Criton – 1959-11-28 – Procès d’Intention

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Le Courrier d’Aix – 1959-11-28 – La Vie Internationale.

 

Procès d’Intention

 

La Résolution de l’O.N.U.

Les réserves, pour ne pas dire l’hostilité, que rencontrent à l’étranger certains aspects de la politique française n’ont pas tardé à se manifester à l’O.N.U. qui a condamné à la majorité des deux tiers le projet d’expérience atomique au Sahara, annoncé depuis si longtemps, ce qui diplomatiquement parlant n’est pas précisément habile. Quinze seulement des quatre-vingt-deux membres ont soutenu la France. Encore la plupart ne l’ont-ils fait que pour ne pas l’irriter. Les autres, dont un membre de l’Alliance Atlantique, le Canada, s’est joint aux adversaires.

Sans doute ce genre de résolution est purement platonique, comme toutes les décisions de l’O.N.U. Sans doute aussi cette manifestation est parfaitement injustifiée alors que toutes les expériences atomiques russes, anglaises et américaines n’ont fait l’objet d’aucune désapprobation. Et encore la Conférence de Genève qui en est à la cent trente ou cinquantième séance, on ne sait plus, et qui doit en principe suspendre les expériences atomiques, n’a fait que quelques pas de tortue depuis plus d’un an.

Si elle avait abouti, on aurait mieux compris qu’on nous invitât à respecter ses décisions. Juridiquement et moralement, notre droit à la bombe n’est pas contestable et c’est précisément ce qui est grave : on semble avoir voulu atteindre sur ce mauvais cas, l’ensemble d’une politique. Ce qui est plus grave encore, au moment où, pour résoudre le conflit algérien, il faudrait disposer de tous les appuis diplomatiques, ils se dérobent, ce qui donne à certains, sans doute à tort, le sentiment que l’on n’est pas tellement pressé de le résoudre.

 

La France et la Libération des Échanges

Cela est d’autant plus regrettable, que dans d’autres domaines, la politique française fait preuve d’initiatives courageuses qui rencontrent un assez large assentiment. D’une part, le ralliement progressif à la libéralisation des échanges et au développement du commerce international. L’intention première du Marché Commun qui devait être une association économique et politique limitée à six membres, fait place à un effort plus large qui tend à conférer, peu à peu à tous les partenaires de l’O.E.C.E. et bientôt à tous les pays du G.A.T.T., c’est-à-dire aux Etats-Unis et autres Etats d’outre-mer, les avantages primitivement assignés à la Petite Europe.

Cette attitude est de nature à rendre sans objet la querelle entre l’Angleterre et ses associés scandinaves et ceux qui l’ont suivie sans enthousiasme pour empêcher le Marché Commun de se fermer aux contacts extérieurs. Elle donne également aux Etats-Unis et au Canada, aux prises avec des déficits commerciaux qui les inquiètent, l’espoir d’un traitement égal et d’une libre compétition avec le reste du Monde libre.

Cette évolution à laquelle la France avait beaucoup de raisons et d’intérêt à faire obstacle ou du moins à retarder, elle paraît aujourd’hui au contraire, vouloir l’accélérer. Cela constitue une véritable révolution, si le mot n’était pas galvaudé, si l’on songe que depuis la Première Guerre Mondiale, sauf en quelques brefs intervalles, de 1927 à 1936, l’économie française a vécu ou plutôt végété à l’écart du monde, à l’abri d’un protectionnisme anémiant.

Évidemment, il y a encore beaucoup à faire pour que toutes les fenêtres soient ouvertes, pour que nous ne soyons plus un obstacle à la libre circulation des échanges ; mais les premiers pas sont faits, hardiment, et c’est le cas de le dire, ce sont ces premiers pas qui coûtent le plus. Le climat est changé, on s’en rend compte partout à l’étranger ; on s’en étonne même quelque peu, et l’on s’en réjouit. Car bien que nous n’occupions pas une place prépondérante dans le commerce international, une obstruction de notre part pouvait bloquer pour longtemps les circuits. On mesure en outre l’absurdité de certaines attitudes politiques quand on voit les socialistes français qui devraient par doctrine se féliciter de notre internationalisme économique, refuser leur appui à ces initiatives, alors qu’ils en approuvent d’autres, qu’en bonne logique, ils devraient regarder avec suspicion.

 

L’Indonésie et la Chine

Passons à l’autre bout du monde : En Indonésie, Après le drame du Tibet et le conflit avec l’Inde, la Chine rouge est en difficulté avec l’Indonésie. Le Gouvernement de Djakarta a décidé d’interdire le commerce de détail aux ressortissants étrangers dans les régions rurales. Ce commerce était, comme dans beaucoup de pays du subcontinent, aux mains des Chinois. Ceux-ci n’étaient pas précisément communistes, mais ils s’étaient plus ou moins affiliés au régime de Pékin dans l’espoir qu’ils seraient protégés par sa puissance contre l’hostilité des autochtones jaloux de leur pouvoir économique et financier. Effectivement, les communistes chinois soutenaient leurs ressortissants et quand le Ministre Subandrio est allé à Pékin pour discuter de ces projets de nationalisation du petit commerce, il fut reçu avec des injures et des menaces. Heureusement pour l’Indonésie, elle est séparée de la Chine par la mer, et malgré les pressions, Soekarno a passé outre. Le plus curieux de l’affaire, c’est que les communistes exigeaient que les Chinois d’Indonésie soient autorisés à exporter leurs capitaux hors du pays où ils s’étaient fixés. L’armée à Djakarta, qui a en la personne du Maréchal Nasution une forte autorité, a imposé l’interdiction que les politiciens hésitaient à appliquer.

Cet incident a une portée considérable parce que l’exemple pourrait être suivi partout où le commerce est aux mains des Chinois.  Pékin commence à ressentir les effets de sa politique agressive dans les pays où son influence avait beaucoup progressé jusqu’à l’an passé. La cohésion du groupe de Bandung s’en trouve ébranlée. Déjà, on l’a vu, les démêlés de la Chine avec Nasser avaient donné le signal.

 

Le Panafricanisme

Plus près de nous, on assiste aux vicissitudes du Panafricanisme dont Nkrumah au Ghana et Sékou Touré en Guinée, sont les protagonistes avec l’appui plus ou moins discret des Anglais (le Duc d’Edinbourg est à Accra). La politique panafricaine les met d’ailleurs dans l’embarras, car le plus important des pays d’Afrique, la Nigéria, qui va devenir indépendante en 1960, a pris formellement position contre les Etats-Unis d’Afrique. Le premier ministre Tarawa considère que l’Afrique Occidentale divisée en Etats est mieux apte à se développer que fédérée. Et la République de Libéria par son président Tubman, très lié avec les Etats-Unis d’Amérique, est du même avis. De même, Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire ; les ambitions respectives des nouveaux maîtres de l’Afrique noire entrent en conflit. Déjà entre Sékou Touré et Nkrumah, l’harmonie est loin de régner, et Léopold Senghor du Mali n’entend pas aligner sa politique économique sur celle du Guinéen.

En définitive, c’est l’attitude de la Nigéria, qu’on appelle déjà les U.S.A. d’Afrique noire, qui  décidera de la nature des liens entre les différents Etats indépendants ou semi-indépendants. Cette balkanisation de l’Afrique noire, comme l’appellent les adversaires, sera-t-elle favorable ou défavorable au progrès ?  En tous cas, toute tentative d’unification semble vouée à l’échec pour fort longtemps encore.

 

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