf le Canada, les autres grands Dominions la condamnaient. L’Australie, la Nouvelle-Zélande ne sont plus attachés à la préférence impériale. Ils y renonceraient volontiers et seraient bien plutôt satisfaits d’un libre-échange relatif, étendu à l’Europe et aux U.S.A. La prochaine Conférence du Commonwealth va débattre la question. L’avenir du Monde libre, répétons-le, ne repose pas sur des blocs économiques plus ou moins fermés les uns aux autres, mais sur une harmonisation générale et aussi libre que possible des échanges. On sent que Londres sur ce point est à la croisée des chemins. Attendons la suite.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1960-04-23 – Les Idéaux en Marche

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Le Courrier d’Aix – 1960-04-23 – La Vie Internationale.

 

Les Idéaux en Marche

 

Après l’ère des ambassadeurs, puis celle des grandes conférences, caractéristique de l’entre-deux guerres, nous sommes décidément entrés dans l’âge du tourisme diplomatique. Qu’ils soient blancs, jaunes ou noirs, les chefs d’Etat ou leurs seconds, sont en visite. Ils y prennent, apparemment quelque agrément, mais on se demande s’il ne s’agit pas d’un moyen commode de se soustraire aux soucis du pouvoir et d’échapper aux problèmes embarrassants qui les harcèlent à domicile. Les questions urgentes doivent attendre et l’on compte sans doute qu’elles se résoudront d’elles-mêmes avec le temps ou que les mécontents condamnés à la patience, auront d’autres préoccupations. Si Syngman Rhee en Corée du Sud avait entrepris une longue tournée, il n’y aurait peut-être pas de révolte à Séoul. Quant à la diplomatie même, elle ne s’en trouve ni mieux, ni pis. Tout cela n’appelle pas grand commentaire.

 

La Collectivisation de l’Allemagne Orientale

Les orages n’en sont pas pour autant dissipés. C’est encore sur l’Allemagne qu’ils planent. Les Soviets accélèrent le pas par l’entremise d’Ulbricht et de ses sbires. C’est une nouvelle révolution qui s’accomplit en Allemagne orientale. Le cas est assez curieux, car tandis qu’en U.R.S.S. le collectivisme marque une pause, même une régression, sinon dans les institutions du moins dans les mœurs, les Soviets ont entrepris de le réaliser chez les Satellites, sauf en Pologne où les résistances passives sont trop fortes.

La D.D.R. ou République Démocratique allemande, doit devenir le modèle du communisme accompli. La collectivisation totale de l’agriculture est pratiquement achevée et cela en quelques semaines ; le mouvement a éclaté fin Mars ; la chasse aux paysans s’est faite simultanément partout. A la fin de 1959, 47% de la surface cultivable était encore aux mains des agriculteurs indépendants, à la fin de ce mois, le 100% sera englobé dans les fermes collectives : L.P.G. Les fonctionnaires du Parti S.E.D. se sont installés dans les villages, accompagnés de forces de police armée ; ils ont enfermé les paysans qu’ils n’ont libérés qu’après avoir obtenu leur signature au bas d’un acte par lequel ils abandonnent « volontairement » leurs propriétés. Plus de 5.000 se sont enfuis à Pâques à Berlin-Ouest ; d’autres se sont suicidés ou ont incendié leurs fermes. On s’attend à ce qu’aussitôt après vienne le tour des commerçants et petits industriels encore libres et de ce qui reste d’artisans. Les Soviets veulent mettre l’Occident devant le fait accompli avant la Conférence au sommet.

Le caractère politique de l’opération est d’autant plus évident, que cette collectivisation brutale de l’agriculture intervient au moment des semailles de printemps, ce qui va provoquer un désordre dont la récolte, pour peu que les circonstances atmosphériques ne soient pas très favorables, aura terriblement à souffrir. La situation n’était déjà pas brillante. Nous l’avons dit ici, à la fin de l’hiver, la disette était générale ; il n’y avait guère sur les marchés que des choux et des raves. Ulbricht ne paraît pas se faire d’illusion et se prépare à transformer son Etat en dictature militaire appuyée sur les tanks russes. Les pessimistes en Allemagne occidentale y voient même une menace de coup de force sur Berlin-Ouest.

La même politique de collectivisation se poursuit ailleurs. La Bulgarie est déjà collectivisée à 92%. En Roumanie à 70 et depuis le départ des troupes russes, le Gouvernement roumain impose une sorte de loi martiale sur le pays. En Hongrie, le mouvement brisé par la révolte de 1956 reprend rapidement, on en est à 40%. En Tchécoslovaquie enfin, le travail libre a à peu près disparu et la dictature policière est plus lourde encore qu’ailleurs et la disette toujours aigüe. Paul Reynaud disait un jour, il ne faut pas trop faire souffrir les peuples. Cela peut en effet finir mal. Krouchtchev qui prend goût aux voyages, pourrait s’en apercevoir trop tard.

Ce qui frappe l’esprit, c’est que contrairement aux prévisions de certains sociologues, les deux mondes, loin de tendre à se ressembler, diffèrent davantage. Le rideau de fer matériel et moral les divise plus que jamais et malgré « l’esprit de détente », et les visites et congratulations réciproques, l’abîme se creuse.

 

Les Problèmes Économiques en Allemagne Occidentale

Tandis que les habitants d’Europe centrale font la queue chez l’épicier, une controverse très intéressante – un peu technique nous nous en excusons – s’est élevée en Allemagne occidentale entre la banque centrale dont le directeur Blessing avait, on s’en souvient, établi un rapport sur lequel les économistes ont eu à se prononcer. Pour simplifier la question, disons que Blessing avait recommandé – ce que  l’on admet généralement – que les salaires ne soient augmentés que dans la mesure des progrès de la productivité, base que les patrons acceptaient en principe. Un taux de l’ordre de 4% dans la conjoncture actuelle paraissant raisonnable sans risque d’inflation et de hausse des prix.

La question paraît moins simple aux économistes. Ils estiment :

1° qu’une politique des salaires fondée sur la productivité ne saurait garantir automatiquement la stabilité des prix, encore moins résoudre le problème d’une juste répartition du revenu global ;

2° le niveau supportable de la hausse des salaires dépend de ce que la politique économique gouvernementale et la banque d’émission réservent à la consommation aux dépens des investissements, des dépenses publiques et des exportations de capitaux ;

3° une politique des salaires ne peut être efficace que si une part de ces revenus supplémentaires est consacrée à l’épargne ;

4° le concept de salaire associé à la productivité est faux, parce qu’il est pratiquement impossible de s’accorder sur cette dernière. Cette pseudo-objectivité est sujette à des erreurs qui ne sont pas nécessairement volontaires, d’une part ou de l’autre.

En conclusion, le rapport des spécialistes recommande :

1° une confrontation urgente de la politique économique et financière de l’Etat et de la banque d’émission d’une part, et de la politique des salaires des parties intéressées, patrons et employés ;

2° une augmentation des dépenses de l’Etat inférieure au taux d’accroissement du revenu national, au lieu du contraire actuellement ;

3° la réduction des excédents de la balance commerciale (sauf si cet excédent profite aux pays sous-développés) ;

4° augmenter aussi le volume des investissements et favoriser la consommation en fonction du progrès de la production ;  enfin,

5° régler la hausse des salaires d’après la part qui, de ce revenu supplémentaire, se trouvera consacrée à l’épargne, mais en tout cas au-dessous du niveau d’accroissement du produit national.

Si nous avons cru devoir attirer l’attention là-dessus, c’est que, bien que tout ce qui est allemand, soit toujours un peu compliqué, il s’agit d’un effort très intéressant pour éclaircir les données nécessaires pour arriver à un accord général de tous les partenaires d’une société régie par l’économie de marché, à une entente qui évite les conflits et permette un progrès raisonnable sans inflation ni crise.

Nous voici en présence de deux Allemagnes, l’une qui cherche à établir les normes d’une société capitaliste idéale, où chacun aurait le maximum de bien-être compatible avec ses aptitudes et ses fonctions et l’autre qui réalise le communisme, lui aussi idéal et complet. Inutile de dire que ni l’une ni l’autre ne réussiront à l’atteindre tout-à-fait. Si l’on ne pensait au drame que l’une, celle de l’Est, provoque, cette double expérience faite chez le peuple le plus discipliné de la terre, serait passionnante, pour ne pas dire cruciale. La compétition est ouverte. Alors M. Krouchtchev, rendez-vous en quelle année ? Nous ferons les comptes.

 

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