Criton – 1960-06-03 – Au Jour le Jour

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Le Courier d’Aix – 1960-06-03 – La Vie Internationale.

 

Au Jour le Jour

 

Une caricature d’un journal américain montre John Kennedy conduisant un char à deux chevaux, dont l’un est correctement attelé et l’autre en sens inverse ; le premier symbolise la politique intérieure, l’autre extérieure. En effet, sur le plan domestique, les choses vont mieux, les industriels montrent un prudent optimisme. la récession est bloquée, le nombre des chômeurs diminue lentement. Par contre, les échecs se succèdent en politique internationale. Cuba, Laos et maintenant les fameux incidents racistes de l’Alabama dont les incidences sont surtout sensibles sur l’opinion mondiale.

 

Les Incidents Racistes en Alabama

A vrai dire, ces échauffourées de Montgomery, à la différence de celles de Little-Rock, ne sont pas spontanées, mais le résultat d’une provocation, celle des « Pèlerins de la Liberté » et d’un groupe minuscule mais actif de racistes américains arborant la croix gammée, résurrection sous une autre forme du Ku-Klux-Klan. Comme quoi, au nom de la liberté d’expression, on peut exposer une nation à de fâcheuses secousses. Le problème noir aux Etats-Unis, toujours latent, était en demi-sommeil. Il eut été prudent d’éviter tout ce qui pouvait le réveiller. Si légitime que puisse paraître moralement la croisade des Noirs et Blancs associés contre la discrimination, un Gouvernement a le droit et même le devoir de poser des limites à l’activité de groupes subversifs, tout au moins dans l’ordre de l’action directe dans la rue. Mieux vaut s’exposer à des critiques que de laisser éclater des drames, comme celui-là, qui portent une sérieuse atteinte au prestige américain.

Mais plus que les incidents de Montgomery, ce sont les brimades et vexations dont sont l’objet à Washington même les diplomates de couleur accrédités auprès de la Maison Blanche, qui desservent la cause des U.S.A. C’est dans la Capitale que la non-discrimination raciale devrait être appliquée rigoureusement. Dans les deux cas, le pouvoir, qui en avait les moyens, a failli à sa tâche. La propagande adverse a beau jeu de s’en servir.

 

La Conférence d’Evian

Pendant que se préparent les « sommets » de Paris et de Vienne, les Conférences végètent ou meurent, comme celle de Genève relative à l’arrêt des expériences nucléaires ; celle du Laos ne vaut guère mieux ; celle de Coquilhatville, entre leaders congolais ne semble pas avoir apporté grande clarté sur l’organisation future du Congo ex-Belge. A Evian, les préliminaires des entretiens sérieux ne sont pas plus encourageants.

Comme le notait un commentateur italien, le problème demeure au même point qu’il y a trois ans et même davantage avec cette différence que les solutions possibles, qui sont permanentes sont de moins en moins réalisables.

Il y en a trois. L’élimination de la rébellion, sa pacification militaire. Il eut fallu pour cela recourir à des moyens extrêmes au besoin, auxquels la France n’a pu se résoudre, ce qui se comprend d’une nation civilisée. Reste alors la partition à laquelle on n’a pas renoncé et qui vient d’être à nouveau évoquée comme un pis-aller, solution beaucoup plus périlleuse aujourd’hui qu’elle n’eut été en 1957 quand elle fut suggérée. Ou enfin l’abandon par étapes, c’est-à-dire l’alignement de l’Algérie sur le statut marocain ou tunisien, ce qui était possible alors  dans des conditions relativement pacifiques, mais ne semble plus l’être aujourd’hui. Quant au mirage de l’association qui est au centre des discussions, en apparence du moins, qui peut avoir aujourd’hui d’illusions ? C’est en gros, le raisonnement type des observateurs étrangers qui, pour des raisons diverses mais concordantes, sont tous pessimistes. La suite des pourparlers leur donnera-t-elle tort ? Souhaitons-le.

 

Le Procès des Espions en Albanie

L’Albanie n’a pas fini de nous intriguer. Voici qu’à Tirana un procès à grand spectacle vient de se terminer ; les principaux inculpés sont condamnés à mort, dont l’amiral Teme Sejku, âgé de 39 ans, qui commandait la flotte albanaise, c’est-à-dire la flotte russe de la base des sous-marins de Sassano, et qui avait, bien entendu, fait toute sa rapide carrière en U.R.S.S. ! Lorsque les débats se sont ouvert, il est devenu l’espion à la solde des Yougoslaves et des Grecs et agissait en complicité avec l’Amiral de la flotte des U.S.A. en Méditerranée. Naturellement, les inculpés ont fait leur autocritique et avoué tout ce qu’on voulait bien leur reprocher, y compris d’avoir préparé le renversement du régime communiste en Albanie, qui devait être suivi d’une invasion conjointe de la Grèce et de la Yougoslavie, appuyée par les canons de la flotte américaine. On voit d’ici le coup de théâtre de cette expédition militaire et les Etats-Unis si prudents en Extrême-Orient, se lançant en Europe aux portes de l’Empire soviétique dans une pareille équipée ! Autre fait curieux ; de ce procès auquel la presse occidentale n’a pas été conviée, comme de juste, ni la presse soviétique ni celle des satellites, n’ont parlé. C’était pourtant l’occasion ou jamais d’une campagne à grand orchestre contre l’impérialisme des U.S.A., le renégat Tito, le traitre Caramanlis vendu à l’Occident et quotidiennement attaqué pour d’autres motifs que ses prétendues visées sur l’Albanie. Or le silence est de rigueur. Étrange.

 

La Vie Quotidienne à Moscou

Les choses vont plutôt mal en Soviétie, et si des faits semblables à ceux qu’on expose là-bas se passaient chez nous, on craindrait une catastrophe. Nous avons relaté les mesures judiciaires prises contre les délits économiques, en particulier contre ceux qui faussent les statistiques, ces statistiques soviétiques qu’un spécialiste français considérait, il n’y a pas longtemps, comme rigoureusement valable. Ne parlons pas davantage des multiples mutations dans les hautes sphères, depuis le Ministre de l’Agriculture jusqu’à la plupart des dirigeants des provinces islamiques d’Asie. C’est à Moscou même, capitale et vitrine d’exposition de l’empire où tous les provinciaux viennent faire achat de ce qu’ils ne trouvent pas chez eux, que la crise agricole se manifeste avec une ampleur inconnue depuis quinze ans. Quelques détails ne manquent pas d’intérêt. Ils nous viennent d’Arrigo Levi, correspondant à Moscou, en date du 23 Mai.

Faire ses provisions à Moscou est un choc, dit-il, aussi bien pour les communistes que pour les non-communistes les plus prévenus contre le régime. Ceux-là même n’imaginaient pas ce que peut être la réalité. On savait que les vêtements étaient hors de prix et de mauvaise qualité, qu’une paire de chaussures de femme coûte 30.000 francs, qu’un stylo ou une chemise de nylon est chose introuvable, mais on ne s’attendait pas à voir une queue interminable se former devant un magasin où se vendent de mauvaises chaussettes de coton marron ; une autre, en cette saison pour acheter des concombres à 1.600 francs le kilo ou des salades à peine fraiches à 1.200. La bataille pour le lait commence à huit heures et demie. De longues queues se forment devant le magasin encore clos. Il s’ouvre et se referme au bout d’une demi-heure, sans que tous les clients soient servis. Deux ou trois jours se passent sans qu’on puisse acquérir du fromage ou du beurre ou de la viande. Au marché noir, celle-ci se vend de temps en temps 2.000 francs le kilo avec les os. Dans les magasins d’Etat, elle coûte moitié prix, mais n’apparaît que lorsqu’elle commence à être gâtée. La distribution des denrées est quelque chose de mystérieux. Des magasins s’ouvrent paraissant bien approvisionnés, puis ferment sans qu’on sache pourquoi pendant des jours et parfois des semaines.

La place nous manque pour rapporter mille détails qui donnent une idée de l’invraisemblable anarchie du système. Nous les tenons à disposition de ceux qui feignent de croire au paradis soviétique, quinze ans après la guerre, quarante-quatre ans de régime collectiviste pour aboutir à cela !

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1960-05-28 – Post Mortem

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Le Courrier d’Aix – 1960-05-28 – La Vie Internationale.

 

Post Mortem

 

A mesure que s’apaise l’émotion provoquée par l’effondrement de la Conférence au Sommet, on s’accorde à reconnaître que ce sont les antagonismes de la politique intérieure russe qui ont déterminé l’attitude de Krouchtchev. Cela était clair pour nous avant la rencontre tumultueuse de Paris.

 

Les Remous de la Politique Soviétique

Les indices se sont accumulés depuis. D’abord la disparition probable de la scène de Mikoyan, le commis-voyageur de l’U.R.S.S. et, croyait-on, le second de Krouchtchev ; le silence inhabituel de ce dernier à son retour à Moscou où l’a « accueilli » Suslov qui passe pour un stalinien irréductible. Enfin, après les éclats et les provocations adressées à l’Occident dans la conférence de presse du Palais de Chaillot, le ton mesuré du discours de Krouchtchev à Berlin-Est où Ulbricht et ses collègues ont été déçus d’entendre que le statu-quo à Berlin demeurerait jusqu’à la prochaine rencontre au Sommet, si elle avait lieu, dans six ou huit mois.

L’armée et les tenants de la guerre froide satisfaits, on en revient en somme à la politique prévue si la Conférence au Sommet avait eu lieu et qu’elle avait abouti au seul résultat qu’on en pouvait attendre, c’est-à-dire qu’il ne se passerait rien avant qu’on se soit retrouvé au même point dans une autre conférence. Finalement, après les émotions excessives, l’opinion occidentale s’accorde un soulagement et revient à un optimisme qui n’est peut-être pas plus justifié.

 

Nuages sur l’Orient

En effet, s’il était clair pour les Soviets qu’à Berlin ils se heurtaient à un mur qu’on ne pouvait ébranler sans gros risques, les chances de manœuvre sont beaucoup plus propices à l’Est.

En Turquie, la crise politique est ouverte et cela n’ira pas sans secouer l’Alliance du C.E.N.T.O, c’est-à-dire l’équilibre interne des pays d’Orient voisins de l’U.R.S.S. et surtout au Japon, l’opposition au traité d’assistance mutuelle signé par Kishi, et ratifié depuis par le Parlement de Tokyo, se traduit par des manifestations de rue et des échauffourées qui mettent le cabinet en péril et, comme en Turquie, va sans doute rendre de nouvelles élections inévitables.

Enfin, la situation en Corée du Sud, bien que moins explosive depuis la disparition de Syngman Rhee est loin d’être stabilisée. Là encore, des élections vont agiter les passions. Il serait bien étonnant que ni la Chine rouge, ni l’U.R.S.S. n’attisent le feu. Ce serait alors le signe, ou bien que les choses vont trop mal à Pékin et à Moscou, ou bien que les deux régimes communistes ne sont pas dans les meilleurs termes ; l’une hypothèse d’ailleurs n’exclut pas l’autre. Car les Chinois ne veulent pas faire les frais d’un conflit avec les Etats-Unis au profit des Russes et ceux-ci ne veulent pas perdre ce qui leur reste d’influence en Asie du Sud-Est au profit des Chinois. Ils l’ont montré en Inde et en Indonésie.

Quoi qu’il en soit, c’est du côté de l’Orient que se manifestera la nouvelle phase de la guerre froide, tandis qu’en Europe les positions demeureront. Au surplus, les Allemands de l’Est ont trop d’embarras avec la collectivisation agraire pour s’engager dans une lutte pour Berlin que l’U.R.S.S. n’appuierait pas à fond.

 

Eisenhower et MacMillan

Une polémique assez curieuse et cependant bien humaine, vient de s’élever entre la presse anglaise et l’américaine. Les gens d’outre-Atlantique ont été cruellement vexés de l’affront fait à Eisenhower, d’autant que les maladresses de la politique américaine, dans l’affaire de l’U2 ont été complaisamment commentées en Angleterre. Les Américains en veulent à MacMillan d’avoir cru à la détente, d’avoir sans relâche travaillé pour cette rencontre au Sommet et d’avoir, ce qui est pire, tout tenté pour engager Eisenhower à faire contrition pour apaiser Krouchtchev et sauver la Conférence. Sans de Gaulle, disent les Américains, Eisenhower aurait peut-être cédé.

Evidemment quand un échec se produit, c’est à qui accusera l’autre. En réalité, personne en Occident n’est responsable. Un observateur perspicace qui était à Paris l’autre semaine, Montanelle, suggérait que la colère de Krouchtchev était bien plutôt dirigée contre ses adversaires de Moscou qui l’avaient mis dans cette situation, que contre les Américains qu’il invective par routine de propagande. C’est fort possible.

 

Condamnation de la Diplomatie Publique

Autre conséquence de l’échec de la Conférence au Sommet : les partisans de la diplomatie secrète y trouvent argument pour condamner définitivement ces rencontres spectaculaires où les Chefs d’Etat engagent le prestige des peuples qu’ils représentent et dont les blessures d’amour-propre risquent de mettre le feu aux poudres ; alors que si des ministres ou ambassadeurs se querellent ou se séparent sans résultat, on peut sans inquiétude reprendre le dialogue en des circonstances meilleures ; dangereuses, inutiles, ces tournées et ces rencontres à grand spectacle, si elles ont pour objet une négociation toujours difficile ;  elles ne devraient avoir lieu que lorsque les Diplomates ont préparé le terrain et se sont mis d’accord. Alors les Chefs d’Etat n’ont plus qu’à se congratuler dans l’allégresse générale comme il était de règle dans le passé.

Il faut retenir à cette procédure qui a fait ses preuves. Ce n’est pas nous qui donnerons tort à ces critiques. Négocions, si toutefois cela sert à quelque chose, sinon, faisons silence. Il est certain que si une nouvelle Conférence au Sommet devait avoir lieu, un jour, le programme serait réglé d’avance pour éviter les surprises ; la leçon aura servi.

 

Les Conférences de Genève

Dans l’immédiat, on se demande si les deux Conférences interrompues de Genève vont reprendre. Les Russes ne s’y opposent pas, au contraire ; les Occidentaux hésitent mais consentent. Tout dépend de l’atmosphère du débat aux Nations-Unies sur l’incident de l’U2 et les accusations réciproques d’espionnage. Si tout se termine sur un résultat nul, comme probable après les passes oratoires d’usage, le marathon des conférences Est-Ouest pourra reprendre à la satisfaction des Diplomates qui ont pris leurs dispositions pour passer l’été sur les bords du Lac Léman. La vie continue.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1960-05-21 – Une Rude Leçon

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Le Courrier d’Aix – 1960-05-21 – La Vie Internationale.

 

Une Rude Leçon

 

Ainsi, la Conférence au Sommet n’aura pas lieu … Qu’elle ne dût aboutir à aucun résultat, cela était pratiquement certain, mais qu’après l’avoir cherchée pendant deux ans, Krouchtchev soit venu à Paris exprès pour la saborder, cela passe un peu les prévisions.

 

La Cause de l’Échec

Les raisons de cet échec que nous donnions ici il y a une semaine sont aujourd’hui reprises par toute la presse, raisons de politique intérieure soviétique surtout : l’opposition de l’armée qui se refuse aux licenciements d’officiers, l’hostilité de Pékin à la politique de détente et l’agitation dans le Parti contre Krouchtchev, ses voyages et ses discours « pacifiques » de nature à favoriser des espérances chez les satellites, à créer des fissures dans le rideau de fer et en définitive de mener à quelque nouveau Budapest.

 

Conséquences pour l’Occident

Pour les Occidentaux, il faut espérer que la leçon portera ses fruits. L’humiliation, sinon le ridicule de ce fiasco, les atteint tous également. Les négociations avec Moscou n’ont jamais abouti et n’aboutiront jamais. Il n’y eut qu’une exception : la libération de l’Autriche, en 1955, qui fut d’ailleurs le résultat d’une décision unilatérale des Russes, dont ils se sont certainement repentis, car sans cette frontière ouverte, les révoltes de 1956 en Hongrie n’auraient pu se produire. Le torpillage de la Conférence au Sommet est tout de même un événement de grande portée et naturellement, il convient d’en mesurer  les conséquences.

Krouchtchev a-t-il fait une bonne opération ? Nous ne le pensons pas. D’abord il est permis de penser que cette incongruité énorme aura ouvert les yeux de tous ceux qui croyaient encore à la possibilité de la coexistence et d’une détente durable. Rien de plus dangereux que ces illusions. Il vaut mieux qu’elles se dissipent définitivement. En outre, cet échec collectif et partagé, ne peut que resserrer les liens entre les puissances occidentales passablement détendus par les tournées de Monsieur Krouchtchev.

Quant aux masses, on a pu voir par les sondages d’opinion que leur bon sens les avait averties de ne pas croire aux bonnes paroles. Elles étaient beaucoup plus défiantes que les professionnels de la diplomatie et de l’information. Un peu surprise sans doute, peut-être même blessées dans leur amour-propre par l’irrespect témoigné à leurs dirigeants, elles ne sont pas particulièrement émues et la Conférence au Sommet n’avait pas suscité beaucoup d’intérêts ni même de curiosité. La réaction de l’homme de la rue est à peu près celle-ci : « Pendant qu’ils causent, ils nous laissent tranquilles, même s’il n’en sort rien, ce sera toujours du temps gagné. Après, on verra bien ».

 

La Détente et la Jeunesse Russe

Toute autre est l’attitude des Russes, et particulièrement de la jeunesse instruite dont nous avons reproduit ici quelques pensées. C’est elle qui sera déçue. C’est elle qui soutenait Krouchtchev, qui l’écoutait avidement quand il racontait ses voyages et voudrait briser le cercle de fer où elle est enfermée. Elle souffre de cette claustration, rêve aussi de voyages en Occident, de contacts et d’horizons nouveaux. Il est douteux qu’elle se laisse tromper par l’histoire de l’U2, et les meetings organisés par le Parti n’ont eu qu’une assez tiède assistance. On lui fera difficilement croire qu’Eisenhower est un fauteur de guerre alors qu’elle s’apprêtait à lui faire un accueil enthousiaste.

C’est précisément cela qui a fait peur aux gens du Kremlin. C’est la peur de toujours en Russie que les miasmes de l’Occident ne viennent infecter la jeunesse et saper l’autorité des maîtres. Krouchtchev, en apportant cette déception à son peuple, fait le jeu de ses ennemis qui l’ont peut-être poussé à dessein à cet éclat de Paris. Sa popularité toute relative d’ailleurs car en Russie, les Maîtres n’ont jamais été aimés, va baisser sensiblement et tous les observateurs s’accordent à dire qu’il y a maintenant un commencement d’opinion en U.R.S.S. Ce qui jusqu’ici n’était qu’une foule ignorante et servile, comprend aujourd’hui des millions d’hommes instruits capables de réfléchir et de juger. Krouchtchev lui-même est obligé d’en tenir compte. Accepteront-ils ses mensonges ?

 

Dans l’Ordre International

Dans l’ordre international, que sera cette nouvelle ère de guerre froide ? Evidemment, la bataille pour Berlin. D’après les déclarations du Maire de Berlin-Ouest, Willy Brandt, le morceau sera dur pour les Russes et leurs acolytes de la D.D.R., Des provisions énormes ont été accumulées et la ville serait mieux parée contre un siège qu’en 1948. Krouchtchev tentera-t-il un coup de force ? Cela est peu probable dans l’immédiat. Les Américains sont trop irrités pour ne pas riposter avec vigueur quoi qu’il doive en résulter. Les défenses russes ne sont pas au point, comme la pénétration de l’avion U2 jusqu’à Sverdlovsk l’a montré. Si les fusées des Américains ne sont pas non plus au point, ils ont toutefois assez de moyens pour décourager une agression. Il n’est même pas sûr que la lutte va s’échauffer beaucoup dans les mois qui viennent. Certaines déclarations de Grotewohl à Berlin-Est paraissent plutôt modérées.

Évidemment, on ne peut exclure quelques surprises, car la tactique des communistes est pleine de ressources, et leur audace sans borne ni scrupule, mais ils savent aussi s’arrêter à temps. Par contre, on ne voit pas comme pourrait se briser cette vague qui monte inexorablement et qui nous rappelle la lente approche de la guerre de 1939. Jusqu’ici, le temps qui a passé n’est pas du temps gagné, comme les bergers de l’Occident le croient. C’est hélas du temps perdu.

 

L’Agitation en Afrique Noire

C’est aussi le cas de l’autre vague, celle qui déferle sur l’Afrique. Force est de constater qu’on n’a rien fait pour la contenir, tout au contraire, on lui a donné le vent. M. MacMillan récolte la tempête qu’il a soulevée lui-même dans sa tournée en Afrique orientale, et par son malheureux discours devant le Parlement du Cap. Voici que les agitateurs noirs s’attaquent à un autre point sensible, la Rhodésie du Nord, plus précisément le Copper Belt : la ceinture du cuivre voisine du Congo belge. Là, des Blancs ont été brutalisés, des voitures incendiées, des bagarres avec la police ont fait des morts et des blessés.

Au Kenya, l’agitation continue, Kenyatta, l’instigateur de la révolte des Mao-Mao a été élu chef du Congrès noir. Au Congo belge, Bruxelles est obligé d’envoyer des troupes pour maintenir l’ordre pendant les élections. L’exode des colons blancs se précipite. Par contre, le calme est revenu en Afrique du Sud ; le Gouvernement de Prétoria a la situation en mains et il semble que les Bantous se détournent des extrémistes.

Deux courants en effet s’affrontent, celui des violents qui n’ont rien à perdre et cherchent la bagarre, et la masse de ceux qui ont une demeure et un emploi, qui redoutent le désordre et préfèrent la domination blanche à la brutale dictature noire. Les sanglantes rivalités de tribus au Congo belge font office d’avertissement. C’est en Rhodésie que l’inquiétude est la plus visible, car l’élite noire est peu nombreuse et la proximité du Congo belge, comme l’a souligné le Gouverneur, ne peut que vouer les deux territoires à un sort analogue. Il reproche aux Belges la légèreté avec laquelle ils ont sacrifié les intérêts des leurs. Là aussi, les interventions oratoires, les allées et venues de personnages officiels ont fait plus de mal que de bien. Le silence est d’or, disaient nos pères. C’est un proverbe que Krouchtchev a oublié de rappeler. Il a eu tort.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1960-05-14 – Ciel Orageux

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Le Courrier d’Aix – 1960-05-14 – La Vie Internationale.

 

Ciel Orageux

 

A la veille de la Conférence au Sommet, on attendait le lancement d’un super spoutnik. Rien jusqu’ici. Moscou s’est rabattu sur le coup de l’espion qui a déjà servi, car ce n’est pas le premier qui fut pris. Mais cette fois, la mise en scène a été gracieusement fournie aux Russes par les soins des services de M. Allen Dulles. Ces maladresses vraiment puériles du Département d’Etat américain ont donné au grand comédien Krouchtchev l’occasion d’un de ses meilleurs effets. C’est bien joué. L’affaire au surplus pose beaucoup de questions.

 

Revirement à Moscou

Il était évident depuis le voyage à Paris qu’une grande offensive se préparait au Kremlin. La détente fondait et non la glace de la guerre froide, comme on le prévoyait trop aisément. Il y a eu à Moscou un revirement, car il faut un moment où le Kremlin jouait la détente. A ce moment, il y a six mois, la Conférence au Sommet, prévue pour cette date, aurait peut-être au moins momentanément apporté une trêve à la guerre froide ; Anglais et Américains voulaient saisir l’occasion. Paris s’y est opposé. Nous le disions alors ici, c’était une erreur. Pour des raisons de prestige, on a perdu du temps et la rencontre du 16 mai s’annonce plutôt mal. Tous les commentateurs s’interrogent. Pourquoi Krouchtchev a-t-il changé de tactique ? Voici notre sentiment.

 

Krouchtchev et l’Armée

La situation de Krouchtchev en U.R.S.S. est beaucoup plus difficile qu’on ne pense. Il a inquiété l’armée qui s’oppose au licenciement de 250.000 officiers et sous-officiers que Krouchtchev veut rendre à l’industrie pour compenser la pénurie de main-d’œuvre qui s’annonce avec l’arrivée des classes creuses. C’est pourquoi, il a cherché à donner à l’armée une compensation en faisant abattre l’avion de reconnaissance américain. C’est aussi pour les masses soviétiques un stimulant à la vigilance patriotique, moyen employé chaque fois que l’on veut détourner l’attention de conflits internes. Cela a permis en outre de liquider sans frais le vieux maréchal Vorochilov qui n’avait pas grand pouvoir, mais auquel l’armée était attachée. Il est probable que le licenciement des officiers sera remis à plus tard.

 

L’Érosion des Terres Vierges

Une autre affaire assez grave pour Krouchtchev se dessine. Nous avons rapporté la semaine dernière les achats de blé faits par les Soviets au Canada. L’explication de cette transaction est assez curieuse ; ce n’est pourtant pas une fable : on signalait fin mars, jusqu’en Yougoslavie et en Hongrie, une pluie de sable qui obscurcissait le ciel et couvrait ensuite le sol. Par endroits, en Ukraine et en Pologne, la couche répandue dépassait 30 centimètres et étouffait le blé en herbe. Une tempête – assez fréquente d’ailleurs – s’était élevée dans les plaines de l’Asie centrale et les terres vierges du Kazakhstan labourées et non couvertes par la neige ont été arrachées par le vent avec les semences : ce phénomène est bien connu dans les plaines du centre des Etats-Unis, où l’érosion du sol est un fléau redouté.

En bref, il semble probable que la récolte de 1960 sera encore plus faible que celle de 1959. Si la catastrophe atteint des proportions imprévues, le prestige de Krouchtchev qui s’est consacré au défrichement de l’Asie va se trouver très atteint et ses ennemis le guettent là. A cette situation il n’y a qu’une issue : une grande diversion extérieure. C’est ce que Krouchtchev prépare. Nous allons probablement avoir des émotions à propos de Berlin. Jusqu’où ira la tension, on ne saurait le prévoir. Ce qui est sûr, c’est que tout le remue-ménage diplomatique depuis un an était bien inutile et qu’on en aurait pu faire l’économie, non seulement morale, mais matérielle. Car les voyages de M. Krouchtchev ont coûté cher à ses hôtes et l’argent aurait été mieux employé ailleurs. Les infortunés Occidentaux qui vont se réunir à Paris, n’auront pas bonne figure, particulièrement Eisenhower qui achève son mandat de Président. Au surplus, il est probable que Krouchtchev a voulu atteindre, non le Président mais son successeur probable Richard Nixon et le Parti républicain aux Etats-Unis.

 

Krouchtchev contre Nixon

L’U.R.S.S. craint Nixon qui a huit ans d’expérience à la Maison Blanche et sera plus difficile à berner que l’un quelconque des candidats démocrates, soit un jeune qui aura à faire son apprentissage d’homme d’Etat, comme Kennedy, soit un vieux routier comme Johnson ou Stevenson qui manquent plutôt de dynamisme. Une victoire démocrate en novembre qui impliquerait un bouleversement complet de l’Administration et peut-être des organes militaires, serait pour les Soviets une aubaine. Les Américains le savent et nous avons l’impression que le Parti démocrate ne tient pas sérieusement à la Présidence et préfère contrôler le Congrès, comme il le fait déjà, plutôt que d’avoir le double pouvoir. Il vaut mieux pour lui, comme actuellement, que les responsabilités soient partagées. Elles sont trop lourdes, et en cas de crise internationale grave, le parti qui aurait toutes les décisions à prendre, jouerait son avenir.

 

Le Rouble lourd

L’émotion provoquée par l’affaire de l’avion U2, a fait négliger une nouvelle initiative de Krouchtchev : une réforme monétaire qui consistera à créer un Rouble lourd égal à dix anciens. Cette réforme s’explique mal car le Rouble, au moins officiellement, est une monnaie lourde, 50 anciens francs. Cette mesure se distinguerait des précédentes qui consistaient en une lessive pure et simple. On échangeait dix vieux roubles contre un neuf qui ne valaient pas plus que l’ancien et selon une échelle progressive, on confisquait les économies du public. Ce genre d’escroquerie ne paraît pas être l’objectif actuel, mais une opération de prestige monétaire. Il sera intéressant de suivre au marché noir de Moscou la réaction des détenteurs de l’ancienne monnaie. A leur place nous nous méfierions. Krouchtchev a aussi annoncé la réduction des heures de travail, sans préciser s’il s’agit d’une mesure générale ou limitée à certains secteurs. Là-dessus les Russes sont sceptiques ; la pénurie de main-d’œuvre s’accorde mal avec des réductions d’horaires.

 

L’Ascension de Willy Brandt

Un autre point mérite attention. Les menaces que les Soviets font peser sur Berlin-Ouest, ont donné à son maire Willy Brandt, une stature politique considérable. Il défend la liberté de ses administrés avec vigueur, parcourt le monde et reçoit toutes les personnalités qu’il peut intéresser. Or Willy Brandt est socialiste, et de plus, jeune. Au sein du parti S.P.D. allemand, il fait maintenant figure de leader, ce qui sert considérablement les socialistes qui en manquaient : Ollenhauer et Carl Smidt ne faisaient pas le poids en face d’Adenauer et d’Erhard. Voici donc Willy Brandt vedette de la future compétition électorale, et peut-être futur chancelier. Bien qu’il soit un ennemi acharné du communisme, les Soviets seraient satisfaits d’éliminer, grâce à lui, le vieux Chancelier et son Parti. Si Brandt est un adversaire de taille, le Parti qu’il représente est depuis toujours celui des capitulations. Devant Guillaume II, comme devant Hitler. Même si, comme il est probable, les Russes ne peuvent annexer Berlin à la D.D.R. d’Ulbricht, le prestige de Brandt n’en sera que plus rayonnant.

C’est un côté de l’opération Berlin qui est loin d’être négligeable.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1960-05-07 – La Révolte des Jeunes

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Le Courrier d’Aix – 1960-05-07 – La Vie Internationale.

 

La Révolte des Jeunes

 

La jeunesse fait beaucoup parler d’elle en ce moment. La chute de Syngman Rhee en Corée du Sud, l’agitation en Turquie contre le Gouvernement Menderes, les manifestations contre Kishi au Japon, et de l’autre côté les émeutes de Nowa Huta en Pologne, tous ces événements ont été provoqués ou appuyés par les jeunes étudiants surtout, ouvriers aussi, partout contre les excès de l’autorité, pour défendre des libertés ou en obtenir le retour, contre la corruption et les mensonges d’un pouvoir sclérosé.

Le phénomène n’est pas nouveau. Il est l’expression d’un conflit des générations qui est de toujours. A noter cependant que cette explosion de révolte des jeunes n’est pas universelle : la jeunesse allemande ne manifeste pas contre le vieil Adenauer, ni l’américaine contre Eisenhower. En France, au Portugal, en Espagne même, l’opposition vient plutôt de politiciens déçus ou d’intellectuels intoxiqués d’idéologie plutôt que de jeunes. Ceux-ci, malgré leur inexpérience qui les mène plutôt contre l’état des choses que pour un ordre nouveau bien défini, discernent cependant l’abus de pouvoir, de l’autorité, qui, si elle ne les satisfait pas toujours, a des raisons légitimes de s’exercer.

En définitive, ce soulèvement de la Jeunesse vise les gouvernements qui n’ont plus d’idéaux à défendre ou en préservent d’autres qui n’ont plus de sens, à moins qu’ils n’exercent le pouvoir pour leur seul profit, comme en Corée.

 

Un Exemple Soviétique

Rien n’illustre mieux ce que nous voulons dire que les déclarations d’un jeune intellectuel soviétique à un correspondant italien à Moscou. Comme celui-ci lui demandait si Krouchtchev représentait ses idées, il répondit :

« Qu’éprouvons-nous, nous les Jeunes ? Eh bien, nous sommes perplexes : cette grande révolution qui a coûté des millions de morts, et quarante ans d’immenses sacrifices, devait renouveler la vie de l’homme, de l’homme Soviétique d’abord, puis de tous les hommes de par le monde, libérer l’humanité des souffrances, des erreurs, des contraintes, de la violence, des conflits. Or tout cela se réduit à des statistiques : tant de beurre, de viande, de blé, de kilos de ceci ou de cela par personne. Ce n’est pas pour cela que nous avons tant souffert. Ce n’est pas pour rattraper les Etats-Unis dans la fabrication de telle ou telle marchandise que nos pères sont morts. »

Ce témoignage éloquent dans sa simplicité, résume les motifs profonds de toutes ces révoltes : celle des idéaux trahis.

 

L’Évolution du Continent Noir

Comme on pouvait le prévoir, l’évolution du Continent noir est pleine de surprises ou plutôt, le nationalisme qui se voulait panafricain, lorsque les peuples africains n’étaient pas libres, se dévore lui-même dès qu’ils le sont. L’ambition de Nkrumah du Ghana se heurte aux mêmes réactions hostiles que celles de Nasser en Proche et Moyen-Orient. Et du même coup, les nouveaux dirigeants découvrent que le colonialisme avait du bon, d’abord parce qu’il les a menés à la souveraineté sans drame préalable, et aussi parce qu’il les protégeait du nationalisme agressif de voisins plus puissants.

Nous avons vu d’abord, que Nkrumah et Sékou Touré, après avoir parlé de fusionner leurs territoires, se sont séparés complètement et se regardent avec méfiance. Voici que Sylvanus Olympio, du Togo, rend hommage à la France et n’est pas loin de lui demander protection contre une éventuelle agression du Ghana. Au Sénégal, les choses ne vont pas très bien avec le Soudan, et le Mali ne semble pas mieux équilibré que l’Egypte et la Syrie dans la R.A.U.  MM. Dia et Senghor se félicitent publiquement de la présence de l’armée française. De même, Ahidjo au Cameroun ; sans elle, le pays serait en pleine guerre civile. Sékou Touré est obligé d’inventer des complots pour tenir en main une masse déçue et inquiète de l’arrivée des Jaunes en Guinée. Cette évolution est pleine d’enseignements.

Au début, la débâcle africaine apparaissait aux pessimistes dont nous étions comme une catastrophe pour le Monde libre, et l’on ne pouvait espérer que l’influence occidentale puisse demeurer dans un monde en proie à des passions aussi élémentaires. Or, ce sont les ambitions mêmes des nouveaux chefs comme Nkrumah et Sékou Touré qui ont ramené les autres à une meilleure appréciation de leur destin. Ils ont senti que, livrés à eux-mêmes, leur souveraineté ne résisterait pas longtemps et la peur du voisin a fait ce que la raison ne pouvait faire : les maintenir dans l’orbite de la puissance protectrice.

Bien entendu, cette phase de l’évolution noire n’est qu’épisodique et ne préjuge pas de l’avenir. On peut penser cependant qu’il en restera quelque chose. Et puis au fond, l’antagonisme entre Noirs et Blancs est sans doute plus émotionnel que profondément racial. On ne peut malheureusement pas en dire autant du Monde arabe.

 

L’Affaire du « Cléopatra »

Les choses de ce côté ne vont pas bien : M. Hammarskoeld, retour d’Egypte avait raison : la situation s’aggrave, et, n’étaient les dissensions internes entre dirigeants, une explosion serait à craindre. On sait que les dockers américains ont refusé de décharger le navire égyptien « Cléopatra ». Ils entendent ainsi protester contre la liste noire qu’a établie Nasser contre les Compagnies de Navigation qui fréquentent les ports d’Israël. En représailles, les dockers arabes boycottent les navires américains, et le passage dans le Canal de Suez, déjà interdit aux marchandises israéliennes, pourrait l’être aux bateaux battant pavillon U.S.A. Une conséquence de plus de la triste affaire de 1956. L’enjeu est sérieux de part et d’autre. Les Egyptiens et leurs associés se priveraient de l’aide américaine qui doit être obligatoirement transportée par des navires américains et particulièrement du blé qui leur épargne la disette. Du côté des Etats-Unis, cette rupture jouerait en faveur des Russes et pourrait remettre en question l’acheminement des pétroles du Golfe Persique. Le Sénat américain paraît enclin à user de représailles, mais le Gouvernement est embarrassé.

 

La Situation Agricole en Russie et en Chine

Il ne manque cependant pas de moyens de pression, car les pays du Moyen-Orient ne peuvent guère compter sur les Soviets pour les nourrir. On sait, en effet, que l’U.R.S.S. vient de conclure un important achat de blé au Canada. Décidément, l’agriculture réserve bien des déboires à Krouchtchev, qui pourtant en fait son cheval de bataille. Qu’ont donné cette année les 8 millions ½ d’hectares de terres vierges du Kazakhstan ? et les 45 millions d’autres dans les riches terres d’Ukraine et de Sibérie méridionale ? Même avec un rendement très modeste, les 9 quintaux à l’hectare que produisait la Russie tsariste, il y aurait de quoi nourrir non seulement la Russie, mais le reste de l’Europe.

Il en est de même en Chine. Malgré les statistiques, la famine reparaît. On signale dans les provinces naguère riches du Kwangju des marches de la faim. Dans le Kangxi, des milliers de paysans empoisonnés pour avoir mangé, faute de riz, des herbes sauvages ; ailleurs, des révoltes réprimées par la troupe, des populations épuisées de travail sans nourriture suffisante. Pékin accuse la sécheresse. Le ciel décidément n’est pas propice au communisme.

 

                                                                                            CRITON

 

 

 

Criton – 1960-04-30 – Des Faits et des Hommes

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Le Courrier d’Aix – 1960-04-30 – La Vie Internationale.

 

Des Faits et des Hommes

 

Les discours prononcés par les Chefs d’Etat et Ministres en tournée ne nous apprennent pas grand-chose : la situation internationale n’en sera pas changée. Cependant, ces visites nous renseignent sur l’état de l’opinion. A cet égard, il est curieux de remarquer la différence de l’accueil du Canada et des Etats-Unis au Général de Gaulle. Courtois, réservé, un peu froid ici, enthousiaste au contraire là. On ne s’y attendait pas. Comment l’expliquer ?

 

Canada et Etats-Unis

Le Canada se sent lié à la France, mais à une France traditionnaliste et conservatrice qui n’est ni celle de la IV°, ni de la V° République. Il croyait l’avoir retrouvée en Pétain ; d’où la réserve à l’égard de celui qui fut son adversaire. Celui-ci représente pour les Canadiens l’aventure et un certain nationalisme prêt à annexer moralement tout ce qui touche au passé français. Or les Canadiens sont, à leur manière, aussi nationalistes que d’autres. Que ce soient les Etats-Unis, l’Angleterre ou la France, ce sont pour eux des pays étrangers et leur politique ne manque pas une occasion de manifester son indépendance ; fut-ce en utilisant des divergences qui ne sont pas sérieusement fondées.

Aux Etats-Unis, au contraire, alors que les divergences politiques entre la France et les U.S.A. sont réelles, l’opinion voit dans notre Président l’autorité qui a si longtemps manqué à notre pays et  peut-être aussi au leur, le président Eisenhower ayant plus de prestige moral que d’ascendant gouvernemental. Certains traits de la politique française plaisent en outre aux Américains : la réconciliation franco-allemande, le Marché Commun européen et cette rigueur à l’égard de l’U.R.S.S. qu’ils ne sont pas aussi sûrs de voir s’affirmer à Washington, et moins encore à Londres. Enfin, ils aiment les personnalités fortes bien qu’ils les craignent un peu pour eux-mêmes. Cette réception de De Gaulle fut triomphale à la surprise de beaucoup.

 

Le Désarmement

Les problèmes débattus sont cependant toujours les mêmes : le désarmement et l’arrêt des expériences atomiques, voire la suppression de ces armes. Disons une fois de plus, avec quelle mauvaise foi ces questions sont abordées de part et d’autre. L’U.R.S.S. propose le désarmement total : « les armes à la ferraille ». Or, si on le prenait au mot, l’empire russe ne survivrait pas longtemps. Les Satellites délivrés de la présence des tanks renverseraient leurs régimes et les masses chinoises peu à peu s’ébranleraient vers l’Occident. Du côté occidental, la suppression des armes atomiques ne sauverait pas la paix ; au contraire, comme le disait M. Bouthoul, elle « sauverait la guerre ».

En effet, les armes atomiques – qui l’ignore ?– rendent la guerre totale impossible parce que personne n’en peut mesurer les risques. Même si, par exemple les Soviets pouvaient par une attaque surprise détruire les U.S.A., ceux-ci même morts, pourraient détruire l’U.R.S.S. soit par les fusées lancées de sous-marins atomiques, soit d’avions déjà en l’air, ou de porte-avions en mer, ou encore de bases étrangères qui n’auraient pu être atteintes efficacement. D’autre part, si l’Occident renonçait en même temps que l’U.R.S.S. aux armes atomiques, la supériorité des Soviets en armes classiques, mettrait l’Europe à sa merci en quelques jours, le continent serait balayé. Tout cela est évident et si simple, qu’on s’étonne que la diplomatie se joue ainsi du bon sens des peuples.

 

L’Arrêt des Expériences Atomiques

Reste l’arrêt des expériences atomiques qui pour les trois détenteurs, est chose déjà faite depuis un an. Cela est sans importance car l’expérience de Reggane l’a montré : on peut faire exploser correctement une bombe sans l’avoir préalablement essayée. L’arrêt des expériences peut tout au plus empêcher que l’on n’entreprenne la construction d’engins d’un type inédit et c’est sans doute pour cela que l’U.R.S.S. a voulu bloquer des progrès possibles aux U.S.A. et en Angleterre ; encore le résultat est-il bien problématique. Peut-être aussi, veut-on empêcher que le club atomique ne s’étende à d’autres partenaires mais encore faudrait-il que tous les Etats se prêtent à un contrôle auquel seuls les anciens titulaires de la bombe auraient agréé entre eux, ce qui dans le cas de la Chine et d’autres, paraît bien improbable. Le désarmement, même partiel, supposerait que la paix est déjà acquise dans les esprits, ce qui n’est pas le cas. Mais, c’est simplement abuser de la confiance et de l’espoir des peuples, que de parler de projets qui ne résistent pas à la réflexion.

 

Une Évolution de la Politique Anglaise

Il y a cependant du nouveau dans la question, non du désarmement, mais de la course aux armements. Les Anglais viennent de renoncer à la construction de fusées « blue streak » pour lesquelles ils avaient engagé d’énormes frais. L’affaire a fait grand bruit aux Communes et pour en atténuer l’effet, le Gouvernement a laissé percer une information selon laquelle les savants anglais auraient mis au point un radar capable de détecter une fusée à son point de départ et de la faire exploser dans les mains de ceux qui la lanceraient. L’histoire a d’ailleurs paru un peu extravagante et demande confirmation. L’intérêt n’est pas là.

Les Anglais savent – et aussi les Français – que le coût d’un armement nucléaire dépasse leurs moyens. A mesure des progrès techniques, le prix des nouveaux engins s’élève à des chiffres fabuleux. Force est donc aux Anglais, après tant d’efforts, d’en revenir au point de départ, c’est-à-dire de s’en remettre au bon vouloir des U.S.A. et de dépendre d’eux pour leur défense. L’indépendance militaire est de nos jours absolument impensable. Là-dessus encore, on trompe l’opinion. L’Amérique est seule en mesure de tenir tête à l’U.R.S.S. et tout ce que feront les autres dans ce domaine, est temps et argent perdu.

Reste un biais auquel, à la surprise générale, les Anglais se décident avec le réalisme qui les caractérise. Ils veulent faire un pool d’armements – de ceux du moins qui ne sont pas prohibitifs – avec la France et l’Allemagne fédérale. M. Sandys, le Ministre anglais est allé à Paris et à Bonn pour conclure un accord dans le domaine de l’aviation et des fusées. On en revient à l’idée de la C.E.D., c’est-à-dire à l’intégration des forces militaires que l’on combattait jusqu’ici surtout à Paris, – dans l’ordre de l’armement, tout au moins.  La portée des accords conclus est certes limitée, mais ils traduisent la nécessité de mettre en commun les ressources financières et techniques de l’Europe, sous peine de devoir renoncer peu à peu à lui assurer même dans une certaine mesure une défense propre qui ne repose pas entièrement sur les fournitures américaines. Cette décision anglaise a une importance qu’on n’a pas appréciée.

 

Vers une Association Économique

Elle n’est pas la seule. Il se pourrait bien que les Britanniques soient contraints de se rapprocher davantage du Continent dans l’ordre économique. En effet, la querelle Marché Commun, zone de libre-échange évolue : les Anglais se sont aperçus que sauf le Canada, les autres grands Dominions la condamnaient. L’Australie, la Nouvelle-Zélande ne sont plus attachés à la préférence impériale. Ils y renonceraient volontiers et seraient bien plutôt satisfaits d’un libre-échange relatif, étendu à l’Europe et aux U.S.A. La prochaine Conférence du Commonwealth va débattre la question. L’avenir du Monde libre, répétons-le, ne repose pas sur des blocs économiques plus ou moins fermés les uns aux autres, mais sur une harmonisation générale et aussi libre que possible des échanges. On sent que Londres sur ce point est à la croisée des chemins. Attendons la suite.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1960-04-23 – Les Idéaux en Marche

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Le Courrier d’Aix – 1960-04-23 – La Vie Internationale.

 

Les Idéaux en Marche

 

Après l’ère des ambassadeurs, puis celle des grandes conférences, caractéristique de l’entre-deux guerres, nous sommes décidément entrés dans l’âge du tourisme diplomatique. Qu’ils soient blancs, jaunes ou noirs, les chefs d’Etat ou leurs seconds, sont en visite. Ils y prennent, apparemment quelque agrément, mais on se demande s’il ne s’agit pas d’un moyen commode de se soustraire aux soucis du pouvoir et d’échapper aux problèmes embarrassants qui les harcèlent à domicile. Les questions urgentes doivent attendre et l’on compte sans doute qu’elles se résoudront d’elles-mêmes avec le temps ou que les mécontents condamnés à la patience, auront d’autres préoccupations. Si Syngman Rhee en Corée du Sud avait entrepris une longue tournée, il n’y aurait peut-être pas de révolte à Séoul. Quant à la diplomatie même, elle ne s’en trouve ni mieux, ni pis. Tout cela n’appelle pas grand commentaire.

 

La Collectivisation de l’Allemagne Orientale

Les orages n’en sont pas pour autant dissipés. C’est encore sur l’Allemagne qu’ils planent. Les Soviets accélèrent le pas par l’entremise d’Ulbricht et de ses sbires. C’est une nouvelle révolution qui s’accomplit en Allemagne orientale. Le cas est assez curieux, car tandis qu’en U.R.S.S. le collectivisme marque une pause, même une régression, sinon dans les institutions du moins dans les mœurs, les Soviets ont entrepris de le réaliser chez les Satellites, sauf en Pologne où les résistances passives sont trop fortes.

La D.D.R. ou République Démocratique allemande, doit devenir le modèle du communisme accompli. La collectivisation totale de l’agriculture est pratiquement achevée et cela en quelques semaines ; le mouvement a éclaté fin Mars ; la chasse aux paysans s’est faite simultanément partout. A la fin de 1959, 47% de la surface cultivable était encore aux mains des agriculteurs indépendants, à la fin de ce mois, le 100% sera englobé dans les fermes collectives : L.P.G. Les fonctionnaires du Parti S.E.D. se sont installés dans les villages, accompagnés de forces de police armée ; ils ont enfermé les paysans qu’ils n’ont libérés qu’après avoir obtenu leur signature au bas d’un acte par lequel ils abandonnent « volontairement » leurs propriétés. Plus de 5.000 se sont enfuis à Pâques à Berlin-Ouest ; d’autres se sont suicidés ou ont incendié leurs fermes. On s’attend à ce qu’aussitôt après vienne le tour des commerçants et petits industriels encore libres et de ce qui reste d’artisans. Les Soviets veulent mettre l’Occident devant le fait accompli avant la Conférence au sommet.

Le caractère politique de l’opération est d’autant plus évident, que cette collectivisation brutale de l’agriculture intervient au moment des semailles de printemps, ce qui va provoquer un désordre dont la récolte, pour peu que les circonstances atmosphériques ne soient pas très favorables, aura terriblement à souffrir. La situation n’était déjà pas brillante. Nous l’avons dit ici, à la fin de l’hiver, la disette était générale ; il n’y avait guère sur les marchés que des choux et des raves. Ulbricht ne paraît pas se faire d’illusion et se prépare à transformer son Etat en dictature militaire appuyée sur les tanks russes. Les pessimistes en Allemagne occidentale y voient même une menace de coup de force sur Berlin-Ouest.

La même politique de collectivisation se poursuit ailleurs. La Bulgarie est déjà collectivisée à 92%. En Roumanie à 70 et depuis le départ des troupes russes, le Gouvernement roumain impose une sorte de loi martiale sur le pays. En Hongrie, le mouvement brisé par la révolte de 1956 reprend rapidement, on en est à 40%. En Tchécoslovaquie enfin, le travail libre a à peu près disparu et la dictature policière est plus lourde encore qu’ailleurs et la disette toujours aigüe. Paul Reynaud disait un jour, il ne faut pas trop faire souffrir les peuples. Cela peut en effet finir mal. Krouchtchev qui prend goût aux voyages, pourrait s’en apercevoir trop tard.

Ce qui frappe l’esprit, c’est que contrairement aux prévisions de certains sociologues, les deux mondes, loin de tendre à se ressembler, diffèrent davantage. Le rideau de fer matériel et moral les divise plus que jamais et malgré « l’esprit de détente », et les visites et congratulations réciproques, l’abîme se creuse.

 

Les Problèmes Économiques en Allemagne Occidentale

Tandis que les habitants d’Europe centrale font la queue chez l’épicier, une controverse très intéressante – un peu technique nous nous en excusons – s’est élevée en Allemagne occidentale entre la banque centrale dont le directeur Blessing avait, on s’en souvient, établi un rapport sur lequel les économistes ont eu à se prononcer. Pour simplifier la question, disons que Blessing avait recommandé – ce que  l’on admet généralement – que les salaires ne soient augmentés que dans la mesure des progrès de la productivité, base que les patrons acceptaient en principe. Un taux de l’ordre de 4% dans la conjoncture actuelle paraissant raisonnable sans risque d’inflation et de hausse des prix.

La question paraît moins simple aux économistes. Ils estiment :

1° qu’une politique des salaires fondée sur la productivité ne saurait garantir automatiquement la stabilité des prix, encore moins résoudre le problème d’une juste répartition du revenu global ;

2° le niveau supportable de la hausse des salaires dépend de ce que la politique économique gouvernementale et la banque d’émission réservent à la consommation aux dépens des investissements, des dépenses publiques et des exportations de capitaux ;

3° une politique des salaires ne peut être efficace que si une part de ces revenus supplémentaires est consacrée à l’épargne ;

4° le concept de salaire associé à la productivité est faux, parce qu’il est pratiquement impossible de s’accorder sur cette dernière. Cette pseudo-objectivité est sujette à des erreurs qui ne sont pas nécessairement volontaires, d’une part ou de l’autre.

En conclusion, le rapport des spécialistes recommande :

1° une confrontation urgente de la politique économique et financière de l’Etat et de la banque d’émission d’une part, et de la politique des salaires des parties intéressées, patrons et employés ;

2° une augmentation des dépenses de l’Etat inférieure au taux d’accroissement du revenu national, au lieu du contraire actuellement ;

3° la réduction des excédents de la balance commerciale (sauf si cet excédent profite aux pays sous-développés) ;

4° augmenter aussi le volume des investissements et favoriser la consommation en fonction du progrès de la production ;  enfin,

5° régler la hausse des salaires d’après la part qui, de ce revenu supplémentaire, se trouvera consacrée à l’épargne, mais en tout cas au-dessous du niveau d’accroissement du produit national.

Si nous avons cru devoir attirer l’attention là-dessus, c’est que, bien que tout ce qui est allemand, soit toujours un peu compliqué, il s’agit d’un effort très intéressant pour éclaircir les données nécessaires pour arriver à un accord général de tous les partenaires d’une société régie par l’économie de marché, à une entente qui évite les conflits et permette un progrès raisonnable sans inflation ni crise.

Nous voici en présence de deux Allemagnes, l’une qui cherche à établir les normes d’une société capitaliste idéale, où chacun aurait le maximum de bien-être compatible avec ses aptitudes et ses fonctions et l’autre qui réalise le communisme, lui aussi idéal et complet. Inutile de dire que ni l’une ni l’autre ne réussiront à l’atteindre tout-à-fait. Si l’on ne pensait au drame que l’une, celle de l’Est, provoque, cette double expérience faite chez le peuple le plus discipliné de la terre, serait passionnante, pour ne pas dire cruciale. La compétition est ouverte. Alors M. Krouchtchev, rendez-vous en quelle année ? Nous ferons les comptes.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1960-04-02 – Le Pintemps des Rencontres

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Le Courrier d’Aix – 1960-04-16 – La Vie Internationale.

 

Le Printemps des Rencontres

 

Voyages, conférences, discours se multiplient ; l’opinion reste sceptique et même un peu lasse. On serait, en effet, fort embarrassé de tirer de cette agitation politico-diplomatique, une conclusion positive sur un point quelconque des problèmes dont on attend la solution. On dirait plutôt que l’on cherche à reporter les échéances en maintenant le contact et une certaine bonne humeur qui est de règle dans les visites d’hommes d’Etat. Il est urgent d’attendre, comme l’on dit, mais quoi, on ne sait trop.

 

La Campagne anti-Allemande

Sans presser le mouvement vers une confrontation sérieuse, la diplomatie soviétique n’est pas inactive. Depuis six mois, elle s’efforce de discréditer l’Allemagne fédérale. Il y eut d’abord les incidents antisémitiques qu’elle a, sinon fomentés du moins amplifiés et exploités, puis la réapparition des croix gammées sur les murs et les manifestations nazies plus ou moins organisées un peu partout. Ensuite, le voyage de Krouchtchev en France, au cours duquel il s’efforça, sans succès, de ranimer les souvenirs de l’hitlérisme. A noter à cet égard que cette propagande ne trouva pas plus d’appui ici à gauche qu’à droite et que l’acquittement de fait d’Abel Bonnard, survenu au même moment, n’a soulevé aucune protestation.

Alors les Russes ont essayé autre chose. Prague a envoyé à Bonn une masse de dossiers concernant des personnages en place en Allemagne fédérale, qui auraient appartenu au Parti nazi. Bonn les a fait examiner consciencieusement. La plupart étaient des faux ; trois ou quatre seulement ont été retenus pour enquête. Enfin, simultanément, ont été institués deux procès, l’un à Berlin-Est, l’autre à Moscou, contre le Ministre allemand des réfugiés Oberländer, accusé d’avoir participé à des répressions sanglantes à Löw pendant la guerre. Tout cela a paru bien artificiel et monté pour les besoins d’une mauvaise cause, à tel point que les Partis communistes en Occident, ont hésité à en faire un thème de propagande. Peut-être cette mise en scène avait-elle surtout pour objet de ranimer les souvenirs et les haines dans les pays satellites qui ont subi l’invasion allemande. Mais là aussi, l’affaire est tombée dans l’indifférence. Les habitants ont d’autres soucis plus pressants.

En fait, on peut conclure que les relations Est-Ouest sont au point mort ; à Genève, où les deux conférences, l’une sur l’arrêt des expériences nucléaires piétine, et l’autres sur le désarmement est ajournée au début juin, après la Conférence au Sommet dont, de part et d’autre, on n’attend pas grand-chose.

 

L’Angleterre et l’Unité Européenne

Par contre, à l’intérieur du Monde libre, les préoccupations sérieuses ne manquent pas. Au premier plan, le conflit à la fois économique et politique, qui oppose l’Angleterre au Continent. Rappelons d’abord qu’au cours de son voyage à Washington, M. MacMillan s’est montré fort irrité de l’appui américain au Marché Commun européen et de l’attitude peu favorable à la zone de libre-échange créée par l’Angleterre, de M. Douglas Dillon, l’ancien Ambassadeur à Paris, chargé présentement de la politique extérieure économique des U.S.A.

On sait que le « Washington Post », organe sérieux, avait rapporté les propos du Premier anglais qui aurait déclaré en substance :

« 1° que si les Etats-Unis continuaient à soutenir l’intégration économique européenne, la Grande-Bretagne serait contrainte à des mesures discriminatoires contre les marchandises en provenance de la zone Dollar ;

2° que si la France et l’Allemagne poursuivaient leur politique d’unification de l’Europe occidentale, l’Angleterre n’aurait d’autre choix que d’organiser une alliance périphérique contre elles, et de rappeler qu’au temps de Napoléon, l’Angleterre s’est alliée à la Russie pour briser les ambitions de l’Empereur »

Quand nous disions ici que les Anglais pensaient encore à Napoléon, d’aucuns souriaient.

En réalité, ces propos n’ont pas été sérieusement démentis, sinon pour la forme, et la menace demeure. Sans doute s’agit-il là d’une manœuvre tactique pour peser sur les décisions du Cabinet de Bonn qui est, comme on sait, divisé sur les projets Hallstein d’accélération du Marché Commun et sur Paris même, où ces plans rencontrent des résistances dans certains milieux industriels. Mais il ne faudrait pas minimiser l’hostilité des Anglais au Marché Commun. Ils mènent depuis deux ans une lutte acharnée, et comme l’écrivait hier un commentateur italien, « les Anglais n’hésiteraient pas à couler à pic l’Europe tout entière pour sauver leurs intérêts commerciaux ». Ils ont déjà enregistré un succès : l’accélération ou plutôt la réalisation du Marché Commun (qui n’a eu jusqu’ici qu’une existence théorique, puisque les avantages que se sont accordés les pays membres sont étendus à d’autres) qui était prévue pour juin est ajournée, à la suite d’une délibération du Cabinet de Bonn où l’influence d’Erhard l’a emporté. Pour notre part, nous n’avons jamais cru au Marché Commun. Nous espérons toujours nous être trompés, mais notre scepticisme reste entier.

 

L’Afrique du Sud

L’attentat contre le Premier Ministre sud-africain, Dr Verwoerd ajoute un épisode au drame qui divise Noirs et Blancs, et aussi les Blancs entre eux ; et on ne voit pas comment il pourrait être apaisé. On ne saurait trop répéter qu’il s’agit avant tout d’un problème d’arithmétique. Une minorité plus évoluée gouverne une masse qui prend conscience de sa force, sans trop savoir comment elle pourrait se substituer à ses maîtres sans ruiner l’ensemble de la Communauté. Affaire de nombre. Nous voyons en effet que lorsque la majorité change, le problème disparaît. C’est ce qu’ont réalisé les Russes au Turkménistan, où depuis deux ans, les Musulmans autochtones sont devenus la minorité. C’est ainsi que les Chinois ont submergé le Tibet ; en quelques dix ans, ils ont décuplé le nombre de colons et les Tibétains ne sont plus qu’un cinquième de la population. En Mongolie intérieure et au Sinkiang, l’immigration réduit rapidement la supériorité numérique des races indigènes. Celles-ci sont subjuguées sans rémission.

Ce qui complique et rend insoluble le problème sud-africain, tient à plusieurs faits. D’une part, cette loi du nombre qui prend un caractère idéologique : le sacro-saint principe de la démocratie qui veut que la majorité gouverne, et d’autre part la division entre l’Église Réformée hollandaise qui reste attachée à la ségrégation et l’Église Anglicane qui y est opposée, conflit qui transpose sur le plan religieux l’antagonisme entre Blancs d’origine britannique et les Africains d’origine néerlandaise. En bonne logique, la solution qui consiste à séparer physiquement les deux races, ne devrait pas soulever d’objection puisqu’à l’origine de la colonisation, le pays était à peu près vide et que Noirs et Blancs sont venus à la même époque de l’extérieur pour l’occuper. Ils sont colonisateurs au même titre. Par contre, comme l’a d’ailleurs souligné le Ministre Sud-africain de la Justice, Dr Erasmus, ce qui est inique, c’est que les Noirs sont au service des Blancs qui les emploient. La ségrégation impliquerait que les Blancs fissent eux-mêmes le travail manuel auquel ils répugnent. Le même problème se pose ailleurs, nous ne l’ignorons pas.

Au surplus, la crise est entretenue là-bas par des ingérences extérieures, car l’indigène noir n’est pas uniformément hostile au régime actuel d’apartheid ; le pays est prospère et le niveau de vie des travailleurs noirs est de loin le plus élevé de tout le continent. Des salaires mensuels de 60 à 80.000 francs par mois ne sont pas exceptionnels ; le logement, l’alimentation, l’éducation et l’hospitalisation des Bantous, sont organisés à grands frais par le Gouvernement sud-africain ; rien de comparable n’existe en Afrique, même en Afrique du Nord, si bien que l’afflux clandestin de Noirs venus des pays voisins est impossible à contenir. D’où le système des cartes d’identité qui est à l’origine des troubles récents et auquel les indigènes installés et pourvus de travail, ne sont nullement défavorables, au contraire.

Le panafricanisme et le communisme travaillent les masses parce que cette prospérité gêne leurs desseins. L’anarchie et la ruine en Afrique du Sud seraient d’une gravité que la plupart des étrangers en Occident ne mesurent pas ; l’enfer est pavé de bonnes intentions. Réfléchissons avant de juger.

 

                                                                                  CRITON

Criton – 1960-04-02 – Réflexions sur un Voyage

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Le Courrier d’Aix – 1960-04-02 – La Vie Internationale.

 

Réflexions sur un Voyage

 

A l’heure où nous écrivons, le voyage de Krouchtchev tire à sa fin. Soulagement pour la plupart, autant étrangers que Français et pour l’intéressé lui-même, sans doute. Si l’on confronte les rapports de ceux d’ici et de l’extérieur qui l’ont suivi dans sa course, l’impression se dégage d’un échec à peu près total.

 

Les Causes de l’Insuccès

A cela deux raisons : l’une vient de Krouchtchev qui en prenant pour thème de ressusciter l’antagonisme franco-allemand, a montré trop évidemment qu’il cherchait à détacher Bonn de ses liens avec l’Occident pour faire sauter le verrou de Berlin, ce qui heurtait à la fois notre politique officielle et le sentiment de la grande majorité du peuple pour qui la réconciliation franco-allemande est un gage de sécurité.

L’autre raison vient de l’organisation même du voyage qui, tant à Paris qu’en province, n’a été qu’une succession de cérémonies officielles et protocolaires fastidieuses pour l’hôte et qui donnaient au surplus de la vie française une image compassée et formaliste assez éloignée de la réalité vivante, exactement le contraire de ce qui aurait plu au visiteur. De l’avis des représentants étrangers, Krouchtchev s’est fatigué et ennuyé et n’a pu qu’avec effort surmonter une mauvaise humeur constante qui s’est souvent traduite par des boutades assez aigres. Le voyage n’aura servi en rien la cause de la compréhension mutuelle, au contraire.

 

Krouchtchev et Pierre le Grand

Détail assez amusant, la visite de Krouchtchev en France rappelle curieusement celle que fit Pierre le Grand pendant la Régence. Il remporta de la Cour de Versailles et des réceptions des notables, le plus mauvais souvenir. Ce butor que l’étiquette irritait, ne se souciait ni d’œuvres d’art, ni de mets délicats. Il n’aimait que se mêler au peuple, de partager ses plaisirs et trouver les moyens d’équiper son pays et parfaire son armée.

A la base, il y a une autre erreur, celle de croire que le rapprochement entre les peuples est fonction de visites mutuelles permettant de se connaître mieux. En réalité, les grandes haines comme les grands enthousiasmes sont le produit de l’imagination. Ils s’allument entre gens ou peuples qui s’ignorent. En se fréquentant, haines et enthousiasmes s’éteignent. Il ne reste que de petits sentiments individuels et contradictoires où la vanité nationale joue le rôle prépondérant.

C’est toujours mieux chez soi, et Krouchtchev n’a pas manqué de nous le dire. Devant nos plus brillantes réalisations, son éloge fut qu’on faisait à peine mieux en U.R.S.S. Au surplus, il est plus sensible à la dimension des entreprises qu’à leur qualité ; il n’a pas les connaissances techniques nécessaires pour l’apprécier et chez lui, le gigantesque est mieux à sa place et frappe les esprits.

Voilà l’essentiel des remarques que nous pouvons présenter avec quelque certitude. Ce que l’on souhaitait avant tout ici comme dans le monde, est que cette visite se passe sans drame. Le reste est secondaire et ne peut rien changer aux positions respectives.

 

La Machine Soviétique

Pour en revenir aux détails, l’un d’eux nous a frappés ; Krouchtchev ne semble pas bien au courant de la politique qu’on mène dans son propre pays. Quand on lui a parlé de l’or, par exemple, il a dit que le précieux métal lui semblait tout au plus bon à orner les vespasiennes (sic) alors que les économistes russes attachent une grande importance à sa possession, que les Soviets en poursuivent l’extraction à grands frais, qu’ils l’accumulent et n’en vendent sur le marché de Londres que les quantités indispensables au règlement de leurs créances, ce qui représente tout de même quelques 250 à 300 millions de dollars par an.

Ce petit fait paraît de peu d’importance. Il n’en révèle pas moins que la machine soviétique n’est pas aussi dominée par la volonté d’un homme, qu’on le croit généralement. Et même en politique extérieure, les plans et les décisions sont loin d’être dictées par le Maître. En Russie, plus qu’ailleurs, la puissance des bureaux et des organismes de direction, limite les initiatives du chef. Il en fut toujours ainsi d’ailleurs.

 

Aspects du Communisme Russe

On en dirait autant du communisme qui est censé régir l’U.R.S.S. S’il nous avait été donné d’interroger Krouchtchev nous lui aurions demandé comment il se peut qu’un particulier en U.R.S.S. (un simple officier en retraite, pas même un personnage), puisse se faire construire avec l’aide de l’Etat, non seulement une agréable villa au bord de la mer, dont il est devenu propriétaire et qu’il occupe, mais même une seconde dans les mêmes conditions qu’il loue à gros prix pour les vacances de quelque haut fonctionnaire et qu’il puisse ainsi vivre de ses rentes comme un bon bourgeois capitaliste. Comment se fait-il encore que les statistiques officielles reconnaissent que les trois cinquièmes du commerce des produits alimentaires dans les villes, sont le fait des paysans directement ou même, ce qui est pis, des revendeurs qui les ramassent dans les villages et les revendent avec de beaux bénéfices. Voilà qui pourrait fournir un trait d’union pour le rapprochement des doctrines antagonistes …

 

L’Afrique en Feu

Mais venons-en aux questions sérieuses ; hélas, l’une nous préoccupe. C’est l’Afrique, l’Afrique en feu. Le grand, le redoutable problème de l’heure : l’Union Sud-africaine ébranlée par les révoltes et les incendies au Cap et à Johannesburg, un fanatisme aveugle et sauvage qui brûle les hôpitaux et les églises. M. MacMillan a paru fort embarrassé à la Chambre des Communes, et même soucieux.

En effet, la tentative faite à Londres, à la Conférence sur le Kenya pour établir des relations multiraciales, a eu de singuliers résultats. On sait que le leader africain, Mboya avait participé à cette réunion. A son retour à Nairobi, il a été hué par ses mandants et un nouveau parti dont il est exclu s’est formé sous la direction d’un extrémiste qui se réclame de Kenyatta, l’instigateur de la révolte sanglante des Mao-Mao. Le Ministre anglais des Colonies, Macleod qui avait organisé la Conférence de Londres, s’est rendu en Rhodésie du Nord. Il a été pris à parti par la foule noire qui réclamait l’indépendance immédiate.

Au Nyassaland, les émeutes ont repris. Au Congo Belge, Kasavubu organise une gendarmerie noire qui perquisitionne chez les Blancs ; à Luluabourg, les batailles entre tribus se rallument. Les Belges quittent le pays, les capitaux s’évadent et la banque nationale a dû freiner les transferts. Tous les moyens de transport sur l’Europe sont loués pour plus de six mois … Nous pourrions continuer ainsi.

Heureusement, il y a parmi les nouveaux dirigeants africains, des hommes évolués qui s’inquiètent. Sylvanus Olympio, premier ministre du Togo ex-français, quoique de formation britannique, est venu à Paris chercher protection contre l’ambition du Ghana, son voisin. Au Mali et en Côte d’Ivoire, on s’alarme de la pénétration communiste en Guinée, et aussi du panafricanisme de Nkrumah. Ce qui est à redouter, comme nous le disions précédemment, c’est que les désordres entre Africains, et entre Africains et Blancs, ne soient le prélude de véritables guerres, que l’arrivée massive d’armes tchèques et autres, rend possible.

La politique d’indépendance inaugurée par l’Angleterre et suivie par la France peut être positive si les nouveaux Etats sont en mesure de s’organiser et de conserver comme Madagascar des liens étroits avec l’ancienne Métropole. Si les leaders raisonnables sont débordés, c’est de proche en proche, le continent entier qui court à l’anarchie. On mesure aisément les conséquences.

 

                                                                                                       CRITON

Criton – 1960-03-26 – Le Jour K

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Le Courrier d’Aix – 1960-03-26 – La Vie Internationale.

 

Le Jour K

 

Voici venu le jour K. Tout commentaire serait prématuré. M. Krouchtchev est comme Janus. Le Général de Gaulle reçoit le tsar maître de toutes les Russies et de l’empire conquis par la Moscovie qui va, de la petite ville de Londenau ( ?) où stationne l’Armée rouge, au Pacifique. Londenau est à 235 kilomètres à vol d’oiseau de Lauterbourg en Alsace. Il est bon de le rappeler. Mais Krouchtchev vient, lui, comme Premier ministre de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et Secrétaire général du Parti communiste. Le dialogue dans ces conditions sera d’un caractère assez particulier.

 

Impérialisme et Communisme

La double qualification de Krouchtchev est à elle seule un problème et au fond le problème capital pour l’avenir du monde, celui au surplus qui divise les commentateurs. Il y a ceux qui voient d’abord et même uniquement le communisme, formant un bloc indivisible présent partout, et qui aspire à la domination mondiale par tous les moyens, comme une religion politique destinée à faire de tous les habitants du monde des fidèles ou des sujets par persuasion ou contrainte. Auquel cas, il ne saurait y avoir entre les membres du Parti appartenant à des nations différentes, aucun conflit, aucune divergence susceptible de les opposer. Il y a par contre ceux pour qui le communisme est une idéologie qui sert de masque à un impérialisme semblable à tous ceux du passé, l’idéologie étant une arme choisie pour sa puissance de pénétration et qui appuyée par une force militaire géante deviendra irrésistible, à condition toutefois que la même idéologie ne soit pas utilisée par deux impérialismes différents visant au même but et donc fatalement appelés à entrer en conflit.

 

Deux Générations

Pour Krouchtchev, comme pour la plupart des militants révolutionnaires de sa génération qui ont mené la lutte dès 1917, l’idéologie et l’impérialisme ne se dissocient pas. Il a foi dans la doctrine et dans son triomphe final grâce à la propagande et à la force militaire conjuguées. Il est donc impossible de le faire penser russe sans qu’il pense en même temps bolchevik. Dissocier les deux est d’avance peine perdue. Il en est de même d’un Mao Tsé Tung.

Mais les hommes passent : entre la génération de Krouchtchev, dont le pouvoir ne peut durer longtemps et la génération qui le remplacera, il y a un fossé. Pour ces gens qui sont autour de la quarantaine, la lutte révolutionnaire est « un récit de papa », l’idéologie marxiste-léniniste une leçon apprise à l’école, particulièrement fastidieuse : réalistes, matérialistes, nationalistes, ils sont plus sensibles à l’histoire russe qu’à la doctrine. L’Occident les intéresse plus que l’Orient. Ils sont volontiers racistes, méprisent les jaunes et les craignent. Avec eux, la Russie reprendra son visage, son déguisement en U.R.S.S. ne sera conservé que dans la mesure où il pourra servir la cause nationale. Ces traits ne sont pas seulement des vues d’avenir à échéance indéterminée, ce sont des réalités présentes.

 

Le Communisme en Guinée

Nous lisions ces jours-ci le reportage d’un Italien en Guinée, qui est devenu le quartier général de la pénétration de l’orient communiste en Afrique. Tous les pays du Bloc s’y affairent, et concluent des accords culturels et commerciaux. Mais tandis que les Russes et les Satellites européens installent leurs nombreuses délégations à Conakry dans des immeubles à air conditionné, les Chinois eux partent en jeep dans la brousse, répandent des tracts en français, endoctrinent les chefs, aident et conseillent les paysans noirs. Ils font si bien que Sékou Touré en demande davantage ; on peut être sûr qu’ils répondront à l’appel.

On voit là que si communistes blancs et jaunes collaborent en apparence, c’est sur des plans différents. Et le moment n’est pas loin où les premiers seront regardés comme des colonialistes, tandis que les autres seront des frères venus apporter aux Noirs la recette de la vraie indépendance et du bonheur à la chinoise … à moins que ce ne soit le point de départ d’une invasion comme le craignent déjà certains hommes politiques du Continent noir, au Cameroun par exemple.

 

Chou en Laï et le Népal

Pour l’heure, nous en sommes encore à la collaboration sino-russe. On vient d’en avoir la preuve : Chou en Laï se rendra à la Nouvelle Delhi discuter avec Nehru des problèmes frontaliers en litige et pour préparer ce revirement, la Chine et le Népal viennent de conclure un accord de bon voisinage qui comporte un règlement de la frontière entre le Népal et le Tibet et même un traité d’assistance économique. Un modus vivendi plus vague, mais du même sens, avait été arrêté récemment entre la Chine et la Birmanie. Il est hors de doute que la pression de Moscou a obligé les Chinois à un compromis avec les voisins du Sud. La tension au Laos paraît également atténuée, Krouchtchev ne veut pas que l’Asie du Sud-Est prenne peur et sa tournée là-bas lui a appris combien on se défiait de Pékin.

L’heure d’un conflit entre les deux communismes n’est pas venue, d’autant qu’il ne semble pas que tout aille pour le mieux en Chine. Après des inondations, on parle beaucoup de sécheresse, ce qui prouve que le ravitaillement aura à souffrir et que le rendement des Communes du Peuple laisse à désirer.

 

Les Troubles au Transvaal

Des troubles sérieux ont éclaté en Union Sud-africaine. Après le malheureux discours de MacMillan au Parlement du Cap, on pouvait le prévoir. L’agitation noire, jusqu’ici localisée au Natal où elle est endémique depuis un demi-siècle s’est manifestée aux portes mêmes de Johannesburg. La répression a été dure et bien que la révolte ne soit dirigée que par un petit Parti noir, son extension est à craindre et l’on ne sait jusqu’où elle ira. Au Transvaal, les Noirs sont obligés de porter une carte d’identité et un certificat d’emploi. Mesure raciste, dit-on ; sans doute, mais qui s’explique. Les Noirs en effet quittent leurs réserves où le niveau de vie est assez bas, pour s’employer dans les mines et l’industrie dirigées par les Blancs où les salaires sont attrayants pour eux. Il est devenu malaisé de contenir cet afflux d’hommes que ne peuvent employer les établissements où déjà la main-d’œuvre est en surnombre. Dans les mines d’or, des bagarres éclatent périodiquement entre indigènes, les travailleurs en place refoulant les nouveaux venus en quête d’emploi.

C’est une situation sans issue ; la population noire croît beaucoup plus vite que le développement de l’industrie n’en peut occuper. On voit par-là comme il est absurde de faire d’une question matérielle une controverse idéologique, d’un drame d’ordre démographique une querelle de races. Cette querelle certes, existe, mais même si la collaboration et l’égalité des races était parfaite en Afrique du Sud, ce que l’on souhaite, on n’aurait pas résolu le problème de donner à tous des moyens d’existence.

 

L’Accélération du Marché Commun

Nous nous étions trop tôt réjouis d’annoncer l’accélération du Marché Commun proposé par la France et accepté par le président Hallstein. Le cabinet de Bonn est divisé sur la question. Tandis qu’Adenauer, Von Brentano et Hallstein, les politiques, veulent faire de l’Europe des Six une communauté, le vice-chancelier Erhard et la majorité des industriels allemands s’opposent aux projets actuels. Ils ne manquent pas d’arguments : l’accélération du Marché Commun comporte l’adoption d’un tarif extérieur unique, ce qui revient à augmenter certains droits de douane dans les pays à bas tarif comme l’Allemagne et à l’abaisser dans ceux à tarif plus élevé comme la France. Ce qui risque de dresser un peu plus les Sept de la zone de libre-échange que domine l’Angleterre contre les Six du Marché Commun.

La question est trop complexe pour que nous puissions l’exposer ici. Il est à craindre malheureusement que la construction de l’Europe ne subisse de nouveaux retards qui pourraient lui être fatale. Heureusement, les négociateurs ont des trésors d’ingéniosité pour inventer des compromis. Puissent-ils en trouver un.

 

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