Criton – 1957-12-21 – L’O.T.A.N. à Paris

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Le Courrier d’Aix – 1957-12-21 – La Vie Internationale.

 

L’O.T.A.N. à Paris

 

Somme toute, la grande manifestation de l’O.T.A.N. à Paris a donné ce qu’on en pouvait attendre. La situation est trop sérieuse pour que l’on insiste sur des divergences que rien ne peut dissiper du jour au lendemain. Le besoin d’affirmer une unité si compromise depuis un an était manifeste. La rencontre, sans être décisive, a été profitable.

 

Les Résultats de la Conférence de l’O.T.A.N.

Dégageons les résultats : pour satisfaire les opinions publiques, on a décidé de reprendre avec les Soviets les pourparlers sur le désarmement et de retenir pour examen la proposition polonaise d’une zone « désatomisée » au centre de l’Europe comprenant les deux Allemagne, la Pologne et la Tchécoslovaquie. On veut mettre, si possible, à l’épreuve les intentions soviétiques sans grand espoir, mais par acquit de conscience. L’avis du chancelier Adenauer a été prépondérant à cet égard.

En second lieu, on a pratiquement ajourné les décisions d’ordre militaire qui ne sont pas urgentes puisque les engins balistiques à moyenne portée ne seront prêts que dans un an. Enfin, on s’est occupé de resserrer les liens économiques entre les partenaires – en théorie du moins, – car le défi lancé par les Russes dans ce domaine a été reconnu aussi sérieux que le défi militaire. Ce sentiment était très net à Paris.

 

La Récession Économique

En effet, les signes d’une récession dont nous avions décelé les symptômes dès la fin de l’été avant le lancement des Spoutniks ont été se multipliant. La baisse s’est progressivement accélérée. Les économistes, si optimistes en juillet, broient du noir. Les autorités n’ont pas encore réagi. Aucune des mesures prévues dans l’arsenal des moyens pour combattre la dépression n’a été appliquée, sauf une légère réduction du taux d’escompte. On est en effet en présence d’un phénomène qui déconcerte une fois de plus les théoriciens. Les affaires se ralentissent, mais les demandes de crédit auraient plutôt tendance à augmenter, de sorte que l’on n’ose pas combattre la dépression quand les causes d’inflation persistent.

Le public américain est par nature nerveux et émotif, l’humiliation subie devant les succès russes et les échecs de leur technique qu’ils croyaient sans rivale, a pénétré son subconscient et son comportement économique est imprévisible. Les statistiques et les calculs ne sont d’aucun usage. La psychologie humaine reprend ses droits qu’on s’était obstiné à méconnaître.

 

Les Conférences de M. Kennan

Les conférences de M. Kennan que nous avons évoquées, ont eu un retentissement considérable et des effets certains sur les discussions de l’O.T.A.N. Dans la dernière, il a mis en effet l’accent sur deux points.

D’abord que les préoccupations militaires ne devaient pas être mises au premier plan. La course aux armements doit être, coûte que coûte, arrêtée sinon on va à la guerre nucléaire et tout, a-t-il dit, vaut mieux que cela, entendons – même la paix soviétique. – Il faut entamer des négociations avec les Russes, sans publicité, par les voies diplomatiques normales. Secundo, le défi auquel nous devons faire face est davantage d’ordre économique que militaire et c’est là-dessus que doit porter l’effort. Kennan approuve l’unification de l’Europe, mais compte plutôt sur la solidarité des pays de langue anglaise, Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne, ce qui doit faire plaisir aux Anglais.

Sans être trop optimiste, sans nier qu’il faille en tout état de cause donner à la défense Atlantique le maximum d’efficacité, Kennan croit que l’on peut trouver avec les Soviets un modus vivendi.

 

Les Lettres de Boulganine

Dans l’état présent nous ne le pensons pas. Les innombrables lettres de Boulganine qui précisément réclament une négociation urgente ne nous disent rien de bon. Que les Russes espèrent en tirer un effet de propagande et désunir les Alliés, cela va de soi. Mais cet avantage est limité et ils n’ont pas pour l’instant besoin de succès de propagande. Les « Spoutniks » et l’échec du « Vanguard » suffisent. Nous croyons plutôt – et les précédents ne manquent pas – que ces avances spectaculaires ont pour objet de cacher la préparation d’un mauvais coup. Lequel ?

 

Le Destin d’Israël

Le nouveau voyage de Monsieur H. en Moyen-Orient où il va passer les fêtes, la nomination de Sir Trevelyan, ancien ambassadeur anglais au Caire comme adjoint du Secrétaire à l’O.N.U., la visite précipitée de Nouri el Saïd à Washington, nous le disent : c’est Israël qui est visé.

Il y a longtemps d’ailleurs que nous en avons parlé ici. Les Russes veulent rendre effective la décision de 1947 prise par les Nations-Unies obligeant Israël à respecter les frontières qui depuis furent bouleversées par la guerre de 1948. Les Arabes défaits durent céder aux Israéliens des territoires qui sont aujourd’hui indispensables pour faire vivre une population accrue. Le retour aux frontières de 1947 équivaudrait pour Israël à un suicide.

Si les Occidentaux prenaient position contre la résolution de 1947 tous les pays arabes seraient déchainés contre eux. S’ils la soutenaient, Israël serait réduit à merci et sa disparition comme Etat, une affaire de temps. Aussi les Arabes pro-occidentaux et la Turquie, pour prévenir la manœuvre préparée par les Russes en accord avec la Syrie et l’Egypte, cherchent à ouvrir une négociation où l’on pourrait par un compromis satisfaire les exigences arabes sans porter à Israël un coup mortel. Une telle négociation malheureusement paraît difficile et les Syro-égyptiens n’en veulent pas entendre parler, Israël pas davantage.

L’affaire heureusement est éventée depuis des mois et l’effet de surprise ne jouera pas. Mais les Occidentaux sont embarrassés et divisés. Les Anglais sacrifieraient volontiers Israël, les Etats-Unis ne peuvent pas.

 

L’Or de Fort Knox

Sur le second point de M. Kennan, la solidarité économique des pays libres, nous sommes pleinement d’accord, la question est primordiale, mais le proclamer ne suffit pas. Il faut mettre les choses noir sur blanc, proposer des mesures concrètes à effet rapide. Le Marché Commun demandera quinze ans ; le bloc anglo-saxon ne se soudera qu’en cas de guerre. Alors quoi ? Voici ce que nous offririons à M. Kennan ou plutôt à M. Eisenhower, qui aurait là une fameuse occasion de rétablir son prestige : les Américains ont enterré sous bonne garde au Fort Knox 22 milliards de dollars en or. Cet or ne sert pratiquement de rien. Il serait englouti que la valeur du dollar ne diminuerait pas d’un cent. Or, si les Américains mettaient 20% ou 25% de cet or à la disposition de l’Angleterre, de la France et de quelques autres alliés en difficulté, il n’en coûterait rien au contribuable des Etats-Unis. Un simple jeu d’écriture suffirait à redonner confiance dans les monnaies ébranlées, et les rendraient instantanément convertibles (bien entendu sous certaines conditions d’assainissement préalable indispensables en tout état de cause). D’un seul coup, le commerce international serait galvanisé et la crise sinon conjurée, du moins fort atténuée.  Mieux encore,  un relèvement du prix de l’or qui s’impose depuis longtemps permettrait de rétablir la couverture du dollar à son niveau antérieur. Il est probable d’ailleurs que bien peu des ligots offerts quitteraient Fort Knox matériellement, l’effet psychologique suffirait et le seul risque que courraient les Etats-Unis serait de les voir revenir par le jeu même de leur balance commerciale.

C’est trop simple pour être possible, dira-t-on. Hélas, les Etats-Unis perdraient un grand moyen de pression sur leurs partenaires aux abois et le Congrès ne consentirait pas. Cependant, il y a des générosités qui payent, et ce sont souvent celles qui ne coûtent rien.

 

                                                                                  CRITON