Criton – 1963-01-12 – L’O.N.U. et le Congo ex-Belge

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Le Courrier d’Aix – 1963-01-12 – La Vie Internationale

 

La troisième offensive militaire de l’O.N.U. contre Tchombé, aussi sanglante que les deux premières, met en émoi l’opinion internationale et risque de discréditer l’Institution, déjà fort discutée.

 

La Fin du Troisième Acte au Congo ex-Belge

Ce n’est pas seulement parce que l’organisme chargé d’assurer la paix mène une opération militaire, mais plus encore à cause de la manière dont elle l’a conduite. Il convient d’abord de dégager des informations contradictoires, tendancieuses et volontairement obscures, la nature des faits. Au départ, nous trouvons la volonté bien arrêtée des Etats-Unis en accord avec le Secrétaire Général U Thant, d’en finir coûte que coûte avec la sécession katangaise. D’abord parce que le prestige de l’O.N.U. était engagé et qu’un nouvel échec, laissant Tchombé maître de son Etat, aurait, une fois de plus, fait la preuve de l’impuissance de l’organisation internationale ; ensuite parce que le coût de l’opération aurait, dans le courant de mars, épuisé ses ressources et qu’elle se serait trouvée en faillite, le dernier emprunt de 200 millions de dollars n’ayant été couvert qu’aux trois quarts. Enfin, les Etats-Unis voulaient restaurer l’unité du Congo pour éviter l’installation d’un pouvoir communiste dans l’une ou l’autre de ses provinces.

 

La Conduite de l’Opération

La conduite de l’opération contre Tchombé comprend trois têtes : le président Kennedy, U Thant et le commandement de l’O.N.U. sur place : le civil dirigé par M. Gardiner, un Ghanéen, et le militaire, un Général éthiopien et un Hindou. Les trois autorités se sont partagé la tâche, selon la combinaison suivante que les commentateurs n’ont pas démêlée :

Les Américains ont préparé l’attaque en fournissant le matériel et les armes, et au dernier moment, ont dépêché le général Truman pour s’assurer de l’exécution. Pour la déclencher, on s’est arrangé pour simuler une provocation des Katangais, ce qui a permis au Secrétaire Général de se justifier en parlant d’opération purement défensive. Comme il était difficile de légitimer sous le même prétexte une conquête totale des centres miniers du Katanga, on a organisé une équivoque : les communications entre New-York et le commandement militaire de l’O.N.U. sur place se seraient trouvées interrompues et les Généraux éthiopiens et hindous auraient, sans autorisation, poursuivi leur offensive. U Thant cherchait par là à décharger la responsabilité de l’O.N.U. de l’effusion de sang et à sauvegarder, pour la forme, le rôle pacifique dont elle est chargée. Les Américains, moins scrupuleux, mettaient entre temps Tchombé en face de l’ultimatum : se soumettre ou se démettre. Il fallait aller vite, d’abord pour éviter des destructions définitives de l’ensemble industriel, ce qui aurait rendu l’occupation du Katanga sans profit, ensuite pour empêcher Tchombé d’organiser la guérilla qui aurait abouti au même résultat en rendant impossible l’exploitation.

Malgré les subterfuges de M. Thant, les conséquences de l’opération sur l’avenir de l’O.N.U. sont graves. La faute majeure a été de la confier non à des neutres, mais à des ennemis de Tchombé, le ghanéen Gardiner, les soldats éthiopiens redoutés pour leurs violences et les Hindous que les noirs d’Afrique abhorrent. L’autre, de vouloir imposer contre le gré de la population, tant blanche que noire, une réunification du Congo, afin de partager les ressources du Katanga avec Léopoldville – sous prétexte que le reste du Congo ex-belge n’est pas viable sans elles – ce qui est inexact : le Congo sans le Katanga est pauvre, mais surtout en hommes capables de l’administrer. Matériellement, il l’est moins, ou pas plus que le Congo de Brazzaville, le Gabon ou la République Centre africaine qui, avec l’aide de la France, s’en tirent tant bien que mal.

 

L’Attitude du Gouvernement Rhodésien

Mais ce qui est plus important pour l’avenir, c’est le précédent : les Africains eux-mêmes s’en sont avisés. Proche du Katanga, la Rhodésie du Nord, riche elle aussi de ressources minières, a eu le 12 décembre dernier, pour la première fois, un Gouvernement noir, constitué par la coalition des deux Partis de l’indépendance, celui de M. Kaunda et celui de NKumbula : le premier, partisan de l’unité africaine s’est efforcé d’exercer une médiation entre Tchombé et Adoula ; le second, soutenant Tchombé sans réserve et la coalition à peine née, se trouvait de ce fait en péril. Il est à noter cependant que ni l’un, ni l’autre des leaders noirs de Rhodésie n’est hostile à l’indépendance du Katanga, ou au moins à son autonomie. Ni l’un ni l’autre n’approuve l’action militaire de l’O.N.U. ce qui peut surprendre de la part de farouches anticolonialistes.

Cela s’explique fort bien. La Rhodésie du Nord, avec sa ceinture du cuivre, pourrait être obligée, comme le Katanga, de partager ses richesses avec d’autres Etats noirs, le Nyassaland, par exemple, ou le Tanganyika. Là-dessus Noirs et Blancs se retrouvent d’accord. Ils entendent réserver le profit de leurs mines à leur propre pays. A peine au pouvoir, les dirigeants noirs sont aussi nationalistes, sinon plus, que leurs anciens maîtres, et c’est leur droit. Qui peut les en blâmer ? Est-ce que les grandes nations, les Etats-Unis ou l’U.R.S.S. partagent leurs fabuleuses ressources ? A peine en donnent-ils un ou deux pour cent, et encore, comme on le voit, à des fins politiques plus ou moins déguisées. Comme le faisait remarquer un journaliste anglais à la radio, l’affaire du Katanga aura peut-être un heureux effet ; celui de faire comprendre aux nouveaux dirigeants de certains pays africains, que l’intérêt de leur pays leur commande de collaborer avec les Blancs qu’ils ont supplantés, pour éviter qu’un vote de l’O.N.U. ne les dépouille un jour, au besoin par la force, des richesses qui garantissent leur développement.

On voit que l’anticolonialisme a des limites dès qu’on passe des slogans aux réalités. N’est-il pas curieux de voir que Tchombé, au cours de la crise, a été soutenu aussi vigoureusement par le plus honni des représentants de la suprématie blanche, Sir Roy Welensky, que par le chef du Congrès National Africain, M. NKumbula ?

 

L’Expansion dans la Stabilité

L’actualité politique nous a obligé de différer jusqu’ici l’exposé de l’évolution présente des problèmes financiers de notre Europe, problèmes d’une importance immédiate. Nous vivons, en France en particulier, mais aussi en Allemagne et en Italie, sous le signe rassurant et prometteur de l’expansion dans la stabilité monétaire. Expansion certes, les statistiques là-dessus ne mentent point. Mais stabilité ? Les statistiques nous avertissent. Chez nous, par exemple, jamais au cours des crises financières des précédentes républiques, la planche à billets n’a fonctionné à une telle allure : 50% d’augmentation en quatre ans et les crédits à l’économie encore davantage. Quant aux prix, le Ministre des Finances parlait, en novembre, de 2% d’augmentation pour 1963. Nous les aurons dépassés dès la fin de janvier ; un record presque. En d’autres temps on aurait parlé d’inflation accélérée et c’était exact.

Quel est cet heureux mystère ? On confond à dessein stabilité monétaire et parité de change. Si l’inflation est masquée, c’est qu’elle est générale et que les prix montent en Italie et en Allemagne aussi vite que chez nous et que par ailleurs, dans les pays anglo-saxons, Etats-Unis et Angleterre, ils étaient à un niveau que les pays du continent n’ont pas encore, ou rattrapés, ou dépassés. Ce qui fait qu’ils sont, peut-être pas pour longtemps, encore compétitifs. Grâce à quoi, les parités de change se maintiennent, la course des salaires et des prix étant parallèle, le déséquilibre qui se produisait autrefois n’apparaît plus. De plus la faiblesse du Dollar, conséquence du déficit de la balance des paiements des Etats-Unis, non seulement protège les autres monnaies de la dévaluation, mais permet aux Européens d’accumuler des dollars qu’ils sont obligés – c’est notre cas – de restituer aux Américains sous forme de remboursement de prêts, soit de dépôt à la Trésorerie américaine ou des crédits dans les banques pour éviter le surcroit d’inflation que cet afflux comporterait. Situation curieuse, qui n’est pas sans danger. Déjà l’Allemagne et l’Italie voient se retourner peu à peu la situation. Leur balance extérieure favorable s’amenuise et le déficit menace et avec lui, un ralentissement de l’expansion déjà sensible. Les autorités n’osent pas freiner de peur de précipiter la crise. Bien présomptueux qui pourrait dire où mène cette course à la dépréciation monétaire. Car il n’est pas impossible qu’on puisse continuer sans inconvénient majeur sur une pente qui, en d’autres temps, serait apparue fatale.

 

                                                                                                       CRITON