Criton – 1962-02-24 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-02-24 – La Vie Internationale

 

Toute l’attention s’est concentrée cette semaine sur l’exploit du colonel Glenn et le nouvel aspect de l’affaire algérienne. Pour le reste, le panorama change peu : le désarmement même comme thème de propagande, est usé. L’unité européenne évoquée à nouveau par l’entrevue De Gaulle-Adenauer demeure fort éloignée. De son côté, Moscou continue de souffler le chaud et le froid sur des sujets rebattus : Berlin, la défense de Cuba, la menace thermonucléaire. C’est encore par-delà ces épisodes quotidiens, qu’il faut chercher où va le monde.

 

Echec Russe sur le Désarmement

Krouchtchev vient d’essuyer deux échecs sur l’échiquier international qui donnent la mesure de son prestige. On sait qu’il voulait convoquer à Genève, sur le programme du désarmement, les Chefs d’Etat ou de Gouvernement, de dix-huit nations. L’accueil des Occidentaux était prévu : nous ne nous dérangerons que si des progrès sérieux ont été faits dans les conversations à l’échelon ministériel. Celui du bloc de l’Est aussi : empressement unanime aux ordres du maître. Tout dépendait des autres, les non-engagés. Il fallait réunir au moins la moitié d’entre eux. Or, Nehru a donné le ton en prétextant des occupations urgentes. Son abstention influencera certainement les autres. Krouchtchev ne pourra venir plaider devant des fauteuils vides.

 

…Et à l’O.N.U.

Pendant ce temps, à l’O.N.U-, Cuba portait plainte devant le Comité politique contre l’ingérence des Etats-Unis dans ses affaires. Seul le bloc communiste l’a appuyée. Aucun des Afro-asiatiques n’a suivi, pas même l’Egypte et la Guinée. Cela a surpris. L’influence soviétique à l’O.N.U. a baissé. En réalité là comme ailleurs, c’est encore le conflit entre Russes et Chinois qui joue. Les Afro-asiatiques travaillés par la propagande chinoise contre l’U.R.S.S. hésitent à faire le jeu d’un impérialisme contre l’autre, surtout quand ils sont également des blancs. La solidarité des peuples de couleur bien vague en d’autres domaines opère ici contre les Soviets.

 

Rivalité Sino-Russe à Cuba

A Cuba même la rivalité russo-chinoise se fait âpre. C’est ainsi que Carlos Rodriguez qui représente la faction pro-russe vient d’évincer le fameux Che Guevara, l’homme des Chinois, à la tête de la Commission centrale du plan et du nouveau parti unique, l’Organisation révolutionnaire intégrée. Rodriguez déjà chef de l’Institut de réforme agraire, devient ainsi le second de Castro. Les Soviets l’emportent pour le moment parce que seuls, ils ont les moyens de maintenir l’économie cubaine fort ébranlée, à peu près à flot. Sans les Russes ce serait l’effondrement et ils le font sentir. Par contre l’influence de la révolution cubaine y perd en Amérique latine. Elle s’exerce surtout par les étudiants et les jeunes intellectuels qui voient le communisme cubain comme la forme révolutionnaire chinoise adaptée aux conditions sociales de l’Amérique latine ; le régime russe leur paraît plutôt un impérialisme militaire dont les desseins sont suspectés. En Argentine, en Colombie, en Bolivie même, les étudiants communistes ont été mis en minorité après d’âpres luttes ; les réformistes l’emportent sur les révolutionnaires et le sentiment particulariste sur l’internationale communiste.

 

Les Emeutes en Guyane Britannique

Un autre événement bien lointain a surgi en Guyane britannique. L’ancienne colonie de l’Amérique du Sud s’acheminait vers l’indépendance sous l’autorité du Docteur Jagan d’origine hindoue. Les Anglais là comme ailleurs, avaient emprisonné Jagan dont les attaches marxistes étaient notoires. Appelé aux responsabilités, il avait en apparence évolué et même était allé à Washington quêter des dollars. Les garanties qu’il offrait avaient incliné les Américains à l’aider. Brusquement, sous prétexte d’une loi d’austérité que Jagan voulait appliquer, une émeute a éclaté, si violente qu’il a dû appeler l’armée britannique à l’aide. Les troubles ont ravagé la capitale Georgetown. Ce sont les noirs qui constituent la minorité qui se sont révoltés. Les Hindous amenés autrefois en Guyane pour l’exploitation des plantations de sucre sont légèrement majoritaires ce qui explique le succès de Jagan aux élections. Les planteurs et les Sociétés d’origine européennes se sont coalisés avec les noirs pour renverser Jagan. L’affaire n’est pas terminée mais son caractère raciste est évident. En Guyane, comme dans toute l’Afrique orientale, l’antagonisme entre noirs et hindous n’est contenu que par la présence des blancs.

Cet épisode guyanais illustre malheureusement un trait de l’histoire contemporaine, l’exaspération du racisme qui va de pair avec celui du nationalisme. Blancs contre noirs, noirs contre asiatiques et aussi contre arabes comme au Kenya, et noirs contre noirs de tribus rivales comme au Congo belge. Arabes contre européens en Afrique du Nord et aussi arabes contre Juifs ; Indonésiens contre Chinois à Java, Musulmans et hindous en Inde, etc… A Chypre, la trêve entre Grecs et Turcs paraît bien près de se rompre.

La fin du colonialisme laisse en présence des éléments hostiles qu’il suffit d’un incident pour déchaîner. Il en existe partout. On peut espérer que le temps apaisera leur hostilité mais rien n’est sûr. Il est regrettable que l’unique réussite de coexistence raciale, celle des Portugais avec les noirs et les hindous, au lieu d’être louée, soit précisément un objet de réprobation même des Occidentaux, soit par préjugé, soit par calcul politique. De même, l’expérience difficile mais hardie du développement séparé tentée par le Gouvernement d’Afrique du Sud, au lieu d’être soutenue est unanimement condamnée. On ne veut pas voir d’autre choix que la séparation ou la guerre civile.

 

Les Anglais et le Suremploi

Les Anglais, devenus à leur tour l’homme malade de l’Europe, s’interrogent sur les causes de la stagnation de leur économie et les remèdes  possible. La discussion porte aujourd’hui sur la question du plein emploi ou plutôt du suremploi, car en Angleterre comme en Allemagne, et à un degré moindre en France, il y a plus d’offres que de demandes. On est obligé de reconnaître que ce phénomène freine le progrès. En effet, la pénurie de main-d’œuvre laisse les entreprises désarmées devant les demandes d’augmentation de salaire d’où élévation du coût de production, ce qui pour l’Angleterre signifie la fermeture des débouchés à l’exportation. Mais il y a plus ; de ne pouvoir compter sur un recrutement normal et surtout un niveau raisonnable de rémunération freine l’investissement partout où l’élément salarial entre pour une large part dans les prix de revient. Ce qui socialement est un bienfait, le plein emploi, devient économiquement un danger. C’est ce qui se produit actuellement en Allemagne et aussi en Suisse où 20% de main-d’œuvre est étrangère, et où malgré cet apport, les prix montent rapidement. Ce qui amène peu à peu ces pays à un affaiblissement du rythme d’expansion qui seul peut rétablir l’équilibre.

 

                                                                                       CRITON