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Le Courrier d’Aix – 1963-04-06 – La Vie Internationale
La Visite d’Harold Wilson à Washington
On attache beaucoup d’importance à Washington au voyage qu’entreprend Harold Wilson, le nouveau chef du Parti travailliste anglais. Les Conservateurs viennent de subir trois défaites successives dans les élections partielles, si lourdes qu’on n’a plus de doute à Londres sur l’issue de la prochaine consultation électorale. L’échéance, quelle qu’elle soit, est trop proche pour qu’un redressement Tory soit possible.
Les Américains en prennent leur parti, d’autant plus volontiers qu’ils ont eu tant de déceptions avec les leaders conservateurs, que l’Europe socialiste qui prend forme leur paraît, à tout prendre, plus favorable à leurs intérêts. Ils entretiennent déjà de bonnes relations avec Spaak en Belgique avec Fanfani qui vient de faire à Washington une visite très bien accueillie. Willy Brandt, maire de Berlin, y a fait plusieurs voyages également prometteurs. Reste le cauchemar français dont ils espèrent que l’usure du temps, et un patient isolement diplomatique leur permettront de venir à bout.
Monopole Atomique et Suprématie du Dollar
Cette faveur inattendue des hommes d’Etat de gauche de la part du Gouvernement des Etats-Unis s’explique en fonction de leurs deux objectifs majeurs : conserver le monopole atomique et rétablir le Dollar dans son rôle de monnaie indiscutée. Sur l’un et l’autre point, ils se sont heurtés aux oppositions des dirigeants actuels. Diefenbaker, au Canada, appuie sa campagne électorale sur le refus de participer à l’armement atomique concerté avec les Américains et fait fond sur le sentiment nationaliste et anti-yankee de beaucoup de ses compatriotes, les Canadiens français, en particulier. MacMillan, comme nous l’avons vu, entreprend la sienne, sur la nécessité pour l’Angleterre, si elle veut demeurer une puissance, de conserver un armement atomique indépendant auquel ses adversaires travaillistes sont décidés à renoncer. Il pense avoir là-dessus la majorité de l’opinion de son côté. Adenauer et ceux de son Parti qui partagent ses vues, se voient reprocher le Traité Franco-Allemand, avec ce que l’on soupçonne de clauses militaires secrètes. En dépit de toutes les assurances et les concessions faites par les Ministres allemands aux Etats-Unis, Kennedy et son entourage y voient des partisans d’une indépendance européenne plus ou moins d’accord avec Paris, comme l’ex-ministre de la défense Franz-Joseph Strauss.
Tous leurs adversaires, au contraire, semblent prêts au moins tant qu’ils sont dans l’opposition, à laisser aux Etats-Unis la mission de protéger l’intégrité de l’Europe, celle-ci n’étant chargée que de renforcer les armes dites conventionnelles pour contenir l’adversaire le long du rideau de fer. Harold Wilson en particulier se dit tout à fait d’accord avec le Pentagone sur cette stratégie et décidé à l’appuyer.
La Question du Dollar
Pour ce qui est du Dollar, sa faiblesse tient pour une bonne part à la position créditrice de l’Europe continentale où il s’accumule à mesure que les Etats-Unis en perdent. Une Europe socialiste hâterait le renversement de la tendance. La démagogie sociale et financière, la méfiance du capital, l’hostilité des milieux d’affaires joints au ralentissement déjà sensible de l’expansion ramèneraient rapidement les pays européens dans le « rouge » comme ils disent, c’est-à-dire dans le déficit et la dégradation monétaire qui l’accompagne, ce qui dans le passé a été de règle. Le Dollar redeviendrait la seule grande monnaie forte et reprendrait son rôle de devise clef.
Actuellement, les pays créditeurs, comme la France, tiennent le sort du Dollar en leur pouvoir. S’ils réclamaient le remboursement en or de leurs réserves et de leurs avoirs aux Etats-Unis, le Trésor américain se viderait immédiatement. Il est certain qu’ils ne le feront pas ; le coup serait trop grave pour le Monde libre et ils se nuiraient à eux-mêmes. Il n’en reste pas moins que la menace plane discrètement et qu’on ne manque pas d’y faire allusion quand il s’agit par exemple de prêts en dollars aux Etats-Unis qui les demandent. Qui n’est pas maître de son crédit n’a pas les coudées franches pour imposer son point de vue dans les controverses internationales.
L’Évolution de la Crise Cubaine
La crise de Cuba n’est pas résolue. De menus incidents l’entretiennent et les Russes sont là, comme à Berlin, un baril de poudre soigneusement au sec et la mèche à portée. Ce n’est toutefois pas tout à leur avantage. Il y a d’abord pour les Soviets le coût de l’opération qui, dans la crise actuelle de leurs paiements extérieurs, les gêne. De leur côté, les Américains exploitent la peur que la révolution castriste inspire aux pays voisins. En République dominicaine, depuis l’assassinat de Trujillo, un certain équilibre démocratique s’est établi avec l’élection régulière du président Juan Bosch. Son hostilité au Castrisme n’est pas douteuse. Depuis, il y a eu la Conférence de San José de Costa Rica, où le Président des Etats-Unis a conféré avec les cinq présidents des Républiques d’Amérique centrale auxquels s’était joint Panama. Les résultats ont été plus publicitaires que concrets, mais l’effet moral est considérable. Il n’y a pas si longtemps que les Panaméens manifestaient contre la domination yankee sur le Canal. Au Salvador, au Honduras, des luttes politiques incertaines opposaient partisans et adversaires de Fidel Castro. Aujourd’hui, c’est à qui réclame contre Castro des mesures extrêmes que Kennedy d’ailleurs ne peut que refuser. Reste le point faible, le Guatemala, où des élections devaient avoir lieu, où la guérilla pro fidéliste se déployait contre l’actuel Président. La junte militaire en viendra-t-elle à bout ?
Certes l’Amérique centrale, sauf Costa-Rica, ne ressemble guère au modèle de la démocratie, selon les vœux de Washington, mais il s’y manifeste une solidarité certaine contre l’ingérence d’une puissance étrangère au continent en l’espèce l’U.R.S.S. et son satellite Castro. Celui-ci d’ailleurs en est parfaitement conscient. Nous le disions précédemment et une récente interview du personnage, qui a fait du bruit, la dernière note aux Etats-Unis, inaccoutumée par sa modération, montrent que la tutelle russe lui pèse un peu, Krouchtchev le sait et Castro aussi sait qu’il n’a qu’un mot à dire, un geste à faire pour s’en dégager. Les Etats-Unis ne refuseraient pas de l’y aider. C’est un espoir sans doute lointain, mais qu’ils se garderont de compromettre.
Hassan II à Washington
Autre visite importante à la Maison Blanche, celle du Roi Hassan II du Maroc. En principe, il s’agit de régler les modalités de l’évacuation des bases américaines et de compenser les pertes que ce départ provoquera pour les finances chérifiennes. En réalité, c’est la politique du Maroc à l’égard de l’Occident qui se précise en opposition à la nouvelle constellation du socialisme arabe où l’Algérie de Ben Bella se range aux côtés de Nasser. La visite de celui-ci à Alger est prochaine. Celle du Roi Hassan récemment n’a nullement atténué la rivalité des deux Etats et le grand Maghreb n’est pas pour demain.
En face de ce socialisme arabe xénophobe qui se traduit surtout par la foire d’empoigne à nos dépens, le Roi du Maroc entretient avec les pays occidentaux de fructueuses relations. Il s’est réconcilié avec Franco. Le conflit avec la Mauritanie est mis en sommeil. Les rapports avec la France sont normaux. Mais c’est surtout aux Etats-Unis qu’Hassan cherche un appui. Des crédits bien entendu, mais surtout, il tient à montrer son indépendance à l’égard du panarabisme.
Le Maroc, pays atlantique, est un point de rencontre entre la Civilisation occidentale et l’Islam ; synthèse serait trop dire, mais collaboration originale et coexistence profitable. Il pense qu’un jour, de la Lybie à l’Océan, un Monde arabe ouvert pourra s’unir, non pas opposé au Monde oriental qui se ferme de plus en plus, mais différent. Pour cela il faut beaucoup d’habileté, de patience et de maîtrise. Il n’en manque pas.
CRITON