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Le Courrier d’Aix – 1959-04-11 – La Vie Internationale.
Marchandages
La candidature du chancelier Adenauer à la Présidence de la République fédérale a suscité une surprise générale et d’abondants commentaires. On a mis l’événement au compte des dissensions entre Alliés sur le problème allemand avant la réunion du 11 Mai avec les Russes. Cela est d’autant moins probable qu’Adenauer sera en fonction jusqu’en Juillet.
Les Raisons du Chancelier
Les raisons de la décision du vieux Chancelier nous paraissent plus simples. Il sait les inquiétudes que sa disparition subite susciterait en Allemagne. Il veut éviter une secousse qui dans l’état présent des polémiques partisanes pourrait remettre en cause la politique extérieure et même intérieure, économique et sociale du pays. En se retirant sans s’effacer, il espère donner à son successeur le temps de s’affirmer et d’assurer la continuité de la politique qu’il a menée depuis dix ans.
Reste pour le moment l’énigme Erhard, le Vice-Chancelier et normalement le successeur d’Adenauer. Mais on n’ignore pas l’opposition des deux caractères. Et lorsque le Parti Démocrate-Chrétien désigna Erhard à la candidature pour la Présidence, on eut l’impression qu’Adenauer cherchait ainsi à écarter le Ministre de l’économie de l’accession à la tête du Gouvernement. Erhard, comme on sait, refusa. Reste donc l’hypothèse que le vieux Chancelier a un candidat de son choix qui pourrait être Gerstenmaier, le Président du Bundestag, ou Etzel, personnalités moins marquées qu’Erhard et susceptibles de suivre plus docilement les conseils d’Adenauer devenu président.
Nous serons bientôt fixés sur ce point. En tous cas, Adenauer a agi avec sagesse et les conséquences politiques de son changement de poste seront réduites au minimum, au moins sur le plan international.
La Préparation de la Confrontation Est-Ouest
La préparation de la confrontation Est-Ouest demeure laborieuse, et la réunion des Ministres des Affaires étrangères à Washington n’a pas harmonisé les points de vue, comme on dit. Les Anglais veulent conserver l’initiative de la détente.
Voici qu’ils envoient comme second explorateur le turbulent maréchal Montgomery qui va à son tour sonder les pensées secrète de Krouchtchev qui, à la suite de libations excessives, a eu, dit-on, une petite attaque. Nous persistons à penser qu’à Moscou MacMillan a cherché, en échange de ses bons offices pour le « désengagement », des assurances sur la position britannique.
Confusion en Irak
Or, les affaires à Bagdad vont de plus en plus mal pour Londres ; plus la pression russe est forte, plus MacMillan est résolu à trouver à l’Ouest la contrepartie qui lui permettrait d’obtenir des Soviets qu’ils ne pressent pas Kassem de nationaliser les pétroles irakiens. Kassem, par ailleurs, est désemparé devant les émeutes quotidiennes que suscitent les communistes irakiens et auxquelles ripostent les nationalistes pronassériens. De plus, les Russes, profitant du désarroi qu’ils entretiennent, entreprennent de mobiliser les Kurdes pour leur compte. On sait que les tribus kurdes occupent un territoire à cheval sur les trois pays : Turquie, Iran, Irak. Moscou a cherché depuis longtemps à les unir dans une république satellite du Kurdistan, qui donnerait aux Soviets un accès direct en Irak et au Golfe Persique. Au Caire, on a annoncé qu’un navire chargé de guerriers kurdes avec armes, a transité par le Canal de Suez en route vers Bassora. Qu’il s’agisse d’un rapatriement de réfugiés, comme le dit Moscou, ou de bataillons de choc destinés à « protéger » Kassem des attaques de ses adversaires, la coïncidence n’est pas fortuite. Moscou à son plan, et Kassem qui jusqu’ici avait résisté aux pressions antagonistes, ne paraît plus en mesure de se passer de la protection russe. Il craint pour sa vie et ne peut se fier à personne dans son entourage immédiat.
L’Attitude Américaine
L’attitude des Américains dans l’affaire est assez obscure. Washington est beaucoup plus intéressé à récupérer Nasser et à le pousser au maximum dans la guerre sainte contre le communisme, qu’à défendre les intérêts pétroliers du Moyen-Orient. Aux Etats-Unis même, il y a des groupes puissants qui ne seraient pas inquiets si la production des puits du Moyen-Orient venait, par suite de troubles, s’abaisser sérieusement. Et Nasser peut devenir un allié puissant contre le communisme, surtout depuis que l’impérialisme pan-arabe qu’il incarnait est en pleine déconfiture. En outre, on pense avec raison aux Etats-Unis que quels que soient les événements, les positions acquises ou perdues en Moyen-Orient ne sont que provisoires, comme les faits de ces dernières années l’ont amplement montré. L’important est de mettre à profit les événements du Tibet et la colère de Nasser pour déconsidérer le communisme dans les pays sous-développés d’Asie et d’Afrique ; le reste est éphémère.
Les Soviets et l’Algérie
Après une pause assez longue, les Soviets ont recommencé à s’intéresser à l’affaire algérienne. De concert avec les Chinois, ils ont organisé une semaine de manifestations en faveur de la rébellion. En même temps, ils ont envoyé en Guinée un puissant émetteur Radio qui va servir à Sékou Touré pour organiser sa propagande et à propager une voix des Noirs analogue à la voix des Arabes de Nasser qui aujourd’hui cependant, leur retourne assez cruellement la monnaie.
Les Soviets avaient cru attirer le Général de Gaulle dans la voie du neutralisme. Ils ont été déçus. De plus, ils s’inquiètent de l’ébauche d’une association franco-maghrébine dont on parle à Rabat et à Tunis. Ils cherchent à y faire échec en soutenant l’intransigeance de Fehrat Abbas et de ses collègues.
Là encore, Le Caire est un pion important. Si Nasser cède aux pressions américaines et lâche le pseudo-gouvernement algérien, les Soviets ne pourront pas grand-chose. C’est pourquoi les Russes, malgré les coups que Nasser leur inflige, continuent à le ravitailler en matériel. Tout un réseau d’intrigues orientales compliquées se combine où l’intérêt et les passions interviennent à des degrés difficiles à évaluer. Il faut un peu d’optimisme et beaucoup de patience pour attendre qu’une solution se dégage. Beaucoup de prudence aussi et surtout une force inflexible. Il ne faut pas d’illusion là-dessus. C’est la force qui fera pencher le reste.
CRITON