Criton – 1963-07-06 – Le Schisme Communiste

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Le Courrier d’Aix – 1963-07-06 – La Vie Internationale

 

Le Schisme Communiste

La presse internationale est pleine de commentaires sur le schisme communiste, Krouchtchev l’a rendu public dans son discours à Berlin-Est et l’expulsion de Moscou de trois diplomates chinois laisse au colloque du 5 juillet peu de chances de trouver un compromis. Mais ce ne sont pas les seuls signes du désarroi dans le Bloc de l’Est : on a remarqué l’absence à la réunion des chefs des pays satellites à Berlin-Est de Georgiou Dej, le leader roumain.

Il y a quelque temps que nous avions signalé les symptômes successifs du détachement roumain ; refus de s’associer aux plans soviétiques de coopération et de division du travail entre pays socialistes à la réunion du Comecon, envoi d’un représentant roumain à Tirana en Albanie, accord commercial avec la Chine et enfin, ces jours-ci, seule la Roumanie a publié la fameuse lettre en 25 points du Parti communiste chinois. Malgré les multiples voyages plus ou moins secrets des hauts dignitaires soviétiques à Bucarest et sans doute de Krouchtchev lui-même, le Parti roumain a tenu bon. Sans s’aligner complètement sur Pékin, Georgiou Dej a manifesté la résolution de la Roumanie de se tenir à l’écart de la querelle et de mener une politique nationale, tant dans l’ordre économique qu’idéologique.

Dans les pays occidentaux, partisans de Moscou et de Pékin s’affrontent. Le petit parti belge, le premier, s’est scindé en deux factions. Enfin, au Congrès international des femmes à Moscou, les incidents ont été multiples. La délégation italienne a quitté la salle à deux reprises pour protester contre les propos outranciers dirigés contre l’Occident et les représentants Chinois et Hindous en sont venus aux mains. Le Congrès s’est terminé dans la confusion, malgré les efforts de conciliation de la Terechkova, la cosmonaute soviétique, et de l’inévitable passionaria espagnole Dolorès Ibarruri. Au surplus, nous avons remarqué la nervosité inaccoutumée de Krouchtchev à Berlin-Est. Ses plaisanteries habituelles sonnaient faux.

 

Les Conséquences de la Déstalinisation

Voilà donc l’aboutissement de ce lent déclin du prestige de l’U.R.S.S. que les retentissants exploits scientifiques renouvelés pour la propagande n’ont pu arrêter. Le cours de l’histoire n’est pas aussi rapide qu’on le croit communément. Le point de départ se situe en février 1956, au fameux XX° Congrès du Parti, quand Krouchtchev dénonça les crimes de Staline. La déstalinisation fut de sa part une erreur capitale. Nous le lui disions à ce moment en terminant notre article par ces mots : « Il est dangereux de toucher aux idoles. On ne sait jamais où cela mène, M. Krouchtchev ». Puis il y eut la révolte hongroise d’octobre qui consacra en quelque sorte le tournant.

Depuis, Krouchtchev a commis beaucoup de fautes depuis le défrichement des terres vierges jusqu’à l’affaire de Cuba. L’étonnant, c’est que son autorité, malgré tant de mécomptes, ait pu se maintenir. En pays démocratique, il en aurait peut-être été autrement ; encore n’est-ce pas certain. On voit bien MacMillan, malgré le scandale Profumo se remettre en selle grâce à l’appui des militants de base de son Parti. Le pouvoir a par lui-même un tel prestige que celui qui le détient peut résister aux pires désastres. Nous en savons quelque chose. Ici, rien n’indique que Krouchtchev soit sur le point de le perdre. Même si la décomposition du Bloc soviétique amenait les satellites à modifier le régime, les nouveaux dirigeants seraient obligés de maintenir avec Moscou une certaine forme d’alliance, ce qui permettrait aux Russes de sauver la face et à Krouchtchev de se faire gloire de son libéralisme.

Nous n’en sommes pas là ; les événements n’iront pas vite ; mais les difficultés économiques des satellites sont tellement aigües que, même en mettant les choses au mieux pour les Novotny et autres, ils devront réviser peu à peu leurs structures pour faire face aux pénuries trop flagrantes. Il est difficile de prévoir jusqu’où ces transformations pourront aller. Ce qui est sûr, c’est qu’elles s’imposeront.

 

La Querelle Franco-Américaine

En regard de cette évolution à l’intérieur du Bloc soviétique, la querelle franco-américaine autour de l’O.T.A.N. et de la force de frappe apparaît dérisoire et même anachronique. Dans l’avenir prévisible et cela pour bien des années sans doute, les risques de guerre nucléaire sont exclus. La Russie ayant maintenant à faire face sur deux fronts, celui de la Chine et celui des satellites, elle aura fort à faire pour conserver son empire, le dernier empire du monde actuel. D’autre part – et nous nous excusons de le répéter – une force atomique, qu’elle soit française, franco-allemande ou même européenne, Angleterre incluse, n’aurait d’efficacité et de raison d’être qu’offensive, c’est-à-dire si on la déclenchait la première pour prévenir l’agression adverse, ce qui est impensable. Sinon, Krouchtchev nous l’a dit maintes fois, tantôt aux Anglais, tantôt aux Allemands, l’Europe serait anéantie avant toute riposte. MacMillan a rappelé récemment, ce que chacun sait, que les Russes ont installé 700 rampes de lancement de fusées nucléaires à portée moyenne sur le pourtour du rideau de fer ; or une vingtaine de ces bombes suffiraient à paralyser ce qui reste d’Europe libre, et cela en quelques instants. Il est certain que ce serait là le premier acte d’une agression russe, si, par impossible, ils étaient décidés à jouer le tout pour le tout. Mais pour cela, il faudrait que simultanément ils puissent écraser les Etats-Unis avec les fusées intercontinentales ce qui est techniquement impossible dans l’état présent et même futur, à moins d’une mise au point unilatérale d’engins d’un type inédit, ce qui ne s’est jamais vu.

Ces considérations banales de simple bon sens ne paraissent nulle part dans les discussions des militaires ou des politiques. Ce n’est certes pas par ignorance. Mais ce genre d’évidence gêne les desseins des militaires comme ceux des gouvernants, les uns parce que la course aux armements est leur raison d’être, les autres pour des calculs de prestige et de combinaison diplomatique. Tant pis si les nations s’y ruinent.

 

Résistance à la Force Multilatérale

Les résistances néanmoins se font jour. Le président Kennedy qui n’a pas beaucoup de chance avec ses grands desseins, se voit obligé de remettre à plus tard la réalisation de la force nucléaire multilatérale. MacMillan n’en veut pas plus que ses successeurs travaillistes qui l’ont par avance rejetée, et les Allemands ne l’ont acceptée en principe que parce qu’ils savaient que les autres la refuserait. On sait qu’il s’agissait de construire, à coups de milliards de dollars, une force navale de surface nantie de fusées Polaris et comportant des équipages mixtes et des marins de chacune de nations engagées. Comme la décision de mettre les fusées à feu restait aux Américains, les autres trouvaient bien coûteux cette participation indirecte et de pur prestige à l’arme atomique. En outre, ces navires déguisés en cargos étaient des cibles faciles pour les bombardiers adverses à long rayon d’action. Les Russes, pour mieux le démontrer, ont envoyé quelques-uns des leurs dans les eaux américaines. On se demande comment un projet aussi saugrenu a pu être pris au sérieux.

 

Les Tournées en Allemagne

Le théâtre et la politique se ressemblent. Kennedy a fait en Allemagne fédérale et à Berlin-Ouest une tournée triomphale pour effacer l’effet de la visite éclatante du Général de Gaulle. Krouchtchev pour n’être pas en reste, a fêté à Berlin-Est les soixante-dix ans de son suppôt Ulbricht. Et il y avait du monde devant le cortège. Notre Président retourne à Bonn cette semaine pour mesurer la portée de la visite de Kennedy.

Les Allemands sont très flattés de tant d’attentions. Il y a de quoi. Ils ne voudront pas se souvenir du temps où on annexait la Sarre, où l’on voulait internationaliser la Ruhr et la rive gauche du Rhin, où l’on ressuscitait l’alliance russe. La mémoire pour les hommes est souvent gênante, pour les peuples, elle serait funeste.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-06-29 – Rupture Inévitable

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Le Courrier d’Aix – 1963-06-29 – La Vie Internationale.

 

Une Rupture Inévitable

A la veille du Colloque du 5 juillet qui devait aplanir leurs divergences, les Chinois ont envoyé aux Russes une lettre en 25 points qui est un réquisitoire complet contre Krouchtchev et sa politique. Celui-ci s’étant refusé à le rendre public, les Ambassadeurs chinois auprès des satellites de Moscou, l’ont répandu sous forme de tracts ; la rupture, si elle n’est pas officielle, n’en est pas moins consommée. Dès que les premiers symptômes de ce schisme apparurent, il était clair pour nous qu’il serait mené à son terme. Les Kremlinologues ne le croyaient pas. Il y a cependant des développements historiques que l’on peut prévoir longtemps à l’avance parce qu’ils sont si fortement inscrits dans l’ordre des choses qu’aucun événement fortuit n’en peut briser le cours. La rivalité russo-chinoise est de ceux-là.

 

Les Premiers Signes du Conflit Russo-Chinois

Le 11 octobre 1958, nous avons consacré ici un article à ce problème. Les Chinois bombardaient alors les Iles Quemoy et Matsu et menaçaient Formose. Brusquement, ils s’arrêtèrent. On apprenait que Krouchtchev venait de faire à Pékin un second voyage secret. Aux fêtes d’anniversaire de la République Populaire de Chine, aucun haut dignitaire russe n’avait paru. Quelque temps auparavant, un Congrès s’était tenu à Irkoutsk où de nombreux rapports avaient souligné l’importance d’une colonisation et d’une mise en valeur urgente de la Sibérie orientale le long de la frontière chinoise. Enfin, des bruits venus de Hong-Kong faisaient état du départ inopiné des techniciens russes avec leurs familles des zones industrielles où ils travaillent en Chine et nous concluions sur ces mots :

« Si nous nous sommes étendus sur cette question, c’est qu’elle nous paraît un des problèmes clefs de l’avenir du monde parce que susceptible avec le temps de modifier radicalement l’orientation de la politique russe. »

Il a fallu cinq ans pour que le conflit apparaisse dans toute son ampleur. Les conséquences ne se sont pas encore toutes dégagées. Cependant, la coexistence pacifique, d’un slogan de propagande est devenue réalité. L’U.R.S.S. ne peut plus se hasarder à une épreuve de force. On l’a vu à Cuba et peu à peu la détente russo-américaine s’inscrit dans les faits même si en paroles, l’hostilité demeure.

 

Comment la Politique Russe s’en Trouve Modifiée

Les Russes ont fait leur possible pour éviter cette rupture avec la Chine. Ils savaient combien elle affaiblissait leur position internationale. Ce sont les Chinois qui l’ont voulue voyant qu’ils ne pouvaient plus compter sur l’aide soviétique et que n’ayant plus rien à perdre de ce côté, ils y gagnaient de pouvoir rallier à eux les mouvements révolutionnaires des pays sous-développés, particulièrement des peuples de couleur. Krouchtchev de son côté, en a tiré les conséquences : le mouvement communiste ne devra plus paraître ni révolutionnaire, ni subversif, mais se faire l’avant-garde d’un réformisme progressif allié de tous les partis, même bourgeois, qui veulent réaliser la justice et l’égalité sociale par des moyens légaux.

Le moment paraît favorable : l’Italie est actuellement le banc d’épreuve de cette politique. Les communistes viennent de réussir à empêcher les socialistes de Nenni de collaborer avec le Gouvernement centriste d’Aldo Moro. Ils espèrent, à la faveur de la confusion politique où se débat l’Italie, arriver avec les socialistes dans une élection prochaine à s’approcher de la majorité, et obliger un gouvernement plus orienté à gauche à accepter leur soutien en attendant mieux. Ce précédent créé, on devine où l’opération pourrait être tentée ailleurs. La défense de l’empire russe serait assurée même sans changement apparent, si des gouvernements plus ou moins neutres consentaient à une collaboration pacifique.

 

Les 25 Points Chinois

Mais revenons aux « 25 points des Chinois ». C’est précisément cette politique qu’ils stigmatisent :

« Les « camarades » incriminés protègent en fait, disent-ils, les intérêts du capitalisme, trahissent ceux du prolétariat et dégénèrent en Sociaux-démocrates. Ils vont s’identifier, en glissant sur le chemin de l’opportunisme avec les nationalistes bourgeois et devenir un appendice des impérialistes et de la bourgeoisie réactionnaire….. ». «  Un parti qui représente l’aristocratie du travail est incapable de gagner la révolution et d’accomplir la grande mission historique du prolétariat.. » et pour finir, la menace : « Si le groupe dirigeant adopte une ligne non révolutionnaire et se transforme en parti réformiste, les marxistes-léninistes du dedans et du dehors le remplaceront et mèneront le peuple à la révolution ».

On ne saurait être plus net ; les hostilités sont ouvertes.

 

Kennedy en Allemagne

Le président Kennedy est en Europe : beaucoup, adversaires et partisans, avaient cherché à le détourner du voyage : la situation à l’intérieur requiert sa présence en plein mouvement d’agitation raciale. En Italie, il n’y a pas de gouvernement, tout au plus un cabinet chargé de l’intérim. En Allemagne, un Chancelier qui s’en va et un autre n’est pas encore en place. En Angleterre, un Premier virtuellement démissionnaire. Comment discuter de problèmes essentiels qui engagent l’avenir sans interlocuteurs autorisés ? Kennedy a passé outre. Il a reçu en Allemagne un accueil plus enthousiaste qu’on ne prévoyait ; c’est dire que le peuple allemand voit dans la présence américaine une garantie de sécurité qu’aucune combinaison continentale ne peut remplacer, et c’est cela que Kennedy est venu lui dire en termes précis.

 

L’Attitude d’Erhard

Le résultat des entretiens politiques dépend de l’attitude d’Erhard, le futur Chancelier. On peut la deviner : le ministre de la guerre, Von Hassel qui vient d’avoir des entretiens avec son collègue français a déclaré qu’on ne pouvait prévoir si le président des Etats-Unis en 1970 offrirait à l’Europe et particulièrement à l’Allemagne, les mêmes garanties qu’aujourd’hui, par conséquent, ajoutons-nous, en préparant pour cette époque, une défense commune avec une France pourvue d’un bouclier atomique, nous serons en mesure de substituer au déterrent américain défaillant, une armée susceptible de refouler l’adversaire. En fait, il est peu probable qu’Erhard, ou quelque autre allemand responsable, croie à cette solution. Mais cela constitue un atout dans la discussion. Kennedy voudrait engager l’Allemagne dans la constitution d’une force atomique multilatérale, fort onéreuse et plus symbolique qu’efficace, à une contribution accrue à la défense du Dollar et à l’aide aux pays sous-développés, aussi dans une ouverture plus large aux importations américaines par un abaissement des tarifs protecteurs, enfin et surtout à détourner l’Allemagne de relations militaires particulières avec la France qui risquent d’obliger Moscou à un raidissement, au moment où Kennedy cherche la détente. Sans doute, il n’aura pas de peine à montrer à Erhard quelles conséquences graves, catastrophiques même, aurait une alliance militaire avec la France qui amènerait les Etats-Unis à se retirer peu à peu d’Europe. Mais de son côté, le Gouvernement allemand n’entend pas payer un prix trop élevé pour une garantie américaine de sécurité aussi indispensable aux Etats-Unis qu’à eux-mêmes. Erhard peut se servir du Traité franco-allemand auquel il ne peut, ni ne veut renoncer, pour se dérober à des exigences excessives. La diplomatie est faite de ces marchandages.

 

Le Nouveau Chef de la Chrétienté

Le monde a accueilli avec faveur l’élection du Cardinal Montini au Pontificat. On y voit la garantie d’une continuité de la politique d’union des Chrétiens à laquelle Jean XXIII avait rallié tant de suffrages, une contribution active aussi à la normalisation des rapports entre l’Eglise du Silence, au-delà du rideau de fer, avec les pouvoirs établis. C’est pourquoi le Conclave a choisi une forte personnalité que la Chrétienté attendait, plutôt qu’un diplomate que les prudents auraient préféré. La tâche pour Paul VI est difficile : développer cet élan de charité qui avait fait tant aimer son prédécesseur tout en évitant les pièges tendus par le communisme qui peut l’utiliser pour ses desseins. En Italie même, il lui faudra dégager l’Eglise d’attaches politiques trop étroites, sans perdre la direction des âmes, et en Europe en général, encourager certains zèles tout en maintenant l’ardeur dans de prudentes limites. L’Eglise a toujours excellé à orienter des mouvements complexes et souvent opposés. Nul doute qu’on peut attendre du nouveau Pontife le même équilibre d’amour et de raison.

 

                                                                                  CRITON

 

 

 

 

 

 

Criton – 1963-06-22 – Discours de Kennedy

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Le Courrier d’Aix – 1963-06-22 – La Vie Internationale.

 

Le Discours à l’Université de Washington

Le récent discours du Président Kennedy à Washington a été accueilli comme un événement important, sinon capital, de l’après-guerre. Il annonçait le transfert à Moscou, en accord avec Krouchtchev et MacMillan, des négociations sur l’arrêt des expériences nucléaires qui trainent sans résultat depuis cinq ans à Genève. Il s’engageait en outre à renoncer aux essais dans l’atmosphère et à ne pas les reprendre avant que les Russes ne l’aient fait les premiers. Ces déclarations étaient accompagnées de propos pacifiques :

« Parmi les nombreux traits que nos deux peuples ont en commun, aucun n’est plus fort que la haine commune de la guerre … » « Nous devons prendre le monde tel qu’il est et non tel qu’il aurait pu être si l’histoire de ces derniers dix-huit ans avait été différente … » « Chose presque unique parmi les Grandes Puissances mondiales, nous n’avons jamais été en guerre avec la Russie ».

Pour ceux qui n’ont pas la mémoire courte, non seulement il n’y a rien là de nouveau, mais nous avons entendu des phrases analogues de feu Roosevelt à Yalta en 1945, deux mois avant sa mort, et maintes fois d’Eisenhower avant et pendant la fameuse entrevue de Camp David en 1959. Ce n’est pas non plus le premier moratoire des expériences nucléaires que les Etats-Unis ont respecté jusqu’au jour où, sans préavis, l’U.R.S.S. les a repris. Quant aux négociations qui s’ouvriront à Moscou avec Averell Harriman pour l’Amérique et Lord Hailsham pour l’Angleterre, les précédents ne manquent pas dont la visite du vice-président Nixon à Moscou en 1959, toutes entreprises qui n’ont rien changé aux relations Est-Ouest, pour mieux dire, qui les ont figées au point où elles sont encore. Ces manifestations oratoires et ces déclarations solennelles ne méritent pas les commentaires emphatiques qu’on leur consacre.

 

Le Véritable Sens du Discours

Ce qui ne veut pas dire qu’elles n’ont aucun sens, mais pas celui qu’on lui attribue. Kennedy parait convaincu que les Etats-Unis ont intérêt à consolider la position de Krouchtchev à l’intérieur de l’U.R.S.S. et aussi en face des Chinois qu’il doit affronter le 5 juillet. Dans cette phrase du discours cité, Kennedy y fait allusion :

« Le cours du temps et des événements apporte souvent des modifications surprenantes aux relations entre nations. »

En poursuivant le dialogue avec Moscou on peut aider à la rupture entre la Chine et l’U.R.S.S. et amener celle-ci à collaborer à maintenir l’équilibre dans l’Asie du Sud et du Sud-Est, collaboration dont nous avons signalé des preuves significatives dont le récent accord Indonésie-Malayasie-Philippines n’est pas le moindre. Les Etats-Unis comptent sur les intérêts communs pour consolider la paix entre les deux Grands. Depuis l’affaire de Cuba, on peut être sûr qu’elle n’est pas en danger.

Un accord sur l’arrêt des expériences nucléaires, s’il était conclu à Moscou, ce qui est loin d’être assuré, aurait l’avantage de condamner aux yeux du monde les expériences que s’apprêtent à faire la France dans le Pacifique et sans doute la Chine un jour ou l’autre. Elles ne les empêcheraient pas, car ni les Etats-Unis, ni l’U.R.S.S. n’y peuvent quoi que ce soit, mais cela fournirait un argument et un moyen de pression dans les négociations futures à l’O.N.U. et au sein de l’un et l’autre Bloc. Isoler la France d’un côté et la Chine de l’autre constituent un intérêt commun ou du moins parallèle dans leurs camps respectifs.

 

Les Émeutes en Perse

Il n’est pas trop tard pour revenir sur un événement intéressant : l’évolution des peuples, les révoltes sanglantes qui se sont déroulées à Téhéran et autres villes de l’Iran. Révolte singulière qui va en sens inverse de celles qu’on observe ailleurs. On l’a qualifiée en effet de réactionnaire. C’est le seul exemple, depuis que les peuples sous-développés s’agitent, d’une rébellion des masses contre des réformes progressistes. Des paysans persans s’insurgent contre la distribution des terres et contre le vote des femmes ; les affamés et les chômeurs soutiennent par la violence les privilèges du clergé musulmans et la propriété des grands seigneurs. Un sous-prolétariat affronte le feu de la police pour protester contre la participation des ouvriers aux bénéfices des entreprises, contre la nationalisation des biens privés et même contre l’analphabétisme : Révolution des pauvres contre une révolution faite pour les pauvres.

C’était bien en effet une « révolution blanche » instaurée par le Shah en personne : 1° distribution aux paysans de 33.000 des 58.000 villages qui constituent l’ensemble des terres de l’Iran ; 2° nationalisation des forêts ; 3° vote des femmes ; 4° participation des ouvriers aux bénéfices des entreprises ; 5° constitution d’une « armée du savoir » par laquelle les conscrits pourvus d’un diplôme secondaire seraient exemptés du service et envoyés dans les villages pour enseigner. Un référendum avait, grâce à de fortes pressions d’en haut, consacré ce programme, mais l’opposition demeurait forte : celle des éléments religieux parce que le vote des femmes est contraire à la tradition islamique, et contre l’expropriation des terres appartenant aux Communautés religieuses. Opposition du « front national » de gauche, non contre les réformes elles-mêmes, qu’ils approuvent même, parce qu’elles émanaient du Shah qui incarne le pouvoir personnel ; opposition des nomades qui se voyaient condamnés à cultiver la terre et à s’y fixer. Enfin du paysan contre le vote des femmes considéré comme une diminution du prestige masculin, la femme étant le seul bien dont il était le maître absolu et incontesté.

 

La Féodalité en Iran

Comme en Russie avant l’abolition du servage, le propriétaire en Iran n’est l’est pas seulement de la terre, mais du village. Il en est l’administrateur ; il en assure le financement ; il exerce la justice ; il le représente devant les pouvoirs publics. Il fournit aux paysans semences et instruments de travail, entretient les canaux d’irrigation. Disparu, le propriétaire du village, les terres distribuées, le paysan se sent seul, abandonné. En Russie, après 1861, les paysans serfs avaient manifesté la même inquiétude. Cent ans plus tard, s’ils avaient vécu, ils s’apercevraient peut-être qu’ils n’avaient pas tout-à-fait tort. Sous l’influence du clergé islamique, les masses iraniennes se sont révoltées contre la personne du Shah promoteur de l’hérésie, contre ce Gouvernement qui lui obéit, et surtout contre l’Occident inspirateur de ces réformes. Sans doute, le progrès finira par l’emporter, mais il est instructif de voir qu’il peut être mal accueilli, que des peuples peuvent ne pas voir dans cette évolution une promesse de bonheur futur.

 

Les Ratifications du traité franco-allemand

Le Traité franco-allemand vient d’être ratifié par le Parlement français, non sans résistances, comme il l’avait été, non sans réticences, par le Parlement de Bonn. Il nous paraît outrecuidant de faire de cet instrument politique dont la portée pratique est bien problématique, le symbole de la réconciliation franco-allemande. Cette « Révolution mondiale » était accomplie avant 1958, simplement parce qu’elle était de l’intérêt commun et correspondait au nouveau rapport de forces en Europe, issu de la guerre. Les peuples l’avaient compris, l’un y mettant plus de raison que de cœur, l’autre autant des deux.

En Allemagne où l’élan avait été chaleureux, le Traité a semé la méfiance. Où veut-on en venir, se demandent beaucoup ? Veut-on nous éloigner des Etats-Unis, nos protecteurs les plus sûrs ? Veut-on nous plier et même nous assujettir à une Europe refermée sur elle-même ? On a semé un doute au moment où les intérêts français et allemands sont souvent en opposition, à Bruxelles sur les questions agricoles, les tarifs douaniers et plus encore sur les relations avec l’Angleterre et ses partenaires. Un soupçon est né, peut-être sans fondement, que ce Traité est un moyen caché de saper l’Union Européenne et même le Marché Commun. On a juré du contraire, peut-être avec sincérité. Mais il est regrettable qu’on ait donné matière à en douter.

 

                                                                                            CRITON

 

 

Criton – 1963-06-15 – Hommage à Jean XXIII

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Le Courrier d’Aix – 1963-06-15 – La Vie Internationale.

 

La Mort de Jean XXIII

Des innombrables témoignages de regret et d’affection dont notre défunt pape a été l’objet, retenons ce passage de l’article de Walter Lippmann qui en expose les raisons :

« C’est un miracle de notre âge qu’un homme ait pu franchir les barrières de classe, de caste, de couleur et de croyance pour atteindre les cœurs de toutes sortes de peuples ; rien de semblable ne s’était produit dans le Monde moderne. Ce miracle est une preuve, dont nous avons tant besoin, que toutes les races humaines appartiennent à une même famille .., preuve aussi que les inimitiés et les divisions ne sont pas toute la réalité de notre espèce, qu’il y a dans les hommes une capacité que l’on ne peut mesurer, d’être touchés par l’amour. Il savait cela, il y avait foi et l’événement a prouvé qu’il avait raison. »

Ajoutons, pour notre part, qu’on peut voir aussi une protestation unanime et spontanée contre les Gouvernants qui ne sont pas tous de l’autre côté du rideau de fer, qui, entretiennent pour leur propre gloire et ambitions, ces hostilités et ces haines que les peuples épousent, mus par leurs instincts, mais qu’au fond de leur cœur ils réprouvent.

 

L’Hommage des Communistes

Les dirigeants communistes, non sans quelque gêne, ont participé à cet hommage à Jean XXIII. Ce n’est pas seulement, comme nous le pensions d’abord, par tactique électorale, C’est parce qu’ils ont besoin, dans la mesure possible, de la neutralité de l’Eglise et même des Églises chrétiennes pour éviter la dislocation de leur empire. En Europe centrale, ils voudraient par une sorte de concordat tacite, désarmer l’opposition croissante qui se cristallise autour d’elles. D’où la tâche délicate pour le prochain pontife de mettre à profit ces difficultés afin de soulager l’oppression des fidèles sans renforcer du même coup les pouvoirs qui l’exercent. Car ils excellent à entretenir l’équivoque et à s’en servir.

 

La Crise Tchécoslovaque

Le point névralgique est aujourd’hui la Tchécoslovaquie. Nous avons dit que ce pays, qui était jusqu’en 1961 la vitrine du Bloc de l’Est, a vu sa situation économique et politique se détériorer rapidement depuis, alors que chez plusieurs autres satellites elle se serait relativement améliorée. Crise alimentaire d’abord, comme en témoignent les queues qui se forment dès l’aube devant les magasins et que la population attribue à l’aide que les Gouvernants, assujettis aux ordres de Moscou, prodiguent à des pays comme Cuba dont ils ne se soucient pas. Des émeutes ont éclaté entre étudiants tchèques et étudiants de couleur venus à Prague pour être endoctrinés. Le travail au ralenti et l’absentéisme dans les champs et les usines, ont eu l’effet de véritables grèves. Le Parti a dû l’avouer, et pressé de prendre des mesures, a été jusqu’à ordonner d’élever des porcs dans les casernes, les écoles et les hôpitaux .. L’imagination ne manque pas aux bureaucrates !

Cette pénurie se greffe sur une crise politique qui traîne et s’envenime. On a successivement liquidé, pour apaiser l’opinion, les principaux responsables de l’époque dite stalinienne, et réhabilité quelques-unes de leurs victimes. Mais le principal demeure au pouvoir, Novotny, dont Krouchtchev hésite à se débarrasser de peur que la crise à cette occasion ne dégénère en émeute. Novotny menacé n’ose pas sévir et la tension monte. Elle est plus dangereuse qu’ailleurs. La Tchécoslovaquie, plus évoluée, plus proche de l’Occident pas ses traditions et sa technique, peut à la longue ne pas supporter les restrictions et la tyrannie ; l’explosion est possible. Ce serait pour l’Empire russe le commencement de la dislocation. C’est pourquoi on s’efforce de se concilier l’Église catholique, facteur d’apaisement et de concorde.

 

Le Revirement de l’Indonésie

Contre l’impérialisme chinois aussi, on se rebelle. Sitôt après la visite en Indonésie du président de Pékin, Lio-Shao-Chi, des foules en majorité composées d’étudiants, ont saccagé et brûlé des commerces et des usines appartenant à des Chinois. Il ne semble pas que les autorités aient mis beaucoup de zèle à les réprimer. Ces jours-ci, Soekarno s’est rencontré à Tokyo avec le président malais, Abdul Raman. On sait que celui-ci a décidé la formation d’une fédération dite Malayasie qui doit être effective en Août et comprend, outre la Malaise, Singapour et les trois territoires ex-britanniques de Bornéo, North-Bornéo et les Sultanats de Brunei et de Sarawak. Le reste de l’Île appartient à l’Indonésie et Soekarno s’était jusqu’ici violemment opposé au projet. Il avait appuyé la récente révolte de Brunei et menacé d’intervenir par les armes si la fédération prenait forme. Les Philippines voisines avaient, de leur côté, émis des prétentions sur ces territoires et servi de refuge aux rebelles de Brunei. Or la rencontre de Tokyo, suivie de celle des Ministres des Affaires étrangères des trois pays paraît avoir apaisé la querelle.

Prochainement doivent se réunir Soekarno, Abdul Raman et Macapagal, le président des Philippines, pour entériner l’entente. On parle même d’une alliance pour défendre les îles du Sud-Est asiatique contre la pénétration chinoise en général et communiste en particulier. Le changement d’attitude de l’Indonésie, s’il se confirme, est sensationnel. Moscou y est pour quelque chose, Washington aussi, mais c’est surtout l’agression chinoise contre l’Inde de l’automne dernier qui a provoqué le revirement. Un barrage s’organise contre les ambitions de Pékin.

 

Le Scandale Profumo

Un scandale d’une gravité sans précédent vient d’éclater en Angleterre qui achève de discréditer le Parti conservateur très atteint déjà par une série d’affaires scabreuses où les mœurs et l’espionnage étaient mêlés. On sait l’histoire : le Ministre de la Guerre, Profumo, accusé par la rumeur publique d’entretenir des relations intimes avec une personne liée en même temps à l’attaché naval soviétique Ivanov, avait nié devant la Chambre des Communes. Confondu, il a avoué avoir menti et dû démissionner de son poste et de son mandat de député. Un ministre qui ment devant le Parlement assemblé cela ne s’était jamais vu à Westminster.

Deux questions se posent : MacMillan était-il au courant ? Avait-il pris connaissance du rapport de l’Intelligence-Service ? L’ignorait-il ou avait-il sciemment couvert le mensonge de son Ministre ? Mais encore la personne en cause, avait-elle transmis au Russe des secrets d’Etat dont le ministre lui aurait fait confidence ? Comme en tout scandale de ce genre, on ne saura jamais les dessous. Les services de contre-espionnage, par vindicte personnelle ou par intérêt politique, ont-ils voulu atteindre le Premier Ministre. Ivanov était-il un agent double ou peut-être un intermédiaire utile entre Moscou et le Gouvernement britannique ? On l’a dit.

L’Angleterre tout entière est offensée dans sa dignité qui croyait que ce genre de scandale ne pouvait éclater que sur le continent. Le Parti travailliste exploitera l’affaire à fond ; quelle que soit la date des élections, il est certain maintenant que les jeux sont faits. M. Wilson, chef de l’opposition vient d’arriver à Moscou pour s’entretenir avec Krouchtchev. C’est comme prochain Premier Ministre qu’il le reçoit.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-06-08 – Révolte Noire aux USA

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Le Courrier d’Aix – 1963-06-08 – La Vie Internationale.

 

La Fin du Saint-Père

C’est vers la place Saint-Pierre que sont aujourd’hui tournés les regards du Monde, avec une émotion qui montre combien l’action de Jean XXIII avait agité les consciences, de mouvements et de réactions diverses, parfois contraires, comme il en est pour toute grande initiative dans l’ordre spirituel. Mais tous s’accordaient à y voir une adaptation de l’Eglise au siècle dont l’évolution et les exigences étaient saisies en profondeur et qui ne pouvaient être ignorées, si l’on voulait que l’influence chrétienne dans son sens le plus large, demeure prépondérante.

 

Aggravation de la Révolte Noire aux U.S.A.

Le problème noir récemment posé aux Etats-Unis sous un jour et avec une acuité nouvelle est loin de se résoudre. De Chicago à la Louisiane, noirs et policiers sont aux prises ; les incidents se succèdent ; les leaders modérés, comme le Pasteur King, sont débordés. Kennedy et son frère Robert, ministre de la Justice, sont en position difficile ; du côté législatif, on ne peut pas grand-chose, l’égalité des races étant inscrite dans les textes : l’intervention de la police et de l’armée fédérale, l’expérience l’a montré, n’arrange rien, au contraire. Pour des raisons politiques évidentes, le Président doit ménager l’humeur des citoyens blancs des Etats du Sud, ceux-ci par tradition votant démocrate. Mécontents, ils pourraient abandonner le Parti aux élections de 1964. Il est donc, bon gré, mal gré, obligé aux demi-mesures, qui, en pareil cas, sont les pires. On ne peut plus compter sur le temps pour arranger les choses. La révolte ne s’apaisera pas par des concessions. Elles ne feront que la stimuler. Il faudrait, ou bien créer un Etat noir indépendant où ceux que la suprématie blanche indispose pourraient s’établir, les autres la subissant de leur propre gré n’étant plus fondés à s’en plaindre, ou bien faire passer sans tarder l’égalité des races dans les faits. L’une comme l’autre solution sont impossibles à réaliser. Le drame est là, et l’opinion américaine en est si affectée que des questions majeures comme Cuba passent au second plan, malgré l’insistance de Dean Rusk à lui en rappeler les périls.

 

L’Armée et le Parti en U.R.S.S.

Du côté de l’Est, iI faut souvent attendre longtemps pour avoir la clé des énigmes que l’on se voit poser. Nous nous demandions qui était visé derrière Penkovsky ; c’était un militaire, le maréchal Vorontzov. Cela ne serait qu’un incident si les accusations contre l’un des grands responsables de l’armée ne portaient sur sa vie privée, sur son intempérance et les imprudences qu’elle peut provoquer. Par-là, le Parti jette sur les maréchaux un certain discrédit en représailles contre l’insubordination dont certains avaient fait preuve. L’armée et le Parti ont toujours été plus ou moins rivaux ; l’armée cherchait à tirer profit des dissensions chaque fois qu’une crise se développait au Kremlin. On se souvient comment Joukov faillit réussir à s’imposer. La situation aujourd’hui est moins sérieuse pour le pouvoir, mais est un symptôme parmi d’autres d’une fermentation très étendue et très profonde en U.R.S.S. dans des couches sociales diverses.

 

Des Révoltes au Sin-Kiang Chinois

Autre énigme : pourquoi les Chinois, depuis plus de six mois s’efforçaient-ils de conclure des accords de délimitation de frontières, d’abord avec le Pakistan (là, on comprenait qu’il s’agissait de faire pièce à l’Inde), ensuite avec la Birmanie et tout récemment avec l’Afghanistan. Ces frontières indécises sont si commodes lorsqu’on veut s’agrandir en appuyant ses prétentions d’arguments historiques ou juridiques. Pourquoi les Chinois se hâtaient-ils de leur conférer un caractère intangible ? Voici pourquoi : on pouvait par le même procédé remettre en cause les fameux traités signés au temps des tsars qui se sont fait céder d’immenses territoires par la Chine. La question a été agitée, on s’en souvient, en février par des articles discrets mais significatifs du « Journal du Peuple ».

Les Russes ont prévenu le coup à leur manière bien classique et bien stalinienne ; de petites révoltes de partisans dans les provinces limitrophes. Au Sin-Kiang, (que Krouchtchev au début de son règne avait reconnu aux Chinois) et plus précisément dans le district de Tuschantsu ( ?) où il y a, comme par hasard, d’importants gisements de pétrole, de nombreux ouvriers, des fonctionnaires et techniciens ont quitté leur poste et demandé asile en territoire russe. A Kouldja, des manifestants ont réclamé aux consul Russe des armes pour combattre les autorités chinoises. Celles-ci ont poursuivi les rebelles qui ont trouvé au-delà de la frontière, accueil, travail et logement. Des incidents analogues se sont produits en Mongolie intérieure où la colonisation chinoise rencontre une vive résistance. Les partisans trouvent appui dans la population qui souffre des conditions précaires du ravitaillement. Tous ceux que les Chinois abattent sont pourvus d’armes russes.

Ce n’est pas là évidemment un heureux prologue à la Conférence Russo-Chinoise prévue pour le 5 juillet où les divergences idéologiques devraient être aplanies.

 

L’Épilogue d’Addis-Abeba

La Conférence d’Addis-Abeba est généralement considérée comme un succès, non seulement par les Chefs d’Etat participants, ce qui va de soi, mais par les observateurs, ce qui est plus rare.

Succès non seulement pour l’empereur Hailé Sélassié dont les épreuves variées ont affermi la sagesse, mais pour les jeunes présidents des Etats tout neufs dont la maturité politique et la modération ont fait contraste avec les violences des rencontres de politiciens irresponsables comme celle de Mochi. Les chefs africains ont acquis au pouvoir le sens du possible et mis l’idéal et le rêve à sa place, comme l’unité africaine, c’est-à-dire au siècle futur. Cependant, beaucoup d’observateurs se demandaient ce que représentent ces ministres et quelle consistance ont ces Etats taillés au hasard de la colonisation. 90% de leurs sujets ne savent même pas le nom de l’Etat auquel ils appartiennent et ne connaissent de patrie que leur tribu. On l’a vu au Congo belge. Le maître de l’Etat est un chef pour la tribu à laquelle il appartient, un tyran et un ennemi pour les autres. Ce qui explique qu’une démocratie, en supposant que les conditions intellectuelles et morales en soient réunies, ne pourrait fonctionner sans que disparaisse le tribalisme et qu’un sentiment national ne s’éveille.

Les Panafricanistes voudraient sauter cette étape et instaurer un Etat unique, dont le signe de ralliement serait la négritude et même la seule appartenance au continent africain. Malheureusement, les prophètes de cet empire sont ceux qui s’en voudraient les rois. Ce  qui explique que les autres tiennent solidement à leurs Etats factices et aux intérêts particuliers des régions qu’ils contrôlent.

 

                                                                                            CRITON

Criton – 1963-06-01 – Castro à Moscou

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Le Courrier d’Aix – 1963-06-01 – La Vie Internationale.

 

La Fin des Conférences Occidentales

La première série de conférences de la saison s’est terminée. A Genève, on s’est accordé pour éviter tout désaccord et laisser le temps faire son œuvre ; un an de réflexion pendant lequel les experts, ces précieux auxiliaires, élaboreront des propositions compliquées. A Ottawa, où le délai de réflexion n’est que de six mois, on a évité aussi les sujets litigieux. A lire le communiqué, on croirait à l’absolue concorde. Si l’on a si aisément écarté les litiges, c’est que les problèmes eux-mêmes ont perdu toute urgence. Le monde a beaucoup changé depuis un an, du moins le Monde communiste. Comme c’est lui qui a, depuis la guerre, commandé toutes les attitudes des autres pays, particulièrement des Quinze de l’O.T.A.N., la crise qu’il subit les rassure et permet d’ajourner les décisions difficiles. A cela s’ajoute le départ plus ou moins proche des dirigeants de l’après-guerre : Adenauer ouvre le cortège. Enfin on ne peut nier, et il faut s’en féliciter, qu’existe un désir, une volonté générale d’éviter les éclats et les désaccords publics. Depuis le 14 janvier, la diplomatie française a compris que ce genre de provocations n’était plus de mise et fait son possible pour en effacer le souvenir. M. Couve de Murville a pris, à Washington, le tournant avec l’adresse sibylline qu’on lui connaît.

 

La Conclusion de la Réunion d’Addis-Abeba

A Addis-Abeba, les chefs d’Etats Africains ont exercé leurs talents juridiques acquis en Occident, pour masquer leurs divergences et, comme leurs anciens maîtres, ils ont créé un nombre impressionnant d’organismes pour préparer la constitution future de leur unité. Cela leur donne le temps de s’adapter aux événements prévus et imprévus et aussi de fournir à de jeunes élites impatientes des postes chargés d’honneur et de profit. Au demeurant, voici la charte adoptée : Les chefs d’Etats se réuniront une fois par an ; les ministres des Affaires étrangères deux fois, pour leur rendre compte de leurs travaux ; on crée en outre un Secrétariat général permanent, une commission de médiation et d’arbitrage où seront portés les différends entre Etats membres , enfin une série de commissions spécialisées, économique, sociale, culturelle, sanitaire, alimentaire, militaire, scientifique et technique dont les budgets seront couverts par les versements des Etats membres.

Le plus sérieux, c’est la menace de « libérer » ce qui reste d’Afrique gouvernée par les Blancs et de constituer à cet effet un corps de volontaires dont le noyau serait formé de dix mille Algériens et d’organiser un bureau d’assistance pour leur fournir des armes. Pratiquement, cela vise à ranimer la guerre civile en Angola portugais, et le cas échéant, à la porter en Rhodésie du Sud et en Mozambique, même en Afrique du Sud. Comme si les troubles du Congo ex-belge et les sanglantes vicissitudes du Katanga n’avaient pas suffi. Peut-être le gouvernement Adoula, de Léopoldville fera-t-il quelques difficultés pour entretenir sur son territoire une armée de guerriers arabes.

Les puissances occidentales et l’O.N.U. dont les soucis au Congo ne sont pas dissipés, s’entendront sans doute pour faire ajourner une telle expédition. Mais Moscou n’attend que cette opportunité pour compenser ses échecs africains et réveiller la guerre froide en pays noir. La situation peut devenir explosive.

 

Le Voyage de Castro en U.R.S.S.

Fidel Castro n’a pas encore achevé sa tournée en U.R.S.S. et s’est à nouveau entretenu avec Krouchtchev après avoir visité les provinces russes d’Asie Centrale. Ce tour d’information en pays communiste a dû lui apprendre bien des choses, mais l’objet de ce retentissant voyage était autre. C’est Moscou, on s’en souvient, qui l’avait exigé : en faisant acclamer Castro, il fallait convaincre le peuple russe que l’aide à Cuba servait la cause du communisme et que le retrait des missiles, avait été, non une capitulation, mais une manœuvre adroite pour préserver la paix et conserver l’île dans le camp oriental. Plus encore, il s’agissait d’associer avec éclat Fidel Castro à la politique soviétique et l’obliger à se prononcer pour la ligne russe contre la chinoise. Castro, effectivement, a refusé de se rendre à Pékin. Il fallait ôter à Castro toute tentation de se rapprocher de Washington, ce qu’il a fait avec cependant quelques réserves significatives qui sont de bonne diplomatie. En contre-partie de cet alignement, Castro a présenté la facture qui est lourde et cela du fait d’une circonstance aussi curieuse qu’imprévue, la hausse vertigineuse du sucre.

 

La Hausse du Sucre

La côte du sucre sur les marchés de Londres et de New-York a bondi en un an de 20 à 100 Livres la tonne, et la hausse continue. Les utilisateurs affolés constituent des stocks, la spéculation suit et les ménagères aux Etats-Unis et en Angleterre accumulent les provisions. Grâce aux désordres de la révolution, à l’expropriation des sucreries américaines, à la collectivisation des plantations, la production cubaine de sucre, principal fournisseur du monde, s’est effondrée de six à sept millions de tonnes à moins de quatre cette année, et Castro a vendu par avance son sucre aux pays de l’Est, la seule denrée d’ailleurs qu’ils pouvaient à la rigueur, se passer d’importer, mais au prix mondial d’alors et même au-dessous puisqu’il servait à régler des fournitures d’armes et de machines, facturées au prix fort.

Castro s’est aperçu du marché de dupes quand il a vu que le fonctionnement du régime capitaliste qu’il abhorre, lui offrait l’occasion d’une fortune inespérée. L’ironie de l’affaire, c’est que ce pactole est le résultat de la désorganisation que Castro a lui-même provoquée dans son pays. Il a involontairement instauré la pénurie de sucre et cette pénurie a fait quintupler le prix d’une denrée devenue rare par sa faute. Peu lui importe ; les accords avec Krouchtchev ne tiennent plus et le sucre cubain devra être payé par la Russie au prix actuel, c’est-à-dire cinq fois plus ou plutôt l’aide de l’U.R.S.S. en outillage et en armes, sera cinq fois plus importante sans que Castro en fournisse davantage.

On comprend qu’il ait fallu quelques semaines d’entretiens et de réflexion pour amener Krouchtchev à composition. Les affaires sont les affaires, même entre communistes. Il se pourrait que l’U.R.S.S. et ses Satellites remettent le sucre sur le marché mondial et que finalement ce soient les Américains qui l’achètent et fassent les frais de l’opération, ce qui n’arrangera pas leur balance des comptes.

Cet épisode qui ne manque pas de pittoresque pourrait offrir aussi aux planificateurs de l’économie quelque sujet de réflexion. Ils seront contraints à réviser leurs plans, comme ils sont en train de le faire chez nous, pour la troisième fois, en une seule année.

 

Une Petite Histoire

Fidel Castro, comme tous les dirigeants communistes se plaint de la bureaucratie qu’ils ont eux-mêmes installée. Il pourrait lire avec profit la petite histoire que nous traduisons des « Izvestia » du 13 Mai :

Un correspondant du journal, le camarade Radzevitch, était de passage à Odessa ; bousculé dans l’autobus archi-comble, un bouton se détache de son pardessus. Pas d’aiguille, pas de fil (il aurait pu ajouter qu’il n’en trouverait peut-être pas à Odessa où ce genre d’article manque souvent), il avise un atelier de couture où on l’accueille poliment. Sa requête présentée, on lui tend un formulaire en trois exemplaires. On lui demande ses nom, prénom, adresse, profession, la nature du travail et docilement il remplit les feuilles que l’on épingle au pardessus ; après quoi le maître d’atelier l’emporte. Peu après on le lui rend, le bouton recousu et la préposée lui donne à nouveau les trois feuilles pour qu’il inscrive dûment signé, que la commande a été exécutée. Combien vous dois-je dit-il enfin ? Un Kopek. Les trois papiers en valaient bien chacun autant, conclut mélancoliquement le journaliste…

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1963-05-25 – Conférences

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Le Courrier d’Aix – 1963-05-25 – La Vie Internationale.

 

Les Conférences se multiplient comme il est d’usage, en cette saison : deux en ce moment retiennent l’attention : celle panafricaine d’Addis-Abeba et celle à Genève du G.A.T.T. sur les tarifs douaniers internationaux. L’une et l’autre se proposent de vastes objectifs d’autant plus difficiles à atteindre qu’à peine réunies, les polémiques ont montré l’ampleur des obstacles.

 

La Conférence d’Addis-Abeba

L’unité de l’Afrique, un beau thème de discours où les Africains excellent. Mais il y a deux Afriques, au moins, l’une arabe, l’autre noire et dès l’abord, le panarabisme paraît mal s’accorder avec l’esprit des pays au Sud du Sahara ; beaucoup y voient un moyen d’expansion de la domination musulmane. Chrétiens et animistes la redoutent.

Le problème religieux n’est pas la seule difficulté. Politiquement, au sein de l’Afrique noire, deux pôles d’unification s’opposent : l’ambition d’Nkrumah est de devenir le Nasser de l’Afrique noire et, comme lui, voudrait un parlement unique composé de deux chambres avec un exécutif commun, une capitale et une armée sous commandement unifié. L’empereur Hailé Sélassié d’Éthiopie, hôte de la Conférence, propose une fédération d’Etats égaux dont les représentants s’accorderaient sur une politique commune en matière de relations extérieures, d’économie et de défense et une attitude collective dans les débats de l’O.N.U.

Un autre sujet de dissension, l’association des Etats francophones au Marché Commun et leur appartenance à la zone Franc, en face des anglophones intégrés au Commonwealth britannique et au bloc Sterling. Déjà, avant les séances plénières où doivent se réunir les chefs d’Etat, des controverses ont surgi : le Roi Hassan II s’abstiendra pour ne pas siéger aux côtés du Président de la Mauritanie que le Maroc revendique et l’on s’est disputé sur l’admission du Togo. Depuis l’assassinat de Sylvanus Olympio, plusieurs  gouvernements africains, dont le Nigéria, refusent de reconnaître le président Grunitzky. Tout comme les Arabes ne retrouvent leur solidarité que dans l’hostilité à Israël, les Africains ne font l’unanimité que contre le colonialisme et la ségrégation raciale de l’Union Sud-Africaine. Encore certains, comme Nkrumah, accusent-ils les Etats d’expression française de favoriser un néo-colonialisme, substituant la sujétion économique à la domination politique.

Pour être complet, il faudrait ajouter les rivalités territoriales, celle qui oppose la Somalie au Kenya et à l’Ethiopie ; celle aussi qui se dessine au sujet du Sahara entre les riverains du Sud et l’Algérie. Il faudra beaucoup de conférences pour aplanir ces difficultés, à moins qu’elles ne les aggravent.

 

La Conférence du G.A.T.T. à Genève

Autre grande confrontation à Genève entre les Etats-Unis et les pays du Marché Commun, autour du plan américain de réduction linéaire des tarifs douaniers de 50% comme le président Kennedy a été autorisé par le Congrès à le faire, selon le « Trade Expansion Act ». Comme il y a 50 nations représentées à cette Conférence, les divergences s’enchevêtrent selon les intérêts de chacun. Si l’Angleterre est favorable au projet américain, les pays du Commonwealth sont divisés, et la plupart des pays sous-développés soucieux de protéger leurs industries naissantes s’inquiètent d’un éventuel abaissement des barrières douanières et ne veulent les voir réduites que pour les produits qu’ils exportent. On prévoit donc une conférence marathon dont Genève est en quelque sorte le symbole. Les plus grosses difficultés viennent une fois de plus de l’agriculture.

Les Etats-Unis dont 40% des exportations vers le Marché Commun sont d’ordre agricole, veulent que cette proportion leur soit garantie, ce qui est incompatible avec les projets français en la matière. Les Six pour une fois sont d’accord pour s’opposer à une réduction uniforme des tarifs qui serait trop avantageuse pour les U.S.A. parce qu’ils sont en moyenne plus élevés que les leurs, et qu’une réduction de 50% laisserait aux Américains une marge de protection appréciable, ce que les Etats-Unis contestent avec quelque mauvaise foi, nous semble-t-il.

Le protectionnisme n’est mort nulle part et ceux même qui se disent libre-échangistes, seraient fort embarrassés qu’on les prenne au mot. Il ne convient cependant pas d’être pessimiste. La nécessité apparaît à tous d’assouplir les règles du commerce international et d’en réduire les barrières. Les Soviets eux-mêmes s’en rendent compte. Sans doute, on marchandera beaucoup et longtemps, mais en fin de compte, bon nombre d’entraves seront supprimées ou réduites.

 

Le Conflit Haïti-Saint-Domingue

Nous n’avions pas parlé jusqu’ici du conflit qui oppose les deux Républiques d’une île des Caraïbes, Haïti et la Dominicaine. On sait qu’après l’assassinat du dictateur Trujillo, la République de Saint-Domingue a trouvé le chemin de la démocratie en la personne du nouveau président Juan Bosch. Nous disons le chemin car souvent dans cette partie du monde on commence en démocratie et l’on finit en dictature. Voyez Cuba. C’est aussi ce qui arriva à l’actuel président de la République d’Haïti, Duvalier, ex-médecin de campagne, qui après avoir renversé le dictateur des privilégiés, Magloire, devint un tyran pour tous.

Les Etats-Unis dont l’affaire cubaine a troublé le sommeil, voudraient bien en finir avec le dictateur, mais ils hésitent, comme à Cuba à employer la manière forte. Il n’y en a malheureusement pas d’autre, et Duvalier menacé d’invasion par son voisin et traqué par ses adversaires de l’intérieur, tient tête et laisse entendre que Fidel Castro n’est qu’à quelques lieues et qu’il pourrait bien demander aide et protection aux puissances communistes. C’est précisément ce que craignent les Américains, une seconde tête de pont de l’U.R.S.S. dans les Caraïbes. Comme à Cuba, les Etats-Unis ont essayé contre Duvalier de se servir de l’organisation des Etats Américains dont l’impuissance a cependant fait ses preuves. L’inconvénient de ces tentatives diplomatiques et des parades navales au large de Port-au-Prince, c’est de sensibiliser à l’extrême l’amour-propre national des citoyens du pays qui se sent visé, si bien qu’un dictateur haï et cruel devient le symbole de la résistance à l’étranger.

 

L’Impôt sur les Sociétés en France

Si la politique extérieure française est peu appréciée par ses voisins et alliés atlantiques, la politique fiscale qui ressort des différentes mesures adoptées ces jours-ci, ne l’est pas davantage. Aux Etats-Unis, les projets du président Kennedy visent à diminuer les impôts pour stimuler l’économie, et en priorité les impôts qui frappent les Sociétés, non pas pour leur valoir de plus grands bénéfices, mais pour leur permettre d’investir davantage, de créer de l’emploi et surtout pour favoriser une ambiance d’optimisme. Cette politique est généralement approuvée par les économistes et les grands publicistes comme Lippmann. Or, en France, comme dans les autres pays de l’Europe des Six, le taux d’investissement baisse parce que les marges bénéficiaires s’amenuisent, la concurrence s’accroît, et les charges salariales augmentent. Or c’est le moment que l’on choisit ici pour soustraire aux Sociétés quelques soixante milliards d’anciens francs prélevés sur leurs réserves. Les industriels qui avaient des projets d’investissement y renonceront d’autant plus que les restrictions de crédit s’ajoutent à cet impôt pour les décourager. On voudrait freiner l’expansion qu’on ne trouverait pas mieux.

Il y a des impôts qui coûtent cher à l’Etat parce qu’ils font perdre sur d’autres chapitres plus qu’ils ne rapportent sur celui où ils s’exercent. Les statistiques futures nous fixeront là-dessus.

 

                                                                                            CRITON

 

 

Criton – 1963-05-18 – Les Émeutes de Birmingham

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Le Courrier d’Aix – 1963-05-18 – La Vie Internationale.

 

Les Émeutes de Birmingham

Les troubles raciaux entre Noirs et Blancs à Birmingham dans l’Etat d’Alabama émeuvent la conscience des Américains et desservent gravement leur cause dans les Etats Africains. A la différence des rixes provoquées il y a six ans par la ségrégation scolaire à Little Rock (Arkansas) et les violences consécutives à Oxford (Mississippi), les émeutes de Birmingham ont commencé par une démonstration collective des Noirs contre l’inégalité et les injustices dont ils sont l’objet. Ce qui explique que le maintien de l’ordre revenant selon la loi fédérale à la police de l’Etat d’Arkansas, le Gouvernement de Washington n’a pu intervenir directement comme il l’avait fait pour protéger l’an dernier l’étudiant noir Meredith. Cette carence apparente a beaucoup contribué à irriter les esprits ; la police de Birmingham a procédé à des arrestations massives employant pour réduire les manifestants, les lances d’incendie et les chiens. Le sang a coulé. Une fois de plus, le problème noir se pose aux Etats-Unis, comme une tare sociale que les autorités sont impuissantes à effacer.

 

Les Deux Aspects du Problème Racial

Rappelons comment se pose le problème. Il revêt deux aspects bien différents, opposés même. D’une part, comme hier à Birmingham les Noirs conduits par le Révérend King, demandent l’égalité des droits, c’est-à-dire ceux que la Constitution des Etats-Unis, la morale et l’idéologie américaine accordent à tout citoyen quelle que soit sa race. Jusqu’ici, l’élite noire et « l’association pour l’avancement des peuples de couleur » luttaient par des moyens légaux et pacifiques pour l’obtenir.

La situation semble avoir changé ; le drame de Birmingham diffère en nature des précédents incidents. Un universitaire noir, le Dr Clark l’expose en ces termes :

« La crise actuelle est le reflet d’un profond sentiment de frustration, de désespoir, de la conscience de plus en plus évidente que la condition des Noirs aux Etats-Unis est irrémédiable, qu’ils ne pourront jamais obtenir justice, égalité et démocratie dans le système américain. L’amertume et la désillusion viennent de ce que les Noirs se rendent compte que les Blancs ne leur accordent que cette solution hypocrite du « tokenism pour prix de la paix sociale et raciale » (entendons par ce terme l’accession d’une petite élite à des postes de responsabilité dans l’administration et l’enseignement). « Les gains obtenus par la masse depuis trente ou quarante ans sont plus illusoires que réels ; demeurent : la ségrégation dans les écoles, aussi bien au Nord qu’au Sud, la discrimination dans l’emploi dans l’ensemble de l’économie américaine, le fait que l’écart entre le revenu d’une famille noire et d’une blanche est plus large aujourd’hui qu’au plus profond de la dépression des années trente. » Et le professeur de conclure : « que le Noir est systématiquement dépouillé de sa dignité en tant qu’être humain, aussi bien dans le Sud qu’ailleurs, ce qui peut nous conduire à un désastre que j’ai horreur d’envisager. »

Voilà la thèse exacte de ceux qui veulent être, comme on dit ici, des citoyens américains à part entière.

 

Les Nationalistes et les Musulmans Noirs

Mais il y a les autres, les nationalistes et les Musulmans noirs, dont le chef et prophète est Elizah Muhammad. Celui-ci n’a que raillerie et mépris pour les émeutiers de Birmingham, le révérend King et l’étudiant Meredith entrant à l’université blanche protégé par les troupes fédérales :

« L’homme blanc est « devil », dit-il, foncièrement mauvais. Il est le maître et le plus fort, mais le Noir est l’élu de Dieu ; on ne nous accordera jamais l’égalité et nous n’en voulons pas. Nous ne désirons obtenir que les moyens d’avoir une place à nous, dans un territoire qui soit nôtre, à la rigueur en Amérique si on ne nous permet pas de retourner parmi notre peuple d’où nous venons. Nous savons, par une expérience de quatre siècles, que nous ne pouvons pas vivre en paix ensemble. Vous ne nous accepterez jamais comme des égaux et nous méprisons vos promesses. »

Nous mettons pour nos lecteurs ces deux citations en regard. La dernière est particulièrement significative, car elle coïncide étrangement avec la théorie de « l’apartheid » appliquée en Afrique du Sud et si décriée, tant par les Africains que par les humanistes blancs. La thèse de Muhammad est exactement en effet, celle du développement séparé dans un Etat noir, avec l’aide des Blancs seulement pour les moyens d’y parvenir, en particulier l’éducation, ce qui n’exclut pas une haine raciale irréductible et même la menace future « d’une suprématie des Noirs lorsque ceux-ci seront tous devenus musulmans ». (sic).

Voilà donc le problème en pleine lumière. Répétons-le avec nos auteurs, la question raciale vient de prendre aux Etats-Unis un tour nouveau plus décisif et plus dramatique, dont les conséquences pour l’avenir des Etats-Unis et celui des relations internationales n’a pas besoin d’être soulignée.

 

Les Etats-Unis et le Moyen-Orient

Un commentateur de la radio britannique avait ce mot : Les Etats-Unis et l’U.R.S.S. sont tellement occupés de leurs problèmes intérieurs et des conflits avec leurs alliés, qu’ils en oublient de se dresser l’un contre l’autre. En effet, le Président Kennedy vient de proclamer avec une certaine solennité que les Etats-Unis se réservaient d’intervenir, seuls au besoin, si la paix et l’équilibre des forces au Moyen-Orient, venaient à être perturbés. Que n’aurait-on pas entendu à Moscou, en d’autre temps, si pareille décision américaine avait été officiellement exprimée ! Or le Kremlin n’a dit mot. Les Chinois en sont la cause et aussi le procès Penkovsky-Wynne.

 

Le Procès Penkovsky-Wynne

Ce procès s’est déroulé en partie en public et en présence d’étrangers, ce qui est sans précédent, tout comme la mise en accusation et la condamnation à mort de ce colonel soviétique convaincu d’avoir espionné pour le compte des agents secrets britanniques et américains. En apparence, il s’agissait de faire un exemple et de prévenir les Soviétiques de tenir des propos indiscrets aux touristes de passage. Mais c’était avouer aussi qu’un officier russe chargé de hautes fonctions au fait de secrets militaires, pouvait être un espion. Le fait est trop singulier pour n’être pas suspect. Et certains entrefilets des « Izvestia » nous apprennent qu’il est invraisemblable qu’un personnage de ce rang ait pu pendant deux ans se livrer à de pareils agissements sans la protection ou l’incurie de fonctionnaires plus haut placés encore. Il y a des limogeages sous roche, et sans doute quelques adversaires politiques que l’on veut tenir en respect sous la menace de révélations désagréables. Pas de fumée sans feu, à Moscou tout particulièrement.

 

Signes de Coexistence Pacifique

Entre temps, ce lent et sinueux rapprochement russo-américain, que nous suivons avec patience prend une tournure plus précise. Le terrain propice est aujourd’hui la Hongrie ; les axes passent par le Vatican et le régime Kadar qui, cette année, multiplie les gestes de détente : le 21 mars une amnistie qui a effectivement libéré 4.000 prisonniers politiques enfermés depuis l’insurrection de 1956, l’Eglise catholique recouvrant en partie le contrôle de sa propre activité permettant l’exercice plus normal du culte, une politique plus conciliante à l’égard des intellectuels, un relâchement des contrôles sur la paysannerie, l’octroi de quelques passeports pour des Hongrois se rendant à l’étranger, enfin et surtout la prochaine libération du cardinal Mindszensky réfugié depuis 7 ans à l’ambassade américaine.

Le Gouvernement des Etats-Unis, dans un mémorandum au Congrès, s’appuie sur ces faits pour demander l’autorisation de reprendre des relations diplomatiques complètes avec le Gouvernement Kadar. Il ne le ferait pas sans l’assentiment de Moscou. On parle aussi, malgré le maintien rigoureux du mur de Berlin, de contacts plus ou moins officiels entre représentants des deux Allemagnes. Le maire Willy Brandt a été, ces temps-ci particulièrement discret sur ses griefs à l’égard du régime Ulbricht et celui-ci en fait autant. La crise de Berlin s’estompe, et les bourses allemandes sont effervescentes, certes pour saluer le succès d’Erhard dans l’apaisement du conflit de la métallurgie, mais aussi peut-être parce que le rideau de fer se fait moins impénétrable. On a besoin, de l’autre côté, de quelques fournitures des barons de la Ruhr.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1963-05-11 – Élections Italiennes

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Le Courrier d’Aix – 1963-05-11 – La Vie Internationale.

 

Les Élections Italiennes

Les résultats des élections italiennes sont amers pour la démocratie chrétienne. L’ouverture à gauche de M. Fanfani ne lui a pas fait gagner des voix de ce côté, tandis qu’à sa droite le Parti libéral doublait sa représentation parlementaire. Mais ce qui l’inquiète surtout, c’est l’avantage du Parti communiste dont les suffrages montent de 22 ou 25 pour cent. Moscou avait soigneusement préparé les choses et le succès a répondu. Ce succès communiste surprend ceux pour qui le « miracle italien », la disparition du chômage, la hausse des salaires, le progrès étincelant de l’économie, étaient des gages certains d’un recul de l’esprit révolutionnaire. Or, par un paradoxe dont l’histoire est coutumière, c’est ce miracle même qui a favorisé le communisme.

En effet, attirés par la facilité de l’emploi, des masses rurales venaient chaque jour prendre du travail dans les grands centres industriels ; déracinés, soustraits à l’influence de leur milieu, ils ont trouvé dans les villes des conditions de logement pénibles, l’hostilité des habitants anciens que cette concurrence indisposait. Ils sont devenus une proie facile pour les agitateurs qui les guettaient. A Milan, à Turin, à Gênes, les montagnards de Vénétie, les Siciliens et les Calabrais ont voté communiste. D’autres  raisons aussi ont favorisé l’extrémisme. La visite d’Adjoubei au Vatican, les propos approbateurs de Krouchtchev pour l’action pacifique du Souverain Pontife, la tactique conciliante de Togliatti à l’égard de la petite bourgeoisie ont affaibli la crainte chez beaucoup de femmes d’enfreindre les consignes qui leur défendaient de voter comme leur mari ou leur frère.

Enfin, la politique confuse des Partis, la division de la Démocratie-chrétienne en deux tendances constamment aux prises, enfin et surtout la succession de scandales politiques dont la presse italienne, pour attirer des lecteurs friands d’histoires malsaines, publiait abondamment le déroulement qui mettaient en cause les plus hauts et même le plus haut personnage de l’Etat. Comme dans tous les pays latins, la démocratie fonctionne mal en Italie. Peu à peu le public n’y voit que des ambitions qui se heurtent et la corruption dans les sphères dirigeantes. Le néofascisme même a gagné des voix malgré les souvenirs pénibles de la défunte dictature. La crise gouvernementale qui s’ouvre sera difficile et longue à résoudre. Heureusement, l’agitation politique en Italie est plus verbale que menaçante. Mais si un homme d’autorité se montrait capable de saisir le pouvoir, là comme ailleurs, le fragile édifice des Partis ne résisterait pas.

 

Fidel Castro à Moscou

Donc Moscou pavoise pour sa victoire de Rome. On pavoise encore mieux pour recevoir Fidel Castro, le héros de la révolution communiste en Amérique latine. En fait, celui-ci, depuis l’affaire des missiles, hésitait à s’engager plus avant dans la soumission aux Soviets. Il se montrait plus attentif aux procédés apaisants de Washington. Krouchtchev, averti, le somma de venir et il est venu, plutôt gêné que satisfait des acclamations préparées en son honneur. Il sent le piège et ne peut s’en défaire ; l’économie chancelante de Cuba ne peut se maintenir que par les subsides de Moscou. Il va évidemment exiger qu’ils s’accroissent et Krouchtchev est obligé de le satisfaire, ce qui est lourd.

 

Divergences Roumano-Soviétiques

De curieuses nouvelles viennent de Roumanie, auxquelles jusqu’ici aucune presse n’a prêté attention. La Roumanie en effet, passe pour un satellite fidèle et son maître, Georgiou Dej, pour un bon serviteur du Kremlin. Or toute une série de faits montre que Bucarest ne suit plus les directives. La Roumanie a renoué les relations diplomatiques de l’Albanie, seule des démocraties populaires. Elle vient de conclure avec Pékin un accord commercial. Elle a manipulé le taux de change du lei. Des parités discriminatoires désavantagent les achats tchèques et allemands de l’Est, favorisant au contraire les échanges avec d’autres dont la Pologne, l’Albanie et la Chine. Et surtout, à la dernière Conférence du Comecon (cette sorte de marché commun que les Russes veulent imposer à leurs satellites et qui tend, selon leur vocabulaire, à favoriser la division du travail socialiste), à cette réunion donc, la Roumanie a refusé de renoncer à certaines productions industrielles au profit de ses partenaires et prétendu développer ses relations économiques avec les pays capitalistes plutôt que de réserver ses ressources aux échanges avec les pays communistes.

Bucarest reçoit en ce moment beaucoup de missions industrielles d’Occident. Les Anglais sont particulièrement actifs. Ces divergences plutôt surprenantes avec Moscou s’expliquent par l’exploitation intense que les Russes ont fait des richesses roumaines. Ce pays en renferme assez pour devenir prospère et si l’on s’en tient aux chiffres de sa production, ses progrès récents permettraient un relèvement sensible du niveau de vie si elles étaient utilisées au seul profit de la population. Malheureusement, il n’en est rien, à cause des livraisons à bas prix imposées par le bloc dit socialiste. Les salaires demeurent misérables. Un ouvrier non qualifié avec 450 leu par mois peut à peine se nourrir. Le mécontentement est manifeste et Georgiou Dej, pour ne pas perdre le contrôle, ne craint pas de passer outre aux injonctions de Moscou. Autrefois, cette insubordination aurait paru invraisemblable. La position affaiblie de Krouchtchev qu’il cherche par tous les moyens à relever, ne lui permet plus de dicter ses consignes, et les tendances nationalistes dans l’Empire russe se redressent.

 

Les Progrès du Nationalisme

Le phénomène n’est pas isolé. Il est au contraire universel, autre paradoxe de ce temps. Jamais les esprits raisonnables n’ont mieux senti la nécessité d’associer de grands ensembles économiques et politiques, seule garantie d’un progrès accéléré. Or ce n’est pas un fait, mais dix qui nous montrent au contraire l’impossibilité d’accorder deux Etats grands ou minuscules dans une collaboration coordonnée. Voici, quelques jours à peine après la proclamation de la nouvelle République Arabe unie, que le Gouvernement syrien du Baath démissionne ses membres nassériens et chasse les officiers partisans de l’union avec Le Caire. Le Maghreb uni ne l’a jamais été moins. Entre Ben Bella, Bourguiba et Hassan II, sans compter le roi Idriss de Lybie, l’hostilité est à peine déguisée ; les deux Etats de la petite île d’Haïti sont au bord de la guerre. Soekarno s’oppose à la formation de la Malagasie, etc.

 

La Prochaine Confrontation Tarifaire avec les U.S.A.

Les Grands donnent d’ailleurs l’exemple et notre Marché Commun va connaître une phase difficile. Les partisans de la Grande Europe sont bien décidés à faire craquer le cadre de la petite. M. Erhard et M. Heath viennent de se rencontrer pour manifester leur volonté d’inclure l’Angleterre dans le système d’échanges intereuropéens et de négocier avec les Etats-Unis un abaissement multilatéral des tarifs douaniers. C’est sur cette négociation que les divergences entre la France et ses partenaires vont s’affronter. Encore ceux-ci ne sont-ils pas tous d’accord avec Erhard et Heath sur les concessions à accorder aux Américains, chacun voulant sauvegarder ses intérêts qui ne sont nulle part semblables à ceux du voisin. De même, le plan américain en matière de défense atomique, qu’il soit multilatéral ou multinational paraît condamné à n’être qu’un projet sans échéance.

A vrai dire, il n’y a pas actuellement au monde deux nations capables, par des renoncements mutuels à une coopération sans réserve, sinon par la contrainte et encore, même tenues par la force, elles trouvent moyen de se dérober.

 

                                                                                            CRITON

 

Criton – 1963-05-04 – Les deux Allemagnes

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Le Courrier d’Aix – 1963-05-04 – La Vie Internationale.

 

La Nomination d’Erhard au Poste de Futur Chancelier

La lutte qui, depuis cinq ans oppose le Chancelier Adenauer à son Ministre de l’économie, le Dr Erhard, a pris fin sur un vote du Parti Chrétien-Démocrate qui a désigné Erhard futur chancelier. Comme il l’a promis, Adenauer passera ses pouvoirs à l’automne. Le vote de son Parti, malgré le veto dressé contre son rival, n’était pas dirigé contre le vieux Chancelier, mais imposé par des considérations électorales. Les Chrétiens-Démocrates venaient de subir aux élections des Länder une série d’échecs. La coalition avec les libéraux demeurait fragile. La montée des Socialistes faisait craindre un renversement de majorité en 1965. Il fallait à la Chancellerie l’homme le plus populaire pour redresser la situation.

 

Les Deux Allemagnes

L’hostilité d’Adenauer à l’égard de son ministre n’est pas seulement le fait de l’obstination d’un vieillard. Erhard et lui représentent deux politiques et deux Allemagnes. Tout les oppose, jusqu’à la conception même du pouvoir, l’un soumettant ministres et parti à son autorité, l’autre admettant une direction collective dans le cadre d’une politique générale.

Erhard représente l’Allemagne industrielle, en majorité protestante, dont la puissance fit le Reich, qui a surmonté sa ruine et pour qui le cadre de l’Europe des Six est trop étroit. L’expansion industrielle, la seule forme d’expansion à laquelle l’Allemagne peut aujourd’hui prétendre, exige une ouverture totale sur le monde où ses facultés concurrentielles peuvent s’exercer. Capitaliste et libérale, cette Allemagne de la Ruhr et des grands ports hanséatiques, veut voir partout s’abaisser les barrières douanières qui entravent le commerce international, s’ouvrir à son activité, aussi bien les pays sous-développés que les grands pays industriels, Angleterre et Etats-Unis compris. Elle adhère au Marché Commun dans la mesure où il permet d’abaisser les tarifs entre ses membres, mais se refuse à en faire une entité qui voudrait se protéger de la concurrence extérieure. Le libéralisme d’Erhard n’est pas seulement une doctrine et une conviction, mais l’expression de la vocation exportatrice de l’industrie allemande, cette industrie qui n’a cessé qu’à de rares intervalles de dominer la politique allemande, aux intérêts de laquelle se soumettait, contrairement à ce qui se passait en France, l’agriculture et le commerce. Cette Allemagne-là est toute acquise à la protection militaire des Etats-Unis et aussi à des échanges fructueux avec les pays de l’Est, tout communistes qu’ils sont.

On conçoit que l’Allemagne du Saint Empire qu’incarnait Adenauer, puissance continentale en face du monde slave et du monde anglo-saxon comme une personne morale à prédominance catholique, capable par ses ressources agricoles conjuguées, son potentiel industriel unifié, son patrimoine culturel sa force militaire reconstituée de jouer un rôle indépendant dans le concert ou plutôt les discordes internationales, que cette Allemagne-là ne peut s’accorder avec l’autre. Jusqu’ici, elles coexistaient et l’on retardait l’heure du choix. Elle est venue quand on a mesuré les conséquences du Pacte de l’Elysée. L’Allemagne d’Erhard qui sera sans doute plus tard représentée par une coalition des Chrétiens-Démocrates avec les Socialistes, sera plus Atlantique qu’Européenne. C’est pourquoi à Washington et à Londres, en Scandinavie, en Suisse, en Autriche, et aussi à La Haye et à Bruxelles, la désignation d’Erhard à la Chancellerie a été accueillie avec une joie discrète et profonde.

 

Le Pacte Franco-Allemand

Nous venons de dire que le malencontreux Traité franco-allemand a beaucoup contribué à presser la décision. Sans doute, la réconciliation entre les deux pays est approuvée par tous, mais à condition qu’elle ne sépare pas l’Allemagne des autres. La politique française depuis la rupture de Bruxelles a convaincu les Allemands du danger d’un axe Paris-Bonn. Adenauer qui voyait dans ce pacte le couronnement de son œuvre doit reconnaître aujourd’hui qu’il l’a brisée et sans doute définitivement ; sa noble et courageuse carrière méritait une fin plus heureuse.

 

La Remontée des Économies Anglo-Américaines

Par une coïncidence fortuite, l’Europe dont la renaissance économique faisait parler de miracle et dont l’expansion rapide contrastait avec la stagnation du monde anglo-américain, perd de son dynamisme, tandis que de l’autre côté des mers, on assiste au début d’une montée. Le mouvement a été si brusque qu’il a déjoué les pronostics. Les économistes anglais et américains étaient, il y a un mois à peine, plutôt réservés sinon pessimistes. De part et d’autre, on cherchait les moyens de relancer le progrès, Kennedy comme MacMillan, par des réductions d’impôts, un soutien aux industries chancelantes et des stimulants à l’exportation. Et puis on constate que les choses se redressent d’elles-mêmes, on ne sait trop pourquoi. Bien sûr, il ne s’agit encore que d’un timide départ, mais les indices sont positifs : tandis que les bourses des valeurs européennes s’affaiblissent, celle de New-York s’anime et celle de Londres se raffermit.

 

Le Conflit de l’Acier aux U.S.A.

Il serait injuste de dire que les dirigeants n’y sont pour rien.

Le président Kennedy, en effet a tiré la leçon de la fausse manœuvre qui l’avait, l’an dernier, mis en conflit avec les dirigeants de l’industrie sidérurgique. Ceux-ci, on s’en souvient, à la suite des hausses de salaires avaient voulu relever le prix de l’acier de 6%, Kennedy s’y était opposé et les maîtres de forges avaient dû s’incliner. Ces jours-ci, ils sont revenus à la charge, ont augmenté leur prix d’une façon sélective selon les produits pour ne pas paraître défier le Président. Celui-ci à son tour, a consenti et ce geste a scellé la réconciliation du Gouvernement avec le « big business ». Mieux encore, Kennedy a recommandé aux Syndicats de ne pas riposter par des revendications de salaires. Coïncidant avec un accroissement en Mars du revenu national, cette attitude a ramené l’optimisme auquel sont naturellement portés les gens d’affaires américains, et le public reprend confiance.

En Angleterre, c’est le budget présenté au début d’Avril par Maudling qui a renversé la tendance, budget qui ne craint pas de risquer le déficit pour soutenir les affaires. Par ailleurs, les résultats des grandes sociétés sont meilleurs qu’on ne le prévoyait et l’écart entre exportations et importations s’est sensiblement réduit. Il n’est pas sûr que ce soit un départ pour de bon. Il faut faire la part de tactique électorale. On parle en effet d’un scrutin à l’automne. La position des Conservateurs était hier désespérée. Il faut faire vite pour la redresser. Les industriels et financiers qui soutiennent le parti ne manquent pas de ressources pour présenter sous un jour favorable les perspectives de leurs entreprises. Il n’en reste pas moins que par une sorte de jeu de bascule, le gonflement des coûts de production qui s’est accéléré sur le continent commence à profiter aux industries anglo-américaines, où ils sont restés à peu près stables. Va-t-on assister aussi à un renversement des mouvements monétaires, au redressement de la Livre et du Dollar au détriment des devises continentales ? On n’en est pas encore là, mais il est fort possible qu’on y arrive, surtout depuis qu’en France, jusqu’ici pôle d’attraction des capitaux, on voit ceux-ci se dégager.

En la matière, comme en bien d’autres, en notre France, s’il était difficile de faire mieux, il n’était guère possible de faire plus mal. Après avoir lâché inconsidérément la bride aux crédits et à la création de monnaie, on met brusquement les freins alors qu’il aurait fallu les mettre quand la conjoncture s’emballait et les relâcher quand elle commençait à s’essouffler. On feint de s’apercevoir qu’on est lancé dans l’inflation alors qu’on n’a rien fait d’autre depuis quatre ans et puis, pour mieux décourager les entreprises, on en revient au vieux système de la taxation des prix qui n’a jamais rien empêché, sinon le progrès de l’économie. Sous la III° République, à chaque crise financière, on s’en prenait aux pierres à briquet. Aujourd’hui aux lames à rasoir. Qu’on soit libéral ou dirigiste, ou les deux à la fois comme c’est le cas, la règle préalable est de ne pas agir à contretemps. Mieux vaudrait s’abstenir.

 

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