Criton – 1959-11-07 – Appréciation Difficile

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Le Courrier d’Aix – 1959-11-07 – La Vie Internationale.

 

Appréciation Difficile

 

Ceux qui se refusaient jusqu’ici à admettre les divergences entre les Soviets et la Chine, commencent à douter de leur jugement. Le discours de Krouchtchev est une désapprobation publique de l’action de Pékin contre l’Inde. On reconnaît peu à peu que cette fissure dans le Bloc communiste est la question capitale du moment. L’avenir des relations internationales en dépend. Il n’est pas superflu d’y revenir.

 

Les Relations Sino-Russes et les Méthodes d’Appréciation

Le problème est également crucial à un autre point de vue. Il met en lumière l’opposition des esprits dans l’estimation de l’évolution future des affaires du monde ; ceux qui se fient au raisonnement sont fatalement accrochés à un dilemme : ou bien il y a désaccord entre l’U.R.S.S. et Pékin, ou bien les deux gouvernements se partagent la tâche de concert, l’un cherchant à créer un climat de détente, l’autre, le Chinois, poursuivant lune politique agressive ; Moscou jouant les neutres dans un éventuel conflit où les U.S.A. seraient obligés d’intervenir. Les deux hypothèses se justifient également, si l’on s’en tient au calcul des possibilités, comme devant un échiquier où les partenaires combinent leur jeu. Les autres, parmi lesquels nous nous rangeons, sans bien entendu perdre de vue les éventualités contraires, se fient à une foule d’indices et cherchent à s’installer dans le courant de l’histoire, et dans la mesure du possible dans l’état d’esprit des hommes d’Etat. Ils se laissent guider par le courant qu’ils discernent.

C’est ainsi que depuis près d’un an, la fêlure devenue crevasse entre Moscou et Pékin, nous a semblé perceptible. Aujourd’hui elle est évidente.

 

Les Visites des Soviétiques à Pékin

On a maintenant quelques détails sur la visite de Krouchtchev à Pékin et sur le discours qu’a prononcé Souslov aux cérémonies d’anniversaire de la révolution chinoise. Pendant que ce dernier parlait, le Ministre des Affaires étrangères Chen Yi se mit à bailler ostensiblement et s’endormit, ou fit semblant. Quand Krouchtchev prit congé de ses hôtes, il voulait serrer la main de Mao, celui-ci se déroba deux fois en regardant ailleurs ; à la troisième, il s’exécuta avec une froideur calculée. Ce sont là d’infimes détails, mais pour qui connaît le sens que les Chinois attachent à l’étiquette, cette attitude est éloquente.

 

La Valeur des Motifs Idéologiques

Nous paraît assez fondée l’explication courante selon laquelle l’opposition aurait des motifs idéologiques. L’U.R.S.S. serait – ce qui est vrai – hostile à l’expérience des « Communes du Peuple, contraire à l’évolution présente du communisme russe que Krouchtchev cherche à humaniser. Mais s’il n’y avait pas des raisons plus concrètes, la rivalité des méthodes conduisant au communisme ne serait pas primordiale ; les Russes entendent demeurer la nation guide du collectivisme et ne pas perdre leur influence sur les pays non engagés, mais surtout ils ne consentiront pas à voir se développer une puissance militaire et politique, un impérialisme rival du leur. C’est là le motif profond : la raison immédiate est très probablement le refus de donner à la Chine l’arme nucléaire ou les moyens de la fabriquer eux-mêmes. Les amabilités à l’adresse de la France couvrent probablement aussi l’intention des Russes d’associer notre pays à l’interdiction des essais nucléaires avant ou après l’expérience-témoin qui doit avoir lieu au Sahara. La France, une fois admise dans le bloc des puissances nucléaires, on fermera, si possible, le club à d’éventuels candidats.

 

La Tactique de Krouchtchev

A noter toutefois que la tactique de Krouchtchev, tant à l’égard des Occidentaux que de la Chine, est assez habile  car il ne s’interdit selon les circonstances, ni d’appuyer la Chine soit à Formose soit pour la faire admettre à l’O.N.U., ni, s’il le faut, de l’abandonner en fait, sinon en principe. De même, à l’égard de l’Occident, il entoure la détente d’assez de conditions pour ressusciter la guerre froide, s’il n’obtient pas les avantages qu’il désire. Sa flexibilité de manœuvre demeure entière, ce qui n’est pas le cas de ses adversaires qui ont trop de peine de s’accorder entre eux pour conserver beaucoup de champ dans la négociation au sommet. Ce que nous maintenons, c’est qu’il n’y aurait pas de volonté de détente du côté russe – volonté qui est aujourd’hui manifeste – si la rivalité avec la Chine n’était apparue aux Russes comme inéluctable à plus ou moins brève échéance. C’est cela qui a amorcé un virage dans la politique russe qui n’est pour le moment qu’une voie possible et non un fait acquis.

 

Les Émeutes de Stanleyville

On s’en rend compte si l’on examine la situation non plus d’après les colloques entre Russes et Occidentaux, mais en Afrique noire. Les émeutes de Stanleyville au Congo belge, montrent que le communisme poursuit activement ses manœuvres de subversion.

Ici la Chine et l’U.R.S.S. collaborent et les satellites ne sont pas en reste. Les diverses radios adressées aux Africains multiplient leurs appels à l’insurrection anticolonialiste. La Guinée et le Ghana reçoivent des dons et des prêts de la Chine comme de l’U.R.S.S. et de la Tchécoslovaquie qui fournit les armes au Cameroun, en Guinée et jusqu’au Congo belge. L’action des communistes blancs est relayée par celle des Chinois qui est mieux accueillie en pays de couleur. Le critère d’une véritable détente serait précisément la fin de ces appuis donnés au terrorisme africain et c’est sans doute ce que le Général de Gaulle entend demander à Krouchtchev avant de se décider pour la réunion au sommet. Krouchtchev ira-t-il jusque-là ? Il y aurait quelque chose de changé, de vraiment positif, une concession authentique de la part du Kremlin. Attendons pour y croire.

 

La Grève de l’Acier aux U.S.A.

La grève de l’acier n’est toujours pas résolue aux U.S.A. Ce sera la plus longue grève de l’histoire des Etats-Unis. Malgré le recours à la loi Taft-Hartley, le syndicat multiplie les recours de procédure pour en retarder et même empêcher l’application. On commence à se demander si le conflit pourra être réglé pacifiquement, c’est-à-dire par un accord, ou s’il faudra que l’une des parties capitule ou que le Gouvernement Eisenhower invoque un péril national. La situation actuelle ne saurait se prolonger, la paralysie gagne peu à peu l’économie tout entière. De toute façon, ce sera une épreuve historique dans l’histoire du syndicalisme américain. Il nous semble bien improbable qu’il en sorte fortifié.

 

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