Criton – 1962-12-22 – La Vie Internationale

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Le Courrier d’Aix – 1962-12-22 – La Vie Internationale.

 

Les réunions européennes de décembre ont pris fin ; Conférence des six Ministres à Bruxelles, nouvelles discussions avec M. Heath sur l’admission de l’Angleterre, assemblée de l’O.T.A.N., à Paris, rencontre De Gaulle-MacMillan à Rambouillet, conversation franco-allemande Couve de Murville-Schroeder, sans compter les colloques en marge. De tout cela on est incapable de noter un résultat quelconque. Le contraire eut été surprenant.

 

Le Discours de Krouchtchev au Soviet Suprême

Par contre, et pour une fois, un grand discours méritait une étude attentive, celui que Krouchtchev a prononcé devant le Soviet Suprême. L’impression de ceux qui n’ont fait que le lire est très différente de celle qu’ont éprouvée ceux qui l’ont entendu. Cela nous a été possible, grâce à l’enregistrement radiodiffusé. Krouchtchev avait à défendre sa politique à Cuba et l’accueil réservé à Tito. Il se sentait en présence de détracteurs, près de lui peut-être, mais surtout à Pékin et ailleurs. Il ne s’adressait pas comme d’ordinaire au monde capitaliste, mais à des fidèles désorientés ou hostiles, et il l’a fait avec vigueur, colère et ressentiment. Contre les accusations de « capitulateur » devant les Américains, et de complice des renégats en renouant avec Tito, il a manié l’ironie, la dialectique et parfois la perfidie. Mais on sentait par cet emportement inhabituel qu’il ne pouvait se justifier tout-à-fait, ni convaincre ses ennemis. Les deux camps du communisme international se dressaient par sa voix l’un contre l’autre. En se défendant, il s’accusait lui-même.

Est-ce à dire, comme certains l’assurent, que ce schisme va aboutir à une rupture officielle ? Nous ne le croyons pas. Si violent que soit l’antagonisme entre Moscou et Pékin, le maintien d’une fiction d’unité est indispensable. L’idéologie et la puissance du mouvement aurait trop à perdre et rien à gagner à se couper en deux factions rivales. De plus, des événements futurs, des changements de personne, peuvent ramener un jour la cohésion.

 

Le redressement Soviétique

Pour l’heure, les Soviets redoublent d’efforts pour redresser une situation ébranlée par le recul à Cuba. Dans l’ordre militaire, le budget s’accroît encore pour multiplier la production de fusées intercontinentales où les Américains ont pris de l’avance. A Cuba même, on va fournir à Fidel Castro tout ce qui est possible afin de faire de l’île une image de prospérité aux yeux des latino-américains. Cela va coûter très cher aux satellites européens. La Tchécoslovaquie qui a contribué pour 12 millions de dollars en 1960, va délivrer en 1963 pour 100 millions de biens d’équipement. La Pologne, la Roumanie, la Hongrie, l’Allemagne de l’Est, élèveront leur quote-part plus modeste dans les mêmes proportions.

En contrepartie, les satellites ne recevront de Cuba qu’un dixième à peine de leur contribution : surtout en sucre et en cigares, dont ils n’ont que faire et qu’ils revendront sur le marché international. Les Russes comme d’habitude, fourniront surtout les armes prélevées sur des stocks démodés. Cette répartition de l’effort pour Cuba ne va pas sans récriminations, même en Russie ; les dockers d’Odessa ont fait grève pour refuser d’embarquer des vivres pour Cuba dont la population russe manque elle-même. Les ouvriers tchèques ont saboté des machines destinées à Castro. Cette assistance massive ne peut qu’aggraver les difficultés intérieures des pays dominés par Moscou et cela sans que l’on soit assuré d’un résultat positif. Les techniciens envoyés auprès de Fidel Castro en doutent. Ils montent des usines, mais ne croient pas les Cubains capables de les faire marcher.

 

L’Affaire d’Espionnage à Moscou

Par ailleurs, les Russes, pour détourner l’attention publique des querelles avec Pékin et de l’échec de Cuba, ont monté une vaste affaire d’espionnage où est impliqué, pour la première fois, un haut fonctionnaire de la défense soviétique ; un Anglais arrêté en Hongrie, et plusieurs diplomates américains, en poste à Moscou, complètent le lot. Il y a toujours quelque vérité dans ce genre d’affaire et il est facile d’impliquer des diplomates étrangers qui partout font du renseignement. Mais cela fait aussi partie d’une campagne de vigilance et de répression accrue dans tous les domaines ; on fusille beaucoup en U.R.S.S. pour délits économiques, pots de vin, forfaiture ou trafic de devises.

 

La Coexistence Pacifique

Tout cela n’empêche pas la coexistence pacifique d’être à l’ordre du jour. Krouchtchev l’a affirmé avec force. C’est la seule politique qui puisse leur conserver une popularité indispensable dans la lutte interne. Les Satellites, dans leurs congrès et les partis frères ont fait chorus. Les déclarations les plus remarquées ont été celles de Walter Ulbricht à Leipzig. Le ton a changé, il ne parle plus du traité de paix séparé, ni de l’échéance prochaine du règlement de la situation de Berlin-Ouest. Au contraire, il prétend que la question est secondaire et que ce qui compte, c’est le redressement de l’économie de la D.D.R. compromise par les staliniens dont il omet de dire qu’il était le plus zélé.

A Moscou, comme à Pankow, on ne parle que de compromis. Le mot emprunté au français revient dans tous les discours. Cela ne garantit nullement qu’on soit décidé à en trouver, mais que les choses traineront sans éclat, noyées sans doute dans des conversations sans issue. Une accalmie dans la guerre froide paraît en tout cas bien assurée.

 

La Position de MacMillan

Côté Occident, la position du pauvre MacMillan demeure difficile. L’entrée de l’Angleterre dans le Marché Commun sur laquelle il avait joué sa chance, est compromise à la fois par l’opposition croissante de ses adversaires comme de ses amis à domicile et les multiples chicanes de ses éventuels partenaires. Déçu à Rambouillet, il pourrait l’être aussi aux Bahamas.

Les Américains ont, comme on sait, refusé de continuer à expérimenter la fusée Sky-Bolt dont les Anglais leur avaient confié la construction, après qu’ils avaient renoncé eux-mêmes à la fusée Blue-Streak. Faute d’engin de remplacement, la force atomique britannique perdra toute valeur. Est-ce le but que les Américains cherchent ? Ils en donnent l’impression. Que ce soit l’ex-secrétaire d’Etat de Truman, Dean Acheson ou l’actuel, M. Rusk, on ne fait pas mystère à Washington d’une volonté de conserver le monopole de l’arme atomique. Les arguments d’ordre militaire sont solides. L’arme atomique, comme toute autre, évolue. Pour la maintenir efficace, il faut des ressources énormes dont aucun pays européen ne dispose. Tôt ou tard, ceux qui se seront ruinés à la développer devront rester avec une arme dépassée entre les mains.

Mais les Anglais se résignent mal à renoncer à ce symbole de puissance et à admettre que leur sécurité comme celle de l’Europe continentale dépend exclusivement des Etats-Unis. Car ce sont les Américains qui, en dernier ressort, demeurent juges de l’opportunité de se servir de ces armes.

Les Etats-Unis, depuis le succès de Cuba, ont beaucoup montré leur prépondérance et quelque peu malmené leurs alliés, surtout anglais, Ils menacent de représailles le Marché Commun si celui-ci ferme ses débouchés à leur agriculture. Ils parlent d’intervenir eux-mêmes au  Congo, si Tchombé ne se rend pas. Au Moyen-Orient, ils entendent arbitrer le conflit du Yémen. Kennedy veut prouver qu’il n’est pas Eisenhower. Sans doute, mais chacun a ses faiblesses. A paraître décidé à régenter le monde, on provoque des coalitions.

 

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