Criton – 1960-08-20 – L’O.N.U. à l’Épreuve

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Le Courrier d’Aix – 1960-08-20 – La Vie Internationale.

 

L’O.N.U. à l’Épreuve

 

La Tragédie du Congo belge continue. La tactique soviétique a suivi le plan que nous avions indiqué ici il y a un mois : première phase, faire intervenir l’O.N.U. tout en paraissant s’y résigner à contrecœur, en prévision du veto final au troisième épisode qui va commencer.

 

Les Trois Phases de l’Affaire Congolaise

La première réunion du Conseil de Sécurité devait permettre pour les Russes, d’empêcher la chute de Lumumba, et si possible de consolider son pouvoir, ce qui a réussi, non sans peine d’ailleurs. La seconde réunion avait pour but d’obliger M. H. à intervenir au Katanga et d’y faire entrer ses troupes et du même coup, éliminer définitivement l’armée belge, ce qui est chose faite. La troisième phase qui s’ouvre, la plus délicate, a pour objectif l’élimination de Tchombé du Katanga et la réunification du Congo sous l’autorité de Lumumba. Pour réussir, il faut paralyser l’action de M. H. en neutralisant les forces de l’O.N.U. Les Soviets y parviendront-ils ? Ils ont cherché à discréditer le Secrétaire Général en l’accusant de se faire le complice des « impérialistes » et des « colonialistes » et de soutenir le « traitre » Tchombé. Cependant, l’autorité du chef de l’organisation internationale demeure et son prestige n’est pas atteint.

Dans l’ensemble, les pays africains ne soutiennent pas Lumumba. Ceux de l’ex-communauté française lui sont plus ou moins hostiles. L’Abbé Fulbert Youlou, du Congo d’en face, ne l’a pas invité aux fêtes de l’indépendance. Par contre, M. Kasavubu président de l’ex-Congo belge y figurait. Sauf Sékou Touré, tout acquis à Moscou, les autres hésitent, même Nkrumah du Ghana qui ne veut pas se compromettre. Nasser lui-même n’est pas engagé. Celui qui paraît tenir la balance, est précisément Kasavubu, ennemi intime et collaborateur officiel de Lumumba. Il a évité de se prononcer, malgré les brimades que son Parti, l’Abako, a subies sur l’ordre de son collègue et Premier ministre. Il attend de voir de quel côté tournera le vent pour ne pas risquer de perdre son poste.

Si, comme il est probable, Hammarskoeld est bloqué par le veto russe et qu’il se trouve privé de tout nouveau mandat, les troupes de l’O.N.U. ne pourront empêcher les soldats de Lumumba d’attaquer ceux de Tchombé au Katanga même. On craint que cette guerre civile ne marque le début d’une nouvelle affaire de Corée, ce qui, à notre avis, est excessif. En effet, il suffit que cette guerre civile éclate pour chasser les Européens par la peur, et surtout les derniers belges, et enlever à ceux-ci la direction de l’Union Minière et des autres entreprises clefs du Katanga.

C’est tout ce que les Soviets et Lumumba convoitent encore. On ne voit pas comment les Occidentaux pourraient leur couper la route, ni au nom de quoi, les troupes de l’O.N.U. empêcheraient les combattants d’en venir aux mains. Les choses en sont là à l’heure où nous écrivons. Reste à savoir si les soldats de Lumumba sont capables de porter la lutte au Katanga et de n’y pas subir une défaite, faute d’appui extérieur. Or, nous ne pensons pas que les Russes aient l’intention d’intervenir ; les Guinées, mis à part, les autres pays noirs pas davantage.

Si l’on y réfléchit, l’issue n’est probablement pas dans une épreuve de force, mais plutôt d’ordre psychologique et moral : les jeunes Etats africains qui viennent d’entrer à l’O.N.U. et ceux qui sollicitent leur admission n’ont ni intérêt ni désir d’affaiblir l’institution – au contraire, ils peuvent en avoir besoin pour se protéger eux-mêmes. Si le soutien africain manque, les chances de Lumumba de réussir un coup de force ou même de le tenter sont faibles. Souhaitons puisqu’elle s’est interposée dans l’affaire, que l’O.N.U. ait le dernier mot et qu’une fédération congolaise s’établisse.

 

Russes et Chinois

Cette fois-ci, ceux qui s’obstinent à nier les divergences entre Russes et Chinois, doivent être dans l’embarras. Car il ne s’agit plus seulement de ces controverses idéologiques qui s’étalaient au Congrès de Bucarest ou dans les colonnes de « La Pravda », mais de faits précis.

D’une part, au Congrès des Orientalistes de Moscou où les spécialistes de l’Est et de l’Ouest étaient présents, seuls les Chinois se sont abstenus de paraître. Mais surtout, on signale un exode général des spécialistes russes de Chine envoyés là pour diriger les travaux d’industrialisation. Ce départ intrigue les observateurs étrangers à Pékin et ailleurs. Beaucoup d’autres rumeurs circulent, difficilement contrôlables. Il y en a trop cependant pour ne pas conclure que les Soviets ont pris peur du dynamisme de leurs voisins, et que les controverses sur la coexistence pacifique ou l’inévitabilité de la guerre cachent une rivalité d’un tout autre ordre. Soyons patients, nous en aurons d’autres preuves.

 

Cuba

Cuba demeure un point sombre de l’horizon international. La maladie mystérieuse de Fidel Castro, loin d’arrêter les progrès du « socialisme » a permis aux extrémistes d’accélérer l’expropriation des entreprises américaines. L’influence des pays de l’Est s’étend. La résistance aussi. Cuba pourrait être à plus ou moins bref délai, le théâtre d’une nouvelle guerre civile. En effet, Fidel Castro seul a assez de prestige pour être suivi. S’il disparaît de la scène, ses adversaires relèveront la tête. On signale de nombreuses défections parmi ses lieutenants et déjà, des guérillas dans les provinces d’où son propre mouvement était parti ; enfin et surtout, l’opposition de l’Eglisey prend de l’ampleur.

 

La Conférence de Costa-Rica

La Conférence des Etats Américains qui se tient au Costa-Rica va permettre de sonder les sentiments des pays d’Amérique latine à l’égard de la révolution cubaine. Déjà le plus grand, le Brésil, et l’Argentine ont manifesté leur hostilité. Aucun ne l’appuie ouvertement.

 

Les Succès Américains dans l’Espace

Mais ce qui domine l’actualité, de très haut, c’est le cas de le dire, ce sont les succès récents des Etats-Unis dans la conquête de l’espace. Il y a quelques mois déjà nous notions ici que les Américains avaient rattrapé leur retard, et que la phase de prépondérance soviétique inaugurée en octobre 1957 avec le lancement du premier Spoutnik avait pris fin. Ce qui n’était qu’une conjoncture est aujourd’hui certitude : l’équilibre est rétabli. Les Etats-Unis n’ont plus à redouter une attaque surprise. Si les Soviets n’ont pu mettre à profit leur supériorité temporaire c’est que, comme l’affaire de l’U2 l’a prouvé, leur système de défense anti-aérienne était négligé et insuffisant. Ils avaient tout sacrifié au succès de prestige et de propagande. Ils restaient exposés aux raids des bombardiers atomiques. Si aujourd’hui ils sont mieux équipés, par contre les fusées américaines sont au point, et les Etats-Unis ont réussi à anéantir des engins similaires en vol avant qu’ils n’aient touché la cible. Le Pentagone illumine ; les élections sont proches. Il était temps de rassurer l’opinion.

 

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