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Le Courrier d’Aix – 1963-05-11 – La Vie Internationale.
Les Élections Italiennes
Les résultats des élections italiennes sont amers pour la démocratie chrétienne. L’ouverture à gauche de M. Fanfani ne lui a pas fait gagner des voix de ce côté, tandis qu’à sa droite le Parti libéral doublait sa représentation parlementaire. Mais ce qui l’inquiète surtout, c’est l’avantage du Parti communiste dont les suffrages montent de 22 ou 25 pour cent. Moscou avait soigneusement préparé les choses et le succès a répondu. Ce succès communiste surprend ceux pour qui le « miracle italien », la disparition du chômage, la hausse des salaires, le progrès étincelant de l’économie, étaient des gages certains d’un recul de l’esprit révolutionnaire. Or, par un paradoxe dont l’histoire est coutumière, c’est ce miracle même qui a favorisé le communisme.
En effet, attirés par la facilité de l’emploi, des masses rurales venaient chaque jour prendre du travail dans les grands centres industriels ; déracinés, soustraits à l’influence de leur milieu, ils ont trouvé dans les villes des conditions de logement pénibles, l’hostilité des habitants anciens que cette concurrence indisposait. Ils sont devenus une proie facile pour les agitateurs qui les guettaient. A Milan, à Turin, à Gênes, les montagnards de Vénétie, les Siciliens et les Calabrais ont voté communiste. D’autres raisons aussi ont favorisé l’extrémisme. La visite d’Adjoubei au Vatican, les propos approbateurs de Krouchtchev pour l’action pacifique du Souverain Pontife, la tactique conciliante de Togliatti à l’égard de la petite bourgeoisie ont affaibli la crainte chez beaucoup de femmes d’enfreindre les consignes qui leur défendaient de voter comme leur mari ou leur frère.
Enfin, la politique confuse des Partis, la division de la Démocratie-chrétienne en deux tendances constamment aux prises, enfin et surtout la succession de scandales politiques dont la presse italienne, pour attirer des lecteurs friands d’histoires malsaines, publiait abondamment le déroulement qui mettaient en cause les plus hauts et même le plus haut personnage de l’Etat. Comme dans tous les pays latins, la démocratie fonctionne mal en Italie. Peu à peu le public n’y voit que des ambitions qui se heurtent et la corruption dans les sphères dirigeantes. Le néofascisme même a gagné des voix malgré les souvenirs pénibles de la défunte dictature. La crise gouvernementale qui s’ouvre sera difficile et longue à résoudre. Heureusement, l’agitation politique en Italie est plus verbale que menaçante. Mais si un homme d’autorité se montrait capable de saisir le pouvoir, là comme ailleurs, le fragile édifice des Partis ne résisterait pas.
Fidel Castro à Moscou
Donc Moscou pavoise pour sa victoire de Rome. On pavoise encore mieux pour recevoir Fidel Castro, le héros de la révolution communiste en Amérique latine. En fait, celui-ci, depuis l’affaire des missiles, hésitait à s’engager plus avant dans la soumission aux Soviets. Il se montrait plus attentif aux procédés apaisants de Washington. Krouchtchev, averti, le somma de venir et il est venu, plutôt gêné que satisfait des acclamations préparées en son honneur. Il sent le piège et ne peut s’en défaire ; l’économie chancelante de Cuba ne peut se maintenir que par les subsides de Moscou. Il va évidemment exiger qu’ils s’accroissent et Krouchtchev est obligé de le satisfaire, ce qui est lourd.
Divergences Roumano-Soviétiques
De curieuses nouvelles viennent de Roumanie, auxquelles jusqu’ici aucune presse n’a prêté attention. La Roumanie en effet, passe pour un satellite fidèle et son maître, Georgiou Dej, pour un bon serviteur du Kremlin. Or toute une série de faits montre que Bucarest ne suit plus les directives. La Roumanie a renoué les relations diplomatiques de l’Albanie, seule des démocraties populaires. Elle vient de conclure avec Pékin un accord commercial. Elle a manipulé le taux de change du lei. Des parités discriminatoires désavantagent les achats tchèques et allemands de l’Est, favorisant au contraire les échanges avec d’autres dont la Pologne, l’Albanie et la Chine. Et surtout, à la dernière Conférence du Comecon (cette sorte de marché commun que les Russes veulent imposer à leurs satellites et qui tend, selon leur vocabulaire, à favoriser la division du travail socialiste), à cette réunion donc, la Roumanie a refusé de renoncer à certaines productions industrielles au profit de ses partenaires et prétendu développer ses relations économiques avec les pays capitalistes plutôt que de réserver ses ressources aux échanges avec les pays communistes.
Bucarest reçoit en ce moment beaucoup de missions industrielles d’Occident. Les Anglais sont particulièrement actifs. Ces divergences plutôt surprenantes avec Moscou s’expliquent par l’exploitation intense que les Russes ont fait des richesses roumaines. Ce pays en renferme assez pour devenir prospère et si l’on s’en tient aux chiffres de sa production, ses progrès récents permettraient un relèvement sensible du niveau de vie si elles étaient utilisées au seul profit de la population. Malheureusement, il n’en est rien, à cause des livraisons à bas prix imposées par le bloc dit socialiste. Les salaires demeurent misérables. Un ouvrier non qualifié avec 450 leu par mois peut à peine se nourrir. Le mécontentement est manifeste et Georgiou Dej, pour ne pas perdre le contrôle, ne craint pas de passer outre aux injonctions de Moscou. Autrefois, cette insubordination aurait paru invraisemblable. La position affaiblie de Krouchtchev qu’il cherche par tous les moyens à relever, ne lui permet plus de dicter ses consignes, et les tendances nationalistes dans l’Empire russe se redressent.
Les Progrès du Nationalisme
Le phénomène n’est pas isolé. Il est au contraire universel, autre paradoxe de ce temps. Jamais les esprits raisonnables n’ont mieux senti la nécessité d’associer de grands ensembles économiques et politiques, seule garantie d’un progrès accéléré. Or ce n’est pas un fait, mais dix qui nous montrent au contraire l’impossibilité d’accorder deux Etats grands ou minuscules dans une collaboration coordonnée. Voici, quelques jours à peine après la proclamation de la nouvelle République Arabe unie, que le Gouvernement syrien du Baath démissionne ses membres nassériens et chasse les officiers partisans de l’union avec Le Caire. Le Maghreb uni ne l’a jamais été moins. Entre Ben Bella, Bourguiba et Hassan II, sans compter le roi Idriss de Lybie, l’hostilité est à peine déguisée ; les deux Etats de la petite île d’Haïti sont au bord de la guerre. Soekarno s’oppose à la formation de la Malagasie, etc.
La Prochaine Confrontation Tarifaire avec les U.S.A.
Les Grands donnent d’ailleurs l’exemple et notre Marché Commun va connaître une phase difficile. Les partisans de la Grande Europe sont bien décidés à faire craquer le cadre de la petite. M. Erhard et M. Heath viennent de se rencontrer pour manifester leur volonté d’inclure l’Angleterre dans le système d’échanges intereuropéens et de négocier avec les Etats-Unis un abaissement multilatéral des tarifs douaniers. C’est sur cette négociation que les divergences entre la France et ses partenaires vont s’affronter. Encore ceux-ci ne sont-ils pas tous d’accord avec Erhard et Heath sur les concessions à accorder aux Américains, chacun voulant sauvegarder ses intérêts qui ne sont nulle part semblables à ceux du voisin. De même, le plan américain en matière de défense atomique, qu’il soit multilatéral ou multinational paraît condamné à n’être qu’un projet sans échéance.
A vrai dire, il n’y a pas actuellement au monde deux nations capables, par des renoncements mutuels à une coopération sans réserve, sinon par la contrainte et encore, même tenues par la force, elles trouvent moyen de se dérober.
CRITON