Criton – 1962-10-20 – Le Concile Oecuménique

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Le Courrier d’Aix – 1962-10-20 – La Vie Internationale.

 

Le Concile Œcuménique

Le Concile œcuménique de Rome est l’événement majeur de cette période de l’histoire. L’Eglise Catholique, tout en conservant son caractère d’éternité, entend demeurer dans l’histoire, vivante et puissante, en face des oppositions violentes de ce monde où s’affrontent des idéologies qu’elle combat pour sauvegarder à la fois la spiritualité et la liberté des hommes.

A la différence des précédents conciles où l’Eglise se préoccupait de ce qu’on peut appeler la théologie verticale, c’est-à-dire les problèmes de Dieu, du Christ et des dogmes, celui de 1962 concerne la théologie horizontale, les problèmes moraux de l’homme c’est-à-dire, présente une synthèse chrétienne des grands problèmes de l’existence moderne : liberté, justice, bien-être, expansion économique, droits de la personne et de la famille. Le danger, en effet, est qu’à l’aide du progrès scientifique et technique, peu à peu, les Sociétés actuellement opposées, n’en arrivent à se ressembler au prix d’un renoncement aux valeurs spirituelles et morales, ce dont les signes sont d’ores et déjà apparents. Le grand rassemblement d’aujourd’hui a pour objet de montrer que ces valeurs n’ont rien perdu de leur exigence.

L’autre nouvel aspect du Concile est qu’il se déroule sous le signe de l’unité chrétienne et même, par-delà le Christianisme, de l’unité de toutes les religions. Ce mouvement n’a pas pour but une fusion ou une conciliation des doctrines, mais de rassembler sous des principes communs tous les enfants de Dieu ; ce qui, au moment où tant de peuples sont appelés à se gouverner eux-mêmes, signifie qu’ils doivent le faire selon les principes de la loi divine à quelque confession qu’ils appartiennent – soit à tenter de réunir tous les hommes de foi dans l’observance de leur conception commune de la dignité de l’homme et de ses droits – ce qui explique la présence à Rome où ils ont été cordialement invités et accueillis, des représentants des diverses églises. Même les Soviets ont envoyé à Rome deux délégués de l’Eglise orthodoxe qu’ils contrôlent et dont leur politique se sert souvent. C’est montrer par-là l’importance internationale du Concile, la puissance d’attraction qu’il doit exercer sur les pays non engagés qui y sont représentés par leurs évêques.

L’aspect politique du Concile n’est pas moins important que son aspect moral et religieux. Les répercussions dans le monde ne seront pas visibles. Il ne se traduira sans doute par aucun fait notable, mais par un cheminement obscur et prolongé, il aura une influence sur les relations futures des peuples entre eux. Surtout parmi les nouveaux promus à l’indépendance dont l’orientation est indécise. C’est pourquoi les Russes ont tenu à être présents.

 

Le Déclin Spirituel

C’est un lieu commun déjà usé, que d’affirmer que l’homme moderne n’était pas préparé moralement à la jouissance des biens dont la science le comble.  Le « supplément d’âme » réclamé si souvent est de plus en plus nécessaire et de moins en moins évident. Il est difficile de dire s’il y a régression morale ou stagnation, ou même progrès. Cela dépend du point de référence, si l’on observe les élites ou au contraire si l’on s’en rapporte au niveau des masses, et surtout à l’histoire contemporaine si chargée d’horreurs. Quoiqu’il en soit, l’abîme s’élargit. La civilisation ne suit pas le progrès matériel. Bien plus, il semble que le progrès et les facilités qu’il offre, détourne les esprits des préoccupations spirituelles que la fragilité et les difficultés de l’existence rappelaient sans cesse à nos ancêtres. Tout cela est bien banal sans doute, mais n’en est pas moins dramatique. Comme l’a souligné Jean XXIII, le rôle de l’Eglise depuis vingt siècles est de ramener l’homme à la méditation de son destin qu’aucun changement d’ordre matériel ne peut modifier.

 

Le Déclin de l’Intelligence

Puisque nous consacrons cette chronique aux problèmes abstraits, il est un autre point, qui vient d’être soulevé par des savants et qui est à nos yeux d’égale importance. Il ne s’agit plus seulement de la vie spirituelle et de l’action morale, mais de l’intelligence tout court.

Deux récents Prix Nobel, le professeur Medawar, médecin anglais et le biologiste italien d’origine suisse, le professeur Bovet, ont soulevé la question. Medawar a écrit un livre sur la décadence intellectuelle de l’homme moderne. Plus instruit, plus informé, l’homme moderne a perdu sa force intellectuelle et surtout ressenti une diminution de qualité de cette intelligence. Les éducateurs ne le contrediront pas. Si la capacité d’assimilation des jeunes demeure égale, elle ne progresse pas d’une génération à l’autre de façon appréciable. Un changement par simple évolution d’ordre cérébral demanderait des siècles pour être observable. Par contre, la qualité de cette intelligence décline pour toutes sortes de raisons dont la dispersion de l’attention est la principale. Devant les horizons formidablement élargis en quelques années, la capacité de jugement, d’observation, de réflexion demeure d’autant plus faible qu’elle est plus sollicitée.

Le professeur Bovet n’hésite pas à affirmer en biologiste que l’intelligence de l’homme est en déclin et il s’élève contre ce mythe de la science moderne, encouragé par les Gouvernants à des fins militaires et de prestige : la conquête de l’espace, alors que l’on ignore beaucoup de ce qu’est l’homme et de ce que la science peut faire pour améliorer son activité psychologique et cérébrale, toutes les ressources disponibles vont à chercher d’atteindre la lune et les planètes où l’on sait par avance ne rien trouver d’intéressant pour l’homme lui-même.

 

Les Contradictions des Chefs d’Etat

Ce déclin de la qualité de l’intelligence n’affecte pas seulement l’humble citoyen. Il se manifeste en pleine lumière dans le comportement des dirigeants et nous rejoignons ainsi la politique internationale. Dispersés, eux aussi, ces grands hommes ou prétendus tels, en interminables palabres, en cérémonies et représentations futiles, sont manœuvrés par les événements qu’ils suivent sans presque les voir. Pour les discréditer à jamais, il suffirait de passer les disques sur lesquels on a enregistré leurs contradictions successives. Quel sottisier on collectionnerait ! La masse n’y prend pas garde. Elle a la mémoire courte ou plutôt s’intéresse à ses préoccupations  immédiates. Ceux-là qui prétendent suivre le sens de l’Histoire sont en réalité obsédés de mythes qu’ils ont assimilés dans leur jeunesse et qu’ils traduisent par de grands mots. En réalité, ils sont incapables de s’adapter à l’évolution, si difficile à suivre, d’un monde mouvant et de bonne foi ne s’aperçoivent même pas de leurs erreurs quand les faits les leur démontrent. On les croit doubles ou habiles, alors qu’ils suivent simplement le flot….

 

Le Renversement des Positions Politiques en Angleterre

Ces attitudes aboutissent parfois à des situations comiques. C’est le cas aujourd’hui en Angleterre. Le gouvernement MacMillan paraissait il y a un mois complètement désorienté. Obstinément attaché à l’idée de faire entrer son pays dans le Marché Commun, MacMillan n’était pas suivi par son propre parti et l’opinion se cherchait. Il a suffi que son adversaire politique, le chef du parti travailliste Gaitskell, au Congrès de Brighton, prit le contre-pied, et par un singulier renversement des traditions, se fit plus conservateur que les tories, en défendant le Commonwealth contre l’Europe, pour que le parti conservateur réuni à son tour à Landludons, refasse son unité et acclame son chef redevenu grand homme. Reste à savoir si les électeurs dans les prochaines élections partielles seront du même avis. Quoiqu’il en soit, il a suffi que l’opposition travailliste se prononce contre l’entrée dans le Marché Commun pour que les conservateurs, à l’unanimité, se déclarent pour. Dans une question aussi grave pour l’avenir de l’Angleterre, c’est en définitive l’esprit partisan qui aura décidé. On ignore à qui les événements donneront raison, d’abord si à Bruxelles les Anglais emporteront leur adhésion, et, si cette adhésion acquise, l’Angleterre en sera plus prospère et plus influente. Ce que personne ne saurait prédire.

En réalité, comme nous l’avons déjà dit, c’est dans l’esprit de MacMillan, le vieux mythe du blocus continental qui a joué : l’union de l’Europe continentale menace l’Angleterre. Pour y échapper, elle doit en être membre et étouffer toute tentative d’hégémonie d’une puissance du Continent. Or, rien ne ressemble moins à l’Europe de Napoléon que celle d’aujourd’hui. Mais le mythe demeure.

 

                                                                                                CRITON