Criton – 1959-12-26 – Le Succès de la Diplomatie

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Le Courrier d’Aix – 1959-12-26 – La Vie Internationale.

 

Le Succès de la Diplomatie

 

Le célèbre reporter italien Montanelli étant ces temps-ci en Israël, il a interviewé le Ministre des Affaires étrangères, Madame Golda Meir qui lui a décrit son métier en ces termes :

« Ne croyez pas que ce soit drôle d’être ministre des affaires étrangères : on travaille, on travaille et on n’aboutit jamais à rien. On croit quand on a envoyé telle ou telle instruction à un ambassadeur, avoir réglé un problème. Pas le moins du monde. Commence seulement la bataille des notes, des mémorandums, des protocoles. Aux propositions succèdent des contre-propositions. Des semaines, des mois se passent à ergoter sur une phrase, à subtiliser, sur une interprétation. Des mots, des mots, et rien que des mots. »

Voilà un aveu qui illustre bien la nature des conférences qu’elles soient au sommet ou à un autre échelon.

 

La Conférence Occidentale au Sommet

Celle qui vient de s’achever à Paris n’échappe pas à la règle. Heureusement, tous les participants s’en sont retournés satisfaits. Chacun parle de succès parce qu’il a obtenu que son idée personnelle figurât dans une formule bien pesée et rédigée avec art. La suite, et on nous promet beaucoup de suites, nous apprendra, si elles ont une portée quelconque.

 

L’Évolution du Continent Noir

Pendant ce temps, la débâcle africaine se précipite. Ne parlons pas de la « Communauté ». Anglais et Belges participent au mouvement. Elections au Nigéria, dont l’indépendance sera effective en Octobre. La victoire est restée à l’actuel premier Ministre qui représente la partie Nord du territoire. Les Partis de l’Ouest et de l’Est restent minoritaires au parlement ; les antagonismes de race et de religion demeurent. Pour l’heure, une certaine sagesse anime les dirigeants, à la fois pro-occidentaux, fidèles au Commonwealth et hostiles au panafricanisme. Mais l’équilibre entre les factions est précaire. Au Tanganyika, ex-colonie allemande, les Anglais essayent de constituer un état type sur une base multiraciale, grâce à la modération exceptionnelle du leader africain local. Les autochtones sont 9 millions en face de 25.000 Européens et autant d’Asiatiques. On votera et les Noirs prendront le pouvoir avec la promesse d’assurer à la minorité le respect de ses droits. Les Anglais voudraient constituer un modèle qui pourrait servir aux territoires voisins, le Kenya et la Nyassaland. Mais la situation n’est pas la même. A Nairobi, de nouvelles émeutes ont éclaté et le leader noir, M. Mboya est un extrémiste. De même au Nyassaland où cet été les violences ont été particulièrement meurtrières. M. MacMillan va se rendre sur place pour s’éclairer sur la situation.

Au Congo belge, le Roi Beaudoin a mis en jeu son prestige pour tenter d’apaiser les esprits ; l’accueil a été tumultueux, hostile ici, favorable ailleurs. Cet immense pays, le Congo belge, n’a d’autre unité que celle que les hasards des explorations ont constituée sous l’égide de Bruxelles. Les mouvements d’indépendance ne peuvent aboutir qu’à l’éclatement. A l’Est, la riche région des mines de cuivre n’entend pas suivre le courant de Léopoldville. Au mieux, on pourrait aboutir à une confédération plus ou moins lâche. Il est probable que cela n’ira pas sans violences. Les Belges ont été pris de court par la rapidité des événements. Ils en accusent la contagion venue du voisin Congo français avec lequel il n’est pas impossible que la région côtière du Congo belge se fédère. Ce qui pourrait poser des problèmes délicats à la diplomatie.

 

Les Afro-Asiatiques à l’O.N.U.

Un autre problème se pose, que l’on n’a pas, ou peut-être pas voulu remarquer. L’indépendance successive des pays africains va amener les nouveaux Etats à siéger à l’O.N.U. comme membres à part entière ; c’est même l’attribut auquel leurs dirigeants tiennent le plus. D’ici peu, la majorité des deux tiers requise pour l’adoption des résolutions appartiendra aux afro-asiatiques avec l’appoint assuré de certains latino-américains. Les grandes puissances occidentales perdront tout contrôle et leurs voix, même associées, seront sans effet. Leur situation ne sera guère confortable et une crise de l’O.N.U. n’est pas improbable. C’est sans doute pour cela que M. H., le président entreprend une tournée africaine. Souhaitons-lui bonne chance. Il se souvient sans doute, comme nous, que c’est ainsi – toutes choses égales – qu’a sombré la S.D.N.

Il n’y a d’ailleurs pas que les Occidentaux à se trouver dans l’embarras. L’U.R.S.S. et ses satellites sont aussi bien menacés – on l’a vu lors du débat sur la Hongrie -. Ce pourrait bien être là un des motifs de la « détente » ; c’est aussi en prévision de cette nouvelle répartition des voix que les Etats-Unis, tout comme l’U.R.S.S. ont été si réticents chaque fois qu’il s’est agi de constituer une force militaire à la disposition de l’O.N.U. Une assemblée de diplomates, sans moyens d’intervention, n’est pas bien dangereuse, il en serait autrement si on lui donnait des armes.

 

Les Difficultés de la C.E.C.A.

Abordons un sujet moins sombre, qui concerne aussi une assemblée internationale, la C.E.C.A. : un accord est intervenu entre la Haute Autorité du pool charbon-acier et le Gouvernement belge, pour faire face à la crise charbonnière.

Les entrées de charbon du pool en Belgique, seront ramenées à 3 millions de tonnes, c’est-à-dire réduites à 40% du niveau actuel, cependant la Belgique continuera d’exporter dans les autres pays de la C.E.C.A. qui ont eux aussi – la France et l’Allemagne et la Hollande – des excédents accumulés sur le carreau des mines, les 2 millions de tonnes qu’elle leur envoie actuellement. Enfin, on dénoncera les contrats d’importation de charbon américain. Passons sur les autres clauses de ce règlement compliqué qui n’ira pas sans heurts ni récriminations.

Quoi qu’il en soit, voilà une institution qui n’a que sept ans d’une existence plutôt agitée qui en arrive, pour résoudre la crise charbonnière belge, à rétablir les frontières et les contingentements qu’elle avait précisément pour mission d’abolir ! Voilà pour les économistes et les planificateurs un sujet de méditation un peu cruel. Les surprises de la vie économique ont tôt fait de dérouter les vues de l’esprit. Heureusement, les institutions survivent à tout, même à leur inutilité, voire à leur malfaisance.

 

La Rentabilité des Entreprises en U.R.S.S.

Une étude attentive et passablement compliquée des chiffres du budget et du dernier plan soviétique, permet de se faire une idée approximative du rendement de l’industrie et de l’agriculture en U.R.S.S. On peut aussi se rendre compte qu’à quelques exceptions près – comme le pétrole – l’économie soviétique n’est pas rentable au sens où nous l’entendons. A vrai dire presque aucune entreprise d’Etat n’est rentable, même en Occident, même dans les pays les mieux organisés, mais le déficit des entreprises russes dépasse de beaucoup ce que nous supportons. En gros, c’est à peine le tiers en moyenne de leurs besoins de fonctionnement, d’amortissement et d’investissements que les organismes soviétiques arrivent à couvrir par leurs propres moyens : le reste est fourni par l’Etat, c’est-à-dire par le contribuable et comme en U.R.S.S. les impôts directs sont négligeables (l’impôt sur le revenu va même être supprimé), c’est le consommateur même et surtout le plus modeste qui fait les frais. Comme M. Krouchtchev avait raison de dire : « Si les capitalistes géraient leurs affaires comme nous, il y a longtemps qu’ils auraient fait faillite ».

 

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