Criton – 1960-01-30 – Examen de Conscience

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Le Courrier d’Aix – 1960-01-30 – La Vie Internationale.

 

Examen de Conscience

 

Bien entendu, les épisodes du drame algérien occupent, dans la presse et l’opinion internationale, une place prépondérante. Les commentaires sont empreints d’inquiétude et de perplexité mais, comme dans la crise politique qui l’a précédé à Paris, d’une discrétion et d’une objectivité remarquables. On se montre compréhensif et généralement impartial.

 

Examen de Conscience

On pourrait dire même que ces événements affreux inclinent les observateurs à une sorte d’examen de conscience salutaire. Cette flambée de nationalismes exaspérés en Afrique noire, en Orient arabe et jusqu’à Cuba qui ne cesse de s’étendre, met en danger l’Occident tout entier. Le voyage de M. MacMillan dans les pays d’Afrique orientale est loin d’être un succès. Accueilli par des manifestations hostiles en Rhodésie du Nord et au Nyassaland, on le voit hésiter à se prononcer sur sa politique ; on se demande même en Angleterre s’il en a une. A Londres, la Conférence sur le Kenya n’a pu être mise en train ; tantôt les délégués noirs, tantôt les représentants des Blancs s’abstiennent de paraître. Aucune conciliation n’apparaît possible. L’Afrique du Sud, menacée à son tour par les émeutes des Zoulous, s’irrite du boycott stupide que les Travaillistes anglais ont cherché à appliquer à ses exportations. Le Dr Verwoerd a parlé d’une proclamation prochaine de la République et d’une sécession d’avec le Commonwealth si les Travaillistes revenaient au pouvoir. Quant aux Belges, ils ont libéré l’agitateur Lumumba qui s’est rendu aussitôt à Bruxelles pour participer aux pourparlers. Le Congo sera indépendant le 30 juin.

Enfin, les Etats-Unis à leur tour, s’alarment du fanatisme anti-américain de Fidel Castro à Cuba. Le maintien de leur base militaire dans l’île est en question. Eisenhower hésite à intervenir et à appliquer des contre-mesures qui pourraient être efficaces, mais affecteraient gravement la politique américaine dans l’ensemble de leur continent qui n’est pas précisément calme, Au Vénézuéla en particulier, où les Compagnies pétrolières américaines sont soumises à des pressions inquiétantes.

Une politique d’abandon et de concessions au nom d’une démocratie qui n’existe et ne peut exister dans ces pays, risque non seulement de compromettre les intérêts majeurs des puissances intéressées, mais encore de répandre le désordre et l’anarchie dans des régions que l’on prétend aider à sortir de l’état de sous-développement à grand renfort de plans et de conférences. La guerre civile du type Cameroun ou du Kasaï au Congo belge, pourrait bien être le premier résultat de la décolonisation et amener une régression rapide dans tous les domaines, ou encore susciter des dictatures soutenues et financées par l’U.R.S.S. et la Chine. Même en Afrique du Nord, la stabilité est loin d’être assurée au Maroc, et en Tunisie, si Bourguiba disparaissait, des convulsions internes ne sont pas exclues.

C’est dans cet ensemble de faits et de préoccupations que s’insère le drame algérien et que l’on juge le sursaut de désespoir des Européens qui se voient entraînés dans ce processus de désagrégation d’un continent. Ce n’est pas seulement à Londres et à New-York que l’on s’interroge, où l’on se demande si l’on n’est pas dans une certaine mesure, responsable de cet enchaînement. Même dans les pays qui se félicitent de n’avoir plus d’obligations outre-mer comme l’Allemagne et l’Italie, on réalise bien que dans l’ordre économique, une rupture des liens de l’Europe avec l’Afrique serait, pour le Monde libre tout entier, le commencement du déclin et peut-être le point de départ d’une crise qui, quoi qu’en disent les experts, n’est pas définitivement conjurée.

En résumé, alors que jusqu’ici l’affaire algérienne était considérée comme une plaie française que les Français devaient guérir coûte que coûte, on se rend compte qu’elle touche l’Occident tout entier et que l’Occident tout entier est dans une certaine mesure responsable, l’Angleterre et les Etats-Unis surtout par leur politique passée de l’insoluble dilemme où elle est enfermée.

 

Un Tournant de la Politique Française

D’Allemagne nous viennent d’intéressantes informations sur un changement d’orientation de la politique extérieure française (ce n’est pas en France que l’on apprend ce qui se passe chez nous).

On sait que l’intention première de notre Gouvernement avait été de constituer avec l’Angleterre et les Etats-Unis un directoire à trois pour fixer et diriger une politique commune ; politique qui avait complètement échoué. D’où l’espèce de représailles exercée par Paris sur l’O.T.A.N., le retrait de la flotte française du commandement allié et le refus d’intégrer l’aviation à l’Alliance, ce qui avait déterminé le départ des appareils américains de leurs bases en France. A cela s’ajoutait l’ajournement de la Conférence au sommet et les colloques avec Krouchtchev. Là-dessus, le général Norstad eut un long entretien avec le Général de Gaulle et – ce qui appuie cette relation – on a remarqué que Couve de Murville avait récemment parlé comme de peu d’importance des différends entre la France et l’O.T.A.N. La question de l’intégration des forces aériennes françaises aurait été reconsidérée et les choses seraient en voie d’arrangement.

 

La Conférence de Rome

Par ailleurs se tient en ce moment à Rome une Conférence des Six Ministres des pays du Marché Commun dont l’objet serait l’établissement d’une politique extérieure commune des pays d’Europe continentale avec consultations trimestrielles entre partenaires, surtout en vue de la future confrontation Est-Ouest de Mai. On prévoit même la constitution d’un secrétariat permanent des Six à cet effet. Ce qui explique l’attaque assez inattendue à Strasbourg, devant l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe, de M. Selwynn Lloyd contre une politique commune des Six qui nous avait intrigués ; Selwynn Lloyd n’étant pas coutumier d’une pareille franchise.

Si ces informations sont exactes, notre diplomatie a fortement évolué. On ne peut que s’en féliciter dans la mesure où la nouvelle orientation a plus de chances de succès que la précédente, ce dont la visite d’Adenauer à Rome nous fait un peu douter. Les Italiens, qui sentent le vent, restent plutôt réservés.

 

La Construction en Yougoslavie

Terminons sur une note moins sérieuse, si nos soucis le permettent, mettons-la à la rubrique : une bien bonne. Elle vient de Yougoslavie. Tito, comme feu Staline, a étatisé la propriété immobilière et les maisons appartiennent, en principe du moins, à l’Etat. Mais comme la crise du logement s’est aggravée et que les fonds pour construire sont insuffisants, on rétablit (comme en Russie d’ailleurs), la propriété privée d’une façon assez originale : le candidat propriétaire qui veut faire construire sa maison pourra obtenir un prêt de l’Etat. Mais ce prêt sera accordé à celui qui offrira les délais de remboursement les plus courts et l’intérêt le plus élevé, autrement dit, ce prêt ira au plus riche ou plutôt au moins pauvre. Si l’on essayait ce procédé chez nous, toujours au nom de la démocratie ?

 

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