TL;DR: Organizations start security programs for a variety of reasons but often times have motivations that may limit the success of the security program. Keep in mind that the business needs a security program will cover on day one will likely be very different as the company evolves; companies and their security leaders have to be ready to adapt. Finally, security is far more complex than most would imagine. The breadth and depth can be daunting even for experienced security professionals, let alone those who are not responsible for security.
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Ce blog regroupe maintenant plus de 930 articles de Criton publiés de 1945 à 1964 dans les pages du “Courrier d’Aix”.
Ces articles peuvent être utilisés à des fins académiques, à condition d’en mentionner l’origine (Courrier d’Aix), la date, le nom de l’auteur (Criton) et l’adresse du blog.
Quelques corrections de détails (fautes de frappes, orthographe, erreurs évidentes) ont été apportées dans la transcription des textes. Les originaux accompagnant chaque article, il en reviendra aux puristes de vérifier le texte 100% authentique.
Nous continuerons à régulièrement ajouter la suite des articles dans les prochains mois.
Philosophie guidant ces chroniques. extrait du 24 nov 1945
Si nous dénonçons ici, par amour de la vérité, de façon un peu rude, les ruses de la politique internationale, ce n’est ni pour un malin plaisir, ni par mépris des hommes, ni par scepticisme systématique envers l’idéal qui s’exprime.
Nous savons que Messieurs Staline, Truman et Attlee veulent le bonheur de l’humanité, chacun à leur manière, dans le plus juste des mondes.
Mais nous ne pouvons pas nous empêcher de constater que ces idéaux généreux et contraires s’adaptent merveilleusement aux intérêts égoïstes des nations qu’ils représentent.
Pour nous, idéalistes mais clairvoyants, cette utilisation des valeurs spirituelles à des combinaisons pratiques est simplement odieuse. Cet art savant du mensonge qu’est la politique de notre temps fera rouler l’humanité abusée de guerre en guerre.
Il faudrait faire retour à la sincérité, apporter à la cause de la paix des sacrifices considérables et évidents. Ce serait la suprême habileté.
D’ici là, il convient que les esprits libres ne soient pas dupes. Nous y veillerons.
Criton
Bienvenue dans le domaine de Criton
Bienvenue sur le site de Criton, alias Max Charrier, homme érudit, polyglotte, Résistant de la première heure à Aix-en-Provence. De février 1945 à février 1967, il a publié dans l’hebdomadaire “Le Courrier d’Aix” sa chronique, d’abord intitulée “la Guerre et le Monde”, “Le Chemin de la Paix, puis “La Vie Internationale”, dans laquelle il faisait la synthèse de l’actualité d’un point de vue historique, chaque samedi. Afin de préparer l’article de la semaine, chaque matin à l’aube, il écoutait les nouvelles diffusées par différents pays sur la radio ondes-courtes en russe, italien, allemand, anglais, espagnol et français et il lisait les journaux tels le Herald Tribune, le Corriere de la Sera, El País, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, La Pravda, Les Izvestia, The Times, Le Monde et le Figaro.
La collection complète de ces articles sera publiée sur ce site dans les prochains mois. Ce recueil d’articles constituera, au fur et à mesure de sa mise en ligne, une nouvelle source intéressante pour les historiens de l’après-guerre.
Criton – 1964-06-27 – Le Pays le plus mal Informé : la France
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Le Courrier d’Aix – 1964-06-27 – La Vie Internationale
La France, le Pays le plus mal Informé
Dans la plus sérieuse revue de politique internationale des Etats-Unis, un publiciste français affirme que notre public est le plus mal informé des pays du Monde libre. D’informations cependant, nous en sommes submergés. Celles qui font les gros titres sont le plus souvent sans importance. Celles qui sont significatives se trouvent noyées dans la masse. La propagande, les directives du pouvoir, les sujets tabous – il y en a dans tous les pays – les discours officiels qui, partout aussi, ne servent qu’à masquer la vérité, tout concourt à égarer plutôt qu’à instruire. Ainsi, le conflit russo-chinois, la défection roumaine dans le camp communiste n’ont été publiés que des années après qu’une étude attentive en révélait les symptômes. D’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, on n’en soupçonne rien. Mais prenons un exemple actuel :
Le Chômage en Pays Communiste
A Varsovie vient de se tenir le Congrès du Parti sous la présidence de Gomulka. Celui-ci n’a pas fait mystère des difficultés économiques de la Pologne, ni des conflits à l’intérieur de la machine gouvernementale, des oppositions de droite et de gauche, des intellectuels et des staliniens devenus pro-chinois. Mais l’essentiel, il l’a tu. En Pologne, il y a présentement cinq cent mille chômeurs, soit 6% de la population active, moitié plus proportionnellement qu’aux Etats-Unis. Nous avions signalé ici que le gouvernement de Varsovie avait dû licencier les femmes pour occuper les hommes oisifs. En Yougoslavie, 300.000 chômeurs aussi, plus que le pays n’en a jamais compté sous la monarchie. En Bulgarie, le nombre n’est pas connu mais considérable. En Tchécoslovaquie également. En Russie, même, la fluidité de la main-d’œuvre, comme l’on dit là-bas, masque une désoccupation chronique.
L’importance de ce phénomène n’est pas à souligner. La prétendue supériorité du régime collectiviste repose en effet sur le plein emploi. L’existence du chômage, même minime, marque sa faillite sur le plan humain comme sur le plan économique. Or il faut recourir à des revues spécialisées que le public ne peut consulter pour qu’un fait aussi capital soit connu. Loin de nous le révéler, notre plus grand quotidien publiait récemment un article de propagande du Gouvernement bulgare où l’économie du pays était présentée naturellement sous les plus brillantes couleurs. Ne cherchons pas là des combinaisons politiques plus ou moins suspectes. Il n’y a peut-être que le souci d’une certaine objectivité mal comprise qui, associée à l’ignorance, présente au lecteur crédule les pires déformations.
L’Avenir de l’O.N.U.
Veut-on un autre exemple d’importance aussi : les « Izvestia » de Moscou publiaient récemment un violent article contre le Premier canadien M. Pearson qui – nos lecteurs s’en souviennent peut-être – avait lancé l’idée de constituer une force de police internationale qui se rendrait partout où un risque de conflit menacerait. Cette armée de la paix serait composée, comme celle qui opère à Chypre, de contingents formés à cet effet, appartenant exclusivement à des pays à la fois neutres et hautement civilisés pour éviter que ne se reproduisent les désordres qui ont marqué au Congo ex-belge l’emploi de troupes indisciplinées africaines et asiatiques. Mais l’essentiel c’est que cette force militaire ne serait pas subordonnée aux votes du Conseil de Sécurité mais mise directement à la disposition et aux ordres du Secrétaire Général. C’est ce qui a provoqué la colère des Soviets qui au Conseil de Sécurité ont un droit de veto. L’armée internationale leur couperait toute possibilité d’intrigue et de manœuvre.
U Thant qui voudrait sauver l’O.N.U. de l’impuissance, n’est pas étranger au projet canadien. L’expérience du Congo et de Chypre l’ont convaincu de la nécessité de disposer d’une police échappant au contrôle des grandes puissances comme des petites. Les Etats-Unis sont peut-être favorables au projet bien qu’il soit susceptible de gêner leur politique mais qui, s’il était réalisé, les mettrait à l’abri d’engagements dangereux comme en Asie du Sud-Est. Aussi M. Thant dont l’impartialité n’est pas en question donne-t-il l’impression de s’appuyer sur l’Occident. Pour sortir de situations comme celles de Chypre et du Laos, il ne peut faire poids sur la masse turbulente des sous-développés qui forment à présent la majorité de plus des deux tiers à l’Assemblée de l’O.N.U. Pour n’être pas paralysée par les votes imprévisibles de cette cohorte et de ses intrigues, il faudrait réviser la charte pour faire du Secrétaire Général une autorité indépendante vraiment supranationale. Les Soviets, comme les Chinois d’ailleurs, s’y opposent par tous les moyens.
La question cruciale est de savoir s’ils en ont les moyens, si de leur côté les Etats-Unis accepteront eux aussi des limites à leurs moyens d’intervention dans les affaires du monde. La France de son côté si l’on en juge par ses votes récents à l’O.N.U. n’entend rien abandonner de ses droits. Voilà une très grosse question qui intéresse plus ou moins l’avenir de la paix dans le monde, sinon la Paix avec un grand P., du moins la paix locale qui est loin de régner. Où trouve-t-on dans la grande presse, même aux Etats-Unis, une étude sur ce point que nous exposons très succinctement ici ?
Krouchtchev en Scandinavie
La vedette est au voyage de Krouchtchev en Scandinavie. Là encore, on étale les banalités échangées, encore que l’on pourrait déceler dans les propos du Soviétique la trace de ses soucis, du désarroi intérieur qui parfois lui échappe, mais qu’on se garde bien de psychanalyser, un exercice bien tentant cependant. Ce qu’on sent, c’est d’abord l’humiliation d’avoir recours aux pays capitalistes pour renflouer son économie et, en contraste, la joie maligne de faire jouer tous les ressorts de l’esprit mercantile des capitalistes, de les mettre les uns après les autres en concurrence pour sauver le régime qui a juré de les enterrer. Sans doute, pense-t-il, nous sommes des incapables et votre réussite dans la production nous écrase mais vous êtes des imbéciles. Tout ce qui nous manque, nous l’obtiendrons de votre cupidité. Les usines que nous n’avons pas su construire, vous nous les installerez toutes prêtes à produire, et à crédit encore. La nourriture qui nous fait cruellement défaut vous nous l’apporterez toute préparée à notre table, et si nous réussissons un jour à nous passer de vous, nous règlerons le compte à coup de mégatonnes.
L’Exploitation de la D.D.R. et la Tchécoslovaquie
Mais cela est loin. Il y a la Chine qui menace et les satellites qui s’émancipent. Krouchtchev n’en tient plus réellement que deux. La Tchécoslovaquie et l’Allemagne de l’Est. Il a compris qu’il valait mieux avoir en place des ministres impopulaires que de faux amis comme Kadar ou Georgiou Dej. Ulbricht et Novotny ne se maintiennent que parce que l’U.R.S.S. les impose et en les tenant à sa merci, Krouchtchev peut tout en exiger. Il peut exploiter les ressources des deux pays comme aucune puissance coloniale ne l’a osé, les faire travailler à bas prix pour renforcer le potentiel russe. Mais dans l’espace russe, tout ce labeur extorqué aux travailleurs allemands et tchèques se dilue et se perd par l’incurie et la bureaucratie et les rivalités des chefs d’usine.
Tito et Georgiou Dej
Tito qui vient de voir Krouchtchev a eu une entrevue avec le roumain Georgiou Dej sur le Danube. Bien des mystères s’éclaireraient si l’on pouvait savoir ce qu’ils se sont dit !
CRITON
Criton – 1964-06-20 – Traité entre U.R.S.S. et D.D.R.
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Le Courrier d’Aix – 1964-06-20 – La Vie Internationale
Le Nouveau Traité entre l’U.R.S.S. et la D.D.R.
Pour manifester son autorité en face des mouvements d’indépendance de ses satellites, Krouchtchev a signé avec son fidèle Ulbricht un traité qui se borne à consacrer la situation de fait existant entre les deux Allemagnes. Rien qui ressemble au traité de paix séparée dont il avait menacé les Occidentaux pendant deux ans. Il a même pris soin, pour ne pas troubler la détente, de les prévenir de la signature de ce document où il va jusqu’à reconnaître explicitement la validité des Accords de Postdam qu’il déclarait caducs l’année dernière. A Washington on s’est félicité de cette modération. La crise de Berlin ne se renouvellera pas. L’intérêt de cet acte diplomatique entre l’U.R.S.S. et la D.D.R., c’est qu’il nous permet de définir la nouvelle politique soviétique autrement que d’après des indices, si clairs qu’ils fussent.
La Nouvelle Politique Russe
La crise interne du communisme provoquée par les attaques chinoises et la crise économique du système, marquée par les déficiences agricoles et la stagnation de l’industrie rendent indispensable une trêve avec l’Occident. Il est par ailleurs impossible d’empêcher les satellites européens de desserrer leurs liens d’avec l’Union Soviétique. L’essentiel est qu’ils ne changent pas de camp et ne répudient le communisme. Krouchtchev, sans doute après consultation avec Tito pense que l’on peut tirer de cette situation un parti avantageux.
D’abord en ménageant l’Allemagne fédérale, il peut obtenir à crédit des usines et du matériel. Il a déjà installé à Moscou un bureau permanent de Krupp, et politiquement au moment où l’on voit se former une Europe socialiste en Angleterre et peu à peu sur le continent, il peut espérer la détacher des Etats-Unis et par le rapprochement progressif des systèmes économiques, l’Europe Orientale devenant plus libérale et l’Occident plus dirigiste, on arriverait a une situation où la Russie, sans avoir une autorité directe comme jusqu’ici sur l’Europe Centrale, serait la puissance dominante d’une Europe indépendante et peut-être neutraliste à la manière de la Yougoslavie.
Il n’est pas sûr que les choses évoluent ainsi et Krouchtchev n’en est sans doute pas convaincu, mais en présence de ses difficultés actuelles, c’est une manière réconfortante pour lui de se résigner à l’inévitable.
L’Influence de Tito
Sa dernière conversation avec Tito a dû être déterminante. Tito ne tient pas du tout à la convocation d’un plénum des Partis communistes qui consacrerait la rupture avec la Chine. Il n’a jamais caché son ambition d’être le chef de file d’une Europe Centrale neutraliste et il a dû montrer à Moscou que c’était la solution raisonnable, si l’on voulait éviter que Mao ne prenne définitivement la tête d’un communisme international des peuples de couleur. En laissant à chaque parti frère le soin de choisir sa voie, on lui donne la possibilité de prendre un jour le pouvoir par des voies légales, comme les Italiens s’y efforcent, ou même de former une coalition avec les socialistes, comme en France. Quant aux Chinois, il vaudrait mieux éviter la polémique et les laisser s’agiter, comme Tito lui-même l’a fait.
Sur ce dernier point toutefois, Krouchtchev ne semble pas décidé. Le duel avec Mao s’exaspère chaque jour. Krouchtchev veut l’excommunier. D’injure en injure ils en sont venus à s’accuser mutuellement de colonialistes : les Russes lancent aux Chinois le Sin-Kiang, le Tibet, la Mongolie intérieure qu’ils ont conquis et asservis, et les Chinois répliquent en énumérant tous les peuples musulmans d’Asie et les Mongols et les Sibériens que les Tsars ont vaincus et que les Soviets ont subjugués. Cet échange de vérités ne rehausse pas leur prestige auprès des Afro-Asiatiques mais ceux-ci ne se soucient que de profiter au maximum de la querelle pour obtenir une aide plus substantielle.
L’Aide aux Sous-Développés et la Conférence de Genève
A propos d’aide aux pays sous-développés, cette respectable institution qu’est la Banque des Règlements Internationaux de Bâle a donné des précisions sur la destination des « milliards qui s’envolent ». Une part se glisse par des voies discrètes dans les comptes des dirigeants et se retrouve dans les coffres des grandes banques suisses ou américaines : l’argent va à l’argent, dit le proverbe et pas à ceux qui en ont besoin. C’est pour cela que la grande réunion de Genève pour le Commerce International que mettait en présence et aux prises 75 pays sous-développés et les pays industrialisés s’est terminée dans la plus grande confusion. Le temps n’est plus où il suffisait que parler haut pour recevoir, et M. Hallstein a déclaré que l’aide n’irait qu’à ceux qui s’aident eux-mêmes. Il faudrait pour que la règle soit appliquée que les deux Blocs s’accordent à la respecter. Nous en sommes loin. Les Bourguiba et les Nasser le savent bien.
Les U.S.A. et l’Union Européenne
Il est une erreur assez répandue que nous venons de voir reprise par le professeur Duverger dans « Le Monde », savoir que les Etats-Unis, après avoir favorisé de tous leurs moyens la formation d’une Europe unie y seraient aujourd’hui devenus hostiles – pour des raisons d’ordre commercial. Or, la politique des U.S.A., que ce soit celle des Démocrates ou des Républicains n’a jamais varié sur ce point. Eviter les antagonismes en Europe qui ont été à l’origine des deux Guerres et pour cela rendre les pays du Continent solidaires, Angleterre incluse, si possible, de façon qu’aucun d’eux ne puisse se prendre de querelle avec un autre.
On voit d’après les documents que publie actuellement le Département d’Etat sur la période 1943-1944 que Roosevelt craignait déjà le retour d’un impérialisme français avec De Gaulle et se défiait de Churchill, malgré l’estime qu’il lui portait, parce qu’il voyait en lui le symbole de l’impérialisme britannique. C’est pourquoi Roosevelt, de propos délibéré et non par lassitude, préféra abandonner l’Europe Centrale à Staline plutôt que de la voir à nouveau l’enjeu des rivalités européennes. Pour l’Américain d’alors, le joug soviétique éviterait un nouveau « Sarajevo ».
De même aujourd’hui pour l’Europe économique : avec un Marché Commun de tendance libérale dont l’Allemagne fédérale serait le moteur et auquel l’Angleterre serait associée, les Etats-Unis espéraient former une communauté atlantique au sein de laquelle les échanges se seraient élargis et multipliés. Ils savaient que dans ce cas, ils auraient affaire à une concurrence plus sévère, mais ils étaient assez puissants pour y faire face et cela aurait eu l’avantage d’obliger les syndicats américains et les industriels à une plus grande discipline pour le maintien des prix.
Ce qu’ils déplorent, c’est la dislocation de cette entité, la rupture peut-être du Marché Commun et le retour à un nationalisme économique en Europe susceptible de s’étendre à la politique et de réveiller les vieux antagonismes. Si la force de frappe française les inquiète, c’est qu’ils savent qu’elle n’est pas destinée à intimider l’U.R.S.S. qui n’en ferait qu’une bouchée, mais à conserver un avantage militaire sur l’armée allemande qui n’en pourra disposer puisque l’Allemagne s’est engagée à n’en pas fabriquer. Une Europe unie, même si elle devenait un troisième Grand sur l’échiquier mondial serait bien préférable pour les U.S.A. à une Europe désunie, comme elle devient à présent.
CRITON
Criton – 1964-06-13 – L’État d’Esprit aux Etats-Unis
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Le Courrier d’Aix – 1964-06-13 – La Vie Internationale
Le Tigre de Papier
Aux élections préliminaires de Californie, le candidat du Parti républicain à la désignation pour la présidence, le sénateur Goldwater, a recueilli plus d’un million de voix, l’emportant de peu sur son adversaire, le Gouverneur de l’Etat de New-York, Nelson Rockefeller. Ce succès imprévu lui donne de fortes chances pour le choix final en juillet. Aussitôt, toute la presse étrangère à quelque nuance politique qu’elle appartienne s’est indignée de ce qu’autant d’électeurs influents aient donné leurs suffrages à un homme réputé comme un réactionnaire intransigeant capable s’il était élu de bouleverser la ligne politique suivie depuis la guerre par ses prédécesseurs. Le fait est matériellement sans importance car, même s’il était finalement désigné par son Parti, Goldwater n’a pas la moindre chance de battre le président Johnson. Il est cependant significatif de l’incompréhension presque tragique dont le monde fait preuve à l’égard des U.S.A.
L’État d’Esprit aux U.S.A.
L’inquiétude et l’amertume de beaucoup d’Américains, que traduit la faveur accordée à Goldwater, s’explique pourtant aisément. Nous sommes, pensent-ils, le pays le plus riche et le plus puissant de la terre. Notre force militaire, malgré l’armement effréné des Soviets, est d’une supériorité écrasante. Notre économie connaît une prospérité inégalée, tandis qu’à l’Est comme à l’Ouest, sauf en Allemagne fédérale et au Japon, tous les pays du monde se débattent au milieu de difficultés plus ou moins insurmontables. De cette puissance, notre politique n’a jamais abusé ; au contraire, nous avons fait preuve d’une patience et d’une modération qui loin de nous valoir des éloges n’a provoqué que de la haine et du mépris. Sans notre aide, la plupart des nouveaux Etats s’effondreraient. Nous avons tiré d’affaire même nos ennemis ; l’U.R.S.S. mange notre blé ; sans les 30 millions de quintaux que nous donnons à Ben Bella, la moitié au moins des Algériens mouraient de faim. Nous avons financé Tito et Nasser et nous continuons. Avons-nous recueilli de quelque côté que ce soit, non pas un témoignage de reconnaissance, ce serait trop demander, mais un simple remerciement de politesse ? Jamais. Par contre, au moindre cadeau d’un russe ou d’un chinois, les roitelets noirs ou autres font délirer les foules. Notre politique ne nous a valu qu’un surnom ; le tigre de papier répandu par les Chinois. Nos Alliés, en particulier les Français que nous aimons, nous comblent d’avanies et s’ingénient à aggraver nos difficultés en Asie. En continuant ainsi, nous allons perdre toute influence ; humiliés, nous serons obligés peut-être de céder nos positions dans le Pacifique ; chez nous même, la révolte des Noirs gronde malgré tout ce que nous faisons pour élever leur condition. Choisissons donc un homme qui aura le courage et la volonté de faire respecter les Etats-Unis d’Amérique.
Nous résumons là un état d’esprit fort répandu là-bas et il faut reconnaître qu’il se comprend. D’ailleurs bien qu’il soit tenu d’exprimer une opinion contraire, le président Johnson n’est peut-être pas loin de la pensée de Goldwater ou tout au moins de ceux qui, par dépit, le soutiennent. Il sera intéressant de voir si la coalition des Républicains apeurés par la candidature du sénateur de l’Arizona, Eisenhower en tête, réussira à la briser pour faire désigner finalement un sénateur anodin qui se fera battre en novembre sans trop d’éclat.
L’Espagne et la France
Après la visite de Couve de Murville à Madrid, on a été assez surpris des termes très prudents du communiqué qui a suivi. Contrastant avec l’empressement de ses ministres militaires et civils, le Caudillo a manœuvré avec sa réserve habituelle, comme s’il ne voulait pas donner l’impression de nouer avec le Gouvernement français des relations particulièrement étroites, et surtout de cautionner la politique française devant l’hostilité quasi générale que celle-ci rencontre aussi bien en Europe qu’Outre-Mer ; à l’égard des Etats-Unis d’abord dont il a besoin, de l’Allemagne avec laquelle l’Espagne a des liens traditionnels et même de l’Angleterre qui apporte à l’industrie de la Péninsule des investissements appréciables, l’Afrique du Nord enfin devant laquelle, l’Espagne a su conserver à la fois ses droits et ses territoires sans encourir d’hostilité, bien au contraire. Les Pyrénées s’ouvrent, elles ne s’effacent pas.
Krouchtchev et les Roumains
Gordon Walker, futur Ministre anglais des Affaires étrangères, a fait à la radio à son retour de Bucarest, des déclarations assez inattendues venant de sa bouche. Il a révélé, ce qu’on savait d’ailleurs, les deux visites précipitée de Krouchtchev en Roumanie et ses efforts pour renverser Georgiou Dej sans succès. La Roumanie s’est délivrée de la tutelle économique des Soviets faisant aujourd’hui ce que fit Tito contre Staline en 1948. Tout comme le Marché Commun, le Comecon des Soviets se désagrège. La Roumanie fait acte de candidature au G.A.T.T. c’est-à-dire à l’organisation communiste internationale que les Russes ont toujours combattue et à laquelle ils s’efforcent encore de substituer une organisation nouvelle avec l’appui des pays sous-développés.
Malgré l’aide généreuse de ses adversaires occidentaux, l’Empire russe sent venir le déclin. Il y a longtemps que nous le sentions ébranlé ; le conflit avec les Chinois, chaque jour plus accentué y contribue beaucoup. La crise économique fait le reste. Impuissant devant la rébellion roumaine comme il l’avait été déjà devant l’Albanie, Krouchtchev ne peut plus empêcher qu’elle ne s’étende. En Tchécoslovaquie, il soutient à bout de bras le pouvoir chancelant de Novotny. Kadar et Zivkov font l’impossible pour se maintenir dans la ligne de Moscou, mais Gomulka hésite devant l’opposition conjuguée de l’Eglise et des intellectuels. Derrière le mur de Berlin, Ulbricht se cramponne. Le désarroi est tel qu’on parle comme d’une chose acquise d’une prochaine visite d’Erhard au Kremlin. Pour l’heure, Krouchtchev a convoqué Tito pour prendre conseil de ce compère avisé.
Pour Krouchtchev aussi, cette fin de règne est pleine de menaces. Parmi toutes les erreurs qu’il a commises, la plus grave a été de pousser par tous les moyens à la décomposition des empires qui tenaient encore à son avènement, l’Anglais et le Français, et le Portugais s’il avait pu, sans prévoir que l’Empire russe en serait fatalement atteint le jour où il ne pourrait plus, comme à Budapest, employer la force pour le maintenir. Les Chinois attendent l’heure de lui donner le coup de grâce.
Au Vietnam
En Asie du Sud-Est comme à Chypre les choses suivent leur cours, c’est-à-dire sans hâte ni solution. Il ne semble pas qu’à Honolulu les Américains aient pris une quelconque décision. Ils savent que le temps ne travaille pas pour eux mais ils espèrent éviter la catastrophe, l’effondrement de la résistance des Vietnamiens du général Khan. Si mauvaise que soit la position de ceux-ci, les disponibilités de l’adversaire semblent aussi assez limitées. Et puis il est probable qu’Ho Chi Minh et le général Giap au Nord Vietnam ne soient pas pressés de remporter une victoire qui profiterait surtout aux Chinois et les livrerait davantage à leur merci. Les Russes aussi cherchent à faire obstacle. D’aucun côté on n’est très sûr de ses moyens. Les diplomates eux-mêmes ne savent pas par quel bout prendre la situation, ce qui est rare.
CRITON
Criton – 1964-06-06 – La Mort de Nehru
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Le Courrier d’Aix – 1964-06-06 – La Vie Internationale
La Mort de Nehru
Nehru est mort. On attendait cette fin ; depuis quelques mois, le Pandit n’était plus qu’une ombre. Plus que par le mal, il avait été frappé dans sa conscience par l’agression chinoise dans l’Himalaya, il y a deux ans. Le Congrès avait douté de lui et lui-même de sa politique. Si les masses indiennes lui demeuraient attachées, les militaires et les leaders du Parlement avaient perdu confiance. Cette défaite, la seule de sa vie, l’avait anéanti. Sa disparition suscite beaucoup d’inquiétudes. On craint que l’unité de l’Inde n’y résiste pas. Aucun homme cependant n’est irremplaçable et l’on s’aperçoit presque toujours que le guide trop influent n’avait que trop vécu. Pour l’heure la succession de Nehru est débattue. L’homme fort serait Desai, l’ex-Ministre des Finances, mais l’homme probable est Shastri à qui Nehru avait délégué ses pouvoirs. On lui accorde de la modération et de la souplesse, qualités nécessaires dans une période de transition entre la disparition du grand homme et l’orientation de demain. Dans ses relations extérieures l’attitude de l’Inde ne peut pas changer : appuyée à la fois par l’Occident et par les Soviets elle ne peut sortir de la neutralité que si les Chinois l’attaquaient à nouveau, ce qui n’est pas vraisemblable. Par contre, cette menace toujours présente est un facteur de cohésion nationale dans un pays aussi divisé.
Etats-Unis et U.R.S.S.
Les Etats-Unis et l’U.R.S.S. viennent de conclure un accord consulaire, le premier accord officiel entre eux qui soit strictement bilatéral. Comme le Traité sur l’arrêt des expériences nucléaires, ce rétablissement des consulats américains en U.R.S.S. et des russes aux Etats-Unis n’a qu’une portée symbolique. Mais cela confirme que le rapprochement chemine, malgré les discours belliqueux et les microphones installés dans les murs des ambassades. La politique russe a toujours deux visages, l’un tourne vers la propagande, l’autre qu’on ne voit pas mais qui, à intervalles, se révèle par un petit fait.
L’Exposition Anglaise à Moscou
D’ailleurs les contacts se multiplient entre Occidentaux et Russes.
Les Anglais ont installé à Moscou une exposition agricole qui a enchanté Krouchtchev. Il a été comblé de cadeaux. L’agriculture le passionne malgré tous les déboires qu’elle lui procure. Et cette année encore, la récolte dans les terres vierges s’annonce problématique. Aussi, les Anglais qui ne pensent qu’aux affaires en attendent de fructueuses avec les Soviets. Que de fois n’avons-nous pas dénoncé cet esprit mercantile sur lequel les Russes comptent pour combler leurs déficits.
On assiste présentement à cette situation inénarrable : les Soviets accordent à l’Egypte ainsi qu’à l’Algérie et au Kenya, des crédits considérables, pour ne mentionner que les plus gros, grâce aux crédits qu’ils obtiennent eux-mêmes des Anglais, des Allemands, des Italiens et des Français pour l’équipement qui leur manque. Si les Américains et les Canadiens s’en tiennent au moyen terme de l’ordre de un à cinq ans, ce qui est déjà beaucoup trop, les Anglais vont jusqu’à dix et douze ans de délais de paiement. Si bien que les largesses à but politique que Krouchtchev répand sur le Tiers-Monde sont en fait financées indirectement par les Occidentaux eux-mêmes. L’appel des affaires est irrésistible. Et ce sont les gouvernements qui y poussent. Les sociétés privées ne font que suivre avec empressement, bien sûr.
Les Trous du Rideau de Fer
Sauf le mur de Berlin qui tient solidement, les trous se multiplient à travers le rideau de fer. Les Etats-Unis et la Roumanie viennent de conclure un accord commercial et c’est à qui construira dans le pays des usines ou lui fournira de l’équipement. Les Roumains sont allés s’expliquer à Moscou sur cette entorse au Comecon et il ne semble pas que les Russes, qui en font autant, puissent s’opposer aux tractations de leurs satellites. Le collectivisme lui-même commence à s’effriter. A l’Exposition de Budapest, il y avait plus de cinquante firmes privées hongroises qui présentaient leur marchandise. Un voyageur italien qui avait perdu sa valise et ne pouvait se fournir du nécessaire dans les magasins d’Etat, s’adressa à l’une d’elle qui lui présenta d’excellents articles. C’était une entreprise d’Etat qui travaillait pour les lui procurer, tandis que le rebut allait dans les Univernag. Mieux encore, le magnat américain de l’hôtelier, Hilton offre de construire à Budapest un palace pour la clientèle de touristes occidentaux ? Il nous semble qu’en fait de révisionnisme, les Chinois n’ont pas tout à fait tort.
Le Communisme en Afrique Noire
Les points critiques cependant demeurent et plus peut-être que l’Asie, c’est l’Afrique qui est le plus faible. Au Congo Belge, l’anarchie persiste et la rivalité russo-chinoise favorise la poussée des bandes communistes plutôt qu’elle ne la retarde. L’objectif, c’est le riche et malheureux Katanga que les Américains et l’O.N.U. ont livré à l’impuissant gouvernement de Léopoldville. Les hordes du chef lumumbiste Mulele, après avoir ravagé le Kwilu, se sont emparés d’Albertville, au Nord Katanga, sur le Lac Tanganyika. Les forces du général Mobutu l’auraient reprise mais on n’en est pas sûr. De plus, la discorde règne entre Adoula et le nouveau maître de Brazzaville l’ex-Congo français où s’organisent et se réfugient les communistes qui font de fréquents raids sur l’autre rive du Congo. Le Conseil de Sécurité serait appelé à en discuter. Comme si, dans l’état présent de sa composition, il y pouvait quelque chose.
Les Américains en Asie du Sud-Est
Quant à l’Asie du Sud-Est, à l’heure où nous écrivons, on attend les décisions des Américains réunis en grand conseil à Honolulu. Les alarmistes soutiennent que si les Etats-Unis ne se résolvent pas à des opérations de grande envergure, leur rôle de puissance dans le Pacifique sera révolu. Comme notre Dien-Bien-Phu, un retrait du Sud Vietnam serait le point de départ d’une débâcle où seraient arrachés l’un après l’autre tous les points d’appui militaires et politiques des américains, Japon compris. C’est certainement simplifier la situation car, entre le rembarquement et l’offensive de grand style, il y a plus d’un moyen terme auquel les Américains peuvent arrêter leur tactique ; ce qui serait tout à fait dans leur manière bien qu’elle ne leur ait valu que des déconvenues. Ce qui ajoute à leur embarras, c’est qu’ils ont à lutter, non pas sur un front, celui de la guérilla Viêt-Cong et de l’infiltration chinoise au Laos, mais sur un second qui est précisément la campagne de démoralisation que mène la politique française avec l’appui de Norodom Sihanouk. Mais on dit que celui-ci pourrait se raviser : ce ne serait pas la première fois, ni la dernière.
CRITON
Criton – 1964-05-30 – Krouchtchev sur les Bords du Nil
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Le Courrier d’Aix – 1964-05-30 – La Vie Internationale
Il est des périodes où des événements imprévisibles viennent modifier l’ordre des choses, d’autres, comme celle que nous traversons, ou au contraire, ce que l’on attendait se réalise. Ainsi, Krouchtchev saisi par la rivalité avec la Chine s’engage à grands frais dans la compétition pour s’assurer la prépondérance dans le Monde arabe et africain, et les Arabes qui savent le prix qu’il y attache, font monter les enchères avec leur art habituel. Comme ils sentent que l’appui russe ne peut leur manquer, ils en profitent pour asséner impunément à leurs anciens maîtres les derniers coups, Bourguiba en nationalisant brutalement les terres des colons français et Ben Bella, pas à pas, se débarrassant de notre tutelle sur les pétroles sahariens.
Krouchtchev au Caire
Le long séjour de Krouchtchev sur les bords du Nil est instructif à plusieurs égards. On a remarqué son air maussade et ses propos flatteurs qui sonnaient faux. Pas plus que Staline, d’ailleurs, il n’est capable de prendre l’avantage sur d’aussi astucieux compères que Nasser et Aref. Après la réalisation de la première tranche des travaux du barrage d’Assouan, l’U.R.S.S. a dû s’engager à financer de nouvelles installations industrielles et agricoles, et à fournir des techniciens pour les réaliser. L’équipement de l’Egypte est un gouffre où les ressources de l’Orient et de l’Occident peuvent se répandre pendant bien des années sans que le niveau de vie des fellahs qui se multiplient entre temps, se relève sensiblement.
Nasser a donc obtenu tout ce qu’il voulait, et même l’appui russe contre le détournement des eaux du Jourdain par Israël, tout et même de nouvelles armes, sauf cependant l’autorisation de les employer contre l’Etat juif. Nasser n’en a d’ailleurs pas l’intention ; il s’en servirait plutôt pour aider les Yéménites à sa solde à réduire la base britannique d’Aden, ce qui intéresse aussi les Soviets. La guérilla autour du protectorat anglais continue et Krouchtchev espère amener le prochain Gouvernement travailliste à céder ce point stratégique après un harcèlement prolongé. C’est la même tactique qu’il cherche à employer contre les bases de Chypre, sans succès jusqu’ici, en armant Makarios. L’intervention de l’O.N.U. le gêne, mais le dernier acte n’est pas joué.
Les Bases Étrangères en Méditerranée
Il est une troisième base que les Russes voudraient abolir, celle de Rota en Espagne près de Cadix où les Américains ont installé leurs sous-marins nucléaires qui surveillent la Méditerranée. On ne sait qui a lancé l’idée que nous avions déjà mentionnée ici que les Russes négociaient avec Ben Bella l’établissement de ses sous-marins sur la côte algérienne. Nouvelle aussitôt démentie par Ben Bella lui-même qui, d’accord avec Krouchtchev, fait campagne pour la « dénucléarisation » de la Méditerranée (comme Rapacki l’avait fait pour l’Europe Centrale). Il s’est même adressé au Pape pour l’aider dans cette croisade. Il est entré déjà en Algérie beaucoup d’armement soviétique. Ce matériel peut servir aussi bien contre le Maroc que contre les Portugais en Angola, ou même contre la République Sud-Africaine, au nom de l’anticolonialisme ou contre l’apartheid. Les Américains, évidemment, n’abandonneront pas Rota qu’ils sont en train d’équiper. Alors peut-être verra-t-on les sous-marins russes à Mostaganem comme ils sont déjà autour de Chypre. Disons que toutes ces manœuvres ne doivent pas être prises au tragique. Ce qui est clair néanmoins, c’est que l’Occident, par sa désunion stupide, perd chaque jour du terrain.
Une Conférence de plus sur le Laos
En Extrême-Orient, la tragi-comédie du Laos continue, et pour arrêter l’avance des pro-communistes, on va convoquer une conférence internationale à Ventiane. Le Pathet Lao n’osera pas s’emparer de la ville tant que les ambassadeurs y siègeront … Les Américains cependant commencent à s’énerver. La politique gaulliste leur a fait un tort considérable en Asie du Sud-Est à un moment particulièrement difficile. Ils sont placés le dos au mur. Abandonner la partie serait un désastre irréparable. Mais Johnson voudrait éviter d’avoir à employer les grands moyens, comme l’opposition républicaine l’y pousse. Si l’on pouvait avec des conférences gagner du temps jusqu’aux élections de novembre ; alors on pourrait se décider plus à l’aise. Mais lui en laissera-t-on le temps ?
Le Harcèlement de Cuba
Et puis il y a tout proche le problème de Cuba. La tactique des Américains contre Castro a changé. Le blocus économique ayant échoué grâce aux fournitures de leurs alliés européens, ils ont opté pour la guerre des nerfs. Ce sont les exilés anticastristes qui s’en chargent. Ils annoncent chaque jour leur débarquement pour demain et font état de raids plus ou moins réussis contre des ponts ou des plantations qu’ils font sauter ou incendient. Les vols de reconnaissance des avions des U.S.A. entretiennent l’alarme. Cette agitation sert-elle ou dessert-elle Fidel Castro ? Le bruit court qu’il aurait fait des sondages à Madrid pour trouver avec les Etats-Unis un modus vivendi. Les Russes qui ne tirent plus grand avantage de l’aventure cubaine et emploieraient volontiers leurs ressources ailleurs, l’y poussent peut-être. Tout cela n’est qu’hypothèse, mais vraisemblable.
La France et l’Espagne
Couve de Murville va se rendre ces jours-ci à Madrid pour conclure les transactions depuis quelque temps entamées entre responsables français et espagnols. Nous avons assez souvent critiqué la politique de notre Gouvernement, pour ne pas approuver, quand elle nous paraît heureuse, une de ses initiatives, surtout de l’importance de celle-ci. L’Espagne fête en ce moment les 25 ans de paix que lui a value la direction habile du Caudillo. Le développement du pays est impressionnant et les hommes qui orientent son économie voient l’heure venue de le rattacher à l’Europe. La France et l’Allemagne fédérale s’y emploient, mais les oppositions demeurent. Les unes économiques, viennent de l’Italie qui craint la concurrence des produits agricoles espagnols, les autres, les plus sérieuses, d’ordre idéologique.
Le régime franquiste porte la tare de fasciste et ce mot suffit encore vingt ans après la disparition de son objet à dresser des passions fanatiques, même chez des gens sensés. Il est difficile de dire quel régime politique convient le mieux à chaque peuple. Ce qui est sûr, c’est que le meilleur ou le moins mauvais est différent pour chacun d’eux et qu’en voulant étendre le même système à tous, on est certain de se tromper. Cela est aussi vrai de la démocratie que de l’autocratie ou du collectivisme.
Si l’on se contente de juger d’après les résultats, l’Espagne actuelle, depuis l’atroce épreuve de 1936-39, a fait plus de progrès qu’aucun autre. On peut même dire que ces progrès dépassent ce que l’on pouvait espérer, compte tenu des conditions difficiles à surmonter : un sol aux trois quarts ingrat, un peuple négligent. Quant aux libertés, un citoyen d’au-delà du rideau de fer en ferait sûrement l’éloge. Mais il ne s’agit pas de politique. Dans l’ordre économique, la collaboration franco-espagnole s’impose. Elle peut être d’autant plus profitable aux deux pays que ni l’un ni l’autre n’est actuellement en bonne posture dans la sévère concurrence internationale. En s’accordant des avantages réciproques, ils peuvent développer leur activité sans courir de risques. C’est à quoi on s’emploie de part et d’autre. Plus les liens seront étroits et les échanges étendus, mieux vaudra.
CRITON
Criton – 1964-05-09 – Ben Bella sur la Place Rouge
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Le Courrier d’Aix – 1964-05-09 – La Vie Internationale
Ben Bella sur la Place Rouge
Ben Bella a pris la place de Castro à la parade du 1er Mai à Moscou, à la droite de Krouchtchev. On l’a nommé Prix Lénine de la Paix et héros de l’Union Soviétique. Si l’on prenait à la lettre les discours prononcés par les deux Chefs d’Etat, l’Algérie ferait partie du Bloc soviétique. En fait, derrière cette fraternité officielle subsistent bien des réserves. Toutefois, la collaboration soviéto-algérienne prend de l’ampleur. Voilà bien un cas où les prévisions qu’on pouvait faire il y a deux ans se réalisent exactement. Il est des situations où une sorte de logique se développe. Les événements à point nommé confirment l’inévitable.
La Rentrée de la France à l’O.N.U.
U Thant, le Secrétaire général de l’O.N.U., est venu à Paris et ce n’est pas sans surprise qu’on a entendu de sa bouche l’éloge du Général de Gaulle et de sa politique. Les grands personnages ont, quand ils veulent, la mémoire courte. Mais le public a encore le souvenir des sarcasmes adressés à l’O.N.U., ce « machin » incapable de besogne utile, et le refus de payer, tout comme les Soviets, la part des frais incombant à la France pour l’opération du Congo. Or l’O.N.U. est à court d’argent et le Gouvernement français, pour sauver la face, va payer les 16 millions de dollars arriérés à titre de don et non comme l’acquittement tardif d’une dette. On ne sait si les Russes en feront autant. On en doute. Le sens de cette volte-face est aisé à comprendre : l’O.N.U. est aujourd’hui dominée par la masse des petites nations, certaines minuscules, et les Grands en ont perdu le contrôle. La règle de la majorité, malgré les artifices de procédure et les intrigues de couloirs, est difficile à éluder. La loi y est faite de plus en plus par les groupes, afro-asiatique, neutraliste ou latino-américain. Pour tenter de se faire le champion du Tiers-Monde, il faut avant tout s’intégrer activement aux combinaisons onusiennes. Le mépris n’est plus de saison. Il ne l’a d’ailleurs jamais été.
A l’époque où cette attitude fut prise, nous disions ici que si la plupart des arguments avancés contre l’institution internationale étaient justifiés, il était fâcheux pour une nation qui se veut grande, non seulement de se tenir à l’écart des débats qui s’y déroulent, mais d’afficher publiquement son dénigrement. L’erreur est corrigée et ce serait tant mieux si l’on n’en devinait les raisons : se servir de l’O.N.U. pour diviser davantage petits et grands et faire échouer tout ce qui pourrait servir les intérêts ou les desseins des Anglo-Américains. On l’a vu récemment dans l’affaire d’Aden, on le verra quand se reposeront les questions du Sud-Est Asiatique ou de Cuba.
L’O.N.U. a évidemment pour les passionnés d’intrigues politiques un attrait compréhensible. Il est même étonnant qu’on ne s’en soit pas avisé plus tôt. Le jeu est cependant dangereux si l’on n’est pas le plus fort. En veut-on des exemples ? Depuis la reconnaissance de Pékin par la France et les propos visant à la neutralisation du Vietnam, nos exportations vers Saïgon ont diminué de 80%. On craint même que les entreprises françaises ne soient nationalisées. Quel avantage voit-on en contre-partie ? Le préjudice ne s’arrête pas là : la débâcle africaine inaugurée en 1958 se poursuit. L’affaire du Gabon n’est pas terminée ; le Tchad expulse nos militaires. Il n’en faut pas beaucoup pour tourner la tête aux maîtres éphémères de ces Républiques noires. On accuse les Américains d’y saper nos positions. Vrai ou non, il ne faut pas s’étonner qu’ils ne mettent guère d’empressement à les défendre.
La Fusion Tanganyika-Zanzibar
La fusion du Tanganyika et de Zanzibar a intrigué tout le monde et nous relations ici les hypothèses variées qu’on avançait. J. Alsop, généralement informé à bonne source, en donne une version vraisemblable dans le « New York Herald ». L’affaire se serait déroulée sinon en accord du moins en concordance entre les U.S.A., l’Angleterre et l’U.R.S.S. Sous la direction de l’entreprenant Cheik Babu, Zanzibar allait devenir une base chinoise. Les Russes, pour leur disputer la place, avaient acheté au prix fort les clous de girofle produits dans l’Île et envoyé des cargaisons d’armes pour soutenir le Gouvernement ou plutôt l’homme des Soviets, le ministre Hanga. Un groupe d’Allemands de l’Est accourait aussi en qualité d’experts. Mais Babu était ministre des Affaires Étrangères et surtout contrôlait la police. Les communistes chinois lui avaient donné 500.000 dollars pour ses services et sa propagande. Les forces armées lui obéissaient. Mais Babu, sûr de son pouvoir, commit l’imprudence de partir pour l’Indonésie. C’est alors que l’homme fort du Tanganyika, le Ministre des Affaires étrangères Kambona entreprit avec Hanga et le Président du Zanzibar, Karume une négociation éclair. Le président Nyerere s’envola pour Zanzibar et en un jour, la fusion des deux pays fut conclue. Quand Babu revint, il n’eut plus qu’à se rallier. Entre temps, le groupe chinois avait vainement tenté de faire opposition. Evidemment, les Russes en nombre à Zanzibar ont monté l’affaire. Les Américains n’en ignoraient rien et ont laissé faire, et les Anglais ont offert des armes pour la défense du nouveau groupement.
Les Chinois en tout cas ont subi un sérieux échec ; les Anglais et les Américains sont délivrés du cauchemar d’un nouveau Cuba sur la Côte d’Afrique Orientale et les Russes vont pousser leur influence dans le nouvel Etat. Cependant, nous notons pour notre part que Babu fait partie de l’équipe ministérielle du nouvel Etat- Les pro-Chinois ne sont donc pas éliminés. Sans doute les Anglo-Américains, ont-ils persuadé le Président Nyerere de les conserver pour tempérer les ardeurs des Soviétiques.
Cette pittoresque histoire montre à quel point la nouvelle Afrique, dans son incohérence, peut être le théâtre des intrigues des Grands et qu’au surplus les adversaires d’hier savent s’entendre quand leurs intérêts les y portent. Les idéologies sont remises au vestiaire.
La Situation en Allemagne Fédérale
Le Chancelier Erhard vient de remporter aux élections du Land de Bade-Wurtemberg un succès personnel qui relève son autorité, ce dont il a grand besoin. On a remarqué que le président Johnson a déclaré publiquement qu’il conseillait au Chancelier allemand de chercher à s’entendre avec les Russes, et l’on parle d’un voyage d’Erhard à Moscou. On sait qu’il avait été question d’un autre voyage : celui du Général de Gaulle, préparé par les visites d’Edgar Faure et de Giscard d’Estaing en U.R.S.S. Là encore, les intrigues vont bon train. Les Allemands de Bonn se montraient très inquiets de ces tentatives de liaison franco-russe. On allait jusqu’à craindre une reconnaissance de Pankow par la France, ce qui fut d’ailleurs officiellement démenti. Mais il y a Berlin où les Français sont présents et hier encore l’ambassadeur de France, Margerie, a eu avec son collègue russe à Berlin-Est un entretien qui a fait sensation. La détérioration des relations franco-allemandes, l’hostilité personnelle des deux gouvernants ont créé un malaise qui n’est pas sans rappeler les jours sombres de la fin de la République de Weimar. Les Allemands de l’Ouest avaient mis beaucoup d’espoir dans la réconciliation avec la France, œuvre patiente d’Adenauer. Ils y croyaient. Ils se sentent de nouveau seuls en Europe avec les Américains comme unique appui, ce qui les oblige à faire ce que veut Washington et de ce côté-là, ils n’ont pas d’illusion. Les Américains, pas plus à Yalta qu’aujourd’hui, ne veulent avoir de soucis avec l’Europe Continentale. Ils en ont assez de par le monde et le statu-quo à Berlin et la division de l’Allemagne leur paraissent tolérables. Ils souhaiteraient que Russes et Allemands s’entendent.
Le Réveil du Nazisme
Mais chez beaucoup d’Allemands, cette perpétuation de la défaite garantie par la France et l’U.R.S.S. réveille des sentiments nationalistes. Le nazisme se relève. Un certain Hoggan qui vit aux U.S.A. financé par les Nazis de là-bas, par surcroît auteur d’un livre qui justifie la politique d’Hitler, va venir en Allemagne faire des conférences publiques à Heidelberg et à Düsseldorf sous les auspices d’un club qui se dit d’études historiques. Le Ministre de l’Intérieur Ouest-Allemand ne sait comment l’interdire. Il n’en a pas les moyens légaux. Il y a par ailleurs l’affaire des savants allemands qui travaillent au Caire à fabriquer des fusées pour Nasser et qu’on ne sait comment rappeler. Tout cela n’a pas grande portée, mais c’est un symptôme : le nationalisme est contagieux et avec les Allemands, hélas, on sait où cela mène.
CRITON