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Le Courrier d’Aix – 1959-12-19 – La Vie Internationale.
La Crise de l’Alliance Atlantique
La Conférence occidentale au sommet est proche. Les ministres de l’Alliance Atlantique se sont réunis. Une telle confusion règne partout, qu’on attend l’arrivée du Président Eisenhower, fort de sa tournée triomphale, pour mettre un semblant d’accord entre les membres de l’aéropage ; ce sera la plus grande épreuve de ses talents de conciliateur. Car il aura devant lui, et les politiques qui ne s’entendent pas, et les militaires qui sont partagés entre le service qu’ils doivent aux gouvernements et les exigences de leur profession.
La Crise de l’Alliance Atlantique
Une seule clarté se dégage de ces brumes : l’isolement de la France. L’Alliance Atlantique n’a de sens que si elle sert un plan commun. Une coalition peut s’entendre en temps de guerre. Encore faut-il qu’un chef suprême s’impose pour décider de la stratégie. Au surplus, l’exemple invoqué des deux guerres n’est pas convaincant car la plupart des échecs sont venus de l’absence d’une coordination suffisante. La guerre, en 1944 aurait été terminée sans les divergences anglo-américaines issues de questions de prestige. Les différends actuels viennent autant des conceptions de certains que du sentiment que la guerre n’est plus à craindre. Ce qui devrait être une raison d’éviter de vaines querelles qui, si elles n’ont pas grande importance sur le plan militaire, en ont énormément sur le plan politique.
La France a à résoudre un problème qu’il n’est pas exagéré de qualifier de vital : l’Algérie. Tout ce qui peut donner l’impression à l’adversaire que la France n’a pas d’appuis extérieurs, l’encourage à ne pas chercher de compromis. Les récents débats à l’O.N.U. sur la question algérienne, pour académiques qu’ils soient, servent toutefois de baromètre. Malgré les déclarations plus que libérales du 16 novembre, malgré les événements plus récents de St-Louis du Sénégal, la France n’a pas gagné de voix dans l’opinion internationale. Il suffit de lire la presse étrangère pour s’en convaincre.
Il fallait tout sacrifier même des questions de prestige ou d’amour-propre, pour faire pencher la balance, car il n’en faut pas beaucoup – un rien peut-être – pour qu’elle verse dans un sens ou dans l’autre. Nous ne donnons pas là un jugement personnel. Nous résumons seulement l’avis exprimé ou implicite de tous les commentateurs étrangers – sans exception, ce qui est rare – à quelques nuances près. Cela est d’autant plus regrettable qu’il règne actuellement dans le camp occidental, une véritable euphorie produite d’abord par la prospérité générale qui passe toute prévision et aussi par la perte d’audience du communisme, comme le voyage d’Eisenhower en Inde l’a montré avec éclat. Celui qui passe pour être comme on dit familièrement, l’empêcheur de danser en rond, n’a pas bonne presse.
Moscou et Pékin
On assure que Krouchtchev aurait dit : les menaces de la Chine aux frontières de l’Inde sont une véritable tragédie pour la cause du communisme. Se non e vero .. ce doit être sa pensée.
De fait, les gens de Pékin se tiennent cois. Ils n’ont pas répondu à la dernière note de Nehru. L’affaire reste en suspens. Il est vraisemblable que comme celle de Quemoy et Matsu, elle le demeurera jusqu’à des temps plus favorables. Les Soviets ont assez de moyens de pression sur la Chine, pour l’obliger à s’aligner. Mais il est hors de doute maintenant que les relations entre les deux apôtres du communisme ne vont pas sans heurt et que si Pékin réussissait à développer sa puissance militaire et économique, le conflit ne tarderait pas à reparaître.
L’Occident a marqué là un point d’importance dont les Etats-Unis avaient grand besoin. Ils ont su l’exploiter à fond. Depuis la fin de la guerre, c’est là leur premier succès. Dans la lutte électorale de 1960, pour la Présidence, les Républicains ne manqueront pas de l’exploiter.
Le Voyage de Dillon en Europe
Si dans l’ordre militaire, au N.A.T.O., l’harmonie ne règne pas, sur le plan économique, moins encore. La tournée du ministre américain Douglas Dillon, n’a pas eu le même succès que celle du Président. Les Etats-Unis, contrairement à ce que l’on pouvait craindre, tiennent fermement pour le Marché Commun, non seulement parce que le risque qu’il devienne un bloc économique fermé a disparu, mais surtout parce qu’il est pour eux le gage d’une coopération politique entre les Six. Ce qui obligera ceux-ci, malgré leurs divergences, à conserver peut-être malgré eux, une certaine solidarité à laquelle les Etats-Unis attachent beaucoup de prix. Ils pensent avec raison que l‘interpénétration des industries continentales et l’implantation en collaboration avec elles des entreprises américaines, constitueront un faisceau d’intérêts assez fort pour imposer aux écarts des politiciens, un frein efficace. Ces groupes de pression les contraindront à la sagesse.
Les U.S.A. et la Petite Zone de Libre-Échange
Par contre, les Etats-Unis sont nettement hostiles à la petite zone de libre-échange qui leur paraît non seulement un obstacle à la bonne entente entre Européens, mais aussi à l’établissement d’une véritable égalité dans les rapports plus généraux entre tous les pays du Monde libre, donc à l’élargissement qu’ils souhaitent du commerce international. Dillon ne l’a pas caché à Londres, et Londres est obligé d’en tenir compte. La Livre a repris quelque vigueur, mais comme le Franc, elle n’est pas à l’abri des rechutes. Et malgré les traverses actuelles du Dollar, celui-ci demeure l’arbitre des fluctuations monétaires. Washington tient le Fonds Monétaire International et de ce fonds dépend l’équilibre des devises en difficulté. Aussi la querelle des Six et des autres Sept devra s’aplanir. C’est d’ailleurs une querelle assez artificielle et plutôt un moyen de pression des uns sur les autres qu’une profonde opposition d’intérêts. Il suffit de consulter les statistiques des échanges pour voir qu’une petite guerre commerciale entre les deux ensembles perturberait à ce point les courants des transactions en Europe, que devant les dégâts un armistice s’imposerait avant peu.
Si la conjoncture demeure aussi brillante des deux côtés de l’Atlantique, on peut être optimiste. On mettra les circonstances à profit pour ouvrir les vannes dans toute la mesure du possible et il faut rendre hommage aux responsables de notre économie, qui prennent en ce moment dans ce domaine des dispositions courageuses, qui, si on les avait prédites il y a deux ans, auraient paru invraisemblables. On voudrait en dire autant de la politique en général et surtout de l’extérieure.
La Justice en U.R.S.S.
Autre signe des temps assez curieux : la justice soviétique s’humanise, ou du moins, on proteste jusque dans la « Pravda » contre l’arbitraire, de règle jusqu’ici. Dans les procès criminels, le rôle de la défense était inopérant. L’avocat ou bien ne faisait qu’accabler son client pour satisfaire les juges, ou s’il remplissait son rôle, se faisait rabrouer par le tribunal et risquait sa carrière. Souvent même, on ne l’entendait que pour la forme et la sentence avait été décidée auparavant par les juges entre eux. Comme de plus la justice n’est pas plus gratuite en U.R.S.S. que dans nos démocraties, le plaignant pauvre n’avait, au civil, que peu de chances d’être entendu, et le plus souvent renonçait à porter sa cause. La justice soviétique ressemble étrangement à celle des Tsars que les écrivains du XIX° siècle ont décrite. Il parait que l’on va changer tout cela. L’intention y est. Reste à savoir si les faits suivront.
CRITON