Criton – 1958-10-25 – De Quelques Énigmes

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Le Courrier d’Aix – 1958-10-25 – La Vie Internationale.

 

De quelques Énigmes

 

La reprise du bombardement de Quemoy par les Communistes chinois ne fait qu’ajouter un épisode au conflit des deux Chines. Il semble avoir un double objectif : entretenir la tension à l’intérieur pour stimuler le zèle des sujets de Mao Tsé Tung, compromettre les chances de redressement du Parti républicain aux Etats-Unis lors des élections de novembre. Le slogan de l’Administration en place « paix et prospérité »  a failli sombrer en cours d’année. Si le retour à la prospérité est décidément en vue, celui de la paix l’est moins, et l’on sait que l’opinion des Américains est dans l’ensemble hostile à la défense des îles côtières de Chine par leurs forces armées. Ainsi tout ce qui peut affaiblir la position de Foster Dulles est de bonne guerre pour Pékin. A l’inverse, la résistance de Chang Kaï Chek à toute concession se trouve renforcée, ce qui ne facilite pas la tâche du Secrétaire d’Etat, en ce moment en pourparlers avec le Généralissime à Taipeh.

 

Les Soviets et le Moyen-Orient

Les Soviets ne tiennent plus la vedette sur la scène internationale. Les joutes oratoires à l’O.N.U. sur le désarmement ne passionnent guère que leurs acteurs, et encore. La rencontre Adenauer-Smirnov à Bonn n’a rien apporté d’intéressant sur les rapports russo-allemands. Certains vont jusqu’à s’étonner que Krouchtchev laisse ainsi s’assoupir la guerre froide et prévoient un nouveau foyer en Moyen-Orient. Le voyage du Maréchal Amer, le second de Nasser, à Moscou a mis les imaginations en mouvement. En principe, il s’agit de fournitures d’armes à l’Egypte et des moyens qu’a celle-ci de les payer aux Soviets. Nasser n’est pas satisfait de son potentiel militaire dont il redoute avec raison les défaillances, d’autant plus que ses voisins et adversaires renforcent le leur. Les Anglais ont repris pied au Soudan qui va recevoir des avions, des armes et des instructeurs du Gouvernement de Londres. Israël en ramasse un peu partout, aux Etats-Unis, en France et en Allemagne ; le Liban revenu au calme reconstitue son armée. Mais c’est le problème syrien qui divise Le Caire et Moscou. La constitution de la République Arabe Unie a affaibli l’influence russe en Syrie. Le parti communiste a été éliminé à Damas. Les entreprises que les Soviets avaient multipliées sont sous contrôle égyptien. Krouchtchev a pu dire à Amer que ses fournitures d’armes étaient subordonnées à une révision de la question. On prête même aux Russes l’intention de déclencher une révolte Kurde pour refouler l’influence égyptienne si Nasser n’obtempérait. C’est voir trop loin. Moscou a besoin du nationalisme arabe nassérien en Mer Rouge et en Afrique, et Nasser des Russes pour s’armer, car même s’il faisait la paix avec l’Occident, celui-ci ne fournirait pas d’armes.

 

L’Irak et ses Voisins

Aussi est-il peu sensé de croire que les Soviets abandonnant Nasser, favoriseraient une désintégration de la R.A.U. pour ranimer l’alliance de la Syrie et de l’Irak où, d’ailleurs jusqu’ici, le gouvernement du Général Kassem demeure prudent à l’endroit des communistes et cherche à ne pas décourager l’Occident. Il n’a pas encore dénoncé l’appartenance de l’Irak au Pacte de Bagdad. On s’est demandé pourquoi. La réponse est simple. L’Irak ne peut se développer que grâce à son pétrole que seuls les Occidentaux peuvent lui acheter. Mais surtout, il trouve dans ses voisins des concurrents dangereux. On vient d’apprendre que le pipeline qui doit unir les fabuleux gisements de Qom en Perse à la Méditerranée, en passant par la Turquie pour aboutir à un port Turc, va être entrepris. L’Irak a un intérêt considérable à brancher sur cette conduite le réseau de ses puits. Jusqu’ici, les pétroles irakiens passent par Suez ou par le pipeline de Syrie, l’un et l’autre sous contrôle de Nasser. L’Irak se doit de conserver avec ses voisins Turcs et Iraniens de bonnes relations au cas où se renouvelleraient des conflits analogues à celui de 1956.

 

L’Énigme Chinoise

C’est encore autour de la Chine de Mao Tsé Tung que l’on s’interroge. Elle a ravi aux Soviets, sinon la direction du monde communiste, du moins l’attention curieuse et naturellement passionnée du monde. Il est malheureusement difficile de faire le point. Nous nous souvenons que quelques jours seulement avant la révolte de Poznań et les mouvements de Varsovie, une délégation française s’était rendue en Pologne et son Président, tout le contraire d’un sympathisant du communisme, avait fait un tableau des plus favorables de la reconstruction de la Pologne et de son retour rapide à la prospérité. Quelques jours après, la vérité éclatait, que les dirigeants eux-mêmes ne pouvaient qu’avouer.

Pour la Chine rouge des hommes aussi bien informés que Robert Guillain en France et Piero Ottone en Italie, émettent des opinions absolument contraires. L’un intitule sa chronique « La Chine accélère furieusement sa production », l’autre « Expérience désastreuse des Communes du peuple en Chine » et de citer des extraits du « Quotidien du Peuple » de Hanoï qui fait état des doléances des paysans et de leur résistance surtout à la vie collective et à l’industrialisation rurale. « La production agricole diminue et les céréales pourrissent dans les champs ».

Nous serions loin de l’augmentation de 70% d’une récolte à l’autre dont parle la propagande. Celle-ci d’ailleurs, renseignements pris pour expliquer le miracle, parle de circonstances atmosphériques particulièrement favorables, absence de sécheresse et aussi d’inondations, ce qui semble exact. Cependant, la partie la plus fertile de la Chine, prise dans son ensemble, jouit d’un climat particulièrement stable. Les famines fréquentes sont limitées à une région faute de moyens de transports susceptibles de la relier aux plus favorisées. On voit combien il est difficile de se faire une opinion sur une question qui est pourtant la plus importante actuellement. Ce qui est sûr, c’est qu’un effort démesuré est tenté pour révolutionner les habitudes, les goûts et les mœurs chinois.  Tout en peut sortir, un succès comme un désastre.

En tous cas, l’appoint soviétique, dans cette tentative, paraît très limité. D’après les dernières statistiques russes, les échanges entre les deux pays demeurent aux environs de 5 milliards de roubles, c’est-à-dire entre 100 et 500 de nos milliards, selon la façon dont ils sont comptabilisés (ce que nous ignorons) ; en tous cas, c’est bien peu de chose.

 

Capital Étranger et Capital Humain

L’aide occidentale aux pays sous-développés qui a fait l’objet de la récente réunion de New-Delhi, marque de nouveaux progrès. Des organismes privés s’y emploient et les organismes publics ou semi-publics multiplient les projets dont la réalisation est malheureusement lente. Il est certain, – et nous sommes sur ce point d’accord avec Mao Tsé Tung – que le capital humain compte plus, en définitive, que le capital financier importé de l’extérieur. Celui-ci en effet, si large qu’il soit, ne sera jamais à la mesure de l’œuvre à accomplir. Si judicieusement qu’il soit réparti, il ne peut qu’amorcer un progrès dont la généralisation repose sur l’effort d’organisation des intéressés eux-mêmes. De plus, le capital étranger ne peut s’exercer que par places et non sur l’ensemble de ces immenses territoires. Par contre, nous doutons que le capital formé exclusivement par le travail et les sacrifices d’un peuple puisse réaliser la transformation d’une société arriérée en société moderne sans apport extérieur soutenu en technique et en capitaux. Les lendemains prospères que les masses attendent sont un mirage parce que l’effort est fatalement détourné au profit d’un impérialisme politique qui le dévore. C’est le cas de l’U.R.S.S. et sera fatalement celui de la Chine. Le succès ne peut venir que d’une collaboration pacifique entre les peuples. Certains commencent à le comprendre et cela est un fait nouveau et prometteur ; d’autres malheureusement ………

 

                                                                                                       CRITON