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Le Courrier d’Aix – 1959-02-28 – La Vie Internationale.
Voyages Diplomatiques
Le voyage de MacMillan à Moscou a fourni aux quotidiens du monde entier aux abondantes copies. Les illusions toujours démenties par les faits sont tenaces. Le discours de Krouchtchev à Kalinine, au milieu même de la visite du Premier Anglais n’a rien de prometteur. Faut-il s’en inquiéter ? La rigidité de la politique russe est le meilleur garant de l’union occidentale et c’est ce qui importe. Ce n’est pas s’avancer que de croire qu’à Bonn on est plutôt satisfait des propos désobligeants de Krouchtchev.
Le But du Voyage
En effet, si les Russes avaient eu en réserve des manœuvres pour diviser les Occidentaux, le voyage de MacMillan était une belle occasion de les développer, car les Anglais sont plus intéressés à sauvegarder leurs positions en Moyen-Orient, en Irak et dans la Péninsule arabique où gît le pétrole, que de hâter la réunification de l’Allemagne dont la concurrence dans l’ordre économique leur donne déjà assez de préoccupation. On craignait à Bonn, et ailleurs aussi, qu’en y mettant le prix, les Russes n’obtiennent que les Anglais jouent dans la question de Berlin un rôle de médiateur accommodant. Mais Krouchtchev n’abandonne pas la plus petite carte. Aucune surprise là-dessus, donc.
Le Dispositif des Etats-Unis
Du côté Américain, malgré ou plutôt à cause de la maladie de Foster Dulles, on ne fait rien pour endormir l’opinion sur la proche échéance berlinoise : au contraire, on la prépare à soutenir, si besoin est, une épreuve de force. Mobilisation partielle, envoi à Berlin même de renforts militaires, tout est débattu en public. La Maison Blanche et le Pentagone considérent que le seul moyen de faire reculer Krouchtchev est de le mettre devant l’alternative : guerre ou paix, dans le respect des accords passés. Le souvenir de Munich 1938 reste très vivant dans les esprits. Une caricature anglaise assez drôle montrait Krouchtchev et Mikoyan dépités devant le bonnet blanc de MacMillan et se disant l’un à l’autre « il n’a pas emmené son parapluie » (allusion à Chamberlain).
Les Revers de la Diplomatie Russe
Du reste, le voyage de MacMillan venait à un moment où les diplomates soviétiques ne sont pas de bonne humeur. Ces dernières semaines ont été marquées par une série d’échecs.
En Iran d’abord, où ils ont été joués, tout simplement. Le Gouvernement de Téhéran s’apprêtait à signer avec les Etats-Unis un pacte de défense et d’assistance économique dont les clauses militaires irritaient Moscou. Krouchtchev envoya son meilleur diplomate pour essayer d’empêcher la signature de l’accord : Téhéran le laissa venir et faire ses offres et pour mieux montrer l’intérêt qu’on y prenait, l’accord avec Washington fut suspendu. On fit croire à un renversement de positions. Lorsque les négociations eurent permis de connaître l’étendue des offres soviétiques, Téhéran les déclara inacceptables et signa aussitôt avec les Etats-Unis. Fureur de Krouchtchev ; menaces de « La Pravda » auxquelles le Shah d’Iran répondit avec quelque insolence. On montra à Téhéran que les injures et l’intimidation des Soviets ne faisaient pas peur.
Le Jeu Arabe
Excellent exemple donné aux voisins arabes. Ceux-ci, que ce soit Kassem ou Nasser, continuent à jouer au plus fin avec Moscou et jusqu’ici s’en tirent à leur avantage. On parle même d’une proche rencontre avec les deux leaders arabes qu’on croyait ennemis jurés. Ce qui n’empêche pas Nasser de publier une lettre de Krouchtchev l’assurant de l’indéfectible appui de l’U.R.S.S. à la République Arabe unie. L’équilibre sur la corde raide ne fait pas peur à ces Orientaux. Ils s’y plaisent. Et cela se passait en présence même de Tito, l’hérétique, venu à Damas avec Nasser fêter leur alliance, à l’occasion de l’anniversaire de la R.A.U.
En matière de diplomatie orientale on ne fait pas mieux. Les Soviets ne sont pas au bout de leurs peines dans cette partie du monde.
L’Affaire des Aviateurs Américains
Mais ce qui a touché au vif les Russes, c’est la publication par les Américains de l’enregistrement sonore du dialogue des aviateurs soviétiques qui abattirent il y a quelques mois au-dessus de l’Arménie russe un avion américain non armé attiré probablement du territoire adverse par des faux signaux. Le document était irréfutable. Les Soviets apprirent, s’ils ne le savaient déjà, que les appareils d’écoute des Américains, en territoire turc, prenaient les conversations les plus secrètes de l’autre côté du rideau de fer. Voir ainsi leurs secrets dérobés, met les Russes hors d’eux. Les Américains, en donnant toute publicité à l’affaire où périrent onze de leurs aviateurs, agissaient sur l’opinion, sensible au plus haut point à tout ce qui atteint les siens. Excellent moyen de préparer le public à résister aux pressions d’un adversaire qui emploie des procédés aussi criminels que cyniques. Cela se passait avant les négociations avec l’Iran. On conçoit que les Russes auraient mis le prix pour que des appareils enregistreurs ne soient pas installés sur les bords de la Caspienne. Les Américains ont voulu également montrer par là qu’ils n’avaient pas besoin de l’écoute de Berlin pour découvrir les mystères de l’Armée rouge. Cette petite guerre, tout comme l’affaire Dombrowski dont nous avons parlé, n’arrange rien. MacMillan a dû s’en convaincre.
Les Émeutes du Nyassaland
Nous parlions l’autre jour de ce qui se préparait en Afrique noire orientale. Les événements n’ont pas tardé : révolte au Nyassaland. Ce territoire fait, comme on sait, partie de la nouvelle Fédération Rhodésie-Nyassaland. Mais au Nyassaland très peuplé, les Noirs sont en majorité écrasante. Le Président de la Fédération, Sir Welensky, voudrait, comme les Noirs d’ailleurs, détacher ce territoire de la Fédération et laisser le Nyassaland constituer un Etat noir ou plutôt une réserve comme celle que les Sud-Africains ont constitué au Basutoland. Les deux Rhodésies seraient au contraire, un Etat blanc comme l’Union Sud-Africaine. L’immigration blanche serait favorisée – italienne en particulier – pour équilibrer les rapports de population.
Par ailleurs, les incidents de Brazzaville ont montré ce que pourraient être les rivalités entre tribus dans le cadre de l’indépendance. Les voisins belges n’ont pas manqué d’en tirer argument pour une politique prudente et dilatoire. L’effervescence du Continent Noir n’est pas près de s’apaiser. Les solutions apparemment très diverses qui demeurent possibles ne seront ni faciles à appliquer, ni assurées de stabilité.
Les Anglais réfléchissent. On commence à Londres, après les manœuvres plutôt suspectes menées en Afrique occidentale, à penser que la solidarité occidentale serait aussi nécessaire qu’ailleurs dans cette partie du monde. On ose encore espérer qu’on s’accordera sur une politique commune.
Les Difficultés de la C.E.C.A.
Après l’affaire des charbonnages belges, la C.E.C.A. aura à s’occuper d’un autre litige : les prix de l’acier français, déjà compétitifs avant la dévaluation, peuvent concurrencer avantageusement ceux de leurs voisins. Les Allemands s’en plaignent. La France devra-t-elle accepter d’imposer à ses aciéries un droit de sortie ? Par ailleurs, cette fois dans le cadre du Marché commun, les producteurs de textiles allemands réclament un droit protecteur contre la concurrence française et italienne. On commence à voir surgir toutes les difficultés que soulève la coopération entre marchés depuis si longtemps cloisonnés par des barrières douanières. La seule solution si l’on veut persévérer dans la voie du Marché Commun, est celle des ententes entre producteurs, c’est-à-dire des cartels que l’on se proposait précisément de combattre ; sinon, on assistera à une lutte entre les industries nationales qui, par leurs pressions sur les Gouvernants, aggraveront la situation intérieure qui avait au moins l’avantage de limiter les conflits. Souhaitons bonne chance à toutes les autorités aux prises pour trouver le chemin du succès.
CRITON