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Le Courrier d’Aix – 1964-06-06 – La Vie Internationale
La Mort de Nehru
Nehru est mort. On attendait cette fin ; depuis quelques mois, le Pandit n’était plus qu’une ombre. Plus que par le mal, il avait été frappé dans sa conscience par l’agression chinoise dans l’Himalaya, il y a deux ans. Le Congrès avait douté de lui et lui-même de sa politique. Si les masses indiennes lui demeuraient attachées, les militaires et les leaders du Parlement avaient perdu confiance. Cette défaite, la seule de sa vie, l’avait anéanti. Sa disparition suscite beaucoup d’inquiétudes. On craint que l’unité de l’Inde n’y résiste pas. Aucun homme cependant n’est irremplaçable et l’on s’aperçoit presque toujours que le guide trop influent n’avait que trop vécu. Pour l’heure la succession de Nehru est débattue. L’homme fort serait Desai, l’ex-Ministre des Finances, mais l’homme probable est Shastri à qui Nehru avait délégué ses pouvoirs. On lui accorde de la modération et de la souplesse, qualités nécessaires dans une période de transition entre la disparition du grand homme et l’orientation de demain. Dans ses relations extérieures l’attitude de l’Inde ne peut pas changer : appuyée à la fois par l’Occident et par les Soviets elle ne peut sortir de la neutralité que si les Chinois l’attaquaient à nouveau, ce qui n’est pas vraisemblable. Par contre, cette menace toujours présente est un facteur de cohésion nationale dans un pays aussi divisé.
Etats-Unis et U.R.S.S.
Les Etats-Unis et l’U.R.S.S. viennent de conclure un accord consulaire, le premier accord officiel entre eux qui soit strictement bilatéral. Comme le Traité sur l’arrêt des expériences nucléaires, ce rétablissement des consulats américains en U.R.S.S. et des russes aux Etats-Unis n’a qu’une portée symbolique. Mais cela confirme que le rapprochement chemine, malgré les discours belliqueux et les microphones installés dans les murs des ambassades. La politique russe a toujours deux visages, l’un tourne vers la propagande, l’autre qu’on ne voit pas mais qui, à intervalles, se révèle par un petit fait.
L’Exposition Anglaise à Moscou
D’ailleurs les contacts se multiplient entre Occidentaux et Russes.
Les Anglais ont installé à Moscou une exposition agricole qui a enchanté Krouchtchev. Il a été comblé de cadeaux. L’agriculture le passionne malgré tous les déboires qu’elle lui procure. Et cette année encore, la récolte dans les terres vierges s’annonce problématique. Aussi, les Anglais qui ne pensent qu’aux affaires en attendent de fructueuses avec les Soviets. Que de fois n’avons-nous pas dénoncé cet esprit mercantile sur lequel les Russes comptent pour combler leurs déficits.
On assiste présentement à cette situation inénarrable : les Soviets accordent à l’Egypte ainsi qu’à l’Algérie et au Kenya, des crédits considérables, pour ne mentionner que les plus gros, grâce aux crédits qu’ils obtiennent eux-mêmes des Anglais, des Allemands, des Italiens et des Français pour l’équipement qui leur manque. Si les Américains et les Canadiens s’en tiennent au moyen terme de l’ordre de un à cinq ans, ce qui est déjà beaucoup trop, les Anglais vont jusqu’à dix et douze ans de délais de paiement. Si bien que les largesses à but politique que Krouchtchev répand sur le Tiers-Monde sont en fait financées indirectement par les Occidentaux eux-mêmes. L’appel des affaires est irrésistible. Et ce sont les gouvernements qui y poussent. Les sociétés privées ne font que suivre avec empressement, bien sûr.
Les Trous du Rideau de Fer
Sauf le mur de Berlin qui tient solidement, les trous se multiplient à travers le rideau de fer. Les Etats-Unis et la Roumanie viennent de conclure un accord commercial et c’est à qui construira dans le pays des usines ou lui fournira de l’équipement. Les Roumains sont allés s’expliquer à Moscou sur cette entorse au Comecon et il ne semble pas que les Russes, qui en font autant, puissent s’opposer aux tractations de leurs satellites. Le collectivisme lui-même commence à s’effriter. A l’Exposition de Budapest, il y avait plus de cinquante firmes privées hongroises qui présentaient leur marchandise. Un voyageur italien qui avait perdu sa valise et ne pouvait se fournir du nécessaire dans les magasins d’Etat, s’adressa à l’une d’elle qui lui présenta d’excellents articles. C’était une entreprise d’Etat qui travaillait pour les lui procurer, tandis que le rebut allait dans les Univernag. Mieux encore, le magnat américain de l’hôtelier, Hilton offre de construire à Budapest un palace pour la clientèle de touristes occidentaux ? Il nous semble qu’en fait de révisionnisme, les Chinois n’ont pas tout à fait tort.
Le Communisme en Afrique Noire
Les points critiques cependant demeurent et plus peut-être que l’Asie, c’est l’Afrique qui est le plus faible. Au Congo Belge, l’anarchie persiste et la rivalité russo-chinoise favorise la poussée des bandes communistes plutôt qu’elle ne la retarde. L’objectif, c’est le riche et malheureux Katanga que les Américains et l’O.N.U. ont livré à l’impuissant gouvernement de Léopoldville. Les hordes du chef lumumbiste Mulele, après avoir ravagé le Kwilu, se sont emparés d’Albertville, au Nord Katanga, sur le Lac Tanganyika. Les forces du général Mobutu l’auraient reprise mais on n’en est pas sûr. De plus, la discorde règne entre Adoula et le nouveau maître de Brazzaville l’ex-Congo français où s’organisent et se réfugient les communistes qui font de fréquents raids sur l’autre rive du Congo. Le Conseil de Sécurité serait appelé à en discuter. Comme si, dans l’état présent de sa composition, il y pouvait quelque chose.
Les Américains en Asie du Sud-Est
Quant à l’Asie du Sud-Est, à l’heure où nous écrivons, on attend les décisions des Américains réunis en grand conseil à Honolulu. Les alarmistes soutiennent que si les Etats-Unis ne se résolvent pas à des opérations de grande envergure, leur rôle de puissance dans le Pacifique sera révolu. Comme notre Dien-Bien-Phu, un retrait du Sud Vietnam serait le point de départ d’une débâcle où seraient arrachés l’un après l’autre tous les points d’appui militaires et politiques des américains, Japon compris. C’est certainement simplifier la situation car, entre le rembarquement et l’offensive de grand style, il y a plus d’un moyen terme auquel les Américains peuvent arrêter leur tactique ; ce qui serait tout à fait dans leur manière bien qu’elle ne leur ait valu que des déconvenues. Ce qui ajoute à leur embarras, c’est qu’ils ont à lutter, non pas sur un front, celui de la guérilla Viêt-Cong et de l’infiltration chinoise au Laos, mais sur un second qui est précisément la campagne de démoralisation que mène la politique française avec l’appui de Norodom Sihanouk. Mais on dit que celui-ci pourrait se raviser : ce ne serait pas la première fois, ni la dernière.
CRITON