ORIGINAL-Criton-1960-02-13 pdf
Le Courrier d’Aix – 1960-02-13 – La Vie Internationale.
Les Échecs de la Diplomatie
L’échec qu’on espère provisoire, des négociations pour l’indépendance de Chypre attire une fois de plus l’attention sur l’impuissance de la diplomatie à aboutir à des arrangements satisfaisants, ou tout au moins acceptables pour les parties en cause. A l’époque où les Ambassadeurs menaient les pourparlers, il était rare qu’un conflit ne se termine pas par un accord ou un traité : on tournait la page et une évolution nouvelle prenait son départ sur les formules arrêtées.
Depuis 1914, et surtout depuis 1945, on ne signale que des impasses. Ou bien l’une des deux parties cède sur toute la ligne et même dans ce cas l’autre trouve moyen de revenir sur ce qu’elle a accepté, ainsi la Conférence de Genève de 1955 et celle sur Chypre l’an dernier, ou bien on négocie à perte de vue sans résultat, comme dans toutes les rencontres Est-Ouest. Une seule exception : la libération de l’Autriche par les Soviets après des années de discussions stériles, et là encore par une décision unilatérale des Russes, sur laquelle la lumière n’est pas encore faite. Aussi, lorsque l’on parle de négociations, par exemple avec le F.L.N. où chacun devrait faire quelques concessions, recevoir d’un côté, donner de l’autre, on en appelle à un miracle que tous les précédents rendent invraisemblable. Négocier veut dire aujourd’hui faire capituler l’adversaire ou bien gagner du temps sans autre résultat.
Nous insistons sur cette situation parce qu’elle est la marque d’un temps où tous les problèmes sont inextricables parce que n’existe plus l’état d’esprit préalable à toute négociation : la volonté d’aboutir, en sacrifiant, ceci pour obtenir cela. Cela n’est guère rassurant pour l’avenir.
Commonwealth et Communauté
Parmi les négociations en cours, celles qui intéressent le plus l’étranger sont celles de Paris où se discutent les formes que prendront les relations entre la France et les nouveaux Etats africains. On sait que primitivement, ce qu’on appelle la Communauté, reposait sur trois principes : la politique extérieure, la défense et l’économie. Ces trois domaines devant demeurer communs, ce qui justifiait le nom choisi.
Dans le premier, la politique extérieure, rien ne subsiste en droit : chaque pays ayant sa souveraineté internationale et pouvant mener sa diplomatie à sa convenance. La même règle gouverne les relations de l’Angleterre avec le Commonwealth. Toutefois, dans les deux cas, des conférences périodiques tenteront de maintenir une certaine coordination entre les attitudes extérieures des différents membres.
Pour ce qui est de la défense, le principe d’une défense commune est abandonné ; seuls des accords particuliers fixeront le sort des bases militaires, accords qui n’auront qu’un caractère provisoire, susceptibles d’être dénoncés par l’un des signataires. Sur ce point, en théorie du moins, la Communauté sera plus lâche que le Commonwealth ; les Anglais par exemple, disposent en Australie de leurs champs d’expériences atomiques.
Enfin, pour ce qui est des relations économiques dont les modalités ne sont pas complètement arrêtées comme pour le Commonwealth, subsistera l’appartenance à la zone Franc avec cette différence que la monnaie n’est pas exactement la même, ce qui a son importance (Franc C.A.F. et autres). En tout cas, le principe d’une politique commerciale indépendante est acquis, ce qui permet aux différents pays de la Communauté, de se lier à leur gré par des traités de commerce valables pour eux seuls. Ce qui est aussi le cas pour le Commonwealth, avec cette différence qu’entre les nations qui en font partie et l’Angleterre subsiste la préférence impériale qui conserve sa valeur bien qu’elle se soit peu à peu amenuisée et risque de l’être davantage à l’avenir.
Au fond, le seul lien matériel réside dans les subventions que l’Etat Français accorde à ses partenaires africains, qui sont considérables puisqu’elles couvrent d’abord le déficit de leur balance commerciale environ 300 anciens milliards, plus le déficit en devises (42 milliards en 1958), enfin les dons divers pour l’équipement et l’entretien, une centaine de milliards approximativement. A cet égard, les Anglais sont infiniment moins obérés. Les investissements dans le Commonwealth et les territoires d’outre-mer sont surtout d’ordre privé. On estime la part des fonds publics à moins de cent milliards de nos anciens francs.
Nous donnons ces indications sous toutes réserves ; les comptes sont si compliqués et incertains, qu’il est difficile de s’y retrouver. Il est d’ailleurs trop tôt pour faire le point sur une situation encore très fluide. Il est hors de doute cependant que quelle que soit l’issue des négociations, notre position apparaît déjà moins favorable que celle des Anglais, comme ils ne manquent pas de le souligner. Ce qui tend à disparaître, c’est surtout ce concept d’Eurafrique qui était une grande idée dont la réalisation aurait pu compenser bien des évolutions défavorables. Sans ce lien fondamental, la tendance centrifuge ne fera que s’accélérer, à mesure que les pays de la Communauté se trouveront en état de se suffire : le dilemme paraît assez brutal ; ou ils seront prospères et ils s’en iront, ou ils végèteront et seront à notre charge. A cet égard, les Anglais ayant conquis les territoires les plus riches sont mieux placés, ce qui n’empêche pas qu’ils sont aux prises avec des différends aigus, au Kenya en particulier.
MacMillan en Union Sud-Africaine
Le voyage de MacMillan en Afrique ne semble pas avoir arrangé grand-chose. Il a cru bon de prononcer devant le Parlement Sud-africain au Cap un discours historique où il a critiqué la politique d’apartheid et reproché au Gouvernement de ne pas tenir compte de l’évolution du continent noir. M. Louw, le Ministre des Affaires étrangères sud-africain, a répondu assez vertement dans une interview que la population blanche qui a créé le pays n’entendait pas céder le pouvoir et que les Anglais se mêlaient de ce qui ne les regardait pas. Ce qui peut faire craindre que l’Union Sud-africaine ne cesse bientôt de faire partie du Commonwealth, ce qui serait plus préjudiciable aux intérêts anglais qu’aux Sud-africains.
On se demande pourquoi. M. MacMillan s’est mêlé de cette affaire, ce qui pouvait avoir pour son Parti des avantages en période électorale, mais n’en a plus puisqu’en principe, il a cinq ans de pouvoir devant lui. La politique anglaise n’est pas toujours compréhensible.
Gronchi à Moscou
On sait quelles polémiques avait soulevé la décision de M. Gronchi, président de la République italienne, de se rendre à Moscou. Soutien de la gauche de la Démocratie Chrétienne de M. Fanfani, penchant pour un certain neutralisme, il était l’espoir du front populaire des Nenniens et des Communistes.
Cependant, pour ne pas trop marquer le sens de ce voyage, M. Segni, le Premier ministre, l’avait fait accompagné de M. Pella, le Ministre des Affaires étrangères, européen convaincu et fidèle à l’Alliance atlantique. Là-dessus, M. Krouchtchev a réédité avec Gronchi la petite scène qu’il avait exécutée pour MacMillan. Mais le tempérament italien est plus vif que l’Anglais et la dispute a pris un tour acerbe. On s’est jeté à la tête le macaroni et le caviar ; la presse italienne fait des gorges chaudes de cette déconvenue, dont Gronchi est victime ; les illusions s’écroulent dit-elle. Du coup, Krouchtchev n’a pas été invité à se rendre à Rome, c’est toujours cela de gagné.
CRITON