Criton – 1960-08-27 – Convulsions Africaines

ORIGINAL-Criton-1960-08-27  pdf

Le Courrier d’Aix – 1960-08-27 – La Vie Internationale.

 

Convulsions Africaines

 

Effectivement, les Soviets n’ont pas gagné la troisième manche à l’O.N.U. sur le Congo. Ils se sont trouvés seuls pour soutenir Lumumba contre Hammarskoeld. Ne pouvant s’opposer au courant afro-asiatique favorable au Secrétaire Général, ils ont abandonné la résolution hostile qu’ils avaient préparée. Et le conseiller russe de Lumumba à Léopoldville, Jacovlev a décidé le Congolais à se déclarer satisfait de l’échec subi au Conseil de Sécurité. La partie n’est pas jouée pour autant. L’anarchie qui s’étend et la misère qu’aucun secours international, si important soit-il, ne peut rapidement combattre dans ce vaste territoire du Congo la rivalité toujours aigüe des tribus et des chefs, offrent au jeu soviétique bien des opportunités ; reste à savoir si Lumumba pourra se maintenir ; ses extravagances, l’incohérence de ses manœuvres en font un protagoniste difficile à manier. Et la plupart des chefs d’Etat africains le verraient choir avec satisfaction.

 

Après la Réunion de l’O.N.U.

Reprenant nos propos antérieurs, nous voyons que les Russes n’ayant pu se servir de l’O.N.U. pour mettre le Congo tout entier sous la férule de Lumumba, doivent maintenant provoquer ou étendre la guerre civile entre Congolais et empêcher les forces de l’O.N.U. de maintenir l’ordre, en séparant les belligérants, ou bien mettre celles-ci dans l’obligation de se servir de leurs armes, ce qui pourrait fournir prétexte à une intervention extérieure. Mais laquelle ? Lumumba a parlé d’amis africains. De ceux-ci, les Guinéens seuls sont disponibles, mais ils ne suffiraient pas. Il a fait aussi appel à Nasser. Ce serait en effet une belle revanche aux défaites du Sinaï qu’une expédition de soldats égyptiens au Congo. Mais on peut parier que Nasser ne s’y risquera pas. Il y a trop d’obstacles matériels à une telle aventure.

 

L’Éclatement du Mali

La Fédération du Mali, Soudan-Sénégal a éclaté. Il fallait être aveugle pour ne pas le prévoir dès sa naissance. Ignorait-on à Paris, ce qui était évident pour tout le monde ? Faut-il rappeler que c’est précisément la constitution dudit Mali qui, sitôt formé, a exigé son indépendance, qui est à l’origine de l’effondrement de la Communauté. Les dirigeants sénégalais avouent un peu tard qu’ils auraient dû suivre les conseils d’Houphouët Boigny. On sait l’amertume de celui-ci quand il se vit abandonné et contraint de suivre une voie qu’il n’approuvait pas. La tragédie du Congo elle-même est pour une large part la conséquence de cette réaction en chaîne, pour ne rien dire des incidences de tout cela sur le problème algérien. N’insistons pas.

Ce qui est sûr, c’est que le divorce Sénégal-Soudan est acquis, même si l’on trouve une formule pour restaurer entre eux des liens normaux. Le problème noir, si complexe en apparence, est très simple au fond. Il n’y a que des masses sans formation ni conscience politique, et quelques chefs plus ou moins évolués mais également ambitieux, incapables de s’effacer devant un rival ou même un ami, et cela partout.

Déjà en Afrique anglaise, le Nigéria qui va accéder à l’indépendance en Octobre et qui est le plus important et le plus riche des Etats noirs avec ses 35 millions d’habitants, est menacé d’éclatement avant d’être libre. On s’y bat de-ci, de-là. Pour ce qui est du Soudan, on sait qu’il est, après la Guinée, le plus travaillé par la propagande communiste. Les événements de Dakar ne feront qu’accélérer cette évolution. Or, si l’on consulte la carte, on voit que l’on a attribué aux Soudans – on ne sait pourquoi –  une large part du Sahara. Comme M. Modibo Keita n’est pas bien disposé envers la France … Passons encore ….

 

Russes et Chinois

Les tenants de l’alliance indissoluble des Russes et de Chinois ne se tiennent pas pour battus et cependant … On apprend que la revue mensuelle publiée en Russie consacrée à l’amitié russo-chinoise « Droujba » et l’hebdomadaire « Kitai » (La Chine) plus technique relatant le développement de l’économie chinoise, ont cessé de paraître presque simultanément. Aucune explication n’a été donnée ni à Moscou, ni à Pékin bien entendu. Et puis Molotov exilé à Oulan-Bator en Mongolie extérieure comme ambassadeur est rappelé et envoyé à Vienne pour représenter l’U.R.S.S. au Comité International de l’Énergie Atomique. On ne sait ce qu’il fera à Vienne, mais il n’intriguera plus avec Pékin.

 

La Conférence de Costa-Rica

La Conférence des Etats Américains qui se tient au Costa-Rica a pris une tournure assez curieuse. On sait que cette réunion avait pour objet de débattre deux affaires d’importance ; l’une concernait Trujillo le dictateur de la République Dominicaine d’Haïti, accusé d’avoir tenté de faire assassiner le Président Betancourt du Vénézuela. Or Trujillo, bien que personnage assez, disons, particulier, du genre de l’ex-dictateur Batista de Cuba, avait bénéficié de l’indulgence et même de l’appui matériel des Etats-Unis. Il était au surplus l’ennemi juré de Castro son voisin.

Pour se blanchir auprès des Nations d’Amérique latine, les Etats-Unis, non seulement l’ont démissionné, mais ont renchéri à Costa-Rica, en coupant St-Domingue du Marché américain du sucre, cela assorti d’autres sanctions économiques. Ce n’est évidemment pas pour faire plaisir à Fidel Castro, mais pour obtenir des Etats d’Amérique latine qu’ils appuient la politique des Etats-Unis dans les Caraïbes, contre l’infiltration communiste. Singulière diplomatie dont l’efficacité paraît bien douteuse. En principe, il s’agit de rendre aux habitants de Saint-Domingue leurs libertés démocratiques. On sait ce qu’aux Caraïbes la démocratie signifie. Castro nous l’a montré. Si la République Dominicaine ne peut vendre son sucre aux Etats-Unis, elle trouvera peut-être preneur en U.R.S.S. avec les avantages habituels.

Les Gouvernants d’Amérique latine sont inquiets de la tournure des affaires de Cuba, mais il leur est difficile de prendre position pour ne pas s’exposer aux attaques de leurs adversaires à l’intérieur. Les Etats-Unis de leur côté, ne veulent pas donner à ceux-ci de prétexte pour se faire accuser d’impérialistes ou de colonialistes. Ils entendent, au contraire, donner des gages de leur désintéressement. En définitive, ils ne convainquent personne et leur politique est une fois de plus réduite à l’impuissance. Leur prestige en souffre sans compensation. Au surplus, le procès Powers, très adroitement mis en scène par les Soviets, ne nous a pas montré dans l’officier américain le type d’un héros.

 

En Europe

Pendant ce temps où se déroulent au dehors ces épisodes d’importance majeure, une intense activité diplomatique règne en Europe. Les visites de chefs de Gouvernements succèdent aux visites sans qu’on arrive à comprendre clairement de quoi il s’agit. L’Europe des Six sera-t-elle fédérale ou confédérale, le Marché Commun et la zone de libre-échange auront-ils un pont ou pas de pont ? Ces colloques où les questions de prestige tiennent le premier plan, n’empêchent pas heureusement les affaires de tourner au mieux, et tandis que l’on brandit le spectre d’une Europe divisée en blocs économiques rivaux, on s’aperçoit en consultant les comptes de la douane, que les échanges n’ont jamais été aussi actifs entre les pays qui, en principe, appartiennent à des ensembles opposés.

 

                                                                                            CRITON