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Le Courrier d’Aix – 1960-02-06 – La Vie Internationale.
Épilogue
Le soulagement apporté par la fin de l’insurrection d’Alger n’a pas été moins ressenti à l’étranger qu’en France. On mesure là une fois de plus l’importance que l’opinion mondiale nous accorde. Une période de troubles et de confusion, une nouvelle carence du pouvoir ici, c’était pour l’Alliance Atlantique, déjà desserrée, le signe de la fin et, chose remarquable, à Moscou même, où d’ordinaire les désordres de l’Occident sont exploités, on semble se féliciter du retour à l’ordre légal.
Interrogations
Cependant, l’alarme passée, on s’interroge : et maintenant, la solution du problème algérien est-elle plus proche ? A en juger par l’attitude de Tunis à l’égard de Bizerte et les résolutions publiées dans les capitales arabes, on en doute. Cependant, elle redevient possible alors que la rébellion d’Alger, même si elle était demeurée latente, la rendait impossible, bien que les inquiétudes et les incertitudes demeurent.
Pour notre part, nous avions écrit ici au printemps dernier, qu’on pouvait espérer qu’à l’automne 1959 les bases d’un accord pourraient être trouvées. Nous pensions qu’une solution de type fédéral, dont on parle maintenant, serait proposée : les parties du pays où l’élément européen domine, jouiraient d’une certaine autonomie par rapport aux autres où l’élément musulman est en majorité, l’ensemble demeurant lié à la France par un statut analogue à celui qui, à cette époque, devait régir les autres Etats de la Communauté. A moins d’un partage pur et simple fort difficile à établir à maintenir et à faire accepter, il semble bien qu’il n’y a pas d’autre solution possible. C’est l’avis d’ailleurs des spécialistes étrangers et de la plupart des Gouvernements dans la mesure où ils laissent percer leur opinion.
Rétrospective
Nous pensions donc qu’au moment opportun, une proposition de règlement de ce genre fédéral serait annoncée solennellement, mais – et tout était là – après consultation des grands Alliés d’abord, de Tunis et Rabat ensuite, et grâce à cette pression convergente, après acceptation de principe du F. L.N. Autrement dit, la déclaration du 16 septembre, ou quelque chose de plus explicite, aurait été faite, la certitude étant acquise qu’elle serait suivie d’un effet immédiat : la fin des hostilités. On se souvient qu’à l’époque, Bourguiba était excédé des conflits entre ses sujets et les rebelles et mal avec le Caire, que Mohamed V devait venir en France et que des rencontres au sommet occidental étaient en vue, puisqu’elles eurent lieu effectivement dans la même période.
Malheureusement, notre raisonnement s’est trouvé en défaut. La déclaration du 16 septembre avait pour objet d’éviter un échec, à l’O.N.U., ce qui au fond était d’assez peu d’importance. Elle a été bien accueillie dans les capitales, mais elle n’a eu aucun résultat sur l’attitude du F.L.N. et elle a par contre provoqué chez les Algérois et dans l’armée, un malaise qui en grandissant a mené à cette révolte du désespoir, absurde, qui aurait pu être catastrophique et qu’il a fallu, si douloureux que ce soit, réprimer. Et maintenant, il faut panser les plaies et repartir comme devant.
Il se peut que l’autorité de l’Etat restaurée et le soutien de la Métropole dans son ensemble étant hors de doute, le climat cette fois soit plus favorable de ce côté-ci ; par contre, il s’est passé beaucoup de choses depuis l’été, l’indépendance du Mali, les troubles du Congo belge et la reddition de Bruxelles, les événements de Cuba, etc., tout un ensemble de faits qui ont puissamment enflé les courants nationalistes en Afrique ; Tunis et Rabat n’ont plus le même ton, la fièvre de l’anti-colonialisme, de l’anti-blanc, pourrait-on dire, a monté et puis l’Alliance Atlantique qui est en présence de l’offensive soviétique pour Berlin n’a plus grand poids pour nous appuyer, surtout après les querelles byzantines de la diplomatie depuis un an.
Nous exprimons ici un avis personnel tout-à-fait objectif, comme celui d’un arbitre qui suit les manœuvres et marque les positions. Mais c’est également à peu près ce que l’on obtiendrait en faisant la synthèse de tous les jugements portés à l’étranger par les observateurs avertis, non pas ceux de la presse à sensation, mais des périodiques où de véritables spécialistes font, sans passion ni préjugé, le point d’une situation.
La Seconde Tournée d’Eisenhower
Il faut remarquer en outre que nos partenaires atlantiques se trouvent aujourd’hui devant une situation assez analogue à la nôtre. Non seulement les Belges et les Anglais et demain peut-être les Portugais, mais aussi les Etats-Unis. Le président Eisenhower va entreprendre une tournée en Amérique latine qui s’annonce moins triomphale que celle qu’il a faite en Asie. L’heure favorable est passée ; Fidel Castro à Cuba a poussé sa campagne anti-américaine avec fanatisme, et ces jours-ci, M. Mikoyan le second de Krouchtchev va à la Havane ouvrir une exposition soviétique. Il était allé déjà au Mexique en décembre, sans grand succès d’ailleurs, mais à Cuba, il va trouver un champ d’action favorable. Fidel Castro a des acolytes partout en Amérique latine, et toujours aux portes des U.S.A. les nationalistes Portoricains qui réclament eux aussi l’indépendance. Celle qu’ils ont ne leur suffisant pas, ces partisans préparent partout où paraîtra Eisenhower des manifestations analogues à celles qui ont « salué » le vice-président Nixon l’an passé. Perón l’exilé qui est en Espagne et espère une revanche, n’a pas caché ses sympathies pour Castro. Une campagne anti-yankee se dessine.
A Londres et à Bruxelles
Par ailleurs, les Anglais à la Conférence de Londres sur le Kenya, et les Belges à Bruxelles se trouvent en présence d’une surenchère croissante des éléments nationalistes qui rend toute concession, si importante qu’ils la fassent, dépassée par les exigences d’un Mboya ou d’un Kasavubu qui veulent tout et tout de suite : un gouvernement formé par eux et sans lien préalable avec les anciens protecteurs et sans garantie pour les colons (60.000 au Kenya et 100.000 au Congo).
Le tableau ne serait pas complet sans Chypre ; les discussions sur l’étendue des bases britanniques sont en suspens, malgré les ultimes concessions de Londres. Tout cela se tient, même la nouvelle tension entre Israël et Nasser dont les développements ne sont pas rassurants.
A Budapest
Terminons, non plus sur une bien bonne, hélas, mais sur une affaire particulièrement tragique qui soulève des controverses et une émotion générale : le gouvernement Kadar, en Hongrie aurait fait exécuter à Budapest, cent cinquante jeunes gens de 18 ans, filles et garçons, qui avaient pris part à l’insurrection de 1956 qui étaient en prison depuis et ne pouvaient légalement être fusillés à cause de leur âge. Budapest dément. Mais comme la nouvelle a été diffusée par la B.B.C. de Londres qui n’a pas l’habitude de répandre des informations non contrôlées, on demande une enquête que Kadar jusqu’ici refuse. L’O.N.U. sera saisie. C’est tout dire. Qu’attend la Croix-Rouge internationale, qui s’est si bien acquittée de sa mission en Algérie, et dont une certaine presse ici a publié le rapport avec délectation, pour demander à visiter Budapest ?
CRITON