Criton – 1955-10-08 – Le Respect du Droit

ORIGINAL-Criton-1955-10-08  pdf

Le Courrier d’Aix – 1955-10-08 – La Vie Internationale.

 

Le Respect du Droit

 

L’émotion suscitée par le vote de l’O.N.U. en faveur du débat sur la question algérienne, agite l’opinion internationale. L’Assemblée des Nations qu’on entendait unir s’est révélée un parlement où les passions et les intrigues se donnent libre cours ; l’ancienne S.D.N. nous avait habitués à ce spectacle. La nouvelle internationale, comme la première se détourne peu à peu de son rôle, et c’est ce qui est grave.

 

Le Point de Droit

Une institution internationale ne peut en effet répondre à son objet que si elle respecte rigoureusement les principes du Droit International sur lequel elle est fondée ; au regard de l’O.N.U., la question algérienne n’est pas une affaire politique mais juridique ; l’Algérie fait partie de la France ; c’est peut-être une fiction, mais elle existe comme un fait de droit, reconnu depuis plus d’un siècle par les Nations ; l’O.N.U. qui n’a que dix ans n’est pas compétente pour en juger ; il manque à cette institution une Cour constitutionnelle à laquelle devrait être préalablement soumis tous les problèmes que l’on entend faire discuter à l’Assemblée ; c’est de toutes les réformes proposées la plus urgente. Faute d’un cadre juridique rigoureux, l’O.N.U. risque de sombrer dans le discrédit qui a frappé la S.D.M. On l’accusera, non sans raison, de ne servir qu’à compliquer et à envenimer les relations internationales qui le sont déjà suffisamment ; on n’y verra qu’une source de prébendes pour des personnages en quête d’emploi, un facteur de plus dans la rivalité entre les peuples. Et c’est malheureusement ce qu’a été jusqu’ici l’O.N.U., l’assemblée politique s’entend. Car certaines organisations annexes ont rendu de grands services parce qu’elles n’avaient que des buts humanitaires et concrets. Cela dit, on peut se demander s’il était bon – sur le plan international – de faire un éclat à propos de cette affaire. Il aurait suffi de rappeler à l’Assemblée que son vote était nul et lui demander de reconsidérer sa position. Ce qu’elle aurait préalablement fait.

 

Le Complot contre la France

Quittons ce terrain du droit pour examiner le fond des choses. La guerre d’Afrique du Nord – il faut bien l’appeler ainsi – est dirigée contre la France parce qu’elle présente le meilleur objectif. Elle est en réalité dirigée contre l’Occident tout entier qu’elle vise à travers notre pays. Qu’une solution intervienne chez nous, ce sera le tour de l’Angleterre si manifestement épargnée aujourd’hui. La coalition frappe au point faible ; cette « guerre tournante » qui a commencé en Corée, ne doit jamais s’éteindre pour démanteler le Bloc occidental. Et seulement un adversaire chaque fois.

 

Le Plan

Le mécanisme, qu’on pourrait une fois de plus appeler le plan Molotov, se démonte aisément : la guerre d’Afrique du Nord, met les Etats-Unis dans l’embarras. De peur d’être soupçonnés de soutenir le colonialisme, ils n’osent exercer leur influence sur leurs clients habituels : le Libéria et le Guatemala ont voté contre la France ; l’alliance du communisme et du nationalisme arabe met les Nations asiatiques et la Russie dans le même camp contre l’Occident. Juste à propos, les Soviets ont offert des armes à l’Égypte et à la Syrie pour mieux faire la preuve de cette solidarité.

Pour affaiblir la France on s’est servi de trois moyens. A l’intérieur, par le déclenchement des grèves de septembre ; ébranler la confiance dans son redressement économique, détourner l’épargne rassurée des investissements rentables, faire renaître la ruée sur l’or ; secundo, creuser par la guerre d’Afrique un gouffre où la monnaie doit s’engloutir ; car là, l’aide américaine qui avait joué un rôle de sauvegarde dans la guerre d’Indochine ne peut plus s’exercer directement ; tertio, provoquer à l’O.N.U. la condamnation de la France pour montrer à quel point son prestige a baissé. (On notera que la veille même du vote on avait provoqué la manifestation des élus musulmans contre la politique française en Algérie).

 

Le Plébiscite Sarrois

Cette tactique vise une autre échéance, qui pour les Soviets revêt une importance considérable : le plébiscite sarrois du 23 octobre. En semant l’inquiétude sur l’avenir de la France et du Franc, on peut influencer l’électeur sarrois qui regarde du côté de la solide Allemagne fédérale ; le rejet du statut sarrois, c’est un nouveau foyer d’agitation au cœur de l’Europe occidentale, les rapports franco-allemands aigris à nouveau, et surtout l’enterrement de tous les projets d’union de l’Europe Occidentale qui ferait de ces régions un robuste rempart contre la poussée orientale. Si le plébiscite sarrois tourne contre le statut européen du territoire, ce sera de justesse. Il aura suffi qu’une faible minorité influente et versatile ait craint de lier son sort à une France menacée dans son économie et sa monnaie et qui a perdu son prestige international.

 

Le Rôle d’Adenauer

Cette stratégie qui a si bien réussi jusqu’ici remportera-t-elle le succès ? Le chancelier Adenauer qui n’est pas dupe du jeu tient entre ses mains l’issue du 23 octobre ; il n’est pas douteux qu’il soit en faveur de l’Europe et du Statut sarrois, malgré les sacrifices qu’il comporte. Mais il s’en faut qu’il soit suivi, même par ses fidèles ; il doit manœuvrer avec circonspection, ce qui lui est foncièrement désagréable. Nous saurons demain s’il aura le courage de mettre son crédit en jeu pour sauver l’avenir de l’Europe fédérée dont la cause n’a guère progressé depuis un an pour ne pas dire qu’elle s’est affaiblie sans répit. La diplomatie française a également conscience de la gravité de l’enjeu ; mais avec  la confusion qui règne au parlement sur presque tous les problèmes extérieurs, sa liberté de manœuvre est bien limitée.

 

La Détente mise en Doute

Malgré les efforts de la « politique du sourire », l’opinion du Monde libre commence à douter de la détente et à se demander si elle n’est pas dupe d’une manœuvre et d’une illusion. L’euphorie de l’été est en tous cas moins sensible malgré les rapports des pèlerins du « Bathory » et de toutes les délégations qui ont découvert l’U.R.S.S. Ils ont vu la Russie comme les Bretons légendaires avaient vu Paris à travers l’exposition de 1900.

Il y a loin de ces témoignages d’ailleurs généralement objectifs et sincères à ceux du correspondant italien dont nous rapportions les conclusions et qui vit là-bas depuis des années ; celui-là a vu ce que l’on ne montre pas aux invités. Dans l’ordre du colossal, les Bolcheviks ont réalisé à grands frais des monuments spectaculaires : le Métro de Moscou, le combinat de Magnitogorsk, le barrage du Dniepr, dans l’ordre social, l’ensemble hospitalier de Sotchi, dans l’ordre culturel, l’Université de Moscou. Mais aux abords même de ces monuments grandioses, le moyen-âge oriental a poursuivi son rythme séculaire ; il y a encore 70% de paysans en U.R.S.S. et 20 au moins de manœuvres et de soldats.

 

                                                                                            CRITON