Criton – 1963-06-15 – Hommage à Jean XXIII

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Le Courrier d’Aix – 1963-06-15 – La Vie Internationale.

 

La Mort de Jean XXIII

Des innombrables témoignages de regret et d’affection dont notre défunt pape a été l’objet, retenons ce passage de l’article de Walter Lippmann qui en expose les raisons :

« C’est un miracle de notre âge qu’un homme ait pu franchir les barrières de classe, de caste, de couleur et de croyance pour atteindre les cœurs de toutes sortes de peuples ; rien de semblable ne s’était produit dans le Monde moderne. Ce miracle est une preuve, dont nous avons tant besoin, que toutes les races humaines appartiennent à une même famille .., preuve aussi que les inimitiés et les divisions ne sont pas toute la réalité de notre espèce, qu’il y a dans les hommes une capacité que l’on ne peut mesurer, d’être touchés par l’amour. Il savait cela, il y avait foi et l’événement a prouvé qu’il avait raison. »

Ajoutons, pour notre part, qu’on peut voir aussi une protestation unanime et spontanée contre les Gouvernants qui ne sont pas tous de l’autre côté du rideau de fer, qui, entretiennent pour leur propre gloire et ambitions, ces hostilités et ces haines que les peuples épousent, mus par leurs instincts, mais qu’au fond de leur cœur ils réprouvent.

 

L’Hommage des Communistes

Les dirigeants communistes, non sans quelque gêne, ont participé à cet hommage à Jean XXIII. Ce n’est pas seulement, comme nous le pensions d’abord, par tactique électorale, C’est parce qu’ils ont besoin, dans la mesure possible, de la neutralité de l’Eglise et même des Églises chrétiennes pour éviter la dislocation de leur empire. En Europe centrale, ils voudraient par une sorte de concordat tacite, désarmer l’opposition croissante qui se cristallise autour d’elles. D’où la tâche délicate pour le prochain pontife de mettre à profit ces difficultés afin de soulager l’oppression des fidèles sans renforcer du même coup les pouvoirs qui l’exercent. Car ils excellent à entretenir l’équivoque et à s’en servir.

 

La Crise Tchécoslovaque

Le point névralgique est aujourd’hui la Tchécoslovaquie. Nous avons dit que ce pays, qui était jusqu’en 1961 la vitrine du Bloc de l’Est, a vu sa situation économique et politique se détériorer rapidement depuis, alors que chez plusieurs autres satellites elle se serait relativement améliorée. Crise alimentaire d’abord, comme en témoignent les queues qui se forment dès l’aube devant les magasins et que la population attribue à l’aide que les Gouvernants, assujettis aux ordres de Moscou, prodiguent à des pays comme Cuba dont ils ne se soucient pas. Des émeutes ont éclaté entre étudiants tchèques et étudiants de couleur venus à Prague pour être endoctrinés. Le travail au ralenti et l’absentéisme dans les champs et les usines, ont eu l’effet de véritables grèves. Le Parti a dû l’avouer, et pressé de prendre des mesures, a été jusqu’à ordonner d’élever des porcs dans les casernes, les écoles et les hôpitaux .. L’imagination ne manque pas aux bureaucrates !

Cette pénurie se greffe sur une crise politique qui traîne et s’envenime. On a successivement liquidé, pour apaiser l’opinion, les principaux responsables de l’époque dite stalinienne, et réhabilité quelques-unes de leurs victimes. Mais le principal demeure au pouvoir, Novotny, dont Krouchtchev hésite à se débarrasser de peur que la crise à cette occasion ne dégénère en émeute. Novotny menacé n’ose pas sévir et la tension monte. Elle est plus dangereuse qu’ailleurs. La Tchécoslovaquie, plus évoluée, plus proche de l’Occident pas ses traditions et sa technique, peut à la longue ne pas supporter les restrictions et la tyrannie ; l’explosion est possible. Ce serait pour l’Empire russe le commencement de la dislocation. C’est pourquoi on s’efforce de se concilier l’Église catholique, facteur d’apaisement et de concorde.

 

Le Revirement de l’Indonésie

Contre l’impérialisme chinois aussi, on se rebelle. Sitôt après la visite en Indonésie du président de Pékin, Lio-Shao-Chi, des foules en majorité composées d’étudiants, ont saccagé et brûlé des commerces et des usines appartenant à des Chinois. Il ne semble pas que les autorités aient mis beaucoup de zèle à les réprimer. Ces jours-ci, Soekarno s’est rencontré à Tokyo avec le président malais, Abdul Raman. On sait que celui-ci a décidé la formation d’une fédération dite Malayasie qui doit être effective en Août et comprend, outre la Malaise, Singapour et les trois territoires ex-britanniques de Bornéo, North-Bornéo et les Sultanats de Brunei et de Sarawak. Le reste de l’Île appartient à l’Indonésie et Soekarno s’était jusqu’ici violemment opposé au projet. Il avait appuyé la récente révolte de Brunei et menacé d’intervenir par les armes si la fédération prenait forme. Les Philippines voisines avaient, de leur côté, émis des prétentions sur ces territoires et servi de refuge aux rebelles de Brunei. Or la rencontre de Tokyo, suivie de celle des Ministres des Affaires étrangères des trois pays paraît avoir apaisé la querelle.

Prochainement doivent se réunir Soekarno, Abdul Raman et Macapagal, le président des Philippines, pour entériner l’entente. On parle même d’une alliance pour défendre les îles du Sud-Est asiatique contre la pénétration chinoise en général et communiste en particulier. Le changement d’attitude de l’Indonésie, s’il se confirme, est sensationnel. Moscou y est pour quelque chose, Washington aussi, mais c’est surtout l’agression chinoise contre l’Inde de l’automne dernier qui a provoqué le revirement. Un barrage s’organise contre les ambitions de Pékin.

 

Le Scandale Profumo

Un scandale d’une gravité sans précédent vient d’éclater en Angleterre qui achève de discréditer le Parti conservateur très atteint déjà par une série d’affaires scabreuses où les mœurs et l’espionnage étaient mêlés. On sait l’histoire : le Ministre de la Guerre, Profumo, accusé par la rumeur publique d’entretenir des relations intimes avec une personne liée en même temps à l’attaché naval soviétique Ivanov, avait nié devant la Chambre des Communes. Confondu, il a avoué avoir menti et dû démissionner de son poste et de son mandat de député. Un ministre qui ment devant le Parlement assemblé cela ne s’était jamais vu à Westminster.

Deux questions se posent : MacMillan était-il au courant ? Avait-il pris connaissance du rapport de l’Intelligence-Service ? L’ignorait-il ou avait-il sciemment couvert le mensonge de son Ministre ? Mais encore la personne en cause, avait-elle transmis au Russe des secrets d’Etat dont le ministre lui aurait fait confidence ? Comme en tout scandale de ce genre, on ne saura jamais les dessous. Les services de contre-espionnage, par vindicte personnelle ou par intérêt politique, ont-ils voulu atteindre le Premier Ministre. Ivanov était-il un agent double ou peut-être un intermédiaire utile entre Moscou et le Gouvernement britannique ? On l’a dit.

L’Angleterre tout entière est offensée dans sa dignité qui croyait que ce genre de scandale ne pouvait éclater que sur le continent. Le Parti travailliste exploitera l’affaire à fond ; quelle que soit la date des élections, il est certain maintenant que les jeux sont faits. M. Wilson, chef de l’opposition vient d’arriver à Moscou pour s’entretenir avec Krouchtchev. C’est comme prochain Premier Ministre qu’il le reçoit.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-06-08 – Révolte Noire aux USA

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Le Courrier d’Aix – 1963-06-08 – La Vie Internationale.

 

La Fin du Saint-Père

C’est vers la place Saint-Pierre que sont aujourd’hui tournés les regards du Monde, avec une émotion qui montre combien l’action de Jean XXIII avait agité les consciences, de mouvements et de réactions diverses, parfois contraires, comme il en est pour toute grande initiative dans l’ordre spirituel. Mais tous s’accordaient à y voir une adaptation de l’Eglise au siècle dont l’évolution et les exigences étaient saisies en profondeur et qui ne pouvaient être ignorées, si l’on voulait que l’influence chrétienne dans son sens le plus large, demeure prépondérante.

 

Aggravation de la Révolte Noire aux U.S.A.

Le problème noir récemment posé aux Etats-Unis sous un jour et avec une acuité nouvelle est loin de se résoudre. De Chicago à la Louisiane, noirs et policiers sont aux prises ; les incidents se succèdent ; les leaders modérés, comme le Pasteur King, sont débordés. Kennedy et son frère Robert, ministre de la Justice, sont en position difficile ; du côté législatif, on ne peut pas grand-chose, l’égalité des races étant inscrite dans les textes : l’intervention de la police et de l’armée fédérale, l’expérience l’a montré, n’arrange rien, au contraire. Pour des raisons politiques évidentes, le Président doit ménager l’humeur des citoyens blancs des Etats du Sud, ceux-ci par tradition votant démocrate. Mécontents, ils pourraient abandonner le Parti aux élections de 1964. Il est donc, bon gré, mal gré, obligé aux demi-mesures, qui, en pareil cas, sont les pires. On ne peut plus compter sur le temps pour arranger les choses. La révolte ne s’apaisera pas par des concessions. Elles ne feront que la stimuler. Il faudrait, ou bien créer un Etat noir indépendant où ceux que la suprématie blanche indispose pourraient s’établir, les autres la subissant de leur propre gré n’étant plus fondés à s’en plaindre, ou bien faire passer sans tarder l’égalité des races dans les faits. L’une comme l’autre solution sont impossibles à réaliser. Le drame est là, et l’opinion américaine en est si affectée que des questions majeures comme Cuba passent au second plan, malgré l’insistance de Dean Rusk à lui en rappeler les périls.

 

L’Armée et le Parti en U.R.S.S.

Du côté de l’Est, iI faut souvent attendre longtemps pour avoir la clé des énigmes que l’on se voit poser. Nous nous demandions qui était visé derrière Penkovsky ; c’était un militaire, le maréchal Vorontzov. Cela ne serait qu’un incident si les accusations contre l’un des grands responsables de l’armée ne portaient sur sa vie privée, sur son intempérance et les imprudences qu’elle peut provoquer. Par-là, le Parti jette sur les maréchaux un certain discrédit en représailles contre l’insubordination dont certains avaient fait preuve. L’armée et le Parti ont toujours été plus ou moins rivaux ; l’armée cherchait à tirer profit des dissensions chaque fois qu’une crise se développait au Kremlin. On se souvient comment Joukov faillit réussir à s’imposer. La situation aujourd’hui est moins sérieuse pour le pouvoir, mais est un symptôme parmi d’autres d’une fermentation très étendue et très profonde en U.R.S.S. dans des couches sociales diverses.

 

Des Révoltes au Sin-Kiang Chinois

Autre énigme : pourquoi les Chinois, depuis plus de six mois s’efforçaient-ils de conclure des accords de délimitation de frontières, d’abord avec le Pakistan (là, on comprenait qu’il s’agissait de faire pièce à l’Inde), ensuite avec la Birmanie et tout récemment avec l’Afghanistan. Ces frontières indécises sont si commodes lorsqu’on veut s’agrandir en appuyant ses prétentions d’arguments historiques ou juridiques. Pourquoi les Chinois se hâtaient-ils de leur conférer un caractère intangible ? Voici pourquoi : on pouvait par le même procédé remettre en cause les fameux traités signés au temps des tsars qui se sont fait céder d’immenses territoires par la Chine. La question a été agitée, on s’en souvient, en février par des articles discrets mais significatifs du « Journal du Peuple ».

Les Russes ont prévenu le coup à leur manière bien classique et bien stalinienne ; de petites révoltes de partisans dans les provinces limitrophes. Au Sin-Kiang, (que Krouchtchev au début de son règne avait reconnu aux Chinois) et plus précisément dans le district de Tuschantsu ( ?) où il y a, comme par hasard, d’importants gisements de pétrole, de nombreux ouvriers, des fonctionnaires et techniciens ont quitté leur poste et demandé asile en territoire russe. A Kouldja, des manifestants ont réclamé aux consul Russe des armes pour combattre les autorités chinoises. Celles-ci ont poursuivi les rebelles qui ont trouvé au-delà de la frontière, accueil, travail et logement. Des incidents analogues se sont produits en Mongolie intérieure où la colonisation chinoise rencontre une vive résistance. Les partisans trouvent appui dans la population qui souffre des conditions précaires du ravitaillement. Tous ceux que les Chinois abattent sont pourvus d’armes russes.

Ce n’est pas là évidemment un heureux prologue à la Conférence Russo-Chinoise prévue pour le 5 juillet où les divergences idéologiques devraient être aplanies.

 

L’Épilogue d’Addis-Abeba

La Conférence d’Addis-Abeba est généralement considérée comme un succès, non seulement par les Chefs d’Etat participants, ce qui va de soi, mais par les observateurs, ce qui est plus rare.

Succès non seulement pour l’empereur Hailé Sélassié dont les épreuves variées ont affermi la sagesse, mais pour les jeunes présidents des Etats tout neufs dont la maturité politique et la modération ont fait contraste avec les violences des rencontres de politiciens irresponsables comme celle de Mochi. Les chefs africains ont acquis au pouvoir le sens du possible et mis l’idéal et le rêve à sa place, comme l’unité africaine, c’est-à-dire au siècle futur. Cependant, beaucoup d’observateurs se demandaient ce que représentent ces ministres et quelle consistance ont ces Etats taillés au hasard de la colonisation. 90% de leurs sujets ne savent même pas le nom de l’Etat auquel ils appartiennent et ne connaissent de patrie que leur tribu. On l’a vu au Congo belge. Le maître de l’Etat est un chef pour la tribu à laquelle il appartient, un tyran et un ennemi pour les autres. Ce qui explique qu’une démocratie, en supposant que les conditions intellectuelles et morales en soient réunies, ne pourrait fonctionner sans que disparaisse le tribalisme et qu’un sentiment national ne s’éveille.

Les Panafricanistes voudraient sauter cette étape et instaurer un Etat unique, dont le signe de ralliement serait la négritude et même la seule appartenance au continent africain. Malheureusement, les prophètes de cet empire sont ceux qui s’en voudraient les rois. Ce  qui explique que les autres tiennent solidement à leurs Etats factices et aux intérêts particuliers des régions qu’ils contrôlent.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-06-01 – Castro à Moscou

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Le Courrier d’Aix – 1963-06-01 – La Vie Internationale.

 

La Fin des Conférences Occidentales

La première série de conférences de la saison s’est terminée. A Genève, on s’est accordé pour éviter tout désaccord et laisser le temps faire son œuvre ; un an de réflexion pendant lequel les experts, ces précieux auxiliaires, élaboreront des propositions compliquées. A Ottawa, où le délai de réflexion n’est que de six mois, on a évité aussi les sujets litigieux. A lire le communiqué, on croirait à l’absolue concorde. Si l’on a si aisément écarté les litiges, c’est que les problèmes eux-mêmes ont perdu toute urgence. Le monde a beaucoup changé depuis un an, du moins le Monde communiste. Comme c’est lui qui a, depuis la guerre, commandé toutes les attitudes des autres pays, particulièrement des Quinze de l’O.T.A.N., la crise qu’il subit les rassure et permet d’ajourner les décisions difficiles. A cela s’ajoute le départ plus ou moins proche des dirigeants de l’après-guerre : Adenauer ouvre le cortège. Enfin on ne peut nier, et il faut s’en féliciter, qu’existe un désir, une volonté générale d’éviter les éclats et les désaccords publics. Depuis le 14 janvier, la diplomatie française a compris que ce genre de provocations n’était plus de mise et fait son possible pour en effacer le souvenir. M. Couve de Murville a pris, à Washington, le tournant avec l’adresse sibylline qu’on lui connaît.

 

La Conclusion de la Réunion d’Addis-Abeba

A Addis-Abeba, les chefs d’Etats Africains ont exercé leurs talents juridiques acquis en Occident, pour masquer leurs divergences et, comme leurs anciens maîtres, ils ont créé un nombre impressionnant d’organismes pour préparer la constitution future de leur unité. Cela leur donne le temps de s’adapter aux événements prévus et imprévus et aussi de fournir à de jeunes élites impatientes des postes chargés d’honneur et de profit. Au demeurant, voici la charte adoptée : Les chefs d’Etats se réuniront une fois par an ; les ministres des Affaires étrangères deux fois, pour leur rendre compte de leurs travaux ; on crée en outre un Secrétariat général permanent, une commission de médiation et d’arbitrage où seront portés les différends entre Etats membres , enfin une série de commissions spécialisées, économique, sociale, culturelle, sanitaire, alimentaire, militaire, scientifique et technique dont les budgets seront couverts par les versements des Etats membres.

Le plus sérieux, c’est la menace de « libérer » ce qui reste d’Afrique gouvernée par les Blancs et de constituer à cet effet un corps de volontaires dont le noyau serait formé de dix mille Algériens et d’organiser un bureau d’assistance pour leur fournir des armes. Pratiquement, cela vise à ranimer la guerre civile en Angola portugais, et le cas échéant, à la porter en Rhodésie du Sud et en Mozambique, même en Afrique du Sud. Comme si les troubles du Congo ex-belge et les sanglantes vicissitudes du Katanga n’avaient pas suffi. Peut-être le gouvernement Adoula, de Léopoldville fera-t-il quelques difficultés pour entretenir sur son territoire une armée de guerriers arabes.

Les puissances occidentales et l’O.N.U. dont les soucis au Congo ne sont pas dissipés, s’entendront sans doute pour faire ajourner une telle expédition. Mais Moscou n’attend que cette opportunité pour compenser ses échecs africains et réveiller la guerre froide en pays noir. La situation peut devenir explosive.

 

Le Voyage de Castro en U.R.S.S.

Fidel Castro n’a pas encore achevé sa tournée en U.R.S.S. et s’est à nouveau entretenu avec Krouchtchev après avoir visité les provinces russes d’Asie Centrale. Ce tour d’information en pays communiste a dû lui apprendre bien des choses, mais l’objet de ce retentissant voyage était autre. C’est Moscou, on s’en souvient, qui l’avait exigé : en faisant acclamer Castro, il fallait convaincre le peuple russe que l’aide à Cuba servait la cause du communisme et que le retrait des missiles, avait été, non une capitulation, mais une manœuvre adroite pour préserver la paix et conserver l’île dans le camp oriental. Plus encore, il s’agissait d’associer avec éclat Fidel Castro à la politique soviétique et l’obliger à se prononcer pour la ligne russe contre la chinoise. Castro, effectivement, a refusé de se rendre à Pékin. Il fallait ôter à Castro toute tentation de se rapprocher de Washington, ce qu’il a fait avec cependant quelques réserves significatives qui sont de bonne diplomatie. En contre-partie de cet alignement, Castro a présenté la facture qui est lourde et cela du fait d’une circonstance aussi curieuse qu’imprévue, la hausse vertigineuse du sucre.

 

La Hausse du Sucre

La côte du sucre sur les marchés de Londres et de New-York a bondi en un an de 20 à 100 Livres la tonne, et la hausse continue. Les utilisateurs affolés constituent des stocks, la spéculation suit et les ménagères aux Etats-Unis et en Angleterre accumulent les provisions. Grâce aux désordres de la révolution, à l’expropriation des sucreries américaines, à la collectivisation des plantations, la production cubaine de sucre, principal fournisseur du monde, s’est effondrée de six à sept millions de tonnes à moins de quatre cette année, et Castro a vendu par avance son sucre aux pays de l’Est, la seule denrée d’ailleurs qu’ils pouvaient à la rigueur, se passer d’importer, mais au prix mondial d’alors et même au-dessous puisqu’il servait à régler des fournitures d’armes et de machines, facturées au prix fort.

Castro s’est aperçu du marché de dupes quand il a vu que le fonctionnement du régime capitaliste qu’il abhorre, lui offrait l’occasion d’une fortune inespérée. L’ironie de l’affaire, c’est que ce pactole est le résultat de la désorganisation que Castro a lui-même provoquée dans son pays. Il a involontairement instauré la pénurie de sucre et cette pénurie a fait quintupler le prix d’une denrée devenue rare par sa faute. Peu lui importe ; les accords avec Krouchtchev ne tiennent plus et le sucre cubain devra être payé par la Russie au prix actuel, c’est-à-dire cinq fois plus ou plutôt l’aide de l’U.R.S.S. en outillage et en armes, sera cinq fois plus importante sans que Castro en fournisse davantage.

On comprend qu’il ait fallu quelques semaines d’entretiens et de réflexion pour amener Krouchtchev à composition. Les affaires sont les affaires, même entre communistes. Il se pourrait que l’U.R.S.S. et ses Satellites remettent le sucre sur le marché mondial et que finalement ce soient les Américains qui l’achètent et fassent les frais de l’opération, ce qui n’arrangera pas leur balance des comptes.

Cet épisode qui ne manque pas de pittoresque pourrait offrir aussi aux planificateurs de l’économie quelque sujet de réflexion. Ils seront contraints à réviser leurs plans, comme ils sont en train de le faire chez nous, pour la troisième fois, en une seule année.

 

Une Petite Histoire

Fidel Castro, comme tous les dirigeants communistes se plaint de la bureaucratie qu’ils ont eux-mêmes installée. Il pourrait lire avec profit la petite histoire que nous traduisons des « Izvestia » du 13 Mai :

Un correspondant du journal, le camarade Radzevitch, était de passage à Odessa ; bousculé dans l’autobus archi-comble, un bouton se détache de son pardessus. Pas d’aiguille, pas de fil (il aurait pu ajouter qu’il n’en trouverait peut-être pas à Odessa où ce genre d’article manque souvent), il avise un atelier de couture où on l’accueille poliment. Sa requête présentée, on lui tend un formulaire en trois exemplaires. On lui demande ses nom, prénom, adresse, profession, la nature du travail et docilement il remplit les feuilles que l’on épingle au pardessus ; après quoi le maître d’atelier l’emporte. Peu après on le lui rend, le bouton recousu et la préposée lui donne à nouveau les trois feuilles pour qu’il inscrive dûment signé, que la commande a été exécutée. Combien vous dois-je dit-il enfin ? Un Kopek. Les trois papiers en valaient bien chacun autant, conclut mélancoliquement le journaliste…

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1963-05-25 – Conférences

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Le Courrier d’Aix – 1963-05-25 – La Vie Internationale.

 

Les Conférences se multiplient comme il est d’usage, en cette saison : deux en ce moment retiennent l’attention : celle panafricaine d’Addis-Abeba et celle à Genève du G.A.T.T. sur les tarifs douaniers internationaux. L’une et l’autre se proposent de vastes objectifs d’autant plus difficiles à atteindre qu’à peine réunies, les polémiques ont montré l’ampleur des obstacles.

 

La Conférence d’Addis-Abeba

L’unité de l’Afrique, un beau thème de discours où les Africains excellent. Mais il y a deux Afriques, au moins, l’une arabe, l’autre noire et dès l’abord, le panarabisme paraît mal s’accorder avec l’esprit des pays au Sud du Sahara ; beaucoup y voient un moyen d’expansion de la domination musulmane. Chrétiens et animistes la redoutent.

Le problème religieux n’est pas la seule difficulté. Politiquement, au sein de l’Afrique noire, deux pôles d’unification s’opposent : l’ambition d’Nkrumah est de devenir le Nasser de l’Afrique noire et, comme lui, voudrait un parlement unique composé de deux chambres avec un exécutif commun, une capitale et une armée sous commandement unifié. L’empereur Hailé Sélassié d’Éthiopie, hôte de la Conférence, propose une fédération d’Etats égaux dont les représentants s’accorderaient sur une politique commune en matière de relations extérieures, d’économie et de défense et une attitude collective dans les débats de l’O.N.U.

Un autre sujet de dissension, l’association des Etats francophones au Marché Commun et leur appartenance à la zone Franc, en face des anglophones intégrés au Commonwealth britannique et au bloc Sterling. Déjà, avant les séances plénières où doivent se réunir les chefs d’Etat, des controverses ont surgi : le Roi Hassan II s’abstiendra pour ne pas siéger aux côtés du Président de la Mauritanie que le Maroc revendique et l’on s’est disputé sur l’admission du Togo. Depuis l’assassinat de Sylvanus Olympio, plusieurs  gouvernements africains, dont le Nigéria, refusent de reconnaître le président Grunitzky. Tout comme les Arabes ne retrouvent leur solidarité que dans l’hostilité à Israël, les Africains ne font l’unanimité que contre le colonialisme et la ségrégation raciale de l’Union Sud-Africaine. Encore certains, comme Nkrumah, accusent-ils les Etats d’expression française de favoriser un néo-colonialisme, substituant la sujétion économique à la domination politique.

Pour être complet, il faudrait ajouter les rivalités territoriales, celle qui oppose la Somalie au Kenya et à l’Ethiopie ; celle aussi qui se dessine au sujet du Sahara entre les riverains du Sud et l’Algérie. Il faudra beaucoup de conférences pour aplanir ces difficultés, à moins qu’elles ne les aggravent.

 

La Conférence du G.A.T.T. à Genève

Autre grande confrontation à Genève entre les Etats-Unis et les pays du Marché Commun, autour du plan américain de réduction linéaire des tarifs douaniers de 50% comme le président Kennedy a été autorisé par le Congrès à le faire, selon le « Trade Expansion Act ». Comme il y a 50 nations représentées à cette Conférence, les divergences s’enchevêtrent selon les intérêts de chacun. Si l’Angleterre est favorable au projet américain, les pays du Commonwealth sont divisés, et la plupart des pays sous-développés soucieux de protéger leurs industries naissantes s’inquiètent d’un éventuel abaissement des barrières douanières et ne veulent les voir réduites que pour les produits qu’ils exportent. On prévoit donc une conférence marathon dont Genève est en quelque sorte le symbole. Les plus grosses difficultés viennent une fois de plus de l’agriculture.

Les Etats-Unis dont 40% des exportations vers le Marché Commun sont d’ordre agricole, veulent que cette proportion leur soit garantie, ce qui est incompatible avec les projets français en la matière. Les Six pour une fois sont d’accord pour s’opposer à une réduction uniforme des tarifs qui serait trop avantageuse pour les U.S.A. parce qu’ils sont en moyenne plus élevés que les leurs, et qu’une réduction de 50% laisserait aux Américains une marge de protection appréciable, ce que les Etats-Unis contestent avec quelque mauvaise foi, nous semble-t-il.

Le protectionnisme n’est mort nulle part et ceux même qui se disent libre-échangistes, seraient fort embarrassés qu’on les prenne au mot. Il ne convient cependant pas d’être pessimiste. La nécessité apparaît à tous d’assouplir les règles du commerce international et d’en réduire les barrières. Les Soviets eux-mêmes s’en rendent compte. Sans doute, on marchandera beaucoup et longtemps, mais en fin de compte, bon nombre d’entraves seront supprimées ou réduites.

 

Le Conflit Haïti-Saint-Domingue

Nous n’avions pas parlé jusqu’ici du conflit qui oppose les deux Républiques d’une île des Caraïbes, Haïti et la Dominicaine. On sait qu’après l’assassinat du dictateur Trujillo, la République de Saint-Domingue a trouvé le chemin de la démocratie en la personne du nouveau président Juan Bosch. Nous disons le chemin car souvent dans cette partie du monde on commence en démocratie et l’on finit en dictature. Voyez Cuba. C’est aussi ce qui arriva à l’actuel président de la République d’Haïti, Duvalier, ex-médecin de campagne, qui après avoir renversé le dictateur des privilégiés, Magloire, devint un tyran pour tous.

Les Etats-Unis dont l’affaire cubaine a troublé le sommeil, voudraient bien en finir avec le dictateur, mais ils hésitent, comme à Cuba à employer la manière forte. Il n’y en a malheureusement pas d’autre, et Duvalier menacé d’invasion par son voisin et traqué par ses adversaires de l’intérieur, tient tête et laisse entendre que Fidel Castro n’est qu’à quelques lieues et qu’il pourrait bien demander aide et protection aux puissances communistes. C’est précisément ce que craignent les Américains, une seconde tête de pont de l’U.R.S.S. dans les Caraïbes. Comme à Cuba, les Etats-Unis ont essayé contre Duvalier de se servir de l’organisation des Etats Américains dont l’impuissance a cependant fait ses preuves. L’inconvénient de ces tentatives diplomatiques et des parades navales au large de Port-au-Prince, c’est de sensibiliser à l’extrême l’amour-propre national des citoyens du pays qui se sent visé, si bien qu’un dictateur haï et cruel devient le symbole de la résistance à l’étranger.

 

L’Impôt sur les Sociétés en France

Si la politique extérieure française est peu appréciée par ses voisins et alliés atlantiques, la politique fiscale qui ressort des différentes mesures adoptées ces jours-ci, ne l’est pas davantage. Aux Etats-Unis, les projets du président Kennedy visent à diminuer les impôts pour stimuler l’économie, et en priorité les impôts qui frappent les Sociétés, non pas pour leur valoir de plus grands bénéfices, mais pour leur permettre d’investir davantage, de créer de l’emploi et surtout pour favoriser une ambiance d’optimisme. Cette politique est généralement approuvée par les économistes et les grands publicistes comme Lippmann. Or, en France, comme dans les autres pays de l’Europe des Six, le taux d’investissement baisse parce que les marges bénéficiaires s’amenuisent, la concurrence s’accroît, et les charges salariales augmentent. Or c’est le moment que l’on choisit ici pour soustraire aux Sociétés quelques soixante milliards d’anciens francs prélevés sur leurs réserves. Les industriels qui avaient des projets d’investissement y renonceront d’autant plus que les restrictions de crédit s’ajoutent à cet impôt pour les décourager. On voudrait freiner l’expansion qu’on ne trouverait pas mieux.

Il y a des impôts qui coûtent cher à l’Etat parce qu’ils font perdre sur d’autres chapitres plus qu’ils ne rapportent sur celui où ils s’exercent. Les statistiques futures nous fixeront là-dessus.

 

                                                                                            CRITON

 

 

Criton – 1963-05-18 – Les Émeutes de Birmingham

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Le Courrier d’Aix – 1963-05-18 – La Vie Internationale.

 

Les Émeutes de Birmingham

Les troubles raciaux entre Noirs et Blancs à Birmingham dans l’Etat d’Alabama émeuvent la conscience des Américains et desservent gravement leur cause dans les Etats Africains. A la différence des rixes provoquées il y a six ans par la ségrégation scolaire à Little Rock (Arkansas) et les violences consécutives à Oxford (Mississippi), les émeutes de Birmingham ont commencé par une démonstration collective des Noirs contre l’inégalité et les injustices dont ils sont l’objet. Ce qui explique que le maintien de l’ordre revenant selon la loi fédérale à la police de l’Etat d’Arkansas, le Gouvernement de Washington n’a pu intervenir directement comme il l’avait fait pour protéger l’an dernier l’étudiant noir Meredith. Cette carence apparente a beaucoup contribué à irriter les esprits ; la police de Birmingham a procédé à des arrestations massives employant pour réduire les manifestants, les lances d’incendie et les chiens. Le sang a coulé. Une fois de plus, le problème noir se pose aux Etats-Unis, comme une tare sociale que les autorités sont impuissantes à effacer.

 

Les Deux Aspects du Problème Racial

Rappelons comment se pose le problème. Il revêt deux aspects bien différents, opposés même. D’une part, comme hier à Birmingham les Noirs conduits par le Révérend King, demandent l’égalité des droits, c’est-à-dire ceux que la Constitution des Etats-Unis, la morale et l’idéologie américaine accordent à tout citoyen quelle que soit sa race. Jusqu’ici, l’élite noire et « l’association pour l’avancement des peuples de couleur » luttaient par des moyens légaux et pacifiques pour l’obtenir.

La situation semble avoir changé ; le drame de Birmingham diffère en nature des précédents incidents. Un universitaire noir, le Dr Clark l’expose en ces termes :

« La crise actuelle est le reflet d’un profond sentiment de frustration, de désespoir, de la conscience de plus en plus évidente que la condition des Noirs aux Etats-Unis est irrémédiable, qu’ils ne pourront jamais obtenir justice, égalité et démocratie dans le système américain. L’amertume et la désillusion viennent de ce que les Noirs se rendent compte que les Blancs ne leur accordent que cette solution hypocrite du « tokenism pour prix de la paix sociale et raciale » (entendons par ce terme l’accession d’une petite élite à des postes de responsabilité dans l’administration et l’enseignement). « Les gains obtenus par la masse depuis trente ou quarante ans sont plus illusoires que réels ; demeurent : la ségrégation dans les écoles, aussi bien au Nord qu’au Sud, la discrimination dans l’emploi dans l’ensemble de l’économie américaine, le fait que l’écart entre le revenu d’une famille noire et d’une blanche est plus large aujourd’hui qu’au plus profond de la dépression des années trente. » Et le professeur de conclure : « que le Noir est systématiquement dépouillé de sa dignité en tant qu’être humain, aussi bien dans le Sud qu’ailleurs, ce qui peut nous conduire à un désastre que j’ai horreur d’envisager. »

Voilà la thèse exacte de ceux qui veulent être, comme on dit ici, des citoyens américains à part entière.

 

Les Nationalistes et les Musulmans Noirs

Mais il y a les autres, les nationalistes et les Musulmans noirs, dont le chef et prophète est Elizah Muhammad. Celui-ci n’a que raillerie et mépris pour les émeutiers de Birmingham, le révérend King et l’étudiant Meredith entrant à l’université blanche protégé par les troupes fédérales :

« L’homme blanc est « devil », dit-il, foncièrement mauvais. Il est le maître et le plus fort, mais le Noir est l’élu de Dieu ; on ne nous accordera jamais l’égalité et nous n’en voulons pas. Nous ne désirons obtenir que les moyens d’avoir une place à nous, dans un territoire qui soit nôtre, à la rigueur en Amérique si on ne nous permet pas de retourner parmi notre peuple d’où nous venons. Nous savons, par une expérience de quatre siècles, que nous ne pouvons pas vivre en paix ensemble. Vous ne nous accepterez jamais comme des égaux et nous méprisons vos promesses. »

Nous mettons pour nos lecteurs ces deux citations en regard. La dernière est particulièrement significative, car elle coïncide étrangement avec la théorie de « l’apartheid » appliquée en Afrique du Sud et si décriée, tant par les Africains que par les humanistes blancs. La thèse de Muhammad est exactement en effet, celle du développement séparé dans un Etat noir, avec l’aide des Blancs seulement pour les moyens d’y parvenir, en particulier l’éducation, ce qui n’exclut pas une haine raciale irréductible et même la menace future « d’une suprématie des Noirs lorsque ceux-ci seront tous devenus musulmans ». (sic).

Voilà donc le problème en pleine lumière. Répétons-le avec nos auteurs, la question raciale vient de prendre aux Etats-Unis un tour nouveau plus décisif et plus dramatique, dont les conséquences pour l’avenir des Etats-Unis et celui des relations internationales n’a pas besoin d’être soulignée.

 

Les Etats-Unis et le Moyen-Orient

Un commentateur de la radio britannique avait ce mot : Les Etats-Unis et l’U.R.S.S. sont tellement occupés de leurs problèmes intérieurs et des conflits avec leurs alliés, qu’ils en oublient de se dresser l’un contre l’autre. En effet, le Président Kennedy vient de proclamer avec une certaine solennité que les Etats-Unis se réservaient d’intervenir, seuls au besoin, si la paix et l’équilibre des forces au Moyen-Orient, venaient à être perturbés. Que n’aurait-on pas entendu à Moscou, en d’autre temps, si pareille décision américaine avait été officiellement exprimée ! Or le Kremlin n’a dit mot. Les Chinois en sont la cause et aussi le procès Penkovsky-Wynne.

 

Le Procès Penkovsky-Wynne

Ce procès s’est déroulé en partie en public et en présence d’étrangers, ce qui est sans précédent, tout comme la mise en accusation et la condamnation à mort de ce colonel soviétique convaincu d’avoir espionné pour le compte des agents secrets britanniques et américains. En apparence, il s’agissait de faire un exemple et de prévenir les Soviétiques de tenir des propos indiscrets aux touristes de passage. Mais c’était avouer aussi qu’un officier russe chargé de hautes fonctions au fait de secrets militaires, pouvait être un espion. Le fait est trop singulier pour n’être pas suspect. Et certains entrefilets des « Izvestia » nous apprennent qu’il est invraisemblable qu’un personnage de ce rang ait pu pendant deux ans se livrer à de pareils agissements sans la protection ou l’incurie de fonctionnaires plus haut placés encore. Il y a des limogeages sous roche, et sans doute quelques adversaires politiques que l’on veut tenir en respect sous la menace de révélations désagréables. Pas de fumée sans feu, à Moscou tout particulièrement.

 

Signes de Coexistence Pacifique

Entre temps, ce lent et sinueux rapprochement russo-américain, que nous suivons avec patience prend une tournure plus précise. Le terrain propice est aujourd’hui la Hongrie ; les axes passent par le Vatican et le régime Kadar qui, cette année, multiplie les gestes de détente : le 21 mars une amnistie qui a effectivement libéré 4.000 prisonniers politiques enfermés depuis l’insurrection de 1956, l’Eglise catholique recouvrant en partie le contrôle de sa propre activité permettant l’exercice plus normal du culte, une politique plus conciliante à l’égard des intellectuels, un relâchement des contrôles sur la paysannerie, l’octroi de quelques passeports pour des Hongrois se rendant à l’étranger, enfin et surtout la prochaine libération du cardinal Mindszensky réfugié depuis 7 ans à l’ambassade américaine.

Le Gouvernement des Etats-Unis, dans un mémorandum au Congrès, s’appuie sur ces faits pour demander l’autorisation de reprendre des relations diplomatiques complètes avec le Gouvernement Kadar. Il ne le ferait pas sans l’assentiment de Moscou. On parle aussi, malgré le maintien rigoureux du mur de Berlin, de contacts plus ou moins officiels entre représentants des deux Allemagnes. Le maire Willy Brandt a été, ces temps-ci particulièrement discret sur ses griefs à l’égard du régime Ulbricht et celui-ci en fait autant. La crise de Berlin s’estompe, et les bourses allemandes sont effervescentes, certes pour saluer le succès d’Erhard dans l’apaisement du conflit de la métallurgie, mais aussi peut-être parce que le rideau de fer se fait moins impénétrable. On a besoin, de l’autre côté, de quelques fournitures des barons de la Ruhr.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1963-05-11 – Élections Italiennes

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Le Courrier d’Aix – 1963-05-11 – La Vie Internationale.

 

Les Élections Italiennes

Les résultats des élections italiennes sont amers pour la démocratie chrétienne. L’ouverture à gauche de M. Fanfani ne lui a pas fait gagner des voix de ce côté, tandis qu’à sa droite le Parti libéral doublait sa représentation parlementaire. Mais ce qui l’inquiète surtout, c’est l’avantage du Parti communiste dont les suffrages montent de 22 ou 25 pour cent. Moscou avait soigneusement préparé les choses et le succès a répondu. Ce succès communiste surprend ceux pour qui le « miracle italien », la disparition du chômage, la hausse des salaires, le progrès étincelant de l’économie, étaient des gages certains d’un recul de l’esprit révolutionnaire. Or, par un paradoxe dont l’histoire est coutumière, c’est ce miracle même qui a favorisé le communisme.

En effet, attirés par la facilité de l’emploi, des masses rurales venaient chaque jour prendre du travail dans les grands centres industriels ; déracinés, soustraits à l’influence de leur milieu, ils ont trouvé dans les villes des conditions de logement pénibles, l’hostilité des habitants anciens que cette concurrence indisposait. Ils sont devenus une proie facile pour les agitateurs qui les guettaient. A Milan, à Turin, à Gênes, les montagnards de Vénétie, les Siciliens et les Calabrais ont voté communiste. D’autres  raisons aussi ont favorisé l’extrémisme. La visite d’Adjoubei au Vatican, les propos approbateurs de Krouchtchev pour l’action pacifique du Souverain Pontife, la tactique conciliante de Togliatti à l’égard de la petite bourgeoisie ont affaibli la crainte chez beaucoup de femmes d’enfreindre les consignes qui leur défendaient de voter comme leur mari ou leur frère.

Enfin, la politique confuse des Partis, la division de la Démocratie-chrétienne en deux tendances constamment aux prises, enfin et surtout la succession de scandales politiques dont la presse italienne, pour attirer des lecteurs friands d’histoires malsaines, publiait abondamment le déroulement qui mettaient en cause les plus hauts et même le plus haut personnage de l’Etat. Comme dans tous les pays latins, la démocratie fonctionne mal en Italie. Peu à peu le public n’y voit que des ambitions qui se heurtent et la corruption dans les sphères dirigeantes. Le néofascisme même a gagné des voix malgré les souvenirs pénibles de la défunte dictature. La crise gouvernementale qui s’ouvre sera difficile et longue à résoudre. Heureusement, l’agitation politique en Italie est plus verbale que menaçante. Mais si un homme d’autorité se montrait capable de saisir le pouvoir, là comme ailleurs, le fragile édifice des Partis ne résisterait pas.

 

Fidel Castro à Moscou

Donc Moscou pavoise pour sa victoire de Rome. On pavoise encore mieux pour recevoir Fidel Castro, le héros de la révolution communiste en Amérique latine. En fait, celui-ci, depuis l’affaire des missiles, hésitait à s’engager plus avant dans la soumission aux Soviets. Il se montrait plus attentif aux procédés apaisants de Washington. Krouchtchev, averti, le somma de venir et il est venu, plutôt gêné que satisfait des acclamations préparées en son honneur. Il sent le piège et ne peut s’en défaire ; l’économie chancelante de Cuba ne peut se maintenir que par les subsides de Moscou. Il va évidemment exiger qu’ils s’accroissent et Krouchtchev est obligé de le satisfaire, ce qui est lourd.

 

Divergences Roumano-Soviétiques

De curieuses nouvelles viennent de Roumanie, auxquelles jusqu’ici aucune presse n’a prêté attention. La Roumanie en effet, passe pour un satellite fidèle et son maître, Georgiou Dej, pour un bon serviteur du Kremlin. Or toute une série de faits montre que Bucarest ne suit plus les directives. La Roumanie a renoué les relations diplomatiques de l’Albanie, seule des démocraties populaires. Elle vient de conclure avec Pékin un accord commercial. Elle a manipulé le taux de change du lei. Des parités discriminatoires désavantagent les achats tchèques et allemands de l’Est, favorisant au contraire les échanges avec d’autres dont la Pologne, l’Albanie et la Chine. Et surtout, à la dernière Conférence du Comecon (cette sorte de marché commun que les Russes veulent imposer à leurs satellites et qui tend, selon leur vocabulaire, à favoriser la division du travail socialiste), à cette réunion donc, la Roumanie a refusé de renoncer à certaines productions industrielles au profit de ses partenaires et prétendu développer ses relations économiques avec les pays capitalistes plutôt que de réserver ses ressources aux échanges avec les pays communistes.

Bucarest reçoit en ce moment beaucoup de missions industrielles d’Occident. Les Anglais sont particulièrement actifs. Ces divergences plutôt surprenantes avec Moscou s’expliquent par l’exploitation intense que les Russes ont fait des richesses roumaines. Ce pays en renferme assez pour devenir prospère et si l’on s’en tient aux chiffres de sa production, ses progrès récents permettraient un relèvement sensible du niveau de vie si elles étaient utilisées au seul profit de la population. Malheureusement, il n’en est rien, à cause des livraisons à bas prix imposées par le bloc dit socialiste. Les salaires demeurent misérables. Un ouvrier non qualifié avec 450 leu par mois peut à peine se nourrir. Le mécontentement est manifeste et Georgiou Dej, pour ne pas perdre le contrôle, ne craint pas de passer outre aux injonctions de Moscou. Autrefois, cette insubordination aurait paru invraisemblable. La position affaiblie de Krouchtchev qu’il cherche par tous les moyens à relever, ne lui permet plus de dicter ses consignes, et les tendances nationalistes dans l’Empire russe se redressent.

 

Les Progrès du Nationalisme

Le phénomène n’est pas isolé. Il est au contraire universel, autre paradoxe de ce temps. Jamais les esprits raisonnables n’ont mieux senti la nécessité d’associer de grands ensembles économiques et politiques, seule garantie d’un progrès accéléré. Or ce n’est pas un fait, mais dix qui nous montrent au contraire l’impossibilité d’accorder deux Etats grands ou minuscules dans une collaboration coordonnée. Voici, quelques jours à peine après la proclamation de la nouvelle République Arabe unie, que le Gouvernement syrien du Baath démissionne ses membres nassériens et chasse les officiers partisans de l’union avec Le Caire. Le Maghreb uni ne l’a jamais été moins. Entre Ben Bella, Bourguiba et Hassan II, sans compter le roi Idriss de Lybie, l’hostilité est à peine déguisée ; les deux Etats de la petite île d’Haïti sont au bord de la guerre. Soekarno s’oppose à la formation de la Malagasie, etc.

 

La Prochaine Confrontation Tarifaire avec les U.S.A.

Les Grands donnent d’ailleurs l’exemple et notre Marché Commun va connaître une phase difficile. Les partisans de la Grande Europe sont bien décidés à faire craquer le cadre de la petite. M. Erhard et M. Heath viennent de se rencontrer pour manifester leur volonté d’inclure l’Angleterre dans le système d’échanges intereuropéens et de négocier avec les Etats-Unis un abaissement multilatéral des tarifs douaniers. C’est sur cette négociation que les divergences entre la France et ses partenaires vont s’affronter. Encore ceux-ci ne sont-ils pas tous d’accord avec Erhard et Heath sur les concessions à accorder aux Américains, chacun voulant sauvegarder ses intérêts qui ne sont nulle part semblables à ceux du voisin. De même, le plan américain en matière de défense atomique, qu’il soit multilatéral ou multinational paraît condamné à n’être qu’un projet sans échéance.

A vrai dire, il n’y a pas actuellement au monde deux nations capables, par des renoncements mutuels à une coopération sans réserve, sinon par la contrainte et encore, même tenues par la force, elles trouvent moyen de se dérober.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1963-05-04 – Les deux Allemagnes

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Le Courrier d’Aix – 1963-05-04 – La Vie Internationale.

 

La Nomination d’Erhard au Poste de Futur Chancelier

La lutte qui, depuis cinq ans oppose le Chancelier Adenauer à son Ministre de l’économie, le Dr Erhard, a pris fin sur un vote du Parti Chrétien-Démocrate qui a désigné Erhard futur chancelier. Comme il l’a promis, Adenauer passera ses pouvoirs à l’automne. Le vote de son Parti, malgré le veto dressé contre son rival, n’était pas dirigé contre le vieux Chancelier, mais imposé par des considérations électorales. Les Chrétiens-Démocrates venaient de subir aux élections des Länder une série d’échecs. La coalition avec les libéraux demeurait fragile. La montée des Socialistes faisait craindre un renversement de majorité en 1965. Il fallait à la Chancellerie l’homme le plus populaire pour redresser la situation.

 

Les Deux Allemagnes

L’hostilité d’Adenauer à l’égard de son ministre n’est pas seulement le fait de l’obstination d’un vieillard. Erhard et lui représentent deux politiques et deux Allemagnes. Tout les oppose, jusqu’à la conception même du pouvoir, l’un soumettant ministres et parti à son autorité, l’autre admettant une direction collective dans le cadre d’une politique générale.

Erhard représente l’Allemagne industrielle, en majorité protestante, dont la puissance fit le Reich, qui a surmonté sa ruine et pour qui le cadre de l’Europe des Six est trop étroit. L’expansion industrielle, la seule forme d’expansion à laquelle l’Allemagne peut aujourd’hui prétendre, exige une ouverture totale sur le monde où ses facultés concurrentielles peuvent s’exercer. Capitaliste et libérale, cette Allemagne de la Ruhr et des grands ports hanséatiques, veut voir partout s’abaisser les barrières douanières qui entravent le commerce international, s’ouvrir à son activité, aussi bien les pays sous-développés que les grands pays industriels, Angleterre et Etats-Unis compris. Elle adhère au Marché Commun dans la mesure où il permet d’abaisser les tarifs entre ses membres, mais se refuse à en faire une entité qui voudrait se protéger de la concurrence extérieure. Le libéralisme d’Erhard n’est pas seulement une doctrine et une conviction, mais l’expression de la vocation exportatrice de l’industrie allemande, cette industrie qui n’a cessé qu’à de rares intervalles de dominer la politique allemande, aux intérêts de laquelle se soumettait, contrairement à ce qui se passait en France, l’agriculture et le commerce. Cette Allemagne-là est toute acquise à la protection militaire des Etats-Unis et aussi à des échanges fructueux avec les pays de l’Est, tout communistes qu’ils sont.

On conçoit que l’Allemagne du Saint Empire qu’incarnait Adenauer, puissance continentale en face du monde slave et du monde anglo-saxon comme une personne morale à prédominance catholique, capable par ses ressources agricoles conjuguées, son potentiel industriel unifié, son patrimoine culturel sa force militaire reconstituée de jouer un rôle indépendant dans le concert ou plutôt les discordes internationales, que cette Allemagne-là ne peut s’accorder avec l’autre. Jusqu’ici, elles coexistaient et l’on retardait l’heure du choix. Elle est venue quand on a mesuré les conséquences du Pacte de l’Elysée. L’Allemagne d’Erhard qui sera sans doute plus tard représentée par une coalition des Chrétiens-Démocrates avec les Socialistes, sera plus Atlantique qu’Européenne. C’est pourquoi à Washington et à Londres, en Scandinavie, en Suisse, en Autriche, et aussi à La Haye et à Bruxelles, la désignation d’Erhard à la Chancellerie a été accueillie avec une joie discrète et profonde.

 

Le Pacte Franco-Allemand

Nous venons de dire que le malencontreux Traité franco-allemand a beaucoup contribué à presser la décision. Sans doute, la réconciliation entre les deux pays est approuvée par tous, mais à condition qu’elle ne sépare pas l’Allemagne des autres. La politique française depuis la rupture de Bruxelles a convaincu les Allemands du danger d’un axe Paris-Bonn. Adenauer qui voyait dans ce pacte le couronnement de son œuvre doit reconnaître aujourd’hui qu’il l’a brisée et sans doute définitivement ; sa noble et courageuse carrière méritait une fin plus heureuse.

 

La Remontée des Économies Anglo-Américaines

Par une coïncidence fortuite, l’Europe dont la renaissance économique faisait parler de miracle et dont l’expansion rapide contrastait avec la stagnation du monde anglo-américain, perd de son dynamisme, tandis que de l’autre côté des mers, on assiste au début d’une montée. Le mouvement a été si brusque qu’il a déjoué les pronostics. Les économistes anglais et américains étaient, il y a un mois à peine, plutôt réservés sinon pessimistes. De part et d’autre, on cherchait les moyens de relancer le progrès, Kennedy comme MacMillan, par des réductions d’impôts, un soutien aux industries chancelantes et des stimulants à l’exportation. Et puis on constate que les choses se redressent d’elles-mêmes, on ne sait trop pourquoi. Bien sûr, il ne s’agit encore que d’un timide départ, mais les indices sont positifs : tandis que les bourses des valeurs européennes s’affaiblissent, celle de New-York s’anime et celle de Londres se raffermit.

 

Le Conflit de l’Acier aux U.S.A.

Il serait injuste de dire que les dirigeants n’y sont pour rien.

Le président Kennedy, en effet a tiré la leçon de la fausse manœuvre qui l’avait, l’an dernier, mis en conflit avec les dirigeants de l’industrie sidérurgique. Ceux-ci, on s’en souvient, à la suite des hausses de salaires avaient voulu relever le prix de l’acier de 6%, Kennedy s’y était opposé et les maîtres de forges avaient dû s’incliner. Ces jours-ci, ils sont revenus à la charge, ont augmenté leur prix d’une façon sélective selon les produits pour ne pas paraître défier le Président. Celui-ci à son tour, a consenti et ce geste a scellé la réconciliation du Gouvernement avec le « big business ». Mieux encore, Kennedy a recommandé aux Syndicats de ne pas riposter par des revendications de salaires. Coïncidant avec un accroissement en Mars du revenu national, cette attitude a ramené l’optimisme auquel sont naturellement portés les gens d’affaires américains, et le public reprend confiance.

En Angleterre, c’est le budget présenté au début d’Avril par Maudling qui a renversé la tendance, budget qui ne craint pas de risquer le déficit pour soutenir les affaires. Par ailleurs, les résultats des grandes sociétés sont meilleurs qu’on ne le prévoyait et l’écart entre exportations et importations s’est sensiblement réduit. Il n’est pas sûr que ce soit un départ pour de bon. Il faut faire la part de tactique électorale. On parle en effet d’un scrutin à l’automne. La position des Conservateurs était hier désespérée. Il faut faire vite pour la redresser. Les industriels et financiers qui soutiennent le parti ne manquent pas de ressources pour présenter sous un jour favorable les perspectives de leurs entreprises. Il n’en reste pas moins que par une sorte de jeu de bascule, le gonflement des coûts de production qui s’est accéléré sur le continent commence à profiter aux industries anglo-américaines, où ils sont restés à peu près stables. Va-t-on assister aussi à un renversement des mouvements monétaires, au redressement de la Livre et du Dollar au détriment des devises continentales ? On n’en est pas encore là, mais il est fort possible qu’on y arrive, surtout depuis qu’en France, jusqu’ici pôle d’attraction des capitaux, on voit ceux-ci se dégager.

En la matière, comme en bien d’autres, en notre France, s’il était difficile de faire mieux, il n’était guère possible de faire plus mal. Après avoir lâché inconsidérément la bride aux crédits et à la création de monnaie, on met brusquement les freins alors qu’il aurait fallu les mettre quand la conjoncture s’emballait et les relâcher quand elle commençait à s’essouffler. On feint de s’apercevoir qu’on est lancé dans l’inflation alors qu’on n’a rien fait d’autre depuis quatre ans et puis, pour mieux décourager les entreprises, on en revient au vieux système de la taxation des prix qui n’a jamais rien empêché, sinon le progrès de l’économie. Sous la III° République, à chaque crise financière, on s’en prenait aux pierres à briquet. Aujourd’hui aux lames à rasoir. Qu’on soit libéral ou dirigiste, ou les deux à la fois comme c’est le cas, la règle préalable est de ne pas agir à contretemps. Mieux vaudrait s’abstenir.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-04-27 -Krouchtchev en Difficulté

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Le Courrier d’Aix – 1963-04-27 – La Vie Internationale.

 

Krouchtchev en Difficulté

Depuis le recul à Cuba en octobre, la situation de Krouchtchev est difficile. Des rumeurs circulent : Molotov reprendrait du crédit ; Krouchtchev abandonnerait le pouvoir l’an prochain pour ses soixante-dix ans. Frol Kozlov lui succèderait. Pas plus qu’au temps des tsars, on ne sait grand-chose sur les luttes d’influence qui se jouent, ni sur quoi elles portent. Le fait accompli surprend le monde. Pour l’heure il y a la situation économique qui ne suit pas le plan, les courants libéraux malaisés à réprimer, et surtout la querelle idéologique avec Pékin.

Là-dessus, quoi qu’on en ait dit, aucune détente n’apparaît. Une preuve suffit : nous lisons dans les « Izvestia », daté du 15 avril, un télégramme adressé par Brejnev et Krouchtchev à Tito, le félicitant de la promulgation de la nouvelle constitution yougoslave : « importante étape dans la vie de votre nation qui édifie le socialisme » et l’assurant « de la collaboration et de l’amitié indestructible entre les peuples soviétiques et yougoslaves ». Formule traditionnelle, certes, mais qui montre, à l’occasion d’un événement qui n’appelait pas une telle démonstration, que les Russes ne cèdent pas aux pressions chinoises pour les détacher du renégat Tito.

D’ailleurs, la presse albanaise et chinoise a repris ses attaques contre le « révisionnisme », et la rencontre proposée par Moscou à Mao attend toujours une réponse. Les Chinois n’ont aucun intérêt à reculer et les Soviets ne le peuvent pas, malgré toutes les difficultés que le schisme suscite en Russie et  à l’intérieur des Partis communistes. Les deux impérialismes sont aux prises et rien, à notre avis, pas même un changement de personne à la tête du Kremlin, n’en pourra modifier le cours. Il s’inscrit dans l’histoire.

 

La Rivalité Russo-Chinoise en Asie du Sud

La tragi-comédie du Laos, l’illustre bien. Malgré l’Accord de Genève et les trêves militaires successives, la poussée du Patet Laos appuyée par Pékin continue par secousses suivies de pause. C’est la tactique chinoise. Veut-on obliger les Américains à intervenir, comme au Sud Vietnam et compromettre Moscou aux yeux des Asiatiques si les Russes ne s’y opposent pas ? Il semble. Mais la lutte d’influence en Asie du Sud ne se limite pas là, l’Indonésie est un autre enjeu : le maréchal Malinovski vient de faire une visite à Soekarno. L’accueil a, paraît-il, manqué de chaleur. Aussitôt, le Président de la Chine en personne Liu-Shaoqi a succédé au Russe à Djakarta, et la population l’a fêté officiellement. Il se rend de là en Birmanie, autre point sensible.

Jusqu’ici ces neutralistes jouaient de la rivalité russo-américaine, aujourd’hui c’est une rivalité sino-russe. Le profit n’est sans doute pas aussi substantiel, mais nullement négligeable car les Chinois n’hésitent pas à imposer les plus grands sacrifices au peuple pour soutenir leur influence extérieure. La lutte s’étend même à Cuba : Fidel Castro va visiter Moscou, sans doute pour obtenir une aide accrue, sinon Pékin l’attend, et même – car Nasser ne néglige rien – Ali Sabri, le numéro deux de la R.A.U. nouvelle née, va présenter ses hommages à Mao. On comprend que ce duel qui prend une allure planétaire mette le Kremlin dans un extrême embarras et que les adversaires de Krouchtchev saisissent l’occasion de l’accuser de rompre l’unité du communisme …

 

Les Exilés Cubains Rompent avec Kennedy

Ils l’accusent de collusion avec les Américains. Comme le conflit russo-chinois, les rapports U.R.S.S.-U.S.A. ont suivi une ligne sinueuse et souvent déconcertante. Mais dans l’ensemble, les relations se sont progressivement tendues d’un côté, et rapprochées de l’autre. Le dernier épisode, c’est la rupture du chef des exilés cubains Miro Cardona avec la Maison Blanche. Kennedy est accusé d’abandonner leur cause et de manquer à la promesse d’en finir au besoin par les armes avec Castro.

Il est certain que le Président des U.S.A. a passablement louvoyé dans l’affaire. Actuellement, il ne veut rien faire qui mette Krouchtchev dans l’embarras et préfère le laisser en tête à tête avec Fidel, espérant peut-être que celui-ci, déçu par ses alliés communistes, cherchera un jour un compromis avec Washington. Le personnage a ses humeurs et rien n’est à exclure. Mais pour l’heure, l’essentiel est de barrer la route aux Chinois dans le Sud-Est asiatique, et Russes et Américains ont besoin les uns des autres.

Autre signe : Tito vient d’adresser à Kennedy un message chaleureux pour le remercier de son aide. Le rapprochement avec le Kremlin ne paraît nullement avoir refroidi les relations entre Washington et Belgrade. Tout cela, pour l’Américain moyen ou le fidèle militant communiste, n’est pas facile à comprendre.

 

Kennedy et Nasser

Il y a mieux, c’est le soutien constant apporté, aussi bien par le gouvernement Eisenhower que par celui de Kennedy, à Nasser et, comme pour Tito, en dépit de tous les mécomptes. Washington se félicite de la naissance de la nouvelle R.A.U. et ne cache pas que l’heure est proche où le roi Hussein de Jordanie devra s’exiler et même Ibn Saoud abandonner son trône. On n’a pas démenti à Washington que le Gouvernement américain aurait demandé à Israël d’observer la neutralité au cas où la Jordanie passerait sous le contrôle de Nasser, quitte à fournir à Israël des armes supplémentaires pour maintenir l’équilibre des forces dans la région. On a dit à ce propos : pourvu qu’elles soient anticommunistes, et elles le sont à souhait, les Américains soutiennent toutes les dictatures arabes. Leur politique n’est pas aussi simple. Ils considèrent que les monarchies arabes ont fait leur temps et qu’il serait vain de les soutenir. Ce serait s’attirer l’inimitié des masses, les rejeter vers Moscou ou Pékin, pour s’incliner un jour ou l’autre devant les faits. En appuyant le mouvement d’unité arabe, on peut dans une certaine mesure en contrôler le développement et sauvegarder l’essentiel, Israël et les pétroles. Israël, en dissuadant Nasser d’une entreprise militaire aléatoire, les pétroles, en faisant valoir qu’ils n’ont d’autre débouché que l’Occident, et qu’au cas où ils seraient perdus, le Monde libre a des sources de remplacement, si bien que quel que soit le maître des puits d’Arabie, il devra en vendre le produit à ses acheteurs habituels.

Les Anglais suivent cette politique à contrecœur et même avec angoisse, car pour eux, et aussi pour nous, les pétroles arabes ont une importance primordiale, vitale même, qu’ils n’ont pas pour les Américains. Si Nasser étend son autorité sur l’Arabie Saoudite et sur Koweit, ce seront en fait les Américains qui dicteront à l’Angleterre sa politique pétrolière. Sans leur appui, en effet, Britanniques et Français seraient évincés du Golfe Persique, l’Iran excepté.

Les Etats-Unis voient plus loin : si les Travaillistes viennent au pouvoir à Londres l’an prochain, il ne sera pas mauvais d’avoir en main ce gros atout pour les tenir et du même coup, la France serait un peu plus docile. Et puis, il y a par-delà un argument idéologique. Les Etats-Unis veulent se montrer partout les champions de la libération des peuples et les adversaires des structures féodales, même si ces peuples sont en définitive plus opprimés qu’auparavant. Enfin, ils savent que l’unité arabe n’est qu’un mirage ou un épisode éphémère et qu’il y aura assez de rivalités entre factions pour conserver une large liberté de manœuvre. L’essentiel est de paraître y souscrire, et surtout d’être sur place. Depuis Suez 1956, ils s’y sont maintenus et y resteront. Il leur a fallu et il leur faudra bien souvent changer leurs plans et prendre de difficiles virages, comme nous l’avons vu récemment au Yémen et en Arabie Saoudite. Les fausses manœuvres et les chausse-trappes les guettent. Ils seront payés d’ingratitude et d’invectives de toutes parts. Ils en ont l’habitude.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1963-04-20 – “Pax in Terris”

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Le Courrier d’Aix – 1963-04-20 – La Vie Internationale.

 

L’Encyclique « Pax in Terris »

Si les événements n’ont pas manqué en cette période pascale, l’Encyclique pontificale « Pax in Terris » les domine, partout accueillie avec respect et faveur, aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est. C’était bien là son objet : ne dire aux hommes que ce qui peut les unir, rassembler en quelques paragraphes les aspirations, non seulement de la chrétienté, mais de toutes les âmes. Il ne faudrait cependant pas conclure de cette approbation unanime que ce document n’exclut rien et ne condamne personne. Au contraire : l’accent est mis  sur la personne humaine et sur ses droits, ceux précisément que les régimes totalitaires ne cessent de brimer : le droit de libre expression entre autres, que les écrivains soviétiques se voient en ce moment refuser. Si le Kremlin applaudit, c’est qu’en se réservant, il s’opposerait au sentiment de la conscience universelle qui trouve dans l’enseignement pontifical ce que tout homme de bonne volonté reconnaît juste et souhaitable.

 

Le « Pragmatisme » de Jean XXIII

On a parlé à propos de l’Encyclique de pragmatisme. Il est exact, en effet, que dans la recherche des moyens d’assurer la paix, le Souverain Pontife n’indique que les voies pratiques, celles dont la réalisation est à portée. Il ne parle pas de désarmement universel et immédiat comme les Russes ou les partisans de la non-violence, mais des étapes mesurables qui y peuvent conduire sans que des obstacles insurmontables n’empêchent des progrès modestes mais concrets. De même pour ce qui concerne les Droits de l’Homme, Jean XXIII approuve la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par l’O.N.U. « comme un pas vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale ».

De même dans les rapports entre chrétiens et non-chrétiens, le Pape n’exclut ni les rencontres ni la coopération, sous quelque forme que ce soit, qui peuvent maintenir la paix. Il l’a montré en recevant Adjoubei. Il ne s’agit pas là de fermer les yeux sur l’erreur ou d’absoudre le crime, mais d’empêcher que ne se dresse dans l’ordre moral un autre rideau de fer. Enfin et surtout, l’Encyclique préconise la constitution d’une autorité mondiale qui régirait les rapports entre toutes les nations, c’est-à-dire quelque chose de plus que l’O.N.U., mais de moins qu’un gouvernement supranational qui s’imposerait à tous les Etats.

Là encore, nous restons dans le domaine du possible, c’est l’originalité de cette Encyclique : d’une part rassembler en quelques formules ce que personne ne peut refuser de souhaiter et de l’autre, montrer les voies accessibles pour réaliser ces aspirations.

 

La Responsabilité Spirituelle du Monde

Il y a plus : le Pape prend pour la première fois dans l’histoire de l’Eglise la responsabilité spirituelle de la famille humaine,  sans distinction de croyance. Dans un monde rétréci où les distances s’abolissent où les communications des esprits sont instantanées, il est indispensable de ne retenir pour les unir que les principes moraux universellement reconnus pour fondamentaux, sans s’arrêter aux nuances confessionnelles qui risquent, une fois de plus, de les empêcher de se comprendre. C’est là une évolution manifeste, une orientation grosse de conséquences prise avec beaucoup de hardiesse, qui fait murmurer certains, mais dont le retentissement est grand, par-delà les frontières du catholicisme.

 

La Nouvelle R.A.U.

D’union il en a été question au Caire, mais cette fois politique et militaire. La République Arabe unie de Nasser, brisée par la sécession syrienne, revit, tout au moins sur le papier ou mieux sur le drapeau qui sera commun à l’Egypte, à la Syrie et à l’Irak, et à laquelle se joindra le Yémen et peut-être d’autres ; Nasser en sera le chef, Le Caire la capitale. Il n’y aura qu’une politique étrangère, une armée sous commandement unique, une seule constitution et un parlement. Trop beau pour passer dans les faits, disent les sceptiques, et il est difficile de ne pas l’être. Que de rivalités, de restrictions mentales se cachent sous cette apparente unanimité.

 

Les Aspirations du Monde Arabe

Il y a cependant, par-delà, une aspiration qui dépasse la personne de Nasser et qui si tout cela devenait autre chose que symbolique, l’étoufferait peut-être. Le Monde arabe cherche à retrouver une conscience commune et les moyens de l’affirmer. C’est le sens du mot de résurrection qu’emploient ses doctrinaires ; l’Islam arabe chassé d’Europe en 1492 peu à peu dominé par les Turcs qui avaient en 1453 pris Constantinople, domination à laquelle se substitua celle des Chrétiens et qui ne disparut définitivement qu’en1919. Aujourd’hui, depuis l’indépendance algérienne, ce Monde se dit « libéré ». Il cherche sa voie, une voie qui soit à la fois traditionnelle et moderne, religieuse et sociale.

 

Les Socialismes Arabes

Un socialisme arabe cherche à se définir : soit un socialisme d’inspiration spirituelle fait plutôt de solidarité et de fraternité que d’égalité ; soit un socialisme autoritaire à structure militaire plus nationaliste que social ; soit un socialisme philosophique d’inspiration européenne axé sur la justice sociale ; soit enfin un socialisme teinté de collectivisme comme le voit le F.L.N.

A l’étude, on s’aperçoit combien ce vocable de socialisme arabe recouvre de nuances et même d’oppositions fondamentales. Des Etats plus ou moins définis, ayant, pendant des siècles, subi des dominations étrangères diverses, peuvent-ils d’un seul élan s’imposer des structures communes ? Ils voudraient le croire, ils s’exaltent à l’affirmer, mais l’enthousiasme passé, qu’en restera-t-il ? Nasser triomphe, dit-on, mais lui-même en est-il sûr ? Et puis il y a Israël, à la fois un ciment et un obstacle, fragile et puissant, et les Américains et les Anglais qui n’ont pas fini, dans cette région qui leur est essentielle, de jouer des rivalités et de freiner les ambitions.

 

L’Accord sur le Yémen

On vient de le voir au Yémen. Nasser y avait engagé 25.000 hommes. Il s’y ruinait, sans succès décisif. Les Etats-Unis l’ont laissé faire et quand il n’en pouvait plus ont imposé leur solution. Nasser reçoit satisfaction : l’Émir El Bad s’exile. L’Arabie Saoudite et la Jordanie ne le soutiendront plus. Le maréchal Sellal reste le maître de Sanaa. Mais les troupes égyptiennes évacueront le pays. Aden et Ryad ne seront plus menacés. Que se passera-t-il, quand les soldats du Caire seront partis ? C’est à Washington qu’on peut le demander.

 

Les Élections Canadiennes

Les Américains ont obtenu aux élections canadiennes un succès réconfortant. L’ami des Kennedy Lester Pearson, chef du Parti libéral l’emporte au détriment des trois autres en lice. Le Premier ministre sortant Diefenbaker avait axé sa campagne sur un nationalisme anti-yankee croyant s’assurer la victoire en flattant les passions chauvines des Canadiens, inquiets de l’influence de leur puissant voisin. Pearson avait loyalement condamné cette tendance. Il s’est déclaré attaché à la participation nucléaire avec les U.S.A. à laquelle Diefenbaker s’opposait et à la collaboration indispensable de leurs capitaux au développement de l’économie nationale. L’élection a suivi et même les séparatistes francophones du Québec ont perdu du terrain. Il est vrai que les Libéraux leur ont promis une plus large part dans les affaires du pays. Nul doute qu’ils tiendront parole.

 

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Criton – 1963-04-06 – Monopole Atomique et Suprématie du Dollar

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Le Courrier d’Aix – 1963-04-06 – La Vie Internationale

 

La Visite d’Harold Wilson à Washington

On attache beaucoup d’importance à Washington au voyage qu’entreprend Harold Wilson, le nouveau chef du Parti travailliste anglais. Les Conservateurs viennent de subir trois défaites successives dans les élections partielles, si lourdes qu’on n’a plus de doute à Londres sur l’issue de la prochaine consultation électorale. L’échéance, quelle qu’elle soit, est trop proche pour qu’un redressement Tory soit possible.

Les Américains en prennent leur parti, d’autant plus volontiers qu’ils ont eu tant de déceptions avec les leaders conservateurs, que l’Europe socialiste qui prend forme leur paraît, à tout prendre, plus favorable à leurs intérêts. Ils entretiennent déjà de bonnes relations avec Spaak en Belgique avec Fanfani qui vient de faire à Washington une visite très bien accueillie. Willy Brandt, maire de Berlin, y a fait plusieurs voyages également prometteurs. Reste le cauchemar français dont ils espèrent que l’usure du temps, et un patient isolement diplomatique leur permettront de venir à bout.

 

Monopole Atomique et Suprématie du Dollar

Cette faveur inattendue des hommes d’Etat de gauche de la part du Gouvernement des Etats-Unis s’explique en fonction de leurs deux objectifs majeurs : conserver le monopole atomique et rétablir le Dollar dans son rôle de monnaie indiscutée. Sur l’un et l’autre point, ils se sont heurtés aux oppositions des dirigeants actuels. Diefenbaker, au Canada, appuie sa campagne électorale sur le refus de participer à l’armement atomique concerté avec les Américains et fait fond sur le sentiment nationaliste et anti-yankee de beaucoup de ses compatriotes, les Canadiens français, en particulier. MacMillan, comme nous l’avons vu, entreprend la sienne, sur la nécessité pour l’Angleterre, si elle veut demeurer une puissance, de conserver un armement atomique indépendant auquel ses adversaires travaillistes sont décidés à renoncer. Il pense avoir là-dessus la majorité de l’opinion de son côté. Adenauer et ceux de son Parti qui partagent ses vues, se voient reprocher le Traité Franco-Allemand, avec ce que l’on soupçonne de clauses militaires secrètes. En dépit de toutes les assurances et les concessions faites par les Ministres allemands aux Etats-Unis, Kennedy et son entourage y voient des partisans d’une indépendance européenne plus ou moins d’accord avec Paris, comme l’ex-ministre de la défense Franz-Joseph Strauss.

Tous leurs adversaires, au contraire, semblent prêts au moins tant qu’ils sont dans l’opposition, à laisser aux Etats-Unis la mission de protéger l’intégrité de l’Europe, celle-ci n’étant chargée que de renforcer les armes dites conventionnelles pour contenir l’adversaire le long du rideau de fer. Harold Wilson en particulier se dit tout à fait d’accord avec le Pentagone sur cette stratégie et décidé à l’appuyer.

 

La Question du Dollar

Pour ce qui est du Dollar, sa faiblesse tient pour une bonne part à la position créditrice de l’Europe continentale où il s’accumule à mesure que les Etats-Unis en perdent. Une Europe socialiste hâterait le renversement de la tendance. La démagogie sociale et financière, la méfiance du capital, l’hostilité des milieux d’affaires joints au ralentissement déjà sensible de l’expansion ramèneraient rapidement les pays européens dans le « rouge » comme ils disent, c’est-à-dire dans le déficit et la dégradation monétaire qui l’accompagne, ce qui dans le passé a été de règle. Le Dollar redeviendrait la seule grande monnaie forte et reprendrait son rôle de devise clef.

Actuellement, les pays créditeurs, comme la France, tiennent le sort du Dollar en leur pouvoir. S’ils réclamaient le remboursement en or de leurs réserves et de leurs avoirs aux Etats-Unis, le Trésor américain se viderait immédiatement. Il est certain qu’ils ne le feront pas ; le coup serait trop grave pour le Monde libre et ils se nuiraient à eux-mêmes. Il n’en reste pas moins que la menace plane discrètement et qu’on ne manque pas d’y faire allusion quand il s’agit par exemple de prêts en dollars aux Etats-Unis qui les demandent. Qui n’est pas maître de son crédit n’a pas les coudées franches pour imposer son point de vue dans les controverses internationales.

 

L’Évolution de la Crise Cubaine

La crise de Cuba n’est pas résolue. De menus incidents l’entretiennent et les Russes sont là, comme à Berlin, un baril de poudre soigneusement au sec et la mèche à portée. Ce n’est toutefois pas tout à leur avantage. Il y a d’abord pour les Soviets le coût de l’opération qui, dans la crise actuelle de leurs paiements extérieurs, les gêne. De leur côté, les Américains exploitent la peur que la révolution castriste inspire aux pays voisins. En République dominicaine, depuis l’assassinat de Trujillo, un certain équilibre démocratique s’est établi avec l’élection régulière du président Juan Bosch. Son hostilité au Castrisme n’est pas douteuse. Depuis, il y a eu la Conférence de San José de Costa Rica, où le Président des Etats-Unis a conféré avec les cinq présidents des Républiques d’Amérique centrale auxquels s’était joint Panama. Les résultats ont été plus publicitaires que concrets, mais l’effet moral est considérable. Il n’y a pas si longtemps que les Panaméens manifestaient contre la domination yankee sur le Canal. Au Salvador, au Honduras, des luttes politiques incertaines opposaient partisans et adversaires de Fidel Castro. Aujourd’hui, c’est à qui réclame contre Castro des mesures extrêmes que Kennedy d’ailleurs ne peut que refuser. Reste le point faible, le Guatemala, où des élections devaient avoir lieu, où la guérilla pro fidéliste se déployait contre l’actuel Président. La junte militaire en viendra-t-elle à bout ?

Certes l’Amérique centrale, sauf Costa-Rica, ne ressemble guère au modèle de la démocratie, selon les vœux de Washington, mais il s’y manifeste une solidarité certaine contre l’ingérence d’une puissance étrangère au continent en l’espèce l’U.R.S.S. et son satellite Castro. Celui-ci d’ailleurs en est parfaitement conscient. Nous le disions précédemment et une récente interview du personnage, qui a fait du bruit, la dernière note aux Etats-Unis, inaccoutumée par sa modération, montrent que la tutelle russe lui pèse un peu, Krouchtchev le sait et Castro aussi sait qu’il n’a qu’un mot à dire, un geste à faire pour s’en dégager. Les Etats-Unis ne refuseraient pas de l’y aider. C’est un espoir sans doute lointain, mais qu’ils se garderont de compromettre.

 

Hassan II à Washington

Autre visite importante à la Maison Blanche, celle du Roi Hassan II du Maroc. En principe, il s’agit de régler les modalités de l’évacuation des bases américaines et de compenser les pertes que ce départ provoquera pour les finances chérifiennes. En réalité, c’est la politique du Maroc à l’égard de l’Occident qui se précise en opposition à la nouvelle constellation du socialisme arabe où l’Algérie de Ben Bella se range aux côtés de Nasser. La visite de celui-ci à Alger est prochaine. Celle du Roi Hassan récemment n’a nullement atténué la rivalité des deux Etats et le grand Maghreb n’est pas pour demain.

En face de ce socialisme arabe xénophobe qui se traduit surtout par la foire d’empoigne à nos dépens, le Roi du Maroc entretient avec les pays occidentaux de fructueuses relations. Il s’est réconcilié avec Franco. Le conflit avec la Mauritanie est mis en sommeil. Les rapports avec la France sont normaux. Mais c’est surtout aux Etats-Unis qu’Hassan cherche un appui. Des crédits bien entendu, mais surtout, il tient à montrer son indépendance à l’égard du panarabisme.

Le Maroc, pays atlantique, est un point de rencontre entre la Civilisation occidentale et l’Islam ; synthèse serait trop dire, mais collaboration originale et coexistence profitable. Il pense qu’un jour, de la Lybie à l’Océan, un Monde arabe ouvert pourra s’unir, non pas opposé au Monde oriental qui se ferme de plus en plus, mais différent. Pour cela il faut beaucoup d’habileté, de patience et de maîtrise. Il n’en manque pas.

 

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