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Le Courrier d’Aix – 1961-11-25 – La Vie Internationale.
Confusion Persistante
Confusion persistante, tel est le caractère que la grande presse accorde aux problèmes actuels. Que ce soit le Congo belge, la pression russe sur la Finlande, les pourparlers Kroutchtchev-Kroll sur Berlin, sans omettre les débats à l’O.N.U., rien n’est clair. La raison fondamentale de ces équivoques c’est que les acteurs n’arrivent pas à concilier leurs plans extérieurs avec les exigences internes. Il y a les faits qui exigeraient certaines attitudes et les pressions politiques qui empêchent qu’on les reconnaisse. On en trouverait un fameux exemple chez nous en ce moment.
Tito et les U.S.A.
Commençons par le point sur lequel on peut être précis : la crise des relations de Tito avec les Etats-Unis. Il y a déjà longtemps, depuis que l’affaire albanaise prenait tournure, nous signalions le rapprochement de Tito avec Moscou. A la tribune du XXII° Congrès, il est toujours le déviationniste, le renégat qui sert de cible idéologique et d’avertissements aux autres qu’on ne veut pas nommer. Mais en fait, les vues de Tito –il l’a avoué d’ailleurs- ne s’éloignent de celles du Kremlin que pour la forme et dans le détail, sur Berlin et les deux Allemagnes, elles concordent.
Les américains qui avaient envoyé à Belgrade un homme de premier plan, Kennan, sont déçus de son échec. Depuis longtemps d’ailleurs, l’opinion aux Etats-Unis s’irritait de voir prodiguer depuis treize ans des dollars pour édifier le communisme en Yougoslavie. La mesure paraît enfin comble et Washington se refuse à envoyer gratis les quelques deux millions de quintaux de blé dont la sécheresse et le mauvais vouloir des paysans plus ou moins collectivisés, ont privé le pays cette année. On n’en est pas, comme le prédit aimablement le voisin albanais à ses concitoyens, à manger de l’herbe cet hiver, mais les Yougoslaves en auraient été réduits à plusieurs reprises à cette extrémité, si les U.S.A. n’avaient déversé là-bas leurs surplus. En échange, ils comptaient que le neutralisme de Tito serait à égale distance des deux blocs. Mais en toute circonstance, il a appuyé les thèses moscovites, que ce soit sur Berlin ou le Congo.
La partie va être serrée. Qui l’emportera des besoins économiques ou de la stratégie politique ? Les finances yougoslaves ne sont pas brillantes ; l’industrie, malgré quelques constructions spectaculaires, manque d’équilibre, l’agriculture ne progresse pas. Beaucoup d’échecs masqués par une propagande spécieuse qui finit par s’éloigner trop de la réalité, pour qu’on la prenne au sérieux.
L’Affaire Kroll
Les amateurs de grand jeu diplomatique doivent être ravis de l’affaire Kroll. Kroll est l’ambassadeur d’Adenauer à Moscou. Homme de tempérament et d’imagination hardie qui semble plaire à Krouchtchev. Ils ont eu ensemble des tête-à-tête prolongés et Kroll aurait, selon des indiscrétions calculées, proposé un règlement de Berlin, assez différent du plan officiel du Chancelier. Emotion feinte ou non, à Bonn, on récuse le plan Kroll et on rappelle d’urgence l’ambassadeur ; un porte-parole officiel annonce sa destitution. Et, pas du tout : Kroll s’entretient avec Adenauer qui le renvoie à Moscou poursuivre le dialogue. Adenauer va s’expliquer sur l’affaire avec Kennedy. Le vieux renard aurait-il voulu ressusciter le spectre de Rapallo pour secouer l’apathie de Londres et de Washington et les ramener à l’intransigeance ou bien ne veut-il pas désavouer un homme, capable de s’entendre avec Krouchtchev ? Cette entente apparente n’est-elle pas aussi une feinte d’un côté ou de l’autre, ou même des deux ? Cruelle énigme. En fin de compte cela ne changera pas grand ’chose.
Au Pays des Pogroms
On aura beau renverser les statues, la vieille Russie blanche ou rouge ne change guère d’âme ; elle reste le pays des Pogroms. Un grand procès s’est déroulé à Léningrad, un autre à Moscou, contre les représentants de la communauté Juive. Petchersky a été condamné à douze ans de prison, ses adjoints à sept et à quatre. L’affaire a soulevé une grande émotion en Israël et provoqué un débat au Parlement. Embarrassée par la publicité donnée à l’affaire dans le monde entier, « La Pravda » a, comme toujours, mis sur le compte de l’espionnage les persécutions antisémites. Les 250.000 Juifs de Léningrad, les 500.000 de Moscou, tremblent une fois de plus.
La Crise Russo-Finlandaise
Les Finlandais aussi. Le Président Kekkonen avait crû gagner du temps en dissolvant le parlement et fixant les élections à Février. Du même coup, il assurait sa réélection. Mais les Russes ne se sont pas laissé convaincre. Kekkonen va en Sibérie discuter avec Krouchtchev des nouvelles exigences russes à l’endroit de la Finlande. S’agit-il d’un retour à l’occupation militaire des bases précédemment abandonnées ou de l’entrée des communistes dans le Gouvernement finlandais ? De toute façon, celui-ci devra s’incliner, heureux de pouvoir conserver un peu de cette neutralité chèrement acquise sur leurs sinistres voisins.
Krouchtchev au Kazakstan
Une fois de plus, on se demande si toutes ces manifestations agressives de l’U.R.S.S. ne sont pas des diversions à une situation intérieure tendue. Krouchtchev est allé visiter les terres vierges qui sont en passe de le redevenir ; la récolte de 1961 a été la plus faible jusqu’ici : 5 quintaux à l’hectare en moyenne. « C’est du sabotage » a dit K.
Ce qui nous a frappé en écoutant le dialogue retransmis par la radio, entre le Maître du Kremlin et les responsables de l’agriculture, c’est que ceux-ci lui tenaient tête et n’étaient pas loin de lui dire que c’était sa faute à lui, de s’entêter à cultiver des régions qui ne peuvent l’être. On sentait parfois de l’irritation de part et d’autre, plus du tout la servilité de l’esclave envers le maître habituelle dans les pays communistes. Qu’en faut-il conclure ? Est-ce l’aube de la démocratie, ou le crépuscule de Krouchtchev ?
L’Anarchie Congolaise
Rira bien qui rira le dernier, avait dit celui-ci en parlant du Congo ex-belge. L’heure, hélas, n’est pas à rire. Le massacre des treize aviateurs italiens, doit-il être attribué à l’anarchie ou à une provocation calculée de Gizenga qui après avoir semblé s’accorder avec le Gouvernement de Léopoldville, est rentré dans son pays où il a ramené la terreur ? Cette malheureuse affaire a tout au moins fait éclater l’injustice et l’hypocrisie qu’il y avait à mettre en cause les quelques militaires belges ou autres qui demeurent au service de Tchombé comme boucs-émissaires des malheurs du Congo. De son côté, le nouveau Secrétaire Général de l’O.N.U., Thant, est embarrassé pour continuer la mission de l’Institution faute d’effectifs et de fonds. Comme il advient ailleurs, il est plus difficile de s’en aller que de demeurer. L’O.N.U. continuera tant bien que mal l’opération si maladroitement menée. Elle y laissera un peu plus de son prestige, s’il lui en reste encore .
CRITON