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Le Courrier d’Aix – 1957-10-19 – La Vie Internationale.
L’œil Magique
L’évolution du « Spoutnik » russe demeure la principale préoccupation. Comme toujours, en pareil cas, les réactions tendent vers deux extrêmes. Certains s’efforcent d’en minimiser l’importance, les autres l’exagèrent. Le président Eisenhower tant par tempérament personnel que pour excuser les déficiences de son Administration, a cherché à rassurer l’opinion. Son témoignage comporte des considérations judicieuses dont on doit tenir compte. Beaucoup de ses concitoyens n’ont cependant pas été convaincus. De tous côtés, experts et profanes, des critiques sévères se sont élevées. Pour en juger objectivement, consultons d’abord nos deux fidèles baromètres : le maréchal Tito et la Bourse de New-York.
Joukov chez Tito
La longue visite du maréchal Joukov en Yougoslavie, l’inspection approfondie qu’il a faite du potentiel militaire du pays et les entretiens qu’il a eus avec Tito ne sont évidemment pas de pure courtoisie. En particulier, le tour des installations le long de la frontière italienne de Trieste revêtait une signification qui n’a pas échappé à Rome. On a beaucoup parlé aussi du Panslavisme et l’on pouvait conclure que la Yougoslavie était revenue, comme avant la rupture de 1948, un membre fidèle du bloc communiste, ce qui n’est probablement pas exact. Cependant, Tito dont l’habileté politique n’est pas à rappeler a jugé prudent de s’aligner pour le moment sur Moscou. Il a donné un gage d’importance : la reconnaissance du gouvernement de l’Allemagne Orientale, en dépit des difficultés qu’il va avoir avec Adenauer pour ce geste. Nous ne savons ce qu’en pense M. Dulles, mais nous continuons à considérer comme la plus fâcheuse politique d’avoir investi plus d’un milliard de dollars pour doter Belgrade d’une armée moderne et sauver l’économie yougoslave du désastre. D’autant que lorsque Tito disparaîtra, on ne pourra empêcher Moscou de faire de la Yougoslavie une autre Tchécoslovaquie.
En outre, on peut penser qu’en dissuadant Tito de ses ambitions d’être le fédérateur d’une Europe centrale et balkanique détachée de Moscou, Krouchtchev et Joukov ont orienté ses regards vers l’Occident, vers Trieste et la Carinthie, pour prix d’une loyale collaboration. A noter également l’empressement que Tito a mis à souscrire à une Conférence balkanique proposée par la Roumanie et à répondre aux avances bulgares pour une collaboration générale et particulièrement l’aménagement hydroélectrique du Danube. Tout un faisceau de faits qui ne trompent pas.
La Baisse à Wall-Street
Quant aux marchés financiers, et particulièrement celui de New-York, ils se sont effondrés alors qu’il n’y a pas de raison économique pour justifier des baisses qui atteignent parfois 30 et même 40 pour cent depuis le 15 juillet.
Le Rôle Militaire du Spoutnik
Un autre problème, d’ordre militaire celui-là, relatif au satellite artificiel. Emet-il des renseignements en Code ou non ? Les Russes l’avaient d’abord nié, puis un savant soviétique, le Dr. Scherban l’a reconnu. Eisenhower est d’avis contraire.
De quoi s’agit-il ? Pour des raisons techniques que nous ne pouvons exposer ici, toutes les cartes géographiques sont inexactes et ne peuvent servir pour envoyer de façon précise à 8.000 kilomètres de distance l’engin balistique intercontinental sur son objectif, à savoir les bases américaines aux U.S.A. même. Le satellite artificiel muni de dispositifs infrarouges transmettrait aux savants les renseignements qui leur manquent. Ce qui expliquerait le poids anormalement élevé de l’engin. Si la chose n’est pas exacte, elle le deviendra sous peu, lorsque d’autres satellites seront lancés. Les Américains, quoique sceptiques officiellement, n’en ont pas moins décidé de maintenir en l’air de façon permanente la moitié de leurs bombardiers lourds susceptibles de porter les bombes H.
L’Impasse Atomique Réelle
Un point en tous cas est acquis. Jusqu’ici, grâce à leurs bases sur le pourtour du rideau de fer, les Américains pouvaient lancer sur l’U.R.S.S. leurs engins balistiques de portée moyenne de 2 à 3.000 kilomètres qui sont en cours d’essai ou déjà en service sans compter les engins de portée plus faible lancés de sous-marins atomiques. Les Russes ne pouvaient riposter faute de bases rapprochées. Ils ont donc concentré tous leurs efforts, à un coût invraisemblable, sur l’engin à longue portée qui doit les mettre à égalité avec les U.S.A. et réaliser l’impasse atomique total qui permet tous les chantages et intimidations dans lesquels ils excellent.
Les Soldats Égyptiens en Syrie
On s’est alarmé de l’envoi par Nasser des contingents militaires en Syrie et l’on n’est pas d’accord sur l’objet de ce geste. S’agit-il d’un plan concerté avec l’U.R.S.S. ? C’est peu probable. Nasser a voulu contrecarrer la politique de son rival, Ibn Saoud qui peu à peu lui ravissait la direction du Monde arabe et peut-être même empêcher la Junte de Damas de se lier complètement aux Soviets et de faire de la Syrie un véritable satellite.
Ce genre d’affaires est si compliqué qu’on se trompe toujours plus ou moins à vouloir les élucider. Ce ne sont pas les quelques soldats égyptiens qui ont débarqué à Lattaquié qui changeront grand-chose à l’équilibre des forces en Moyen-Orient.
La Menace Russe contre les Turcs
Les Russes cependant continuent d’accuser les Turcs et même Israël de vouloir attaquer la Syrie. Cela paraît absurde aux Occidentaux, mais non aux esprits surchauffés à Damas et au Caire. L’art du mensonge a parfois des raisons que la raison ne connaît pas. En écoutant la propagande des Soviets on se demande parfois s’ils ne tirent pas sur eux-mêmes. Le bouquet du genre est la formule qu’ils ont proposée à l’O.N.U. pour définir « l’Agresseur ». Mot pour mot, avec force détails juridiques, ils décrivent leur action en Hongrie.
La Purge Monétaire en D.D.R.
Une nouvelle purge monétaire a été effectuée en Allemagne Orientale par le gouvernement Grotewohl : une variante de celles qui ont jalonné depuis la guerre l’histoire monétaire de l’U.R.S.S. et des satellites. On échange les marks en circulation contre de nouveaux entre l’aube et le crépuscule et on déclare les anciens sans valeur. Mais l’échange n’a lieu qu’à concurrence de 300 marks (environ 6.000 frs), le reste est bloqué afin que les autorités puissent en rechercher l’origine, licite ou non. On devine que les malheureux épargnants de la D.D.R. ont préféré détruire leurs papiers que de les soumettre aux enquêtes de la police secrète. Et le tour est joué. Le pouvoir d’achat est automatiquement réduit et le marché noir supprimé, dit-on pour excuse – ce qui est à voir.
Il est vrai que tous les gouvernants ont leurs péchés et que nous avons connu jadis un retrait des billets de cinq mille, n’est-ce pas M. René Mayer ?
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