Criton – 1957-03-02 – Autour du Dollar

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Le Courrier d’Aix – 1957-03-02 – La Vie Internationale.

 

Autour du Dollar

 

Si l’on en juge par l’intense activité diplomatique qui se déploie à Washington et accessoirement à l’O.N.U. à New-York, tout progrès vers une solution des problèmes actuels semble dépendre des Etats-Unis. A cet égard, même si l’on juge que l’on n’a guère avancé, Eisenhower et Dulles ont réussi pour la première fois depuis la fin de la guerre à enlever aux Soviets l’initiative qui leur avait échappé constamment, sauf pendant quelques jours à Genève lors de la conférence « au sommet ».

 

Le Déclin de l’Audience Russe

Les Russes ne se tiennent pas pour battus. Discours et propositions de leurs délégués se succèdent aux Nations-Unies, mais il est manifeste qu’ils tombent dans le vide. Ils ne sont destinés qu’à alimenter la propagande qui ne rencontre d’ailleurs pas grande audience même en U.R.S.S. On mesure par là ce que la répression hongroise a coûté à la diplomatie soviétique. Staline et Molotov avaient déjà discrédité leurs actions par des refus répétés ou des plans insidieux. Krouchtchev avait cru le moment propice à un redressement. Il a échoué plus profondément encore que ses prédécesseurs.

 

L’Interview de Krouchtchev

Un des frères Alsop, commentateur en vue des milieux ultra-républicains, a fait un voyage en Sibérie occidentale et puis a obtenu de Krouchtchev une longue interview. Celui-ci n’a rien dit de plus que ce que la « Pravda » débite chaque jour. Cependant, la conclusion de S. Alsop mérite d’être transcrite :

« On pourrait croire que les Soviets étaient disposés à négocier sérieusement un retrait mutuel des forces stationnées en Europe de part et d’autre. Certains comme Stassen au Département d’Etat le pensaient et le célèbre George Kennan également. Mais les propos de Krouchtchev mettent un point final à ces suggestions. Elles ne comportent aucune base pour des négociations et – nous soulignons – ne marquent aucunement l’intention d’en offrir. S’il fut un moment où un règlement général pouvait être envisagé, ce moment-là est passé. »

C’est également notre sentiment, avec cette réserve que nous n’avons jamais eu ici l’impression, à aucun moment depuis 1945, que les Russes cherchaient un accord. La guerre froide est un état permanent que seule une crise intérieure pourrait faire évoluer.

 

Les Régimes autoritaires Discutés

Comme nous ne nous sentons pas le courage de commenter dans le détail les multiples colloques de Washington qui ne présenteront d’intérêt que si quelque chose de concret en ressort, profitons-en pour consulter le baromètre international. Deux indications notables s’y inscrivent.

D’abord, les régimes autoritaires sont discutés et même en crise : U.R.S.S. et satellites, Espagne, Indonésie. Les causes en sont à la fois politiques et morales d’une part, mais avant tout économiques.

 

En Espagne

Franco en Espagne vient de réorganiser son équipe ministérielle sous la pression des difficultés économiques et de l’agitation de la jeunesse universitaire. Il s’est livré à un dosage de tendances et un chassé-croisé de personnalités qui ressemble assez à nos crises démocratiques. Le public en Espagne ne s’y intéresse pas beaucoup plus que chez nous. On n’attend plus de miracles, pas même de changement sérieux ; le régime est usé. On s’en accommode parce que l’alternative serait une révolution dont le souvenir n’a rien d’agréable. La jeunesse qui n’a pas connu 1936 ne serait pas suivie par tous ceux qui ont vécu ce drame.

Mais ce qui est curieux, c’est que les reproches adressés à Franco sont exactement les mêmes que ceux que les jeunes Russes adressent au Kremlin. Incapacité de relever le niveau de vie, embouteillage bureaucratique, obscurantisme de la classe dirigeante  accrochée à ses privilèges, progrès paralysés par la centralisation administrative et la planification universelle. Ce que l’on demande, c’est la liberté de discuter, et surtout d’agir, sur le plan individuel et surtout local. Les Soviets essayent d’ailleurs, au moins en théorie, une décentralisation économique devant l’échec de leurs plans gigantesques.

 

La Fin de la Compétition Économique

Le second point à noter, c’est la fin, au moins provisoire, de la compétition économique entre les deux mondes qui avait semé l’effroi en Occident, et particulièrement aux Etats-Unis. On ne croît plus au Kremlin-père Noël. Est-ce l’incapacité des Russes d’aider leurs propres satellites – les Polonais sont autorisés à quémander des dollars à Washington – est-ce la mauvaise qualité des rares produits fournis, ce qui est sûr c’est que l’on ne compte plus en Orient sur la surenchère des deux parties dont on attendait une manne inépuisable. Les dollars seuls sont sûrs. Et c’est la clef du problème.

Que vont chercher à Washington les pèlerins d’Orient et d’Occident ? Que ce soit Ibn Saoud ou le fils du roi Fayçal, M. Mollet ou M. MacMillan, c’est un moyen de joindre les deux bouts à l’heure des graves échéances. Les Anglais viennent d’obtenir 500 millions de dollars de l’Export Import Bank. Quant aux problèmes purement politiques dont on est censé s’entretenir, on sait bien que la solution sera financière ou ne sera pas. Si Nasser finit par céder, c’est que ses caisses seront vides et que Moscou se refuse à les remplir. Sinon, le Canal de Suez ne sera pas de longtemps ouvert au trafic. Si Israël se résigne à un compromis, c’est qu’il ne peut vivre si le flot des dollars est arrêté.

 

La Diplomatie Financière

Ce n’est pas d’hier que la puissance financière est un argument décisif dans les compétitions internationales. Cependant, plus les Etats modernes se développent et plus la finance commande. C’est probablement sous la pression des exigences financières que la crise d’indépendance des pays sous-développés finira par s’atténuer. A cet égard, les Russes qui sont forts habiles en d’autres domaines ne savent se servir de leurs ressources. Leurs moyens sont certes peu de choses comparés à ceux des Etats-Unis, mais ils ont un stock d’or qui n’est pas négligeable. Ils auraient pu s’en servir, soit pour donner au rouble un standing international, soit pour soutenir leurs desseins politiques. Ils n’ont fait que quelques tentatives de peu d’ampleur. Leur technique financière est encore rudimentaire. C’est une infériorité dont ils doivent aujourd’hui sentir le poids.

 

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