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Le Courrier d’Aix – 1963-06-08 – La Vie Internationale.
La Fin du Saint-Père
C’est vers la place Saint-Pierre que sont aujourd’hui tournés les regards du Monde, avec une émotion qui montre combien l’action de Jean XXIII avait agité les consciences, de mouvements et de réactions diverses, parfois contraires, comme il en est pour toute grande initiative dans l’ordre spirituel. Mais tous s’accordaient à y voir une adaptation de l’Eglise au siècle dont l’évolution et les exigences étaient saisies en profondeur et qui ne pouvaient être ignorées, si l’on voulait que l’influence chrétienne dans son sens le plus large, demeure prépondérante.
Aggravation de la Révolte Noire aux U.S.A.
Le problème noir récemment posé aux Etats-Unis sous un jour et avec une acuité nouvelle est loin de se résoudre. De Chicago à la Louisiane, noirs et policiers sont aux prises ; les incidents se succèdent ; les leaders modérés, comme le Pasteur King, sont débordés. Kennedy et son frère Robert, ministre de la Justice, sont en position difficile ; du côté législatif, on ne peut pas grand-chose, l’égalité des races étant inscrite dans les textes : l’intervention de la police et de l’armée fédérale, l’expérience l’a montré, n’arrange rien, au contraire. Pour des raisons politiques évidentes, le Président doit ménager l’humeur des citoyens blancs des Etats du Sud, ceux-ci par tradition votant démocrate. Mécontents, ils pourraient abandonner le Parti aux élections de 1964. Il est donc, bon gré, mal gré, obligé aux demi-mesures, qui, en pareil cas, sont les pires. On ne peut plus compter sur le temps pour arranger les choses. La révolte ne s’apaisera pas par des concessions. Elles ne feront que la stimuler. Il faudrait, ou bien créer un Etat noir indépendant où ceux que la suprématie blanche indispose pourraient s’établir, les autres la subissant de leur propre gré n’étant plus fondés à s’en plaindre, ou bien faire passer sans tarder l’égalité des races dans les faits. L’une comme l’autre solution sont impossibles à réaliser. Le drame est là, et l’opinion américaine en est si affectée que des questions majeures comme Cuba passent au second plan, malgré l’insistance de Dean Rusk à lui en rappeler les périls.
L’Armée et le Parti en U.R.S.S.
Du côté de l’Est, iI faut souvent attendre longtemps pour avoir la clé des énigmes que l’on se voit poser. Nous nous demandions qui était visé derrière Penkovsky ; c’était un militaire, le maréchal Vorontzov. Cela ne serait qu’un incident si les accusations contre l’un des grands responsables de l’armée ne portaient sur sa vie privée, sur son intempérance et les imprudences qu’elle peut provoquer. Par-là, le Parti jette sur les maréchaux un certain discrédit en représailles contre l’insubordination dont certains avaient fait preuve. L’armée et le Parti ont toujours été plus ou moins rivaux ; l’armée cherchait à tirer profit des dissensions chaque fois qu’une crise se développait au Kremlin. On se souvient comment Joukov faillit réussir à s’imposer. La situation aujourd’hui est moins sérieuse pour le pouvoir, mais est un symptôme parmi d’autres d’une fermentation très étendue et très profonde en U.R.S.S. dans des couches sociales diverses.
Des Révoltes au Sin-Kiang Chinois
Autre énigme : pourquoi les Chinois, depuis plus de six mois s’efforçaient-ils de conclure des accords de délimitation de frontières, d’abord avec le Pakistan (là, on comprenait qu’il s’agissait de faire pièce à l’Inde), ensuite avec la Birmanie et tout récemment avec l’Afghanistan. Ces frontières indécises sont si commodes lorsqu’on veut s’agrandir en appuyant ses prétentions d’arguments historiques ou juridiques. Pourquoi les Chinois se hâtaient-ils de leur conférer un caractère intangible ? Voici pourquoi : on pouvait par le même procédé remettre en cause les fameux traités signés au temps des tsars qui se sont fait céder d’immenses territoires par la Chine. La question a été agitée, on s’en souvient, en février par des articles discrets mais significatifs du « Journal du Peuple ».
Les Russes ont prévenu le coup à leur manière bien classique et bien stalinienne ; de petites révoltes de partisans dans les provinces limitrophes. Au Sin-Kiang, (que Krouchtchev au début de son règne avait reconnu aux Chinois) et plus précisément dans le district de Tuschantsu ( ?) où il y a, comme par hasard, d’importants gisements de pétrole, de nombreux ouvriers, des fonctionnaires et techniciens ont quitté leur poste et demandé asile en territoire russe. A Kouldja, des manifestants ont réclamé aux consul Russe des armes pour combattre les autorités chinoises. Celles-ci ont poursuivi les rebelles qui ont trouvé au-delà de la frontière, accueil, travail et logement. Des incidents analogues se sont produits en Mongolie intérieure où la colonisation chinoise rencontre une vive résistance. Les partisans trouvent appui dans la population qui souffre des conditions précaires du ravitaillement. Tous ceux que les Chinois abattent sont pourvus d’armes russes.
Ce n’est pas là évidemment un heureux prologue à la Conférence Russo-Chinoise prévue pour le 5 juillet où les divergences idéologiques devraient être aplanies.
L’Épilogue d’Addis-Abeba
La Conférence d’Addis-Abeba est généralement considérée comme un succès, non seulement par les Chefs d’Etat participants, ce qui va de soi, mais par les observateurs, ce qui est plus rare.
Succès non seulement pour l’empereur Hailé Sélassié dont les épreuves variées ont affermi la sagesse, mais pour les jeunes présidents des Etats tout neufs dont la maturité politique et la modération ont fait contraste avec les violences des rencontres de politiciens irresponsables comme celle de Mochi. Les chefs africains ont acquis au pouvoir le sens du possible et mis l’idéal et le rêve à sa place, comme l’unité africaine, c’est-à-dire au siècle futur. Cependant, beaucoup d’observateurs se demandaient ce que représentent ces ministres et quelle consistance ont ces Etats taillés au hasard de la colonisation. 90% de leurs sujets ne savent même pas le nom de l’Etat auquel ils appartiennent et ne connaissent de patrie que leur tribu. On l’a vu au Congo belge. Le maître de l’Etat est un chef pour la tribu à laquelle il appartient, un tyran et un ennemi pour les autres. Ce qui explique qu’une démocratie, en supposant que les conditions intellectuelles et morales en soient réunies, ne pourrait fonctionner sans que disparaisse le tribalisme et qu’un sentiment national ne s’éveille.
Les Panafricanistes voudraient sauter cette étape et instaurer un Etat unique, dont le signe de ralliement serait la négritude et même la seule appartenance au continent africain. Malheureusement, les prophètes de cet empire sont ceux qui s’en voudraient les rois. Ce qui explique que les autres tiennent solidement à leurs Etats factices et aux intérêts particuliers des régions qu’ils contrôlent.
CRITON