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Le Courrier d’Aix – 1955-07-16 – La Vie Internationale.
Vigile de Genève
La montagne accouchera-t-elle d’une souris ? L’opinion malgré la prudence où on la convie, s’est trop échauffée sur cette Conférence de Genève pour que son attente soit tout-à-fait déçue. Il lui faut des surprises. On craint en Occident que des offres soviétiques n’aillent se dissoudre par la suite dans les commissions qui seront chargées de leur donner forme concrète ; la propagande accuserait les Américains de susciter des obstacles et l’on en resterait là.
Les Projets Soviétiques
Les intentions russes restent obscures : Nehru qui a passé plusieurs jours en entretiens à Moscou a-t-il révélé ses secrets à Eden avec lequel il vient de conférer à Londres ? Molotov lui, est toujours là. Il a démenti les rumeurs de sa retraite, qu’il avait lui-même fait pressentir à Vienne. Quel sera son rôle ? Acteur ou figurant ? De cela dépend pour une large part la confiance que les Occidentaux accorderont à l’U.R.S.S. Une politique nouvelle se fait avec des hommes nouveaux.
La Situation en Yougoslavie
En attendant, les problèmes économiques restent au premier plan. C’est la Yougoslavie qui fait les frais de l’actualité. Sept ans après sa rupture d’avec le Kominform, malgré une aide américaine massive sans compter celle des Anglais et la nôtre, la situation de ce pays du socialisme n’a fait qu’empirer. Tito après avoir tenu la vedette dans ses multiples colloques en Europe et en Asie, a dû s’interrompre pour affronter une crise intérieure.
Sans autre préavis, les prix des produits de première nécessité ont été augmentés ; le pain de 65 pour cent, la farine, les transports ; déjà au marché noir, ils avaient monté sans permission. 50% pour le beurre, 25 pour les légumes. Le Gouvernement accuse les Yougoslaves de manger trop de pain ! Les pauvres, c’est que le reste leur manque, en particulier le sucre dont ils n’ont pas touché un morceau depuis trois mois. Mieux encore, une conférence est convoquée avec les Occidentaux pour dévaluer le Dinar de moitié, 600 pour un Dollar au lieu de trois ; il est vrai que le Dinar n’avait pas attendu non plus la permission pour dégringoler. Les masses yougoslaves prises de panique font la queue devant les magasins ; comme les nouvelles mesures ne peuvent être imposées à des salaires qui sont en moyenne de l’ordre de 10.000 frs par mois en pouvoir d’achat, on augmentera les salaires, moins cependant que les prix. Et en même temps, Tito qui ne doute de rien, sollicite son admission au Conseil de l’Europe, tout en se déclarant insolvable auprès de ses créanciers étrangers (en particulier la France qui ne peut rien obtenir de son dû).
Chez les Satellites
L’échec de l’économie titiste ne le cède en rien à celui de ses voisins communistes. La Hongrie cherche à acheter 7 milliards de quintaux de blé canadien ; la Pologne en demande dix. La cause de tant d’infortunes ? Evidemment les intempéries. Les malheureux sujets du marxisme-léninisme finiront par imaginer que le ciel est hostile au régime. Ils se demanderont pourquoi chez leurs voisins, les récoltes, quel que soit le temps, sont excédentaires à tel point qu’on ne sait comment s’en débarrasser ; on accuse aussi les Koulaks qui ne veulent pas livrer leurs grains cachés et la bureaucratie qui en perd la trace.
Ces calamités ne sont pas d’ailleurs l’apanage du communisme. On sait avec quelle virtuosité Perón avait désorganisé l’économie argentine et réussi à rationner la viande dans le pays qui traditionnellement en fournissait au monde entier. Et Franco lui-même n’a pas donné autant de satisfaction aux estomacs des Espagnols qu’à ses Phalangistes. Ce n’est pas faute de ci, comme de là, de plans quinquennaux ou de réformes de structure. Partout, le paysan tenace a résisté ; c’est lui qui mine les autocraties et finira par les détruire.
La Situation en Autriche
Par contraste, il faut, si cela n’est déjà fait ici, ajouter un succès au palmarès des pays libres : celui de l’Autriche qui fête sa libération prochaine. Malgré dix ans d’occupation et d’exactions russes dans leur zone, malgré le tribut qu’elle devra encore payer à l’U.R.S.S., l’Autriche poursuit une expansion rapide qui suit celle de l’Allemagne de Bonn ; la production agricole a largement dépassé celle d’avant-guerre et l’industrie travaille à plein. Même le textile en difficulté dans les autres pays d’Occident, suit le mouvement. Les salaires sans doute, y sont encore bas bien que presque double de ceux des voisins satellites ; les travailleurs ont consenti à une discipline analogue à celle que s’imposèrent les Allemands après la réforme monétaire. Ils attendent d’une expansion économique la juste rémunération de leur effort, ce qui, du train où vont les choses, ne saurait tarder.
La santé économique, et d’abord la santé monétaire ne s’obtient, d’après l’expérience de ces dernières années, que si les salaires consentent – tout comme les profits – de suivre l’expansion de la production au lieu de la précéder. C’est ce qu’ont fait Allemands et Autrichiens.
En Angleterre, comme en France, on a escompté l’avenir ; le résultat c’est que les niveaux atteints par les rémunérations ne sont pas sûrs. En Angleterre, il est question d’une dévaluation déguisée de la Livre, sous forme de monnaie flottante permettant des manipulations selon les soubresauts de la balance des comptes, méthode par avance sévèrement critiquée par de nombreux économistes ; la même question se pose en France. La France ne résisterait pas au contact d’une Livre flottante ; les pays à monnaie saine sont partisans au contraire d’une parité fixe et d’une convertibilité intégrale ; l’actuel danger c’est que, las des obstacles mis par d’autres à une normalisation des échanges sous la forme d’une complète liberté, ils ne prennent celle de nous fausser compagnie ; l’hymne à la production ne conjure pas tous les périls.
CRITON