Criton – 1950-01-27 – Un Vent Meilleur

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Le Courrier d’Aix – 1962-01-27 – La Vie Internationale.

 

Un Vent Meilleur

 

Aux premiers jours de cet an 62, nous manifestions un certain optimisme sur les perspectives de la conjoncture internationale. Il semble bien que les événements, – exception faite, hélas pour notre pays – confirment ce sentiment. Nous ne parlons que de l’horizon politique, car dans l’ordre économique la période d’euphorie et de facilité est révolue. Celle qui s’ouvre sera, sinon difficile, du moins plus sévère bien que les moyens d’adaptation à une concurrence serrée ne manquent pas.

 

Berlin et la D.D.R.

La crise de Berlin d’abord, qui a polarisé toute l’attention au cours des années précédentes de façon exagérée, comme nous l’avons souvent remarqué, cette épreuve de force redoutée n’aura sans doute pas lieu. Le problème n’est pas de défendre la liberté des Berlinois, mais d’empêcher le secteur occidental de la ville, coupé de l’oriental par le mur, de dépérir par isolement et de se vider peu à peu, comme les Soviétiques l’espèrent. La tâche ici n’est pas simplement matérielle, mais psychologique et dans ce domaine, il est malaisé d’agir efficacement. Pour diverses raisons, difficultés intérieures en U.R.S.S. et en D.D.R., fermeté des Occidentaux, la diplomatie russe se résigne au statu quo. Il n’est même plus question du traité de paix avec Pankow. On assiste au contraire à une tentative de séduction à l’endroit de Bonn. Les attaques quotidiennes dans la presse et la radio contre les revanchards allemands et le Général Heusinger ont brusquement cessé ; comme tous les observateurs, nous prenions cette amorce de dialogue russo-allemand comme une manœuvre habituelle de propagande.

C’est plus sérieux que cela. Les Russes seraient disposés pour relâcher les relations de la République fédérale avec ses alliés occidentaux, à réviser leur politique allemande, peut-être même à liquider l’équipe au pouvoir en D.D.R. décidément trop impopulaire et à la remplacer par d’autres qui seraient des interlocuteurs possibles pour la réunification des deux Allemagnes ou tout au moins pour une forme de fédération qui, tout en maintenant la division des deux régimes, faciliterait leurs rapports. On en voit la preuve dans l’irritation qu’Ulbricht n’a pas cachée de voir ajourné « sine die » le fameux traité de paix séparé. C’est bien la première fois qu’une divergence entre Moscou et Pankow s’exprime publiquement. Ulbricht et sa bande misent certainement sur une révolution de palais au Kremlin. Rien n’indique qu’elle soit en vue, mais les symptômes se multiplient d’une crise en U.R.S.S.

 

La Crise Soviétique

Les « Izvestia » sont pleines de critiques de leurs divers correspondants en province sur le mauvais fonctionnement du système de production et de distribution. Un tel qui vient de se voir attribuer un nouveau logement ne peut trouver de meubles pour s’installer ; ceux qu’on lui propose sont liens de malfaçons et inutilisables. On nous dit que 41% de la production d’une fabrique d meubles a dû être mise au rebut par une commission d’enquête. Par ailleurs, on continue à produire des articles incommodes et démodés parce qu’une autre se refuse à adopter de nouveaux modèles qui coûteraient  plus cher, ce qui entamerait les bénéfices que les dirigeants se répartissent sous forme de primes. Ailleurs, il est question d’une machine qu’un centre de recherches attend depuis six ans pour fonctionner ; encore d’une usine de textiles dont le montage est suspendu et dont tous les éléments se rouillent en plein air, parce qu’on s’est aperçu que l’article qu’elle devait fournir d’après le plan, n’est plus demandé. Une autre usine est en panne parce que les autorités ont oublié de donner des directives. Ce qui frappe en tout cela, c’est le nombre invraisemblable des services, de commissions de contrôle, de directions locales, provinciales, régionales, d’organismes, les uns techniques, les autres administratifs, qui se partagent des responsabilités sans qu’elles sachent elles-mêmes où va leur compétence.

Nous avons vainement essayé de dresser la liste de ces organismes qui depuis le kolkhoses et la fabrique dirigent ou surveillent la production jusqu’aux ministères et au Gosplan suprême à Moscou. Quand nous nous croyons au bout, avec une bonne quinzaine, nous en découvrions d’autres et naturellement ces bureaucraties sont tantôt en conflit, tantôt au contraire, s’entendant pour éviter des ennuis avec l’échelon supérieur. C’est à qui se dérobe. On appelle cela le « Gilet de coton ». Si la presse dévoile ces aberrations c’est pour que le public qui les connaît et en souffre, ait le sentiment qu’on s’en occupe en haut lieu pour y porter remède. Les révélations de Krouchtchev sur les avatars de l’agriculture n’ont pas d’autre objet. Cela ira mieux demain, mais comme depuis toujours, c’est la même chose, l’impatience grandit avec le scepticisme.

Sans doute, il y a les exploits de Gagarine et Titov, les grands barrages de Sibérie, les usines géantes qui s’édifient et dont les photos s’étalent. Mais la masse s’irrite de voir que tant de réalisations n’apportent rien de tangible à la vie quotidienne, et chacun sait que de l’autre côté on fait mieux. L’idée se répand qu’il y a dans le système, quelque chose de fondamentalement erroné et qui est sans remède. Nous lisions avec stupeur ce mot d’un lecteur des « Izvestia » : « Au début de la révolution, nous comprenions qu’il fallait supporter la misère, aujourd’hui, nous ne nous l’expliquons plus ».

Le fond de la crise est là et non dans les querelles idéologiques sur la coexistence pacifique, les rivalités de personnes, l’affaire Molotov ou le schisme albanais. Et cela peut aller loin.

 

Le Congo

Du côté américain, le président Kennedy dont la popularité demeure élevée malgré ses échecs, commence à marquer des points. Au Congo d’abord. On sait quelles critiques véhémentes et fondées avait suscité l’expédition de l’O.N.U. au Katanga. Celles-ci s’apaisent, parce que la paix semble faite entre Tchombé et l’organisation et surtout depuis que Gizenka, arraché à son fief de Stanleyville, a été ramené à Léopoldville sous bonne escorte pour y être jugé.

Rien de définitif bien sûr de ce côté. Mais l’autorité du gouvernement central d’Adoula se renforce, il n’y a plus de dissidence irréductible et l’unité d’un Congo fédéral est possible, ce qui serait pour les Etats-Unis un succès majeur et pour l’O.N.U. un test décisif au moment où il lui faut trouver 200  millions de dollars pour survivre.

 

L’Indonésie, le Laos et le Sud-Vietnam

D’autre part, les préparatifs belliqueux de Soekarno contre les Hollandais traînent ; le combat aux rivages de la Nouvelle-Guinée n’a pas eu de suite et une solution pacifique du conflit est admise par les deux parties. Au Laos, d’atermoiements  en atermoiements, la réconciliation des trois Princes paraît en vue grâce à la collaboration des Russes et des Américains. Au Sud-Vietnam même, les Etats-Unis mettent le prix pour sauver l’indépendance du pays sans que les Soviets y fassent obstacle, sinon en paroles. Tout cela est encore sujet à revirement mais pour l’heure le règlement de ces problèmes importants paraît en bonne voie.

 

La Nouvelle Conférence de Punta del Este

Reste l’épineuse question Cubaine. A la nouvelle Conférence de Punta del Este, en Uruguay, le Secrétaire d’Etat Rusk fait tous ses efforts pour isoler la révolution cubaine et l’empêcher d’atteindre le Continent latino-américain. Il ne peut compter réussir du coup. Les gouvernements d’Amérique du Sud sont trop fragiles pour prendre des décisions qui soulèveraient l’opposition et le Fidelisme a trop de sympathisants partout. Il faudra du temps pour qu’il se discrédite lui-même. Mais pour les Etats-Unis, la question est prépondérante : tant que Castro règne à La Havane, Washington ne peut dormir tranquille.

La partie sera rude.

                                                                                            CRITON