Criton – 1958-01-18 – Offensive de Paix ou Propagande

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Le Courrier d’Aix – 1958-01-18 – La Vie Internationale.

 

Offensive de Paix ou Propagande

 

L’actualité est dominée par les lettres de Boulganine. Une seconde avalanche a succédé à la première. Aucun pays, engagé ou non, n’a été omis. Le contenu n’apporte rien de nouveau, mais cette offensive diplomatique elle-même marque-t-elle le début d’une nouvelle phase dans l’histoire des rapports Est-Ouest ? A première vue, l’objectif demeure identique : chercher à exploiter toutes les divergences de vues ou d’intérêt dans la coalition disparate des Occidentaux, leur enlever toute possibilité d’initiative diplomatique en les obligeant à répondre devant les opinons publiques à des propositions habilement embarrassantes. Enfin contraindre les pays, grands et petits, à reprendre le dialogue pour faire oublier les événements de Hongrie et rétablir une sorte d’égalité morale entre l’U.R.S.S. et les Etats-Unis, si Moscou pouvait amener Krouchtchev à un tête-à-tête officiel, et spectaculaire.

Certains ont voulu voir autre chose qu’une propagande plus bruyante destinée à effrayer les masses pour qu’elles fassent pression sur les gouvernants et les obliger à tenter par quelque concession à éloigner les périls sans doute imaginaires.

 

Autre Hypothèse

Tant que les Russes, dit-on, étaient les plus faibles ils ont cherché à gagner du temps, tandis que les Américains auraient eu intérêt à profiter de leur force pour les contraindre à céder sur quelques points essentiels, la réunification de l’Allemagne, la libération des Satellites, le respect des positions occidentales en Moyen-Orient. Durant cette période, les Russes ont conservé l’initiative, fait échouer toutes les Conférences, sauf celle qui concernait l’Autriche, y compris celles du désarmement. Devenus forts, les Soviets ont un intérêt inverse. Arrêter la course aux armements au point actuel où la situation leur est favorable, et empêcher les Américains de les rattraper. Ceux-ci au contraire, ont maintenant besoin de gagner du temps pour rétablir l’équilibre, ce qui explique les conditions que met Eisenhower à une confrontation diplomatique au sommet.

 

Discussion

Cette hypothèse ne manque pas d’arguments. Cependant, les Russes sont trop avertis pour croire qu’ils réussiront à faire accepter le statu-quo par les Etats-Unis. Pour les contraindre, il faudrait que les Soviets consentent de sérieuses concessions, comme l’inspection générale et réciproque des installations militaires qui est la condition préalable à tout accord.

Ils ne semblent pas, à notre avis, disposés à mettre un tel prix à des avantages qui seraient peut-être éphémères, à moins que le coût de la course aux armements ne soit, en définitive, trop lourd pour eux, ce qui jusqu’ici, contrairement à ce que l’on croyait, n’apparaît pas évident. Si les sommes énormes consacrées aux Spoutniks ont retardé le relèvement du niveau de vie des Russes, il ne s’en est pas trouvé non plus abaissé. Il reste donc probable, jusqu’à nouvel avis, que nous assistons à une manœuvre de propagande de prestige qui donne la fièvre aux diplomates, mais ne change absolument rien à la situation.

Deux aspects de la politique russe nous semblent au contraire d’un tout autre intérêt.

 

Le Nouveau Kominform Afro-Asiatique

On sait que s’est réunie au Caire, il y a une quinzaine, une Conférence Afro-asiatique qui voulait être la suite de celle de Bandung. A la différence de cette dernière, les Gouvernements intéressés n’y assistaient pas ; certains n’y étaient même pas représentés. Ces délégués étaient sans mandat et par conséquent n’engageaient qu’eux-mêmes ; la signification de cette Conférence était donc très réduite. Par contre les Soviets, cette fois, s’y trouvaient et officiellement. Ils ont dirigé les débats et inspiré les résolutions. En sorte qu’au lieu d’une conférence des pays afro-asiatiques, on a assisté à la réunion d’un nouveau Kominform constitué presque uniquement des délégués sympathisants communistes de la plupart des peuples de couleur.

Les quinze résolutions adoptées sont toutes l’expression de la politique soviétique et chinoise, en particulier : l’appui au F.L.N. d’Algérie, aux revendications de l’Indonésie sur la Nouvelle-Guinée, aux rebelles d’Oman et du Yémen contre l’Angleterre, et la dénonciation d’Israël comme base impérialiste et menace contre la paix et la sécurité des pays arabes. Rien n’y manque, jusqu’à l’agitation à Madagascar, au Togo et au Cameroun qui avaient là ses porte-paroles.

La résolution peut-être la plus redoutable, est l’encouragement donné à tous les pays à exercer leur pouvoir de nationaliser leurs richesses naturelles, sans égard aux intérêts et aux droits de ceux qui les ont mis en valeur. Car le but des Soviets est non seulement d’avoir en mains dans chaque pays nouvellement indépendant ou encore dépendant, un parti puissant à son service, mais d’engager tous les Gouvernements à affirmer leur autorité en prenant en main toutes les activités et les ressources de leurs pays.

En soufflant sur les nationalismes, les Soviets visent un double avantage : dresser les peuples contre l’Occident et les préparer par l’étatisation des moyens de production, à revêtir une structure économique qui rende possible l’avènement du « socialisme », c’est-à-dire à se soumettre à la dictature du communisme universel dirigé par Moscou. La création de ce nouveau Kominform n’est évidemment pas du goût de tous les gouvernants d’Asie et d’Afrique. Ils en sentent la menace, mais ils ne pourront pas ne pas en tenir compte, l’effet sur des masses émotives et ignorantes étant d’autant plus vif que le nationalisme et la xénophobie règnent du haut en bas de l’échelle sociale.

 

Les Soviets et les Élections Italiennes

Une autre manœuvre russe ne manque pas d’habileté ; des élections italiennes sont proches et l’on sait que nulle part plus qu’en Italie, le Parti communiste n’a souffert des événements de Hongrie. Il a perdu le contrôle de beaucoup de syndicats, de la plupart des intellectuels et de nombreux militants, même dans ses fiefs électoraux comme l’Emilie et la Romagne. La lutte s’annonce difficile. Aussi Gromyko a-t-il reçu opportunément une délégation dite des « Partisans de la paix », pour leur exposer, comme moyen de propagande, une offre d’étendre à l’Italie la garantie de l’U.R.S S.  en faveur de la neutralisation atomique, déjà proposée par la Pologne pour elle-même, la Tchécoslovaquie et les deux Allemagnes. Il a même parlé de prendre, s’il y consentait, des contacts officiels avec le Vatican. Il s’agit évidemment d’agir sur les masses catholiques d’Italie et sur tous ceux qui ont peur de la guerre atomique et ne veulent pas des rampes de fusées sur le sol italien.

La Démocratie chrétienne italienne qui cherche par des avances à gauche à mordre sur les masses abusées par le communisme, se trouve mal à l’aise devant les tentations du neutralisme. Elle a déjà consenti, très imprudemment, à renier le libéralisme économique en favorisant toutes les entreprises de l’Etatisme de plus en plus dévorant en Italie. Elle risque, pour gagner des voix, de chercher à se désolidariser du Bloc Atlantique comme on en avait vu une tentative à l’automne. Cependant, dans la course à la démagogie, les suppôts des Soviets seront toujours les plus forts.

 

                                                                                            CRITON