ORIGINAL-Criton-1963-04-20 pdf
Le Courrier d’Aix – 1963-04-20 – La Vie Internationale.
L’Encyclique « Pax in Terris »
Si les événements n’ont pas manqué en cette période pascale, l’Encyclique pontificale « Pax in Terris » les domine, partout accueillie avec respect et faveur, aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est. C’était bien là son objet : ne dire aux hommes que ce qui peut les unir, rassembler en quelques paragraphes les aspirations, non seulement de la chrétienté, mais de toutes les âmes. Il ne faudrait cependant pas conclure de cette approbation unanime que ce document n’exclut rien et ne condamne personne. Au contraire : l’accent est mis sur la personne humaine et sur ses droits, ceux précisément que les régimes totalitaires ne cessent de brimer : le droit de libre expression entre autres, que les écrivains soviétiques se voient en ce moment refuser. Si le Kremlin applaudit, c’est qu’en se réservant, il s’opposerait au sentiment de la conscience universelle qui trouve dans l’enseignement pontifical ce que tout homme de bonne volonté reconnaît juste et souhaitable.
Le « Pragmatisme » de Jean XXIII
On a parlé à propos de l’Encyclique de pragmatisme. Il est exact, en effet, que dans la recherche des moyens d’assurer la paix, le Souverain Pontife n’indique que les voies pratiques, celles dont la réalisation est à portée. Il ne parle pas de désarmement universel et immédiat comme les Russes ou les partisans de la non-violence, mais des étapes mesurables qui y peuvent conduire sans que des obstacles insurmontables n’empêchent des progrès modestes mais concrets. De même pour ce qui concerne les Droits de l’Homme, Jean XXIII approuve la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme adoptée par l’O.N.U. « comme un pas vers l’établissement d’une organisation juridico-politique de la communauté mondiale ».
De même dans les rapports entre chrétiens et non-chrétiens, le Pape n’exclut ni les rencontres ni la coopération, sous quelque forme que ce soit, qui peuvent maintenir la paix. Il l’a montré en recevant Adjoubei. Il ne s’agit pas là de fermer les yeux sur l’erreur ou d’absoudre le crime, mais d’empêcher que ne se dresse dans l’ordre moral un autre rideau de fer. Enfin et surtout, l’Encyclique préconise la constitution d’une autorité mondiale qui régirait les rapports entre toutes les nations, c’est-à-dire quelque chose de plus que l’O.N.U., mais de moins qu’un gouvernement supranational qui s’imposerait à tous les Etats.
Là encore, nous restons dans le domaine du possible, c’est l’originalité de cette Encyclique : d’une part rassembler en quelques formules ce que personne ne peut refuser de souhaiter et de l’autre, montrer les voies accessibles pour réaliser ces aspirations.
La Responsabilité Spirituelle du Monde
Il y a plus : le Pape prend pour la première fois dans l’histoire de l’Eglise la responsabilité spirituelle de la famille humaine, sans distinction de croyance. Dans un monde rétréci où les distances s’abolissent où les communications des esprits sont instantanées, il est indispensable de ne retenir pour les unir que les principes moraux universellement reconnus pour fondamentaux, sans s’arrêter aux nuances confessionnelles qui risquent, une fois de plus, de les empêcher de se comprendre. C’est là une évolution manifeste, une orientation grosse de conséquences prise avec beaucoup de hardiesse, qui fait murmurer certains, mais dont le retentissement est grand, par-delà les frontières du catholicisme.
La Nouvelle R.A.U.
D’union il en a été question au Caire, mais cette fois politique et militaire. La République Arabe unie de Nasser, brisée par la sécession syrienne, revit, tout au moins sur le papier ou mieux sur le drapeau qui sera commun à l’Egypte, à la Syrie et à l’Irak, et à laquelle se joindra le Yémen et peut-être d’autres ; Nasser en sera le chef, Le Caire la capitale. Il n’y aura qu’une politique étrangère, une armée sous commandement unique, une seule constitution et un parlement. Trop beau pour passer dans les faits, disent les sceptiques, et il est difficile de ne pas l’être. Que de rivalités, de restrictions mentales se cachent sous cette apparente unanimité.
Les Aspirations du Monde Arabe
Il y a cependant, par-delà, une aspiration qui dépasse la personne de Nasser et qui si tout cela devenait autre chose que symbolique, l’étoufferait peut-être. Le Monde arabe cherche à retrouver une conscience commune et les moyens de l’affirmer. C’est le sens du mot de résurrection qu’emploient ses doctrinaires ; l’Islam arabe chassé d’Europe en 1492 peu à peu dominé par les Turcs qui avaient en 1453 pris Constantinople, domination à laquelle se substitua celle des Chrétiens et qui ne disparut définitivement qu’en1919. Aujourd’hui, depuis l’indépendance algérienne, ce Monde se dit « libéré ». Il cherche sa voie, une voie qui soit à la fois traditionnelle et moderne, religieuse et sociale.
Les Socialismes Arabes
Un socialisme arabe cherche à se définir : soit un socialisme d’inspiration spirituelle fait plutôt de solidarité et de fraternité que d’égalité ; soit un socialisme autoritaire à structure militaire plus nationaliste que social ; soit un socialisme philosophique d’inspiration européenne axé sur la justice sociale ; soit enfin un socialisme teinté de collectivisme comme le voit le F.L.N.
A l’étude, on s’aperçoit combien ce vocable de socialisme arabe recouvre de nuances et même d’oppositions fondamentales. Des Etats plus ou moins définis, ayant, pendant des siècles, subi des dominations étrangères diverses, peuvent-ils d’un seul élan s’imposer des structures communes ? Ils voudraient le croire, ils s’exaltent à l’affirmer, mais l’enthousiasme passé, qu’en restera-t-il ? Nasser triomphe, dit-on, mais lui-même en est-il sûr ? Et puis il y a Israël, à la fois un ciment et un obstacle, fragile et puissant, et les Américains et les Anglais qui n’ont pas fini, dans cette région qui leur est essentielle, de jouer des rivalités et de freiner les ambitions.
L’Accord sur le Yémen
On vient de le voir au Yémen. Nasser y avait engagé 25.000 hommes. Il s’y ruinait, sans succès décisif. Les Etats-Unis l’ont laissé faire et quand il n’en pouvait plus ont imposé leur solution. Nasser reçoit satisfaction : l’Émir El Bad s’exile. L’Arabie Saoudite et la Jordanie ne le soutiendront plus. Le maréchal Sellal reste le maître de Sanaa. Mais les troupes égyptiennes évacueront le pays. Aden et Ryad ne seront plus menacés. Que se passera-t-il, quand les soldats du Caire seront partis ? C’est à Washington qu’on peut le demander.
Les Élections Canadiennes
Les Américains ont obtenu aux élections canadiennes un succès réconfortant. L’ami des Kennedy Lester Pearson, chef du Parti libéral l’emporte au détriment des trois autres en lice. Le Premier ministre sortant Diefenbaker avait axé sa campagne sur un nationalisme anti-yankee croyant s’assurer la victoire en flattant les passions chauvines des Canadiens, inquiets de l’influence de leur puissant voisin. Pearson avait loyalement condamné cette tendance. Il s’est déclaré attaché à la participation nucléaire avec les U.S.A. à laquelle Diefenbaker s’opposait et à la collaboration indispensable de leurs capitaux au développement de l’économie nationale. L’élection a suivi et même les séparatistes francophones du Québec ont perdu du terrain. Il est vrai que les Libéraux leur ont promis une plus large part dans les affaires du pays. Nul doute qu’ils tiendront parole.
CRITON