Criton – 1963-05-18 – Les Émeutes de Birmingham

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Le Courrier d’Aix – 1963-05-18 – La Vie Internationale.

 

Les Émeutes de Birmingham

Les troubles raciaux entre Noirs et Blancs à Birmingham dans l’Etat d’Alabama émeuvent la conscience des Américains et desservent gravement leur cause dans les Etats Africains. A la différence des rixes provoquées il y a six ans par la ségrégation scolaire à Little Rock (Arkansas) et les violences consécutives à Oxford (Mississippi), les émeutes de Birmingham ont commencé par une démonstration collective des Noirs contre l’inégalité et les injustices dont ils sont l’objet. Ce qui explique que le maintien de l’ordre revenant selon la loi fédérale à la police de l’Etat d’Arkansas, le Gouvernement de Washington n’a pu intervenir directement comme il l’avait fait pour protéger l’an dernier l’étudiant noir Meredith. Cette carence apparente a beaucoup contribué à irriter les esprits ; la police de Birmingham a procédé à des arrestations massives employant pour réduire les manifestants, les lances d’incendie et les chiens. Le sang a coulé. Une fois de plus, le problème noir se pose aux Etats-Unis, comme une tare sociale que les autorités sont impuissantes à effacer.

 

Les Deux Aspects du Problème Racial

Rappelons comment se pose le problème. Il revêt deux aspects bien différents, opposés même. D’une part, comme hier à Birmingham les Noirs conduits par le Révérend King, demandent l’égalité des droits, c’est-à-dire ceux que la Constitution des Etats-Unis, la morale et l’idéologie américaine accordent à tout citoyen quelle que soit sa race. Jusqu’ici, l’élite noire et « l’association pour l’avancement des peuples de couleur » luttaient par des moyens légaux et pacifiques pour l’obtenir.

La situation semble avoir changé ; le drame de Birmingham diffère en nature des précédents incidents. Un universitaire noir, le Dr Clark l’expose en ces termes :

« La crise actuelle est le reflet d’un profond sentiment de frustration, de désespoir, de la conscience de plus en plus évidente que la condition des Noirs aux Etats-Unis est irrémédiable, qu’ils ne pourront jamais obtenir justice, égalité et démocratie dans le système américain. L’amertume et la désillusion viennent de ce que les Noirs se rendent compte que les Blancs ne leur accordent que cette solution hypocrite du « tokenism pour prix de la paix sociale et raciale » (entendons par ce terme l’accession d’une petite élite à des postes de responsabilité dans l’administration et l’enseignement). « Les gains obtenus par la masse depuis trente ou quarante ans sont plus illusoires que réels ; demeurent : la ségrégation dans les écoles, aussi bien au Nord qu’au Sud, la discrimination dans l’emploi dans l’ensemble de l’économie américaine, le fait que l’écart entre le revenu d’une famille noire et d’une blanche est plus large aujourd’hui qu’au plus profond de la dépression des années trente. » Et le professeur de conclure : « que le Noir est systématiquement dépouillé de sa dignité en tant qu’être humain, aussi bien dans le Sud qu’ailleurs, ce qui peut nous conduire à un désastre que j’ai horreur d’envisager. »

Voilà la thèse exacte de ceux qui veulent être, comme on dit ici, des citoyens américains à part entière.

 

Les Nationalistes et les Musulmans Noirs

Mais il y a les autres, les nationalistes et les Musulmans noirs, dont le chef et prophète est Elizah Muhammad. Celui-ci n’a que raillerie et mépris pour les émeutiers de Birmingham, le révérend King et l’étudiant Meredith entrant à l’université blanche protégé par les troupes fédérales :

« L’homme blanc est « devil », dit-il, foncièrement mauvais. Il est le maître et le plus fort, mais le Noir est l’élu de Dieu ; on ne nous accordera jamais l’égalité et nous n’en voulons pas. Nous ne désirons obtenir que les moyens d’avoir une place à nous, dans un territoire qui soit nôtre, à la rigueur en Amérique si on ne nous permet pas de retourner parmi notre peuple d’où nous venons. Nous savons, par une expérience de quatre siècles, que nous ne pouvons pas vivre en paix ensemble. Vous ne nous accepterez jamais comme des égaux et nous méprisons vos promesses. »

Nous mettons pour nos lecteurs ces deux citations en regard. La dernière est particulièrement significative, car elle coïncide étrangement avec la théorie de « l’apartheid » appliquée en Afrique du Sud et si décriée, tant par les Africains que par les humanistes blancs. La thèse de Muhammad est exactement en effet, celle du développement séparé dans un Etat noir, avec l’aide des Blancs seulement pour les moyens d’y parvenir, en particulier l’éducation, ce qui n’exclut pas une haine raciale irréductible et même la menace future « d’une suprématie des Noirs lorsque ceux-ci seront tous devenus musulmans ». (sic).

Voilà donc le problème en pleine lumière. Répétons-le avec nos auteurs, la question raciale vient de prendre aux Etats-Unis un tour nouveau plus décisif et plus dramatique, dont les conséquences pour l’avenir des Etats-Unis et celui des relations internationales n’a pas besoin d’être soulignée.

 

Les Etats-Unis et le Moyen-Orient

Un commentateur de la radio britannique avait ce mot : Les Etats-Unis et l’U.R.S.S. sont tellement occupés de leurs problèmes intérieurs et des conflits avec leurs alliés, qu’ils en oublient de se dresser l’un contre l’autre. En effet, le Président Kennedy vient de proclamer avec une certaine solennité que les Etats-Unis se réservaient d’intervenir, seuls au besoin, si la paix et l’équilibre des forces au Moyen-Orient, venaient à être perturbés. Que n’aurait-on pas entendu à Moscou, en d’autre temps, si pareille décision américaine avait été officiellement exprimée ! Or le Kremlin n’a dit mot. Les Chinois en sont la cause et aussi le procès Penkovsky-Wynne.

 

Le Procès Penkovsky-Wynne

Ce procès s’est déroulé en partie en public et en présence d’étrangers, ce qui est sans précédent, tout comme la mise en accusation et la condamnation à mort de ce colonel soviétique convaincu d’avoir espionné pour le compte des agents secrets britanniques et américains. En apparence, il s’agissait de faire un exemple et de prévenir les Soviétiques de tenir des propos indiscrets aux touristes de passage. Mais c’était avouer aussi qu’un officier russe chargé de hautes fonctions au fait de secrets militaires, pouvait être un espion. Le fait est trop singulier pour n’être pas suspect. Et certains entrefilets des « Izvestia » nous apprennent qu’il est invraisemblable qu’un personnage de ce rang ait pu pendant deux ans se livrer à de pareils agissements sans la protection ou l’incurie de fonctionnaires plus haut placés encore. Il y a des limogeages sous roche, et sans doute quelques adversaires politiques que l’on veut tenir en respect sous la menace de révélations désagréables. Pas de fumée sans feu, à Moscou tout particulièrement.

 

Signes de Coexistence Pacifique

Entre temps, ce lent et sinueux rapprochement russo-américain, que nous suivons avec patience prend une tournure plus précise. Le terrain propice est aujourd’hui la Hongrie ; les axes passent par le Vatican et le régime Kadar qui, cette année, multiplie les gestes de détente : le 21 mars une amnistie qui a effectivement libéré 4.000 prisonniers politiques enfermés depuis l’insurrection de 1956, l’Eglise catholique recouvrant en partie le contrôle de sa propre activité permettant l’exercice plus normal du culte, une politique plus conciliante à l’égard des intellectuels, un relâchement des contrôles sur la paysannerie, l’octroi de quelques passeports pour des Hongrois se rendant à l’étranger, enfin et surtout la prochaine libération du cardinal Mindszensky réfugié depuis 7 ans à l’ambassade américaine.

Le Gouvernement des Etats-Unis, dans un mémorandum au Congrès, s’appuie sur ces faits pour demander l’autorisation de reprendre des relations diplomatiques complètes avec le Gouvernement Kadar. Il ne le ferait pas sans l’assentiment de Moscou. On parle aussi, malgré le maintien rigoureux du mur de Berlin, de contacts plus ou moins officiels entre représentants des deux Allemagnes. Le maire Willy Brandt a été, ces temps-ci particulièrement discret sur ses griefs à l’égard du régime Ulbricht et celui-ci en fait autant. La crise de Berlin s’estompe, et les bourses allemandes sont effervescentes, certes pour saluer le succès d’Erhard dans l’apaisement du conflit de la métallurgie, mais aussi peut-être parce que le rideau de fer se fait moins impénétrable. On a besoin, de l’autre côté, de quelques fournitures des barons de la Ruhr.

 

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