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Le Courrier d’Aix – 1962-12-01 – La Vie Internationale.
L’Arrêt des Hostilités Sino-Indiennes
Nous sommes dans une période à surprises et la plus forte, c’est sans doute l’arrêt des hostilités contre l’Inde, par décision de Pékin. L’avance des Chinois avait été si rapide, l’effondrement militaire des Hindous si complet, qu’on voyait d’ici peu les Chinois aux abords du Golfe du Bengale. Cependant, si tel avait été leur but, ils n’auraient pas choisi l’entrée de l’hiver pour faire franchir aux divisions frontières les passes de l’Himalaya. L’objectif primitif était moins ambitieux. Il a sans doute été dépassé par la faiblesse de la résistance rencontrée. Ce qui ne signifie pas que les Chinois ont renoncé à s’emparer des plaines de l’Assam et des pétroles qu’elles renferment, mais simplement qu’il s’agissait de la première étape d’un plan à longue échéance.
Les résultats obtenus par Pékin sont loin d’être négligeables ; ils ont infligé à Nehru une humiliation dont il se relèvera difficilement, démontré que la seule puissance militaire asiatique était la chinoise, qu’elle était assez forte pour s’imposer le cas échéant à tout pays du continent qui se montrerait hostile.
En mettant volontairement fin aux combats en plein succès, les Chinois ont cherché à atténuer chez les non-engagés afro-asiatiques, l’impression d’avoir été les agresseurs de l’Inde et surtout empêcher Nehru de se rallier au bloc occidental, ce qui était inévitable, si la guerre avait continué : Américains et Anglais se seraient directement engagés dans la lutte que de simples fournitures d’armes ne suffisaient pas à faire gagner aux Hindous. L’Inde devenait alors un autre Vietnam Sud.
La Chine et le Pakistan
Sur le plan politique, les Chinois ont marqué un autre succès ; le Pakistan, inquiet de voir l’Inde recevoir des armes de l’Occident, menace de pactiser avec Pékin qui lui offre un traité d’assistance mutuelle et de non-agression, ce qui inviterait le Pakistan à se démettre de ses alliances avec l’Occident et de passer au neutralisme. La manœuvre de Pékin pourrait même viser plus loin à notre sens : offrir au Pakistan son appui pour reconquérir le Cachemire que l’Inde se refuse à céder, et à la faveur d’un conflit indo-pakistanais couper l’étroit corridor qui sépare le Pakistan oriental de l’Himalaya par où l’Inde communique avec les provinces du Nord-est, ce qui permettrait aux Chinois, en été cette fois, une promenade militaire vers l’Assam et l’océan. Anglais et Américains font l’impossible pour maintenir le Pakistan dans les pactes du C.E.M.T.O. et du S.E.A.T.O. : Il est probable que le maître du Pakistan, Ayub Khan, habile homme, se sert de l’offre chinoise pour se faire payer son allégeance à l’Occident par une concession de l’Inde au Cachemire. Ces tractations à l’orientale qui sont en cours, ne trouveront pas une conclusion rapide.
La Chine et l’U.R.S.S.
La Russie, dans l’affaire, ne paraît pas avoir joué un grand rôle. On dit qu’elle faisait pression sur Pékin en menaçant de couper les fournitures de pétrole à la Chine qui reçoit d’U.R.S.S. 90% de son approvisionnement. L’argument n’est pas décisif, car il serait facile d’en trouver ailleurs, à condition de la payer, comme les Chinois l’ont fait pour le blé. Il semble que Pékin veut montrer au monde de couleur son indépendance à l’égard des moscovites, et pour ravir aux Russes la direction du mouvement communiste, et pour rejeter la « clique de Krouchtchev » dans l’hérésie.
Les Elections bavaroises
Surprise électorale aussi en Bavière. Interrogés par un de nos confrères Suisses, les Munichois prédisaient la défaite de Strauss et du parti Chrétien social. Or celui-ci renforce ses positions et dépasse la majorité absolue. L’affaire du « Spiegel » a plutôt joué en faveur du particularisme bavarois : on a soutenu le grand homme du pays contre les intrigues de la capitale et des Hambourgeois, et peut-être aussi des Américains qui auraient volontiers démissionné Strauss. Ce succès électoral est un atout pour Adenauer dont la position fléchissait, mais aussi un nouvel embarras pour replâtrer son ministère. Les libéraux n’admettront pas que Strauss reste ministre de la défense et celui-ci n’entend nullement s’effacer. La démocratie allemande tourne un cap difficile.
Les Elections Partielles
L’Angleterre aussi : les cinq élections partielles qui ont eu lieu dans des régions très différentes, ont marqué la défaite des conservateurs qui ont perdu deux sièges et n’ont gardé les autres qu’avec des majorités infimes, réduites en un cas de 6.000 à 200 voix. Mais si sérieux qu’il soit, l’échec ne serait qu’épisodique si le parti libéral ressuscité n’avait une fois de plus, accru son pourcentage au point d’égaler à peu près ses rivaux. Le système tripartite ruinerait le fonctionnement actuel de la démocratie anglaise fondé sur l’alternative de deux partis. Il faudrait renoncer à l’élection à la majorité simple et entrer dans le labyrinthe des combinaisons et des alliances qui font peut-être les délices d’autres Démocraties, mais répugnent à l’Anglais, comme à l’Américain. Ce scrutin n’a d’ailleurs rien apporté de décisif sur la question de l’entrée de l’Angleterre dans le Marché Commun, les libéraux en étant partisans sans réserve tandis que les travaillistes y sont à des degrés divers hostiles et les conservateurs divisés.
Nous demeurons plus que jamais sceptiques sur l’issue des négociations de Bruxelles. Outre l’opposition française, on sent quelque flottement dans le soutien apporté jusqu’ici à l’Angleterre par les industriels allemands et belges qui sont déjà préoccupés par la concurrence des Six entre eux et voient leurs marges de profit se rétrécir rapidement. Y ajouter la concurrence anglaise qui se trouve en meilleure posture depuis les hausses considérables des salaires sur le continent, serait courir un risque plus grave. Les négociations traîneront sans se rompre ; l’issue dépend beaucoup du niveau des prix de revient dans les mois qui viennent et aussi des revendications américaines sur la C.E.E. qui se font acrimonieuses.
Le Maroc et l’Espagne
Une photographie du journal madrilène l’ « A.B.C. » nous a fait rêver. On y voit le roi du Maroc, Moulay Assam II, remettre solennellement, dans un énorme coffret, le collier de l’ordre du Trône Chérifien, au Général Munoz Grandes, vice-président du Gouvernement espagnol, représentant et successeur éventuel de Franco. Il y a deux ans, les troupes espagnoles et marocaines se battaient dans l’enclave espagnole d’Ifni et maintenant Moulay Hassan va rendre visite à Franco. Des revendications discrètes ; pas question de conflit. L’Espagne conserve ses présides de Ceuta et de Melilla, ses enclaves en territoire marocain et le Sahara espagnol restent espagnol. Les ingénieurs espagnols et américains y cherchent le pétrole en toute tranquillité. Franco n’a pas fait de grands discours, mais il a gardé son patrimoine et même, apparemment, l’amitié des Marocains. Méditez un instant, mes frères.
CRITON