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Le Courrier d’Aix – 1963-06-15 – La Vie Internationale.
La Mort de Jean XXIII
Des innombrables témoignages de regret et d’affection dont notre défunt pape a été l’objet, retenons ce passage de l’article de Walter Lippmann qui en expose les raisons :
« C’est un miracle de notre âge qu’un homme ait pu franchir les barrières de classe, de caste, de couleur et de croyance pour atteindre les cœurs de toutes sortes de peuples ; rien de semblable ne s’était produit dans le Monde moderne. Ce miracle est une preuve, dont nous avons tant besoin, que toutes les races humaines appartiennent à une même famille .., preuve aussi que les inimitiés et les divisions ne sont pas toute la réalité de notre espèce, qu’il y a dans les hommes une capacité que l’on ne peut mesurer, d’être touchés par l’amour. Il savait cela, il y avait foi et l’événement a prouvé qu’il avait raison. »
Ajoutons, pour notre part, qu’on peut voir aussi une protestation unanime et spontanée contre les Gouvernants qui ne sont pas tous de l’autre côté du rideau de fer, qui, entretiennent pour leur propre gloire et ambitions, ces hostilités et ces haines que les peuples épousent, mus par leurs instincts, mais qu’au fond de leur cœur ils réprouvent.
L’Hommage des Communistes
Les dirigeants communistes, non sans quelque gêne, ont participé à cet hommage à Jean XXIII. Ce n’est pas seulement, comme nous le pensions d’abord, par tactique électorale, C’est parce qu’ils ont besoin, dans la mesure possible, de la neutralité de l’Eglise et même des Églises chrétiennes pour éviter la dislocation de leur empire. En Europe centrale, ils voudraient par une sorte de concordat tacite, désarmer l’opposition croissante qui se cristallise autour d’elles. D’où la tâche délicate pour le prochain pontife de mettre à profit ces difficultés afin de soulager l’oppression des fidèles sans renforcer du même coup les pouvoirs qui l’exercent. Car ils excellent à entretenir l’équivoque et à s’en servir.
La Crise Tchécoslovaque
Le point névralgique est aujourd’hui la Tchécoslovaquie. Nous avons dit que ce pays, qui était jusqu’en 1961 la vitrine du Bloc de l’Est, a vu sa situation économique et politique se détériorer rapidement depuis, alors que chez plusieurs autres satellites elle se serait relativement améliorée. Crise alimentaire d’abord, comme en témoignent les queues qui se forment dès l’aube devant les magasins et que la population attribue à l’aide que les Gouvernants, assujettis aux ordres de Moscou, prodiguent à des pays comme Cuba dont ils ne se soucient pas. Des émeutes ont éclaté entre étudiants tchèques et étudiants de couleur venus à Prague pour être endoctrinés. Le travail au ralenti et l’absentéisme dans les champs et les usines, ont eu l’effet de véritables grèves. Le Parti a dû l’avouer, et pressé de prendre des mesures, a été jusqu’à ordonner d’élever des porcs dans les casernes, les écoles et les hôpitaux .. L’imagination ne manque pas aux bureaucrates !
Cette pénurie se greffe sur une crise politique qui traîne et s’envenime. On a successivement liquidé, pour apaiser l’opinion, les principaux responsables de l’époque dite stalinienne, et réhabilité quelques-unes de leurs victimes. Mais le principal demeure au pouvoir, Novotny, dont Krouchtchev hésite à se débarrasser de peur que la crise à cette occasion ne dégénère en émeute. Novotny menacé n’ose pas sévir et la tension monte. Elle est plus dangereuse qu’ailleurs. La Tchécoslovaquie, plus évoluée, plus proche de l’Occident pas ses traditions et sa technique, peut à la longue ne pas supporter les restrictions et la tyrannie ; l’explosion est possible. Ce serait pour l’Empire russe le commencement de la dislocation. C’est pourquoi on s’efforce de se concilier l’Église catholique, facteur d’apaisement et de concorde.
Le Revirement de l’Indonésie
Contre l’impérialisme chinois aussi, on se rebelle. Sitôt après la visite en Indonésie du président de Pékin, Lio-Shao-Chi, des foules en majorité composées d’étudiants, ont saccagé et brûlé des commerces et des usines appartenant à des Chinois. Il ne semble pas que les autorités aient mis beaucoup de zèle à les réprimer. Ces jours-ci, Soekarno s’est rencontré à Tokyo avec le président malais, Abdul Raman. On sait que celui-ci a décidé la formation d’une fédération dite Malayasie qui doit être effective en Août et comprend, outre la Malaise, Singapour et les trois territoires ex-britanniques de Bornéo, North-Bornéo et les Sultanats de Brunei et de Sarawak. Le reste de l’Île appartient à l’Indonésie et Soekarno s’était jusqu’ici violemment opposé au projet. Il avait appuyé la récente révolte de Brunei et menacé d’intervenir par les armes si la fédération prenait forme. Les Philippines voisines avaient, de leur côté, émis des prétentions sur ces territoires et servi de refuge aux rebelles de Brunei. Or la rencontre de Tokyo, suivie de celle des Ministres des Affaires étrangères des trois pays paraît avoir apaisé la querelle.
Prochainement doivent se réunir Soekarno, Abdul Raman et Macapagal, le président des Philippines, pour entériner l’entente. On parle même d’une alliance pour défendre les îles du Sud-Est asiatique contre la pénétration chinoise en général et communiste en particulier. Le changement d’attitude de l’Indonésie, s’il se confirme, est sensationnel. Moscou y est pour quelque chose, Washington aussi, mais c’est surtout l’agression chinoise contre l’Inde de l’automne dernier qui a provoqué le revirement. Un barrage s’organise contre les ambitions de Pékin.
Le Scandale Profumo
Un scandale d’une gravité sans précédent vient d’éclater en Angleterre qui achève de discréditer le Parti conservateur très atteint déjà par une série d’affaires scabreuses où les mœurs et l’espionnage étaient mêlés. On sait l’histoire : le Ministre de la Guerre, Profumo, accusé par la rumeur publique d’entretenir des relations intimes avec une personne liée en même temps à l’attaché naval soviétique Ivanov, avait nié devant la Chambre des Communes. Confondu, il a avoué avoir menti et dû démissionner de son poste et de son mandat de député. Un ministre qui ment devant le Parlement assemblé cela ne s’était jamais vu à Westminster.
Deux questions se posent : MacMillan était-il au courant ? Avait-il pris connaissance du rapport de l’Intelligence-Service ? L’ignorait-il ou avait-il sciemment couvert le mensonge de son Ministre ? Mais encore la personne en cause, avait-elle transmis au Russe des secrets d’Etat dont le ministre lui aurait fait confidence ? Comme en tout scandale de ce genre, on ne saura jamais les dessous. Les services de contre-espionnage, par vindicte personnelle ou par intérêt politique, ont-ils voulu atteindre le Premier Ministre. Ivanov était-il un agent double ou peut-être un intermédiaire utile entre Moscou et le Gouvernement britannique ? On l’a dit.
L’Angleterre tout entière est offensée dans sa dignité qui croyait que ce genre de scandale ne pouvait éclater que sur le continent. Le Parti travailliste exploitera l’affaire à fond ; quelle que soit la date des élections, il est certain maintenant que les jeux sont faits. M. Wilson, chef de l’opposition vient d’arriver à Moscou pour s’entretenir avec Krouchtchev. C’est comme prochain Premier Ministre qu’il le reçoit.
CRITON