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Le Courrier d’Aix – 1960-08-13 – La Vie Internationale.
Noir et Blanc
La tragédie congolaise est un de ces événements historiques dont les répercussions sont universelles. Toutes les positions antérieures qu’elles soient diplomatiques ou politiques, en Afrique, à l’O.N.U. dans le cadre de la rivalité des deux Mondes, s’en trouvent affectées. Nombreux sont les changements déjà perceptibles.
La Résistance du Katanga
La résistance du gouvernement noir de M. Tshombe au Katanga remet en cause les plans élaborés tant à Moscou qu’à Washington. L’intervention de l’O.N.U. favorisée pour des raisons inverses par les Russes et les Américains, déçoit les uns et les autres.
Les Etats-Unis pensaient obtenir par là le retour à l’apaisement au Congo, d’abord, et le moyen de substituer à la prépondérance des Belges dans ce secteur de l’Afrique qui était une cause de troubles, une pénétration d’autres Occidentaux avec leurs moyens techniques et financiers, les Américains d’abord, bien entendu. La porte étant ouverte à tous, la mainmise des Soviets s’en trouvait plus difficile.
Les Russes eux, voyaient, grâce à l’O.N.U. le gouvernement Lumumba consolidé alors qu’il n’aurait pas survécu à la prolongation de l’anarchie, et surtout le moyen d’enlever le Katanga des mains des Occidentaux, en y installant l’autorité de Lumumba au nom de l’unité Congolaise. Devant la résistance de Tshombe et de ses appuis belges, les Soviets ont tenté de manœuvrer M. Hammarskoeld en l’accusant d’être au service des « impérialistes » s’il ne faisait entrer ses troupes à Elisabethville.
La manœuvre a échoué ; M. H. a renoncé et fait revenir l’affaire devant le Conseil de Sécurité. Les choses en sont là à l’heure où nous écrivons. Même si les Russes ne réussissent pas à donner le Katanga à Lumumba, ils ne seront pas perdants pour autant, car leur manœuvre vise à obtenir, – et cela depuis longtemps, – un renversement de majorité à l’Assemblée Générale de l’O.N.U. Il se pourrait même que Krouchtchev en personne aille à New-York haranguer l’Assemblée sous prétexte de projets de désarmement. Battus à plusieurs reprises au Conseil de Sécurité, particulièrement dans l’affaire de l’avion B47, ils comptent en appeler à l’Assemblée Générale dont la composition va être modifiée par l’arrivée massive de nouveaux membres africains, promus par les soins de l’Angleterre et de la France. L’affaire congolaise peut, si elle est bien menée par Moscou, donner la majorité des deux tiers aux motions soviétiques et déposséder les Occidentaux de leur influence jusqu’ici presque toujours prépondérante. Cela dépend pour une large part de l’attitude des nouveaux Etats africains formés par la France, si l’on amène ceux-ci à se désolidariser de l’ancienne Métropole, ce qui est l’objectif actuel des Russes dans le secteur africain.
Le Rôle des Rivalités Financières
Constatons une fois de plus en face, la désunion sinon l’incohérence de la politique occidentale. Ni Paris, ni Londres, ni Washington n’ont pris de position claire. Sont-ils ou non favorables à l’indépendance du Katanga ? On n’en sait rien. Personne ne veut se compromettre. Il y a plus. Les gros intérêts du monde capitaliste ne sont nullement solidaires. Chacun espère, d’un changement se tailler une place au détriment des autres et le Congo et ses richesses attirent les convoitises. Cette tare du système est congénitale. Les affaires sont les affaires.
Déjà un financier américain, assez contesté d’ailleurs, prétend investir au Congo deux milliards de dollars, quel que soit le gouvernement, Lumumba ou un autre, considérant qu’avec l’argent, on les achète tous – ce qui est le plus souvent exact, – dans ces pays encore informes. Mais c’est sous-estimer la capacité des Soviets et de leurs satellites qui savent aussi mettre le prix quand l’enjeu politique est capital, et aussi la puissance émotive des slogans qui tournent la tête des primitifs et flattent leurs instincts.
L’Évolution des Consciences
Cependant, l’événement comme nous le disions au début, a remué les consciences. Les Africains, en effet, ne veulent pas passer pour barbares – les Noirs s’entend – et les massacres et pillages des Congolais les ont affectés, humiliés même. Ils sentent bien que les accusations d’agression belge contre le Congo, répétées par les Russes ne sont qu’un mensonge tellement gros qu’il se retourne contre l’auteur.
La cause de la coopération multiraciale ne peut qu’y gagner et, on l’a vu, par exemple, le Dr Banda au Nyassaland conclure avec les Anglais un accord sur l’établissement d’un gouvernement mixte, ce qui aurait paru il y a deux mois absolument impensable. De même au Tanganyika, où le leader modéré Nyerere accentue sa politique de coopération. A Rabat, comme à Tunis, Lumumba a reçu des conseils de pondération. Enfin, Nkrumah du Ghana envoie à nouveau son ambassadeur à Paris, qui a des mots aimables pour notre politique africaine. Seul Sékou Touré ne donne aucun signe de fléchissement. Il n’est pas impossible, si prudent qu’il faille être à cet égard, que la tragédie du Congo n’améliore les relations futures entre Noirs et Blancs.
La Fin de la Crise Italienne
Ce drame nous a fait omettre ce qui se passe près de chez nous, en Italie. C’est à la fois très compliqué et très clair. Les émeutes suscitées à Gênes et à Rome par les communistes, ont eu l’effet le moins attendu de leurs promoteurs : celui de rassembler tous les Partis démocratiques autour de M. Fanfani. Le résultat est triple : d’abord ne restent plus dans l’opposition que les néo-fascistes et les communistes. D’un côté, les libéraux qui avaient imprudemment renversé Segni se rallient à nouveau au Gouvernement démocrate-chrétien. Ce parti si affecté de dissensions qui paraissaient inconciliables, retrouve un semblant d’unité ; enfin M. Nenni se détachant des communistes, adopte une attitude de neutralité en s’abstenant. Si bien que la fameuse « ouverture à gauche » est chose faite sans l’être tout à fait, puisque libéraux et républicains soutiennent Fanfani, mais l’est quand même puisque Fanfani qui en était l’animateur est Président du Conseil et que Nenni sort de l’opposition. Tout cela est bien italien et aurait pu être français aussi sous la IV°. Enfin, le programme du nouveau cabinet évite avec soin tous les sujets brûlants. Tout le monde paraît content, nous aussi.
CRITON