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Le Courrier d’Aix – 1963-05-25 – La Vie Internationale.
Les Conférences se multiplient comme il est d’usage, en cette saison : deux en ce moment retiennent l’attention : celle panafricaine d’Addis-Abeba et celle à Genève du G.A.T.T. sur les tarifs douaniers internationaux. L’une et l’autre se proposent de vastes objectifs d’autant plus difficiles à atteindre qu’à peine réunies, les polémiques ont montré l’ampleur des obstacles.
La Conférence d’Addis-Abeba
L’unité de l’Afrique, un beau thème de discours où les Africains excellent. Mais il y a deux Afriques, au moins, l’une arabe, l’autre noire et dès l’abord, le panarabisme paraît mal s’accorder avec l’esprit des pays au Sud du Sahara ; beaucoup y voient un moyen d’expansion de la domination musulmane. Chrétiens et animistes la redoutent.
Le problème religieux n’est pas la seule difficulté. Politiquement, au sein de l’Afrique noire, deux pôles d’unification s’opposent : l’ambition d’Nkrumah est de devenir le Nasser de l’Afrique noire et, comme lui, voudrait un parlement unique composé de deux chambres avec un exécutif commun, une capitale et une armée sous commandement unifié. L’empereur Hailé Sélassié d’Éthiopie, hôte de la Conférence, propose une fédération d’Etats égaux dont les représentants s’accorderaient sur une politique commune en matière de relations extérieures, d’économie et de défense et une attitude collective dans les débats de l’O.N.U.
Un autre sujet de dissension, l’association des Etats francophones au Marché Commun et leur appartenance à la zone Franc, en face des anglophones intégrés au Commonwealth britannique et au bloc Sterling. Déjà, avant les séances plénières où doivent se réunir les chefs d’Etat, des controverses ont surgi : le Roi Hassan II s’abstiendra pour ne pas siéger aux côtés du Président de la Mauritanie que le Maroc revendique et l’on s’est disputé sur l’admission du Togo. Depuis l’assassinat de Sylvanus Olympio, plusieurs gouvernements africains, dont le Nigéria, refusent de reconnaître le président Grunitzky. Tout comme les Arabes ne retrouvent leur solidarité que dans l’hostilité à Israël, les Africains ne font l’unanimité que contre le colonialisme et la ségrégation raciale de l’Union Sud-Africaine. Encore certains, comme Nkrumah, accusent-ils les Etats d’expression française de favoriser un néo-colonialisme, substituant la sujétion économique à la domination politique.
Pour être complet, il faudrait ajouter les rivalités territoriales, celle qui oppose la Somalie au Kenya et à l’Ethiopie ; celle aussi qui se dessine au sujet du Sahara entre les riverains du Sud et l’Algérie. Il faudra beaucoup de conférences pour aplanir ces difficultés, à moins qu’elles ne les aggravent.
La Conférence du G.A.T.T. à Genève
Autre grande confrontation à Genève entre les Etats-Unis et les pays du Marché Commun, autour du plan américain de réduction linéaire des tarifs douaniers de 50% comme le président Kennedy a été autorisé par le Congrès à le faire, selon le « Trade Expansion Act ». Comme il y a 50 nations représentées à cette Conférence, les divergences s’enchevêtrent selon les intérêts de chacun. Si l’Angleterre est favorable au projet américain, les pays du Commonwealth sont divisés, et la plupart des pays sous-développés soucieux de protéger leurs industries naissantes s’inquiètent d’un éventuel abaissement des barrières douanières et ne veulent les voir réduites que pour les produits qu’ils exportent. On prévoit donc une conférence marathon dont Genève est en quelque sorte le symbole. Les plus grosses difficultés viennent une fois de plus de l’agriculture.
Les Etats-Unis dont 40% des exportations vers le Marché Commun sont d’ordre agricole, veulent que cette proportion leur soit garantie, ce qui est incompatible avec les projets français en la matière. Les Six pour une fois sont d’accord pour s’opposer à une réduction uniforme des tarifs qui serait trop avantageuse pour les U.S.A. parce qu’ils sont en moyenne plus élevés que les leurs, et qu’une réduction de 50% laisserait aux Américains une marge de protection appréciable, ce que les Etats-Unis contestent avec quelque mauvaise foi, nous semble-t-il.
Le protectionnisme n’est mort nulle part et ceux même qui se disent libre-échangistes, seraient fort embarrassés qu’on les prenne au mot. Il ne convient cependant pas d’être pessimiste. La nécessité apparaît à tous d’assouplir les règles du commerce international et d’en réduire les barrières. Les Soviets eux-mêmes s’en rendent compte. Sans doute, on marchandera beaucoup et longtemps, mais en fin de compte, bon nombre d’entraves seront supprimées ou réduites.
Le Conflit Haïti-Saint-Domingue
Nous n’avions pas parlé jusqu’ici du conflit qui oppose les deux Républiques d’une île des Caraïbes, Haïti et la Dominicaine. On sait qu’après l’assassinat du dictateur Trujillo, la République de Saint-Domingue a trouvé le chemin de la démocratie en la personne du nouveau président Juan Bosch. Nous disons le chemin car souvent dans cette partie du monde on commence en démocratie et l’on finit en dictature. Voyez Cuba. C’est aussi ce qui arriva à l’actuel président de la République d’Haïti, Duvalier, ex-médecin de campagne, qui après avoir renversé le dictateur des privilégiés, Magloire, devint un tyran pour tous.
Les Etats-Unis dont l’affaire cubaine a troublé le sommeil, voudraient bien en finir avec le dictateur, mais ils hésitent, comme à Cuba à employer la manière forte. Il n’y en a malheureusement pas d’autre, et Duvalier menacé d’invasion par son voisin et traqué par ses adversaires de l’intérieur, tient tête et laisse entendre que Fidel Castro n’est qu’à quelques lieues et qu’il pourrait bien demander aide et protection aux puissances communistes. C’est précisément ce que craignent les Américains, une seconde tête de pont de l’U.R.S.S. dans les Caraïbes. Comme à Cuba, les Etats-Unis ont essayé contre Duvalier de se servir de l’organisation des Etats Américains dont l’impuissance a cependant fait ses preuves. L’inconvénient de ces tentatives diplomatiques et des parades navales au large de Port-au-Prince, c’est de sensibiliser à l’extrême l’amour-propre national des citoyens du pays qui se sent visé, si bien qu’un dictateur haï et cruel devient le symbole de la résistance à l’étranger.
L’Impôt sur les Sociétés en France
Si la politique extérieure française est peu appréciée par ses voisins et alliés atlantiques, la politique fiscale qui ressort des différentes mesures adoptées ces jours-ci, ne l’est pas davantage. Aux Etats-Unis, les projets du président Kennedy visent à diminuer les impôts pour stimuler l’économie, et en priorité les impôts qui frappent les Sociétés, non pas pour leur valoir de plus grands bénéfices, mais pour leur permettre d’investir davantage, de créer de l’emploi et surtout pour favoriser une ambiance d’optimisme. Cette politique est généralement approuvée par les économistes et les grands publicistes comme Lippmann. Or, en France, comme dans les autres pays de l’Europe des Six, le taux d’investissement baisse parce que les marges bénéficiaires s’amenuisent, la concurrence s’accroît, et les charges salariales augmentent. Or c’est le moment que l’on choisit ici pour soustraire aux Sociétés quelques soixante milliards d’anciens francs prélevés sur leurs réserves. Les industriels qui avaient des projets d’investissement y renonceront d’autant plus que les restrictions de crédit s’ajoutent à cet impôt pour les décourager. On voudrait freiner l’expansion qu’on ne trouverait pas mieux.
Il y a des impôts qui coûtent cher à l’Etat parce qu’ils font perdre sur d’autres chapitres plus qu’ils ne rapportent sur celui où ils s’exercent. Les statistiques futures nous fixeront là-dessus.
CRITON